« Cette épître, dont l’authenticité paraît n’avoir jamais été suspectée dans l’ancienne église grecque, était déjà à la fin du 2d siècle en grand honneur à Alexandrie, comme le prouvent les citations qu’en fait Clément. Il résulte aussi des œuvres d’Origène, des Constitutions apostoliques, du Codex sinaïticus, que plus tard elle était encore considérée comme appartenant pour le moins aux œuvres deutéro-canoniques. Mais déjà Eusèbe fait des objections ; l’épître disparaît peu à peu de l’Appendice du Nouveau Testament, ou plutôt cet Appendice disparaît avec elle. En Occident, on ne lui a jamais attribué une importance canonique, et lorsqu’on traite de « l’apôtre Barnabas, elle n’est pas même mentionnée… On peut dire qu’aujourd’hui elle est généralement reconnue comme n’étant pas de Barnabas. » (Harnack, Real-Encykl.) Elle est « d’ailleurs anonyme et ne contient pas le plus léger indice indirect, qui pourrait autoriser une conjecture sur son auteura>. » — En tous cas, elle est fort ancienne, assez originale à cause de son paulinisme tranchant et superficiel, de son antijudaïsme excentrique, et elle est un précieux témoin du temps où vivait son auteur.
a – Reuss, Littérat. chrét. au siècle apost.
Reuss la considère comme incontestablement du 1er siècle. Weizsäcker et Cunningham la rattachent au temps de Vespasien (69-79), et Funk serait disposé à le faire ; il estime en tout cas que l’épître est de la fin du siècle. Wieseler, Riggenbach opinent pour le temps de Domitien (81-96) ; Hilgenfeld, Ewald, Pfleiderer, pour celui de Nerva (96-98) ; mais la plupart des critiques de l’époque actuelle, en particulier Donaldson, Hausrath, Hefele, Hase, Keim, Lipsius, Schürer, Tischendorf, Zahn, Harnack, Chastel, pour le commencement du règne d’Adrien (117-138), c’est-à-dire vers 119. Backhouse la met entre 99 et 103 ; Charteris, en 119 ou 120 ; de Pressensé, entre 120 et 125.
Le seul passage de l’épître que nous ayons à signaler est la fin du ch. 15. L’auteur y conclut de Psaumes 90.4 et Genèse 2.2 que Dieu consommera l’œuvre de sa création dans un intervalle de 6000 ans. Alors reviendra son Fils pour mettre un terme à l’iniquité et se reposer un 7e jour, qui sera un 7e millénaire. Mais, si, d’après les déclarations scripturaires, le sabbat hebdomadaire doit être sanctifié par des mains et un cœur purs, il ne pouvait pas l’être par les Juifs et il ne pourra même l’être par les chrétiens que lorsque, n’étant plus dans le temps de l’iniquité, ils auront été sanctifiés dans la vie à venir. Aussi Dieu a-t-il fini par déclarer aux Juifs (Ésaïe 1.13) qu’il ne pouvait supporter leurs néoménies et leurs sabbats. « Voyez, continue l’auteur, ce qu’il dit : « Ce ne sont pas les sabbats actuels qui me sont agréables, mais celui que j’ai fait et que je fais, dans lequel, après avoir fait reposer toutes choses, je ferai le commencement d’un 8e jour, c’est-à-dire le commencement d’un autre monde. Aussi le 8e jour est-il pour nous un jour de réjouissance, et c’est en ce jour que Christ est ressuscité des morts et, après s’être montré, s’est élevé dans les cieux. »
Dans le chap. suivant, l’auteur donne de nouveaux développements sur le 8e millénaire, dans lequel sera construit le Temple spirituel, lorsque Dieu habitera véritablement en nous. Mais nous n’avons pas à étudier davantage l’eschatologie de l’épître, qui relève évidemment de la théologie juive. Nous n’avons pas même à suivre de plus près, surtout à apprécier, le raisonnement assez compliqué qui se discerne dans le ch. 15. Ce qu’il nous importe de relever, c’est que l’auteur mentionne incidemment, comme un fait patent, la célébration du dimanche par les chrétiens, qu’il le désigne comme le 8e jour de la semaine, que cette célébration lui apparaît comme étant essentiellement une réjouissance et l’anniversaire hebdomadaire de la résurrection de Jésus.
[Harnack, dans son édition de l’Epître, cite, à cette occasion, comme termes de comparaison Hénoch 16.12 (« Et alors viendra une nouvelle semaine, celle de la justice ») et 4Esdras.7.30-34, où il est dit : « Et le monde sera réduit au silence ancien pendant 7 jours comme dans les jugements précédents (ou : dans le 1er commencement), de sorte que personne ne reste. Mais après les 7 jours, il arrivera que le siècle qui est encore endormi, sera réveillé, et que ce qui est corrompu, mourra. Alors la terre rendra les choses qui dorment en elle… Et le Très-Haut apparaîtra sur le siège du jugement. La justice seule demeurera. » (Traduction de la Bible de Paris 1850).
D’après Dillmann les c. 1-36, 72-105 du livre d’Hénoch seraient du temps de Jean Hyrcan (135-107 av. J.-C.), sauf c. 93, 91, où se trouveraient tout au moins des interpolations du rédacteur du livre actuel ; les c. 37-71 seraient de l’époque de la décadence des Hasmonéens, mais antérieurs à 64 ans av. J.-C., sauf les fragments relatifs à Noé, qui seraient d’une origine postérieure, toutefois plus anciens que 4Esdras. — Quant à celui-ci, il serait aussi une œuvre juive, mais provenant du dernier quart du 1er siècle de notre ère.
L’Apocalypse n’est pas seul livre du Nouveau Testament, où l’on puisse trouver des idées analogues à celles de Barnabas et de la théologie juive sur la semaine historique du monde. Quelques versets de Hébr. sont fort précis à cet égard, Hébreux 4.9-10 : « Il y a donc un repos de sabbat (σαββατισμός) réservé au peuple de Dieu. Car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé des siennes » (au 7e jour de la semaine créatrice). Le v. 10 a un rapport frappant et souvent signalé avec Apocalypse 14.13. Etranger à la version des Septante, σαββατισμός est un apax dans le Nouveau Testament et ne se retrouve que dans Plutarque (De superst. c. 3). Il signifie proprement célébration du sabbat. Bleek dit à propos de ce verset, qu’on trouve aussi dans le Talmud et chez les rabbins le bonheur à venir fréquemment décrit comme une célébration supérieure et continue du sabbat, et le sabbat ordinaire, présenté comme une image et un type de ce bonheur (Hebräerbrief, 1868). — De même Tholuk dans son Comment. On comprend du reste que la donnée de Genèse 1.26 sur l’homme créé à l’image de Dieu, jointe aux autres données de Genèse 1.3-2.3 sur la création de l’univers en 6 jours, le repos du Créateur au 7e et l’institution du sabbat hebdomadaire, devait naturellement conduire à l’idée d’un sabbat suprême pour l’humanité entière, en tant que croyante. Mais, d’après tout ce qui précède, ne semblerait-il pas, chose curieuse ! que dans la théologie rabbinique elle-même ce sabbat humanitaire et final apparaissait tantôt comme un 7e jour et tantôt comme un 8e ?]
La dénomination du dimanche comme 8e jour, qu’on trouve d’abord chez Barnabas, revient ensuite fréquemment, en particulier dans Justin Martyr, Clément d’Alexandrie, Augustin. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce 8e jour est en même temps et proprement un 1er jour hebdomadaire, comme cela ressort évidemment du maintien fondamental de la semaine de 7 jours et comme les Pères ne manquent pas d’y insister, ainsi bien clairement Justin Martyr et Augustin.
Zahn, dans sa Gesch. des Sonnt. p. 58, rapproche de la désignation du dimanche comme 8e jour de la semaine juive et chrétienne « la double irrationalité qui faisait donner le nom de nundinae au jour initial et au jour final de la semaine romaine de 8 jours, » ainsi que les « huit jours de l’allemand et la « quinzaine » française. En outre, il constate que déjà l’épître de Barnabas oppose le dimanche, comme 8e jour, au sabbat, comme 7e jour, et qu’elle fait allusion à toutes les prédictions cachées que les Pères prétendaient trouver dans l’Ancien Testament pour le dimanche en tant que 8e jour ?. Mais Zahn ne parle pas de ce qui nous paraît être la cause profonde de cette désignation.
[En particulier dans l’antique prescription enjoignant de circoncire au 8e jour après la naissance (Dial. av. Tryph. c. 41. Augustin : De civit. Dei XVI, 26 ; Serm. 141 ; De peccato orig. c. 31), et dans le nombre des membres de la famille de Noé que l’arche renfermait (Dial. av. Tryph. c. 138).]
Au fond, cette cause est la même qui portait déjà la théologie juive à désigner comme 8e millénaire le temps de l’accomplissement du Royaume de Dieu, à savoir le désir et même le besoin logique de caractériser ce nouveau commencement comme étant, non pas absolument nouveau, mais au contraire, dans un sens, une continuation, comme se rattachant étroitement et au 7e millénaire sabbatique et aux 6 premiers millénaires.
La désignation du dimanche comme 8e jour, associée, comme elle doit l’être, à celle de 1er jour et si étrange qu’elle puisse d’abord paraître, s’explique ainsi d’une manière intéressante. La résurrection de Christ eut lieu un 1er jour de la semaine telle qu’elle existait en Israël dès les temps les plus anciens ; et cette coïncidence, certainement voulue par Dieu, se justifie non seulement parce que la résurrection de Christ est le commencement de la nouvelle création, mais aussi parce que le 1er jour de la semaine génésiaque est aussi celui de la création de la lumière et que Jésus, selon une désignation venant de lui-même et fréquente dans le Nouveau Testament, est spirituellement la lumière du monde (Jean 8.12 ; 9.15 ; 1.4-5, etc.). Toutefois la création opérée et inaugurée par Jésus n’est pas une création absolument nouvelle : c’est proprement une résurrection et, dans ce sens, un renouvellement, une suite, une continuation. Aussi le dimanche peut-il être considéré comme un jour qui suit et continue l’antique semaine, comme un 8e jour.
La double désignation du dimanche comme 8e et comme 1er jour, désigne donc le dimanche, d’un côté, dans ce qu’il a de nouveau et en vue de l’avenir ; de l’autre, dans sa relation intime avec le passé. Si cette explication n’est pas expressément développée chez les Pères, c’est elle cependant qui rend compte le plus simplement de l’association des deux désignations, et elle est bien en germe soit dans le passage même de l’ép. à Barnabas, soit dans la plupart des autres passages patristiques que nous venons de signaler, et dans le Serm. 141 De Tempore d’Augustin, où il est dit : Sabbato Dominus jacuit in sepulcro ; octavo autem die, resurgendo, nos innovavit. Nos ergo octavo die circumcidit, resurgendo ; nos in ipso spe vivimus.
« Aussi, dit Barnabas, le 8e jour est-il pour nous un jour de réjouissance, et c’est en ce jour que Christ est ressuscité des morts et, après s’être montré, s’est élevé dans les cieux. » Le dimanche est donc un jour de réjouissance pour les chrétiens, parce qu’il est l’anniversaire hebdomadaire de la résurrection par laquelle Christ est devenu à la fois le début et le gage de l’accomplissement du Royaume de Dieu. Cette réjouissance est ici présentée surtout en vue de l’avenir, comme espérance et espérance certaine. Pour la 1re fois le dimanche apparaît comme un jour de joie, et cette conception est aussi importante à constater qu’elle est naturelle et caractéristique. Elle est du reste dominante et abondamment représentée dans l’église des premiers siècles, en particulier par Irénée, Justin Martyr, Tertullien, Pierre d’Alexandrie et les Constitutions apostoliques, comme nous le constaterons de plus en plus.
Quant aux derniers mots de la phrase : « et après s’être montré, s’est élevé dans les cieux, » nous ne saurions en déduire que pour l’auteur l’Ascension aurait eu lieu le même jour que la Résurrection, pas plus que nous ne voyons la même opinion impliquée dans Marc 16.19 ; Luc 24.50-51. S’il fallait interpréter Marc 16.19 avec une rigueur formaliste aussi déplacée, il faudrait pareillement, d’après le v. 20, faire rentrer dans le même jour de la Résurrection presque tout l’âge apostolique ; d’autre part, Luc dit expressément dans Actes 1.3 qu’il y eut un intervalle de 40 jours entre la Résurrection et l’Ascension. « L’Ascension n’est ici mentionnée, dit Riggenbach, que pour accentuer l’idée que Jésus ressuscité n’a plus été soumis à la mort. » En célébrant cette résurrection, nous la célébrons telle qu’elle a eu lieu, c’est-à-dire comme définitive en principe et suivie de l’Ascension à laquelle elle devait logiquement aboutir. D’une manière analogue, le Jésus ressuscité dont il est question 1 Corinthiens 15.45-49, est proprement le Jésus glorifié, ainsi que le constatent Julius Müller et Meyer.
En résumé, la théorie de l’épître dite de Barnabas sur le sabbat et le dimanche peut se formuler ainsi : 1° Dieu a institué le sabbat dès l’origine du monde. — 2° A la semaine de jours ainsi constituée correspond dans l’histoire du monde une semaine de millénaires d’années, qui doit avoir aussi son sabbat. — 3° Avant l’arrivée du millénaire sabbatique, l’homme pécheur ne peut célébrer dignement le sabbat, ni même tout simplement le célébrer, fût-il juif ou même chrétien. — 4° Le dimanche, ou le jour, correspond au 8e millénaire, qui suivra le millénaire sabbatique et sera celui de l’accomplissement du Royaume de Dieu. — 5° Le chrétien peut célébrer le dimanche, qui n’exige pas pour sa célébration la même sainteté que le sabbat et qui doit être un jour de réjouissance annonçant le 8e millénaire. — 6° Le chrétien, parvenu à ce millénaire, sera en état de célébrer le sabbat hebdomadaire.
Cette théorie est étrange et ses fondements ne sont guère solides ; mais elle n’en atteste pas moins la célébration du dimanche au temps de l’auteur de l’Epître, c’est-à-dire à la fin du 1er siècle ou au commencement du 2d.