Saint Augustin avait vu dans le sacrement essentiellement un signe sensible de la grâce, un rite qui signifie la grâce, et qui entraîne la production certaine de cette grâce, quand il est posé dans les conditions voulues. Cette notion fut reprise par saint Isidore. Reproduisant la définition donnée par saint Augustin dans la lettre lv, 2, à Janvier, lui aussi déclara que le sacrement consiste dans une cérémonie, signe d’une chose que l’on doit recevoir saintement : « Sacramentum est in aliqua celebratione cum res gesta ita fit ut aliquid significare intellegatur, quod sancte accipiendum est. » Mais il eut le tort de rechercher l’étymologie du mot sacramentum dans le mot secretum, ce qui l’amena à rapprocher le sacrement proprement dit du mystère, et à diminuer un peu ce que sa première notion avait de précis : « Sunt autem sacramenta baptismus et chrisma, corpus et, sanguis. Quae ob id sacramenta dicuntur quia sub tegumento corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur, unde et a secretis virtutibus et a sacris sacramenta dicuntur… unde et graece mysterium dicitur, quod secretam et reconditam habeat dispositionem. »
On a pu remarquer dans ce texte que saint Isidore distingue le sacrement ou rite extérieur de ce qu’il signifie et du salut qui y est opéré (salutem eorumdem sacramentorum). Au numéro 41, il appelle ce salut, cette grâce de salut l’effet du sacrement : « Quae (sacramenta) ideo fructuose penes Ecclesiam fiunt quia sanctus in ea manens Spiritus eumdem sacramentorum latenter operatur effectum. » C’est la res ou virtus sacramenti de saint Augustin. Le sacrement, pour Isidore comme pour Augustin, comprend deux choses, le rite et l’effet de grâce qui en est la suite.
Sur les parties du rite lui-même, sur sa décomposition en elementum et en verbum, mise en lumière par saint Augustin, nous ne trouvons dans nos auteurs aucune considération théorique, bien qu’en pratique ils l’aient certainement connue. Notons seulement chez eux la persistance de cette conception quelque peu matérielle du sacrement, qui avait été celle de Tertullien, de saint Ambroise et de saint Augustin, et qui attribue à la matière du rite, eau du baptême, huile de la confirmation, de par la bénédiction préalable qu’elle a reçue, une vertu purificatrice et sanctificatrice. Cette bénédiction fait descendre dans les eaux baptismales l’Esprit-Saint, qui leur communique une puissance régénératrice, ou même qui opère en elles et par elles la régénération. Saint Léon écrit : « Omni homini renascenti aqua baptismatis instar est uteri virginalis, eodem Spiritu sancto replente fontem qui replevit et virginem, ut peccatum quod ibi vacuavit sacra conceptio, hic mystica tollat ablutio. » Maxime de Turin esquisse la même théorie ; mais saint Isidore l’expose nettement : « Invocato enim Deo, descendit Spiritus sanctus de caelis, et medicatis aquis, sanctificat sas de semetipso ; et accipiunt vim purgationis, ut in eis et caro et anima delictis inquinata mundetur. » Cette invocation de Dieu n’est pas la formule trinitaire, c’est la formule de la bénédiction de l’eau, bénédiction que l’on regarde, en conséquence, comme très importante pour l’efficacité du sacrement : « Nisi nomine et cruce ligni Christi fontis aquae tangantur, nullum salvationis remedium obtinetur. »
Par les textes cités de saint Léon et de saint Isidore, nous voyons quelle idée les auteurs de ce temps se font plus volontiers de l’action sacramentelle. Cette action — on le dira plus longuement tout à l’heure à l’occasion du baptême — n’a nullement son principe dans la foi et la sainteté du ministre, ni dans les dispositions du sujet : elle vient du rite même ; mais dans le rite et sous le rite, on considère que c’est la vertu de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit qui s’exerce et qui produit l’effet du sacrement. Rappelons les textes de saint Isidore : « Sub tegumento corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur… Quae (sacramenta) ideo fructuose penes Ecclesiam fiunt quia sanctus in ea manens Spiritus sanctus eumdem sacramentorum latenter operatur effectum. » Bien plus, dans cette insistance à noter que les sacrements sont reçus fructueusement dans l’Église, parce que le Saint-Esprit demeure en elle, on trouvera aisément un écho de la pensée de saint Augustin, qui ne croyait pas que le baptême pût être reçu salubriter en dehors de la vraie Église, même dans le cas de bonne foi, parce que cette Église seule possède le Saint-Esprit et est la dispensatrice de toute grâce. Cette opinion allait à diminuer un peu la valeur absolue du rite. C’est sans doute pour maintenir cette valeur entière que Bède, rompant ici avec l’évêque d’Hippone, enseigna au contraire que, dans le cas de bonne foi, on reçoit hors de l’Église fructueusement le baptême, sauf l’obligation de revenir à la vraie Église dès qu’on la connaîtra. Il proclamait ainsi que le rite sacramentel reçoit tout son effet, même quand il est posé par un ministre illégitime.
La liste en quelque sorte officielle des sacrements reste ce qu’elle était dans les siècles précédents : « Sunt autem sacramenta, écrit Isidore, baptismus et chrisma, corpus et sanguis » : ce sont les rites de l’initiation chrétienne. Saint Léon parle cependant du sacrement du sacerdoce ; Salvien des connubii sacramenta. Mais il ne faut pas accorder à ces façons de parler trop d’importance : dans l’imprécision où restait encore la notion de sacrementb, le fait d’appeler un rite ou un état un sacrement ne prouve pas qu’on en fît un sacrement au sens strict où nous prenons ce mot.
b – Joignez-y les sens multiples qu’avait en latin le mot sacramentum. Saint Léon parle sans cesse de l’incarnation comme d’un sacramentum.
Sur les sacrements de l’initiation chrétienne, et sur le baptême en particulier, il reste de saint Ildefonse de Tolède un De cognitione baptismi dont le fond est probablement plus ancien, et qui donne une description minutieuse des cérémonies qui, en Espagne, accompagnaient le baptême chrétien. Mais ce n’est pas d’ailleurs notre unique source d’information.
Le baptême chrétien était d’abord nettement distingué du baptême de Jean. Celui-ci par lui-même ne remettait pas les péchés : celui de Jésus les remet ; le premier était conféré par un homme : le nôtre l’est par le Christ comme ministre principal.
Dans le nouveau baptême, le baptisé était plongé trois fois dans l’eau, sauf en Espagne où, en haine de l’arianisme et pour affirmer l’unité divine, on se contentait d’une seule immersion. L’immersion était accompagnée de la formule trinitaire, regardée comme absolument indispensable. Omettre le nom d’une des personnes de la Trinité était rendre le baptême nul. On se demandait toujours cependant quelle est la valeur du baptême conféré in nomine Iesu, et, tandis que saint Fulgence n’ose au fond se prononcer pour ni contre, l’auteur du De Trinitate attribué à Vigile de Tapse admet cette valeur sans hésitation, parce que, dans le nom de Jésus, sont compris ceux du Père et du Saint-Esprit.
L’effet du baptême est d’effacer le péché originel et en général tous les péchés, et de donner la grâce et la vie surnaturelle. On a remarqué avec raison que, depuis saint Augustin, à qui la doctrine du péché d’origine doit son développement, le rôle purificateur du baptême par rapport à ce péché est mis, par nos auteurs, dans un relief spécial, et prend le pas sur sa qualité de sacrement de l’initiation chrétienne. Or, le péché originel, enseigne saint Grégoire, était effacé avant Jésus-Christ, ou par la simple foi chez les enfants, et par la vertu du sacrifice chez les adultes, ou, chez les descendants d’Abraham, par la circoncision. Mais actuellement, le baptême est devenu nécessaire pour cet objet : il ne peut plus être suppléé que par le martyre, qui lui-même est un baptême parfait.
Le ministre ordinaire du baptême était l’évêque assisté des prêtres et des diacres. En cas de nécessité seulement, il était permis aux clercs inférieurs ou aux fidèles laïques de baptiser.
Quant à la valeur du baptême administré par les hérétiques, c’est une question qui restait toujours actuelle en Occident par suite du mélange des envahisseurs ariens avec les populations catholiques, mais sur laquelle on était pleinement fixé par les décisions de l’Église et l’autorité de saint Augustin. Saint Léon, saint Grégoire, Gennade, saint Fulgence, saint Isidore, saint Ildefonse sont unanimes à enseigner que le baptême conféré par les hérétiques au nom de la Trinité ne doit pas être renouvelé. Ce n’est pas à dire que ce baptême soit regardé comme fructueux et effaçant les péchés. On a vu que saint Isidore paraît admettre la solution augustinienne qui considérait le sacrement même reçu de bonne foi comme inefficace en ces circonstances. Et il semble bien que ce soit aussi l’opinion de saint Fulgence quand il écrit absolument : « Baptismus autem extra Ecclesiam quidem esse potest, sed nisi intra Ecclesiam prodesse non potest ».
Mais de plus, celui qui, baptisé dans l’hérésie, revenait à l’Église, devait être réconcilié par un rite spécial, qui complétait en quelque sorte son baptême. Ce rite, on l’a dit ailleurs, paraît bien avoir été pendant longtemps la confirmation elle-même. Saint Augustin cependant l’en avait distingué ; et il s’en distinguait effectivement au point de vue extérieur, dans les pays de rite romain, où cette réconciliation se faisait par la seule imposition de la main. C’est ce que constate saint Grégoire : « Unde arianos per impositionem manus occidens, per unctionem vero sancti chrismatis ad ingressum sanctae Ecclesiae catholicae oriens reformat. » Mais l’occident dont il est ici question doit s’entendre avec grande restriction, car, en Gaule, en Espagne et dans la Haute-Italie, c’est-à-dire dans les pays de rite gallican, la cérémonie comportait l’onction du chrême et l’imposition de la main, soit tout le rite de la confirmation : « Haeretici autem, écrit saint Isidore, si tamen in Patris et Filii et Spiritus sancti attestatione docentur baptisma suscepisse, non iterum baptizandi, sed solo chrismate et manus impositione purgandi sunt. » Et d’ailleurs, là même où l’on se contentait de l’imposition de la main, le but de cette cérémonie était bien de conférer le Saint-Esprit au sujet réconcilié : « Qui baptismum ab haereticis acceperunt, dit saint Léon, … sola invocatione Spiritus sancti per impositionem manuum confirmandi sunt, quia formam tantum baptismi sine sanctificationis virtute sumpserunt. » L’idée qui inspirait cet usage est très nettement marquée par le même pape. Les hérétiques peuvent poser validement le rite baptismal, la forma baptismi, mais ils ne sauraient en donner l’effet ni conférer le Saint-Esprit, et c’est pourquoi ceux qu’ils ont baptisés « baptizandi non sunt, sed per manus impositionem, invocata virtute Spiritus sancti, quam ab haereticis accipere non potuerant, catholicis copulandi sunt ».
La confirmation suivait, dans les cas ordinaires, immédiatement le baptême. Le rite en était sensiblement le même dans toutes les parties de l’Église latine, et comprenait une imposition de la main accompagnée de l’invocation de l’Esprit septiforme, et une onction d’huile parfumée ou chrême sur le front ou la tête, avec formule appropriée. Son effet était de conférer le Saint-Esprit ; mais bien que cette collation soit attribuée généralement à chacune des parties du rite total, parfois aussi les auteurs paraissent plus spécialement attribuer à l’imposition de la main la collation du Saint-Esprit, et à l’onction la collation au confirmé d’une royauté et d’un sacerdoce spirituels, d’après 1Pierre.2.9 : « Caput vestrum chrismate, id est oleo sanctificationis infundimus, per quod ostenditur baptizatis regalem et sacerdotalem conferri a Domino dignitatem. »
L’une et l’autre cérémonie était d’ailleurs en principe réservée à l’évêque : « Hoc autem solis pontificibus deberi, écrit saint Isidore d’après le pape Innocent Ier, ut vel consignent, vel ut Paracletum Spiritum tradant » ; et la raison en avait été fournie par le même pape : c’est que « presbyteri, licet secundi sint sacerdotes, pontificatus tamen apicem non habent ». En Gaule et en Espagne cependant, on constate que les simples prêtres furent parfois autorisés à donner la confirmation. Saint Grégoire le permit aux prêtres de Sardaigne, au cas où il n’y aurait pas d’évêque pouvant faire la cérémonie. Mais en ce cas même, les prêtres devaient se servir d’huile consacrée par l’évêque : il ne leur était pas accordé de bénir le saint chrême.