Extrait de : Rayons brisés, recherche sur l’état présent et les futures perspectives de la foi religieuse. Boston, 1864, page 150.
Voici un livre intéressant et plein d’esprit sur l’aspect que présentent aujourd’hui les luttes religieuses en Angleterre. Il est écrit par une dame anglaise, admiratrice et disciple de Théodore Parker. Miss Cobbe incline à attribuer les parties surnaturelles de l’histoire évangélique, sinon à la pure invention, du moins au désir exagéré qu’avaient les disciples d’exalter un Maître qu’ils adoraient ; de degré en degré, ils auraient fait du prophète un Messie, du Messie un Fils de Dieu, du Fils de Dieu le Verbe incarné, Dieu même.
Elle parle avec une grande estime de la Vie de Jésus de M. Renan, laquelle surpasse, à ses yeux, tous les livres hétérodoxes et orthodoxes qu’on a faits jusqu’à ce jour sur ce sujet, par la force, l’habileté et l’animation avec lesquelles cet écrivain en décrit toutes les circonstances extérieures. Mais elle remarque fort justement que, malgré tout son talent, l’auteur n’a pas réussi la figure principale, et elle en trouve un motif dans ce point de vue demi-panthéiste qui méconnaît la personnalité de Dieu, et qui ne voit pas en lui ce Seigneur moral avec lequel nos âmes ont à traiter et à résoudre les questions bien réelles de la repentance et du pardon. Elle fait observer qu’un sujet essentiellement spirituel ne peut être traité à un point de vue purement moral et esthétique ; d’où découle l’insuccès inévitable de son explication. A propos de maint passage de la Vie de Jésus, elle montre que l’intervention de la critique esthétique dans les mystères les plus intimes de la religion est extrêmement regrettable, et trahit un bien faible sentiment de la sainteté des idées que l’on soumet à une telle analyse. Appeler l’histoire de l’Enfant prodigue une « délicieuse parabole », et parler de la compassion du Christ pour Madeleine repentante comme « d’une jalousie pour la gloire de son Père dans ces belles créatures, » c’est faire entrevoir, ce semble, l’incapacité de l’auteur à comprendre ce qu’il y a de plus divin dans son héros, je veux dire la manière dont Jésus traite le péché. Elle revient toujours à cette question-ci : Que pensez-vous du Christ ? De qui est-il fils ? Qui était et qu’était ce grand prophète qui parcourait, il y a dix-huit siècles, les campagnes de la Palestine, et qui depuis a été adoré comme un Dieu par les premières nations du monde ? Miss Cobbe continue et donne ses propres idées sur le Christ, d’un point de vue qu’on appelle théiste. Mais son théisme est fort distinct de celui de la Bible : c’est une forme nouvelle de déisme et du naturalisme, un peu colorée et révisée par la philanthropie moderne et par le sentimentalisme religieux. Nous choisissons les passages les plus frappants du livre, comme témoignages d’une âme égarée mais noble et bien douée, qui cherche, dans les ténèbres, le Sauveur inconnu.
« Les quatre Evangiles nous ont donné de Jésus un portrait si vivant, bien qu’il soit incorrect, et ce portrait a si souvent brillé en rayons d’or devant les yeux éblouis de la chrétienté, que le pire que notre philosophie puisse faire contre lui, c’est d’avouer sa faillibilité partielle. Nous argumentons encore et nous débattons, comme s’il était absolument parfait. Il n’est vraiment pas étonnant que des créations du génie poétique, comme celles d’un Hamlet, d’un Lear, deviennent pour nous des personnages réels sur lesquels nous contestons et nous disputons. Et qui peut nous dire à quel point c’est le cas de Christ, que nous portons tous dans nos cœurs, et que nous avons presque tous adoré sur nos genoux ?
Nous, n’avons de ce noble visage, qui regardait autrefois les plaines de la Palestine, aucun portrait tout à fait exact et fidèle, et nous n’en trouverons jamais aucun. Jamais photographie ne nous dira s’il était ou non ce que nos cœurs se le représentent. Nous ne pouvons plus que jeter avec douleur un regard sur les flots du temps, pour y chercher et y contempler le reflet d’une figure mobile et effacée, telle qu’elle devait être quand Jésus regardait, du haut de la barque de ses disciples, dans les ondes agitées du lac de Génésareth. Cependant il est des traits qui reviennent trop souvent pour être faux, et l’impression d’ensemble est une, pleine de grâce et de vérité. S’il ne nous est plus possible de fixer les détails, ni de prétendre en parler avec clarté et précision, il est pourtant une chose que nous pouvons soutenir avec assez de netteté : c’est que les doctrines les plus profondes, les principes moraux les plus purs, les révélations spirituelles les plus hautes que contiennent les Evangiles viennent réellement du Christ lui-même. L’initiateur du mouvement chrétien doit avoir été la plus grande âme de son temps et de tous les temps. S’il n’avait pas prononcé ces paroles de la sagesse, qui donc aurait pu les rapporter ? Pour inventer un Jésus, il aurait fallu être un Jésus lui-même !
Il n’est pas étonnant que ses disciples aient vu en lui comme incarnée l’histoire spirituelle de l’humanité ; car, de tous les enfants des hommes, c’est lui qui a fait les expériences les plus profondes de la vie de l’Esprit, et qui en a atteint le degré suprême. Il se peut qu’il ait parcouru toutes les phases du monde intérieur. Il se peut encore qu’il y ait eu un moment où, pour la première fois, le sentiment religieux indépendant s’éveilla dans son cœur encore enfantin, et où il dit à ses parents : Ne savez-vous pas que je dois être dans ce qui est de mon Père ? Il se peut qu’il y ait eu pour lui une longue période de méditation solitaire et d’exercice ascétique sur les collines abandonnées et solitaires du désert, et qu’à l’issue il ait livré un violent combat contre des passions et des intérêts tentateurs. Toute âme forte a eu de ces luttes, et toute âme sainte y a mis fin par ces paroles intérieures : Arrière de moi, Satan ! Il se peut qu’il y ait eu une heure de transfiguration où Jésus fut glorifié dans tout l’éclat de l’amour divin, et où l’esprit des saints déjà morts n’apparut pas plus céleste que le sien propre. Il se peut qu’il y ait eu une suite d’horreurs en Gethsémané, où il fallut remporter comme de nouveau la victoire sur la tentation, dans une lutte encore bien plus pénible, avec des prières plus profondes, au milieu de torrents de larmes et de sang, jusqu’au moment où, triomphant cette fois, mais d’une manière plus sainte encore et encore plus complète, il conclut en disant : Non pas ma volonté, mais la tienne ! Il se peut qu’il y ait eu pour lui une heure plus sombre que toutes les autres, lorsque, à l’agonie de la croix, Dieu voila son visage, quand le sentiment de la présence de Dieu, qui était seul capable de lui rendre ses tourments supportables, lui échappa, et que l’épreuve la plus cruelle fondit sur lui et lui arracha le cri le plus amer qui soit jamais sorti des lèvres humaines : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? il se peut que lorsque les sombres ténèbres de la Passion eurent cessé et que la fin fut venue, Jésus, voyant l’achèvement de l’œuvre du Père qu’il avait depuis si longtemps commencée au temple, comprit que l’amour de Dieu était désormais son partage pour l’éternité, et que non pas Moïse et Élie, cette fois, mais le pauvre voleur crucifié, serait ce jour-là même avec lui dans le paradis. Il se peut qu’il ait fait pour ses cruels ennemis cette prière : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font, » et qu’il ait dit, en jetant un regard sur toute l’œuvre de sa vie et en inclinant la tête : « Tout est accompli !
Il se peut que tout cela soit parfaitement vrai, et qu’en Jésus la grande allégorie de l’humanité se soit incarnée comme un fait réel sur la terre. Nous pouvons croire qu’il en fut ainsi ; sinon c’était une autre et plus spirituelle réalité dans ces millions d’âmes en qui l’on a toujours reconnu, depuis, les porteurs d’une vérité éternelle sous l’enveloppe de la plus sainte parabole.
Mais que ces parties et d’autres de la vie de Jésus soient ou non dignes de foi, nous avons encore assez de moyens, indépendamment d’elles, de nous former un jugement sur son caractère. Nous pouvons le mesurer à son ombre, ou plutôt à la lumière qu’il a projetée sur le monde. Nous pouvons l’apprécier d’après les grands effets de sa Parole et de sa vie. Qu’était le monde avant lui ? qu’est-il devenu après lui ? Nous ne pouvons guère nous tromper ici. Les grands et généraux résultats du mouvement chrétien sont assez clairs et ne dépendent pas de l’authenticité et de la crédibilité de tel ou tel livre. Si nous trouvons la mesure du changement que le Christ a fait subir au monde, nous aurons trouvé du même coup la plus juste mesure de la grandeur du Christ lui-même…
La grandeur du souverain, de l’homme d’Etat, de l’administrateur national, du général, du métaphysicien, du savant, de l’inventeur, du poète, de l’historien, de l’artiste, nous la cherchons vainement en Lui. Il n’a rien de ces formes extérieures, et pour ainsi dire saisissables, de la grandeur. C’est uniquement dans le monde intérieur qu’il nous faut chercher les traces de son œuvre, et prendre la mesure de sa hauteur. Mais là aussi nous pouvons nous égarer, car on peut considérer le monde intérieur à des points de vue divers. Un réformateur de morale est tout autre chose qu’un rénovateur spirituel. Comme la spiritualité sublime du Christ portait en elle la moralité la plus haute et la plus pure, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas pour des grandeurs spirituelles médiocres, ceux qui l’ont étudié au point de vue rationnel, et qui ont cherché à lui donner l’honneur particulier qu’il mérite comme homme, n’ont guère dirigé leur attention que sur ses doctrines morales, et l’ont proclamé le plus grand réformateur moral du monde. Il l’était, en effet, mais, à coup sûr, il était quelque chose de plus…
Si nous accordons tout cela, nous devons avouer aussi que le renouvellement des âmes est le phénomène le plus important du monde moral. Rien ne peut être comparé à l’influence qu’il exerce sur la vie entière et sur le caractère de l’homme. Si donc l’on veut porter un jugement sur la grandeur d’un Maître en religion comme Jésus, on ne doit pas laisser de côté ce fait unique et tout à fait capital. Nous ne pouvons le passer sous silence, et nous borner à la morale et à la théologie. Nous devons nous demander : A-t-il eu quelque part d’influence dans ce changement ? A-t-il été pour quelque chose dans le plus décisif de tous les pas que l’humanité ait jamais faits, celui d’une vie irrégénérée transformée en une vie régénérée ?
Si nous jugeons ainsi le Christ par l’influence qu’il a exercée sur la vie du monde, nous verrons que c’est juste là que se rencontrent les traces les plus marquées de son œuvre. Quand nous comparons le monde ancien avec le monde moderne, le monde païen avec le monde chrétien, nous trouvons que le caractère général de l’un et de l’autre est absolument analogue à ce que nous appelons en l’homme irrégénération et régénération. Naturellement il y avait avant le Christ des millions d’âmes régénérées parmi les Hébreux, les Grecs, les Indiens, chez tous les peuples et dans toutes les langues, comme il y a aujourd’hui des millions d’irrégénérés. Mais, malgré tout, nous trouvons, à partir d’alors, dans l’histoire du monde, les traces d’un nouvel esprit, un levain qui pénètre l’ensemble des âmes. Dans le monde antique tout était parfait en son genre ; l’homme réalisait son idéal et accomplissait le beau et le bien auquel aspirait sa nature. Dans le monde nouveau, le but n’est pas atteint ; tout tire en haut vers Dieu, et vers une sainteté dont la perfection nous dépasse toujours. Le langage de l’ancien monde dans l’art, dans la poésie et dans la philosophie est toujours le même : « C’est bien agir, dit-il, que de créer le beau, que de découvrir le vrai, que de vivre de ce qui est noble et bon ; j’ai créé la beauté, j’ai trouvé la vérité ; j’ai vécu du bien. » Le langage du monde moderne, tel qu’il arrive à nos oreilles par les mille bouches de notre civilisation si diverse, est un long soupir, l’expression d’un désir ardent : « Ah ! si je pouvais créer l’impérissable beauté ! si je pouvais trouver la vérité éternelle et absolue ! s’il m’était possible de faire vivre en moi le bon, le noble et le saint ! »
Le vieux monde tirait son agrandissement du dehors, et le dedans faisait symétrie. Le nouveau croît par l’intérieur, et l’extérieur n’est pas et ne sera jamais au niveau du dedans, car celui-ci porte dans son sein le germe d’un progrès éternel. Le vieux monde bâtissait ses temples, dressait ses statues, formait ses philosophes et écrivait ses épopées glorieuses comme ses drames d’une façon définitive ; c’était complet. Le nouveau, ni dans son art, ni dans sa philosophie, ni dans sa poésie, n’a rien qu’il considère comme achevé ; son activité est pleine d’un esprit et d’une vie qui dépassent de beaucoup le monde ancien. On ne pourrait rien ajouter au Parthénon une fois bâti, pas même une seule pierre ; mais chaque siècle ajoute des autels et des chapelles, des colonnes et des tours à Milan et à Cologne.
Ce grand phénomène de l’histoire suppose, à coup sûr, un grand événement qui lui correspond et qui opéra, la transformation. Il doit y avoir eu un moment où l’ordre ancien finit et où le nouveau commença ; il faut qu’une action ait été exercée sur les âmes pour les pousser dans la direction nouvelle, et pour ouvrir l’ère du progrès. Quel a été ce moment ? Quel a été le premier pas de ce progrès sans fin ? Qui a ouvert cette ère ?
Ici nous avons de fait un fondement sous nos pieds. Il n’est pas besoin d’établir l’authenticité et la crédibilité de certains livres, ou d’accorder des récits contradictoires, pour arrivera résoudre cette question. La voix commune de l’histoire humaine nous donne ici indirectement et sans intention un témoignage sur lequel nous ne pouvons nous méprendre. Le point qui marqua la limite entre l’ancien monde et le nouveau, ce fut le commencement du mouvement chrétien. L’influence qui donna à la nature humaine une nouvelle direction, ce fut la doctrine et l’exemple du Christ. C’est lui qui a ouvert l’ère du progrès infini.
Ainsi le point de vue qui semble convenir seul à notre appréciation du caractère du Christ est celui qui le regarde comme le grand régénérateur de l’humanité. Sa venue fut pour la vie du monde ce que la nouvelle naissance est pour la vie de l’individu. Ce n’est point là une conclusion douteuse, tirée de biographies contestées : c’est une conséquence large et simple de l’histoire générale de notre espèce. Nous pouvons discuter sur toutes les choses particulières ; mais ce grand résultat est là, ferme, solide, au-dessus de toute critique. Le monde a été changé, et ce changement se ramène historiquement à Jésus-Christ. C’est pourquoi l’honneur qu’il exige de nous doit être en rapport avec notre appréciation de l’œuvre régénératrice qu’il a opérée. Il n’est pas simplement un réformateur de mœurs avec une doctrine plus pure, ou un rénovateur religieux qui fait disparaître de vieilles erreurs théologiques, et qui enseigne de plus hautes idées sur Dieu. Il était tout cela ; mais il pourrait l’avoir été, et cependant n’avoir pas fait pour notre race ce qu’il a réellement accompli. Il pourrait fort bien avoir enseigné une meilleure morale et une meilleure théologie, et cependant n’avoir pas inoculé au monde la vie nouvelle qui coule depuis dans ses artères, sans interruption, et qui pénètre jusque dans ses plus petites veines. Ce que le Christ a réellement fait dépasse le domaine de l’intelligence et de ses théologies, ainsi que le domaine de la conscience et de ses conceptions sur le devoir. C’est dans le cœur que Jésus a opéré son œuvre. Il a fait succéder l’Evangile à la loi ; il a substitué à la servitude de l’étranger la liberté des enfants de Dieu ; de la vertu il a fait la sainteté, de la religion la piété, et du devoir un amour…
Quand le temps fut accompli, que la foi de l’enfance du monde se fut épuisée, et que sur toutes les lèvres se posa la question : Qui nous montrera le bien ? Lorsque le dégoût du péché eut rempli le cœur de l’humanité et devint un fardeau pour l’impie, Dieu donna à un seul homme, pour le monde entier, la même mission bénie qu’il donne à quelques-uns pour beaucoup. Christ, le fils aîné de la famille humaine, fut l’aide et, — au sens philosophique le plus élevé, — le rédempteur de l’humanité…
De quelle manière a-t-il fait la régénération du monde ? Qui pourrait le dire aujourd’hui ? Est-ce tout simplement par ses grandes et saintes paroles, en enseignant aux hommes que Dieu est le Père de tous, en parlant du juste et de l’injuste, du Père miséricordieux, de l’Enfant prodigue, du Berger qui suit sa brebis égarée jusqu’aux dernières limites du désert du mal, et qui la ramène au bercail avec joie ? A-t-il touché, a-t-il ému le cœur du monde, en disant aux hommes que l’amour de Dieu et du prochain est l’accomplissement de la loi et des prophètes ? Ou bien est-ce par sa vie si pure et si sainte que les hommes ont appris, comme dans une parabole visible, ce que c’est que d’être fils bien-aimé de Dieu, un avec le Père, et comment ils devaient tous être un avec Lui ? Est-ce de cette manière qu’il a mis dans notre nature cette ineffable aspiration vers une filialité divine si haute, et vers une union si complète avec Dieu ? Ou bien enfin son enseignement et sa vie ont-ils trouvé leur couronne, leur terme et leur but dans sa mort de martyr, qui a transformé pour toujours l’idéal de la gloire, et qui a fait, pour tous les temps, de la croix, de la lutte et du sacrifice, le type d’une grandeur si élevée au-dessus de toute puissance et de tout plaisir terrestres, que les hommes ont cessé de la regarder comme humaine, et l’ont vénérée comme divine ? Le Christ a-t-il commencé sur cette croix la régénération du monde ?
Nous ne le savons point, et cela nous importe peu. Mais il est une chose que nous devons croire : c’est que celui à qui une telle œuvre est échue, à qui a été assigné un tel rôle dans le drame de l’histoire par Celui qui le dirige, doit, avoir été, au point de vue de l’esprit, de la plus rare distinction ou de l’excellence la plus sublime. Pour ce qui est du génie ordinaire, des forces et des dons d’un genre quelconque, il peut en avoir eu plus ou moins ; mais de ces facultés cachées qui sont seules en état d’atteindre aux plus hautes vérités religieuses, et de cet enthousiasme plein d’ardeur qui rend l’âme capable de recevoir l’instruction divine, le Christ doit en avoir eu une mesure surabondante. Pour définir exactement son état spirituel, nous pouvons dire qu’il fut de tous les hommes, à coup sûr, celui qui remplit le mieux les conditions dans lesquelles Dieu nous fait part de son inspiration.
Ces vues sur le Christ et sur son œuvre sont de celles qui semblent le mieux devoir subsister avec un théisme qui maintient l’unité absolue de Dieu, et l’immutabilité des lois de la nature et de l’esprit, mais qui reconnaît en même temps tous les grands faits de l’expérience religieuse, et qui en cherche l’explication régulière. Il est de l’intérêt de ce théisme de professer des vues ainsi élevées sur le caractère du Christ ; et celui-là est nécessairement dans l’erreur qui croit servir sa cause en rabaissant Jésus. C’est honorer Dieu, au contraire, d’avouer joyeusement que l’homme qui a le plus profondément ému le monde a été plus que tout autre inspiré par l’Esprit de Dieu. La régularité des lois naturelles est bien maintenue, non pas quand on admet que la plus grande des révolutions morales s’est accomplie par la rencontre fortuite d’une civilisation corrompue qui allait s’abîmer, et d’un thaumaturge particulièrement bien doué, mais plutôt quand on estime que, dans l’accomplissement des temps, Dieu envoya, par une dispensation de sa Providence, cette âme sainte dont le feu pouvait allumer dans le cœur des hommes une flamme inextinguible. La grandeur spirituelle du Christ est le postulat nécessaire de toute la théorie religieuse du rationalisme. Si nous la nions, le miracle du christianisme ne s’explique pas, ou ne peut s’expliquer que par la monstrueuse hypothèse du surnaturel. »