Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 12
Régence du comte d’Arran – Emprisonnement de Beaton – Traité de paix avec l’Angleterre

(1542 à Mars 1543)

10.12

Ambition de Beaton – Un faux testament du roi – Assemblée de la noblesse – Le comte d’Arran est proclamé régent – Le régent s’entoure d’hommes évangéliques – Les deux chapelains – Projets de Henri VIII – Négociations – Arrestation du cardinal – Effet produit par cet acte énergique – Le clergé met l’Écosse en interdit – Parlement d’Edimbourg – Les saintes Écritures en langue vulgaire – Débats à leur sujet – La liberté des Écritures – Joie publique – Traité avec l’Angleterre – Il est solennellement confirmé

Les circonstances politiques et religieuses au milieu desquelles Jacques V avait été enlevé à l’Écosse, étaient si graves que les hommes les plus sages étaient effrayés et s’attendaient à voir éclater une tempête telle qu’on n’en avait jamais vu de semblablev. Un coup inattendu, vu la jeunesse du prince, avait frappé la nation. Les yeux fixés sur l’avenir, les nobles et le peuple s’entretenaient de leurs craintes et de leurs faibles espérancesw. Dans la plaine, au milieu des Highlands, à Edimbourg, à Glasgow, à Stirling et dans les autres villes de l’Écosse, des hommes, le visage pâle, l’air inquiet, s’interrogeaient avec angoisse sur le sort réservé à leur pays. La honteuse défaite de Solway qui avait donné au roi le coup de la mort, avait rempli le peuple de douleur et de crainte. Les plus illustres seigneurs de l’Écosse, faits prisonniers par les Anglais, avaient été comme exposés à la vue du peuple de Londres. Ceux qui restaient en Écosse étaient divisés par d’implacables haines, par des sentiments religieux diamétralement opposés l’un à l’autre, et l’on s’attendait à voir éclater des discordes longtemps comprimées par la crainte qu’on avait du roi. Le cardinal et les évêques se livrant sans frein à leur esprit de domination allaient profiter de la mort de Jacques pour assujettir le peuple. Henri VIII, glorieux de la victoire inopinée qu’il venait de remporter, ne manquerait pas, maintenant que son neveu n’était plus, de faire valoir (et de quelle manière !) ses prétentions sur l’Écosse. Pour maintenir l’ordre dans le pays, il y avait une reine âgée de huit jours. Après elle, l’héritier de la couronne, Hamilton, comte d’Arran, n’était propre ni par ses vertus, ni par son esprit, ni par son courage à gouverner un peuple. Il y avait en Écosse bien des causes de ruines ; on y entendait de grandes lamentations. Une seule chose pouvait la sauver : l’Évangile.

v – « Imminere videbatur tempestas quantam vix ulla proximorum sæculorum memoria… meminisset. » (Buchanan, p. 515.)

w – « Multi pro sua eu jusque spe aut metu varie disserebant. » (Ibid.)



Comte d’Arran

Le roi étant mort, il parut à Beaton que les malheurs publics lui offraient une occasion favorable pour devenir le maître, assurer la victoire du parti français, abolir la Réforme et affermir l’empire du clergé. Puisque l’Écosse est abaissée, il va s’élever. Il fallait se hâter. Les nobles faits récemment prisonniers, et ceux qui étaient depuis longtemps exilés en Angleterre, allaient revenir. Le cardinal savait qu’ils détestaient son asservissement au pape, son ambition, son arrogance, et il ne doutait pas qu’ils ne s’opposassent vivement à lui. Le comte d’Arran, héritier du royaume après Marie, était, il est vrai, en Écosse, et semblait appelé à lui tenir tête, mais le fier cardinal en faisait peu de cas. Il est sans ambition, disait-il, sans énergie, et tout son désir est de n’avoir rien à faire. Arran était d’ailleurs son proche parent, fils de l’une de ses tantesx. A peine le roi avait-il rendu le dernier soupir, que le cardinal alla hardiment à Linlithgow, vers la reine-mère, muni du document sur lequel il prétendait appuyer ses prétentions. « Bonjour, milord, lui dit la reine qui ne connaissait encore « que la maladie grave de son mari ; le roi n’est-il pas mort ? » Marie de Guise pensait que le premier prélat du royaume venait uniquement pour lui annoncer la mort du monarque. Mais la visite de Beaton avait un autre but. Sans perdre de temps il exhiba le testament du roi portant la nomination d’une régence composée du cardinal et des comtes d’Argyll, de Huntley et de Murray, le premier devant être le chef de ce conseil ainsi que le tuteur de l’enfant royal. Cet acte était généralement regardé comme ayant été extorqué au roi mourant ; plusieurs croyaient même que les agents du cardinal avaient conduit la main du roi mort, lui faisant faire un blanc seing que le cardinal avait ensuite rempli à sa volonté. Buchanan dit que le cardinal ayant gagné un prêtre nommé Balfour avait, avec son assistance, forgé un faux testament. Knox, Sadler, Lesley parlent de mêmey. Le cardinal fit proclamer à la croix du marché d’Édimbourg, le lundi après la mort du roi, l’acte prétendu qui faisait de lui le premier personnage du royaume.

x – « Minime turbidus, ex amita cardinalis natus. » (Buchanan, p. 515.)

y – « Many affirm a dead man’s hand was made to subscribe a blank. » (Knox, Ref., p. 92.) « Conducto Balfurio sacrificulo mercenario falsum estamentum subjecit. » (Buchanan, p. 515 ;) Sadler Papers, I, p. 38. Lesley, Hist., p. 169.

Beaucoup d’Écossais furent indignés de cette conduite, et dirent hautement que la régence et la tutelle de la jeune Marie appartenaient à Hamilton, comte d’Arran, qui, étant le plus proche héritier de la couronne par sa grand’mère, fille de Jacques II, serait roi, disait-on, si la petite princesse venait à mourir ; ses deux frères ne sont-ils pas morts dans leur enfance ? La haine que l’on portait au cardinal, l’horreur qu’on éprouvait à vivre sous l’empire d’un prêtre, poussaient beaucoup de gens à soutenir la cause d’Hamilton. « La fortune s’offre à vous, lui disaient-ils, ne la laissez pas échapper. » Le lord de Grange surtout pressait ce seigneur de soutenir ses droits ; mais Arran, par défaut de caractère, était prêt à les abandonner. On arrêta enfin d’assembler la noblesse du royaume, pour qu’elle décidât à qui devait appartenir le gouvernement durant la minorité. Les nobles se réunirent au jour fixé. Le cardinal et les gens de son parti s’opposèrent de toutes leurs forces à ce que le gouvernement du royaume fût confié au comte d’Arran. « Les Hamilton, s’écriait-on, sont orgueilleux, avares, faux, oppresseurs, cruels, meurtriers, en un mot ce serait la perte de l’État. » Arran s’était en effet laissé dominer par des hommes peu honorables. Toutefois il demeura calme, méprisant ces outrages : « Dites-moi toutes les injures qu’il vous plaira, répondit-il, mais ne me privez pas de mon droit. Quels qu’aient été mes partisans, nul n’a raison de se plaindre de moi. Je ne flatterai pas mes amis quand ils font le mal ; mais avec la grâce de Dieu je m’efforcerai de corriger leurs fautes. C’est pourquoi, milord cardinal, je vous demande de nouveau, au nom de Dieu, de ne pas me faire tort, en me privant du titre qui m’appartient, avant que mon gouvernement ait été mis à l’épreuve. » Ce discours toucha l’audience, et tous s’écrièrent qu’à moins de fouler aux pieds la crainte de Dieu et sa justice on ne pouvait se refuser à cette demande. Arran fut donc proclamé gouverneur de l’Écosse, en dépit de Beaton, et le palais, les trésors, les joyaux du roi et autres biens de la couronne lui furent remis par les officiers qui en avaient la charge. Ceci se passa le 10 janvier, quelques jours après la proclamation du cardinal.

Arran n’était, il est vrai, distingué ni par ses vertus, ni par son esprit, mais il était assez généralement aimé, comme le sont souvent les gens faibles. « Le comte d’Arran, écrivait lord Lisle à Henri VIII, est un homme bon, doux, pieux, qui aime à lire l’Écriture, mais malheureusement il a des membres de sa famille qui le dominent, et qui sont rusés, méchantsz. » Jamais un régent n’avait été reçu avec tant d’amour et d’espérance, surtout parce qu’on était heureux d’être délivré du cardinal. Il va, pensait-on, réformer tout ce qui va mal dans l’Église et dans l’État, et ses premiers actes répondirent à cet espoira. Cette prise de possession du pouvoir par Arran étonne, car il était aussi faible que Beaton était fort, et le plus faible est toujours écrasé, dit-on. Dans ce cas ce fut le contraire qui arriva. Mais plusieurs pensaient que ceci ne serait que passager. Arran était le pot de terre de la fable, Beaton le pot de fer, et l’on pouvait facilement prévoir lequel des deux briserait l’autre. Arran ne tarda pas à donner une preuve de sa trop grande débonnaireté. Au lieu de prendre des mesures pour soustraire le royaume à l’influence de Beaton, celui-ci lui ayant demandé d’être chancelier d’Écosse, il lui confia cette charge pour adoucir la disgrâce que l’Assemblée des nobles venait de lui faire subirb. Toutefois l’ambitieux cardinal ne garda pas longtemps cette place influente.

zState papers, V, p. 238, 240. Knox, Ref., p. 32, 94.

a – Spotswood, p. 71. Buchanan, Knox.

bState papers, V, p. 250.

Plusieurs hommes éminents et pieux soutenaient la cause du comte d’Arran ; l’un de ses premiers actes fut de prendre pour chapelain, à leur recommandation, deux ministres qui prêchaient purement l’Évangile. Un ancien dominicain, Thomas Guillaume, qui s’était fort distingué dans son ordre, ayant été converti par la Parole de Dieu avait déposé le capuchon ; il fut appelé à prêcher à Édimbourg. La solidité de son jugement, la pureté de sa doctrine, la force de son éloquence, la clarté de ses expositions scripturaires et une certaine modération dans la controverse attiraient la foule à ses prédications. Le régent lui adjoignit un autre ministre évangélique, John Rough. Entré à dix-sept ans dans un couvent, il avait été deux fois à Rome, et, vivement choqué de tout ce qu’il y avait vu, il avait embrassé la Réformation. Moins savant que Guillaume, il était plus simple et plus ardent contre la superstition et l’impiété et contre l’autorité du pape. Arran poussé par ses amis évangéliques envoyait ses fidèles ministres dans diverses parties du royaume. Parmi leurs nombreux auditeurs se trouva Knox et ce fut en entendant Guillaume que le grand réformateur commença à connaître la beauté de la vérité évangéliquec.

c – Knox, Ref., p. 93. Spotswood, p. 72. Mc Crie, Life of Knox, p. 21. Edit. 1855.)

Mais tandis que ceux qui avaient le cœur ouvert à la vérité, accueillaient avec joie la parole des deux chapelains, les moines, les prêtres, et tous les amis de la papauté les attaquaient vivement. « Hérésie ! hérésie ! s’écriait un franciscain, nommé Scot, Guillaume et Rough feront que le régent se donnera au diable. » Et tous les moines et sacristains répétaient : « hérésie ! » Un nommé Watson, de la maison de l’évêque de Dunkeld, composa contre les chapelains et le régent, une ballade satirique, qui eut un grand succès. Le cardinal de son côté remuait ciel et terre et harcelait Arran pour qu’il imposât silence aux deux prédicateurs. « Tous ces gens, dit Knox, croassaient comme des corbeaux, ou plutôt hurlaient et mugissaient comme les diables dans l’enfer. » Pour le moment, ces cris furent inutiles. La Parole divine prévalut.

Pendant que ces choses se passaient en Écosse, Henri VIII était fort occupé en Angleterre. La mort de Jacques l’avait frappé, et sa première pensée avait été que l’héritage devait lui revenir. Il unira les deux royaumes et ce sera pour toute la Grande-Bretagne un avantage merveilleux que d’être sous un seul gouvernement, — le sien. On arrêterait à cet effet le mariage de son fils Edouard âgé de cinq ans avec la jeune reine d’Écosse âgée de quelques jours. Il ne perdit pas de temps, et fit venir au palais de Hampton-Court, où il se trouvait alors, les plus notables des prisonniers écossais, peu de jours auparavant donnés en spectacle à la populace de Londres, les comtes de Cassilis et de Glencairn, les lords Maxwell, Fleming, Grey. Il leur exposa son projet. « Dieu, dit-il, vous offre l’occasion la plus favorable pour établir la concorde et la paix dans la Grande-Bretagne ; qu’il y ait un contrat entre votre reine et mon fils. Je vous offre de vous rendre la liberté, si vous vous engagez à tout faire, pour que le régent et les autres nobles d’Écosse consentent à ce mariage. » Ce projet plut fort aux seigneurs, car ils y voyaient un moyen sûr d’obtenir, non seulement la liberté pour eux, mais une paix durable pour leur pays. Il fut convenu que la reine Marie épouserait le prince Edouard quand elle aurait dix ans. Après quoi, les nobles prisonniers partirent le 29 décembre pour aller en Écosse faire triompher leurs vues.

Henri ne se sentait pas assez sûr encore du succès, il voulait avoir la jeune reine en ses mains, et d’autres avec elle. Il ne se fiait pas à l’Écosse, sachant que facilement elle revirait de bord ; il craignait l’habileté du cardinal. Il s’adressa en conséquence le 9 janvier au vicomte Lisle, lord gardien des frontières militaires de l’Angleterre. « L’essentiel est de s’emparer de l’enfant, lui dit-il, de la personne du cardinal, des principaux adversaires de notre projet, ainsi que des forteresses et des forts les plus importantsd. » Les craintes de Henri n’étaient pas sans fondement ; au moment de la mort de Jacques V, chacun craignait une guerre contre le roi très puissant des Anglais. Mais les seigneurs écossais que Henri avait mis en liberté, arrivèrent le 24 janvier. Ils étaient accompagnés du comte d’Angus et de son frère, sir George Douglas, qui depuis longtemps subissaient en Angleterre la vie de l’exil. Ces seigneurs ne tardèrent pas à s’acquitter de la mission de Henri VIII. Ayant été admis dans le conseil, présidé par le régent, ils exposèrent la proposition de mariage entre les héritiers des deux couronnes. Le comte d’Arran, et la grande majorité des membres du conseil, se montraient favorables au projet du roi d’Angleterre, mais le cardinal appuyé par la reine-mère s’y opposait fortement. Rien à leurs yeux n’était plus dangereux pour l’Écosse, rien ne pouvait déplaire davantage à la France et à Rome ; or Marie de Guise et Beaton étaient leurs représentants. Plus le projet paraissait avoir chance d’être adopté par le conseil, plus le cardinal s’agitait et lui opposait une vive résistance. Il interrompait à tout moment les débats ; il interpellait les autres membres, il les empêchait de parler et rendait ainsi impossible toute votatione. La majorité du conseil se souleva contre une conduite si antiparlementaire, qui ne lui permettait pas le libre exercice de ses droits. Les autres membres et surtout les Écossais venus d’Angleterre étaient indignés. Ceux-ci conçurent un dessein hardi qui ne fût venu à l’esprit d’aucun autre. Il faut profiter de l’insolence du cardinal, pour le mettre tout à fait de côté. On proposa que Beaton fût exclu de l’assemblée, et renfermé dans une chambre du palais, jusqu’à ce qu’on eût recueilli les suffrages, ce qui fut immédiatement voté et exécutéf. Quel coup pour ce pontife orgueilleux ! Lui, le primat, le cardinal, le légat de Rome, le personnage, pensait-il, le plus important du royaume, se voir exclu du conseil et traité comme un prisonnier ! Il ne devait même pas recouvrer de sitôt sa liberté. Jamais peut-être une assemblée ne frappa un coup si inattendu. Les seigneurs écossais étaient arrivés le 24 janvier, la délibération et l’exclusion du cardinal eurent sans doute lieu le 25 ou le 26. Ce prélat fut transporté dans la prison de Dalkeithg. Les comtes de Huntley, Murray, Bothwell demandèrent sa liberté, en s’offrant comme caution, mais ils ne l’obtinrent pas. La votation eut lieu en faveur du mariage et de l’union avec l’Angleterre ; il ne restait plus qu’à la faire confirmer par le parlement.

d – « To get the child, the person of the cardinal, and of such as be chief letters of our purpose, and also of the chief holders and forteresses into our hands. » (State papers, V, p. 248.)

e – « Quum cardinalis non solum repugnaret, sed obturbando et alios interpellando, nihil decerni pateretur. » (Buchanan, p. 517.) Il nous parait qu’il y a ici une erreur dans Buchanan quoique contemporain et historien éminent. Il place cette opposition du cardinal au mois de mars dans le parlement et il est évident qu’elle eut lieu le 26 janvier au pins tard.

f – « Communi prope omnium consensu cardinalis in cubiculum seorsum seclusus est. » (Buchanan, ibid.)

g – Voir State papers, V, p. 242.

Les seigneurs écossais revenus d’Angleterre, le comte d’Angus et son frère surtout, avaient appris pendant leur séjour à Londres à ne pas ménager les cardinaux et autres dignitaires romains. La présomption turbulente du cardinal dans le conseil avait été l’occasion de la mesure prise contre lui, mais ces seigneurs comprenaient parfaitement qu’il ne pouvait y avoir en Écosse de liberté religieuse et même civile, que si le cardinal était retenu captif. « On ne peut ôter à un fort et puissant tyran sa domination, dit Calvin, si on ne le dépouille premièrement de ses armes, et si l’on n’amène une force plus grande que la sienne ; jamais il ne quittera la place de son gréh. » Sir George Douglas, frère d’Angus, se rendit à Berwick où se trouvait lord Lisle et lui fit remarquer, qu’en mettant en prison le cardinal, ils avaient donné une preuve certaine de leur activité. Lisle l’écrivit immédiatement au duc de Suffolk, beau-frère de Henri VIIIi. Tous les amis de l’Évangile, et même le parti politique écossais regardèrent cet acte comme une grande délivrance. Beaton ne fut pourtant pas remis à Henri VIII, comme celui-ci l’avait demandé.

h – Calvin, Harm. de Matth., XII, 29.

iState papers, V, p. 249.

On ne peut s’imaginer l’effet que cet acte audacieux produisit en Écosse. Les évêques et les prêtres à l’ouïe de ce fait extraordinaire furent hors d’eux-mêmes. Tout le clergé, frappé d’horreur, agit immédiatement comme si l’Écosse avait été mise à l’interdit par le pape. Les églises furent fermées, les actes religieux furent suspendus, les prêtres se refusèrent à toute fonction. On eût dit que, quelque crime affreux ayant été commis, la nation entière était excommuniée. Un voile funèbre couvrait l’Écosse. Le clergé romain accusait ceux qui avaient mis la main sur le cardinal, non seulement d’injustice mais de sacrilège. Le peuple, docile en quelques lieux à la voix de ses prêtres, et même plusieurs lords criaient avec les autres. Argyll quittait Edimbourg pour se rendre dans ses possessions et rassemblait son clan. Lord Lisle écrivit à Londres le 1er février : « Depuis que le cardinal a été pris, nul en Écosse ne peut obtenir d’un prêtre de dire la messe, de baptiser ou de faire un service funèbrej. »

j – « No priest to sing masse, to christen, or bury. » (Ibid.)

Le parlement devait s’ouvrir à Pâques ; le moment approchait. Au lieu d’un il y en eut pour ainsi dire deux. Le parti de l’opposition, les comtes de Huntley, Argyll, Murray, Bothwell, un assez grand nombre de barons, de chevaliers, d’évêques et d’abbés se réunirent à Perth une semaine avant le jour de la convocation, et, ayant rédigé certains articles, les envoyèrent au régent et à son conseil par l’évêque d’Orkney et sir John Campbell, oncle du comte d’Argyll. Que le cardinal, disaient-ils, soit mis en liberté, que le Nouveau Testament soit interdit, que le régent nous consulte dans toutes les affaires du royaume, que l’on envoie au roi d’Angleterre d’autres ambassadeurs chargés d’une autre mission que celle qui a été arrêtée. Le régent, sur l’avis de son conseil refusa d’accorder « des demandes si déraisonnables. » Puis immédiatement après un héraut d’armes fut envoyé à Perth, pour sommer les lords qui s’y trouvaient de venir, sous peine de trahison, à Edimbourg, remplir leurs devoirs. Cette citation fit effet. Le comte Murray, les évêques et abbés arrivèrent la veille de l’ouverture du parlement. Les autres lords s’y rendirent plus tard. Argyll seul demeura dans ses terres ; toutefois ses deux oncles l’excusèrent pour cause de santék.

kState papers, V, p. 262-264. Angus à Lisle.

Le parlement s’ouvrit le lundi 12 mars. L’assemblée était nombreuse, car tous en avaient compris l’importance. « Ce parlement, dit le comte d’Angus, est le plus substantiel, qui ait jamais été vu en Écosse, les trois États y sont fortement représentés et la multitude des assistants est telle qu’il serait impossible aux deux villes d’Édimbourg et Leith d’en loger davantage. » La première résolution de cette importante assemblée approuva le mariage du prince Édouard et de la petite reine Marie, et donna pouvoir aux ambassadeurs de traiter à cet égard avec l’Angleterrel. La seconde résolution (mardi) fut la confirmation du comte d’Arran comme régent. Le mercredi, le comte d’Angus et son frère furent réintégrés dans les honneurs et les biens dont ils avaient été privés pendant leur exil de quinze années. Le jeudi, la plus importante de toutes les résolutions de ce corps devait être présentée et débattue.

l – « The mariage of the said queen and to contract the same by their said ambassadors. » (Ibid.)

Lord Maxwell, celui que la sottise de Jacques V avait privé du commandement dans l’affaire de Solway, était connu généralement comme « un homme bien intentionné pour la Parole de Dieu. » Il n’avait pas professé hautement la doctrine évangélique pendant que le cardinal jouissait du pouvoir suprême, mais son séjour en Angleterre, quoique court, lui avait fait prendre une marche plus décidée. Il se leva et présenta un bill portant « que tous les sujets du royaume puissent lire les saintes Écritures dans la langue vulgaire. » Le débat s’engagea aussitôt. Dumbar, archevêque de Glasgow, qui, depuis l’emprisonnement du cardinal, était devenu chancelier du royaume, déclara s’opposer à cette motion en son nom et au nom de tous les prélats, au moins jusqu’à l’époque où un concile provincial de tout le clergé d’Écosse aurait décidé la question. — « Pourquoi, répondirent les amis des Écritures, ne serait-il pas permis à ceux qui ne comprennent pas le latin de lire cette Parole du salut dans la langue qu’ils comprennent ? Les Latins la lisent bien en latin ; les Grecs en grec, les Hébreux en hébreu. — L’Église, répondirent les prêtres, a défendu de lire les livres saints en quelque langue que ce soit, sauf ces trois-là. — Quand cette défense a-t-elle été faite ? reprirent les amis de l’Évangile. Christ n’a-t-il pas commandé que sa Parole fut prêchée à toutes les nations ? Et pour cela ne faut-il pas qu’elle soit traduite dans la langue qu’elles comprennent ? Et s’il est légitime de prêcher la Parole en toutes langues, pourquoi ne le serait-il pas de la lire dans toutes les langues ?m Cela est nécessaire afin que le peuple puisse selon le commandement de l’Apôtre, discerner les esprits. »

m – « Why shall it not be lawfull to read it and to hear it in all tongues. » (Knox, Ref., p. 98.)

Les prélats se voyant battus déclarèrent que l’on pourrait, il est vrai, lire l’Écriture sainte dans la langue vulgaire, mais que la traduction devait être bonne. Alors quelques membres de l’assemblée présentèrent aussitôt aux prêtres des exemplaires de l’Écriture sainte qu’ils sortirent de leurs poches, et leur demandèrent d’indiquer les fautes qu’ils y trouvaient. Les prélats fort embarrassés se mirent à chercher, à feuilleter le livre, l’ouvrant au commencement, à la fin, partout, prenant toute la peine imaginable pour trouver quelque erreur ; mais ils ne trouvaient rien. A la fin, « voici, dit l’un, voici un passage répréhensible, on a mis ici amour à la place de charité. — Quelle différence y a-t-il, leur répondit-on, entre ces deux expressions ? Vous n e comprenez pas, semble-t-il, le mot grec ἀγὰπη. » — « Les prêtres restèrent muets devant le mot grecn. »

n – Knox, Ref., p. 99.

Alors les députés des bourgeois et une partie de ceux de la noblesse demandèrent « que la lecture demandée fût permise, ainsi que celle des traités chrétiens, jusqu’à ce que le clergé donnât une traduction meilleure de la Bible. Les prélats résistèrent encore, mais, à la fin, réduits au silence, ils se rendirent, et il fut décidé par acte du parlement que « tout homme et toute femme était libre de lire la sainte Écriture dans sa propre langue, c’est-à-dire dans la langue anglaise et que tous les actes contraires étaient abolis. » Ce bill, qui passa le 15 mars, fut proclamé le 19 et envoyé dans tout le royaume par ordre du régent. Aussitôt les prêtres se mirent tous à crier contre lui comme étant le patron de l’hérésieo.

o – Knox, Ref., p. 100. Spotswood, p. 72. Petrie, Church Hist., p. 182.

Ceci est le premier acte public, fait en Écosse en faveur de la liberté religieuse. La victoire, dit Knox, que Jésus-Christ remporta alors contre les ennemis de la vérité, n’était pas de peu d’importance. La trompette évangélique donna aussitôt un son distinct, de Wigton jusqu’à Inverness, du sud jusqu’au nord. Une grande consolation fut donnée dès lors à toutes les âmes, à toutes les familles qui n’avaient pu jusqu’alors lire la prière du Seigneur et les dix commandements en anglais sans être accusés d’hérésie. La Bible, longtemps cachée dans quelque coin reculé, fut placée ouvertement sur la table des hommes pieux et instruits. Ce n’était pas que le Nouveau Testament ne fût déjà très répandu, mais plusieurs de ceux qui le possédaient s’en étaient montrés indignes, n’en ayant pas lu dix versets par crainte des hommes.

Ils sortaient alors leur Nouveau Testament, en donnaient un coup sur la jouep des amis qui les entouraient. « Tiens, disaient-ils, ce livre est resté caché sous mon lit, pendant ces dix dernières années. » D’autres, au contraire, criaient avec joie : « Oh ! que j’ai été souvent en danger pour ce précieux volume ! que de fois je suis sorti de mon lit, à minuit, tout doucement, de peur que ma femme ne s’en aperçût, afin de le lire secrètement dans cette heure solitaire et silencieuse ! » Quelques-uns, tirant parti de tout, faisaient grand bruit de leur joie, afin de faire ainsi la cour au régent, que l’on regardait alors comme le plus fervent protestant de l’Europe. « Mais, en général, ajoutent les historiens, la connaissance de Dieu fut admirablement accrue par de saintes lectures, et le Saint-Esprit fut répandu en grande abondance parmi les hommes simples de cœur. » En même temps plusieurs écrits furent publiés en Écosse destinés à dévoiler les abus de l’Église romaine, d’autres arrivèrent d’Angleterre. Cet acte important du parlement ne fut jamais révoqué.

p – « They would chop their familiars in their cheek with it. » (Knox Hef., p. 100.)

Tandis que des mesures salutaires étaient prises en Écosse, l’alliance de ce pays avec l’Angleterre semblait s’affermir, et, si l’on ne pouvait pas en attendre une réformation tout évangélique, elle devait rompre cependant les liens qui attachaient l’Écosse à Rome. L’après-midi du dimanche 18 mars, lendemain du jour où les séances du parlement avaient pris fin, arriva sir Ralph Sadler, envoyé d’Henri VIII, qui se rendit le soir même à Holyrood et apprit du régent les résolutions qui venaient d’être prises. Il était chargé de conclure l’affaire du mariage entre Édouard et Marie, ainsi que le projet d’une alliance perpétuelle entre les deux paysq. Sadler qui s’y employa de toutes ses forces s’aperçut bientôt que les Écossais n’iraient pas aussi loin que son maître. « Je crois, écrivait-il le 27 mars, que tous les nobles, tous les laïques de ce royaume désirent le mariage et être avec nous en parfaite amitié, prêts à abandonner leur alliance avec la France. Mais ils s’exposeraient plutôt aux dangers les plus extrêmes que de se soumettre à l’Angleterre. Ils veulent que leur royaume soit libre, et entendent vivre conformément à leurs lois et coutumesr. » Ce n’était pas ce qu’entendait Henri. Après la mort de la jeune princesse, les Tudor, selon lui, hériteraient de son royaumes.

q – « Affuit R. Sadlerius, eques ab Anglo legatus, qui nuptias et pacem publicam procuraret. » (Buchanan, p. 517.)

r – « They would have their realm free. » Sadler to Parr. (State papers, V, p. 271.)

sState papers, V, p. 279. Henry VIII to Sadler.

L’alliance fut toutefois conclue et, le 1er juillet, le comte de Glencairn, sir G. Douglas, Learmouth et Balnaves signèrent pour l’Écosse à Greenwich, le traité de mariage et de paix. Le 25 août, ce traité fut lu solennellement dans l’abbaye de Holyrood, signé, scellé, approuvé par le régent et les nobles. La reine devait rester en Écosse jusqu’à l’âge de dix ans ; elle se rendrait alors en Angleterre pour son éducation. Trois seigneurs écossais seraient donnés en otages à Henri, et, en confirmation de cette alliance, une hostie fut rompue suivant une coutume romaine entre le régent et sir R. Sadler représentant de Henri VIII. Ils en reçurent et en mangèrent chacun la moitié comme signe de leur unité, et gage de leur fidélité. Singulière manière de conclure une alliance qui avait pour but d’anéantir les superstitions romaines. On proclama partout ce traité, comme base de concorde perpétuelle, mais l’union des deux peuples avait encore bien des orages à traverser.

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