Histoire de la Réformation du seizième siècle

12.4

Caractère de François Ier – Commencement des temps modernes – Liberté et obéissance – Marguerite de Valois – La cour – Briçonnet, comte de Montbrun – Lefèvre l’adresse à la Bible – François Ier et ses « fils » – L’Évangile apporté à Marguerite – Une conversion – Adoration – Caractère de Marguerite

Ainsi tout fermentait dans l’université. Mais la Réformation en France ne devait pas être seulement une œuvre de savants. Elle devait s’établir parmi les grands du monde et à la cour même du roi.

Le jeune François d’Angoulême, cousin germain de Louis XII et son gendre, lui avait succédé. Sa beauté, son adresse, sa bravoure, son amour du plaisir, en faisaient le premier chevalier de son temps. Il visait pourtant plus haut ; il voulait être un grand et même un bon roi, pourvu que tout pliât sous sa volonté souveraine. Valeur, amour des lettres et galanterie : ces trois mots expriment assez bien le caractère de François et l’esprit de son siècle. Deux autres rois illustres, Henri IV et surtout Louis XIV, offrirent plus tard les mêmes traits. Il manqua à ces princes ce que l’Évangile donne ; et bien qu’il y ait toujours eu, dans la nation, des éléments de sainteté et d’élévation chrétienne, on peut dire que ces trois grands monarques de la France moderne ont en quelque sorte imprimé sur leur peuple l’empreinte de leur caractère, ou plutôt qu’ils en ont été les fidèles images. Si l’Évangile était entré en France par le plus illustre des Valois, il eût apporté à la nation ce qu’elle n’a pas, une tendance spirituelle, une sainteté chrétienne, une intelligence des choses divines, et il l’eût ainsi complétée, dans ce qui fait le plus la force et la grandeur des peuples.

C’est sous le règne de François Ier que la France et l’Europe passèrent du moyen âge aux temps modernes. Le monde nouveau, qui était en germe quand ce prince monta sur le trône, grandit alors et prit possession. Deux classes d’hommes imposèrent leur influence à la société nouvelle. On vit naître d’un côté les hommes de la foi, qui étaient en même temps ceux de la sagesse et de la sainteté, et tout près d’eux les écrivains courtisans, les amis du monde et du désordre, qui, par la liberté de leurs principes, contribuèrent autant à la corruption des mœurs que les premiers servirent à leur réformation.

Si l’Europe, aux jours de François Ier n’eût pas vu naître les réformateurs et qu’elle eût été livrée par un jugement sévère de la Providence aux novateurs incrédules, c’en était fait d’elle et du christianisme. Le danger fut grand. Pendant quelque temps ces deux classes de combattants, les adversaires du pape et ceux de Jésus-Christ, se confondirent, et invoquant l’un et l’autre la liberté, ils parurent se servir des mêmes armes contre les mêmes ennemis. Un œil non exercé ne pouvait les distinguer sous la poussière du champ de bataille. Si les premiers se fussent laissé entraîner avec les autres, tout était perdu. Les ennemis de la hiérarchie passaient rapidement aux extrêmes de l’impiété, et poussaient la société chrétienne dans un effroyable abîme ; la papauté elle-même aidait à cette horrible catastrophe, et hâtait par son ambition et ses désordres la ruine des débris de vérité et de vie qui étaient demeurés dans l’Église. Mais Dieu suscita la Réformation, et le christianisme fut sauvé. Les réformateurs qui avaient crié : Liberté ! crièrent bientôt : Obéissance ! Ces mêmes hommes qui avaient renversé le trône d’où le pontife romain rendait ses oracles, se prosternèrent devant la Parole de Dieu. Alors il y eut séparation nette et décisive ; il y eut même guerre entre les deux corps d’armée. Les uns n’avaient voulu la liberté que pour eux-mêmes, les autres l’avaient réclamée pour la Parole de Dieu. La Réformation devint le plus redoutable ennemi de cette incrédulité, pour laquelle Rome sait trouver souvent des douceurs. Après avoir rendu la liberté à l’Église, les réformateurs rendirent la religion au monde. De ces deux présents, le dernier était alors le plus nécessaire.

Les hommes de l’incrédulité espérèrent quelque temps compter parmi les leurs Marguerite de Valois, duchesse d’Alençon, que François aimait uniquement et appelait toujours sa mignonne, dit Brantômeq. Les mêmes goûts et les mêmes lumières se trouvaient dans le frère et dans la sœur. Belle de corps, comme François, Marguerite joignait aux fortes qualités qui font les grands caractères, ces vertus douces qui captivent. Dans le monde, dans les fêtes, à la cour du roi, comme à celle de l’Empereur, elle brillait en reine, charmait, étonnait, conquérait les cœurs. Passionnée des lettres et douée d’un rare génie, elle se livrait avec délices dans son cabinet au plaisir de penser, d’étudier et de connaître. Mais le plus grand de ses besoins était de faire le bien et d’empêcher le mal. Quand les ambassadeurs avaient été reçus du roi, ils allaient rendre hommage à Marguerite : « Ils en étaient grandement ravis, dit Brantôme, et en faisaient de grands rapports à ceux de leur nation. » Et souvent le roi lui renvoyait les affaires importantes lui en laissant la totale résolutionr. »

q – Brant., Dames illustres, p. 331.

r – Ibid., p. 337.

Cette princesse célèbre fut toujours d’une grande sévérité de mœurs ; mais tandis que bien des gens placent la sévérité dans les paroles et mettent la liberté dans les mœurs, Marguerite fit le contraire. Irréprochable dans sa conduite, elle ne le fut pas entièrement sous le rapport de ses écrits. Au lieu d’en être surpris, peut-être faut-il plutôt s’étonner qu’une femme aussi corrompue que Louise de Savoie ait eu une fille aussi pure que Marguerite. Tandis qu’elle parcourait le pays à la suite de la cour, elle s’appliquait à peindre les mœurs du temps, et surtout la corruption des prêtres et des moines. Je l’ai ouï, dit Brantôme, ainsi conter à ma grand’mère, qui allait toujours avec elle dans sa litière, comme sa dame d’honneur, et lui tenait l’écritoires. » Telle fut, selon quelques-uns, l’origine de l’Heptaméron ; mais des critiques modernes, justement estimés, sont convaincus que Marguerite fut étrangère à ce recueil, quelquefois plus que léger, et qu’il fut l’ouvrage de Despériers, valet de chambre de la reine.

s – Ibid., p. 346.

C’est ce qu’établit l’un des littérateurs les plus distingués de nos jours, M. Ch. Nodier, dans la Revue des Deux Mondes, tom. XX, où il dit entre autres, page 350 : « Despériers est le véritable et presque seul auteur de l’Heptaméron. Je ne fais pas difficulté d’avancer que je n’en doute pas et que je partage complètement l’opinion de Bouistuan, qui n’a pas eu d’autre motif pour obmettre et céler le nom de la reine de Navarre. » Si, comme je le pense, Marguerite a composé quelques nouvelles (sans doute les plus décentes de celles qui se trouvent dans l’Heptaméron), ce dut être dans sa première jeunesse, aussitôt après son mariage avec le duc d’Alençon (1509). La circonstance mentionnée par Brantôme (page 346), que la mère du roi et madame de Savoie, étant jeunes, voulurent imiter Marguerite, le prouve. A ce témoignage nous pouvons joindre celui de de Thou, qui dit : « Si tempora et juvenitem œtatem in qua scriptum est respicias, non prorsus damnandum, certe gravitate tantæ heroinæ et extrema vita minus dignum. (Thuan. VI, p. 117.) Brantôme et de Thou sont deux témoins irrécusables.

Cette Marguerite si belle, si pleine d’esprit, et vivant au sein d’une atmosphère corrompue, devait être entraînée l’une des premières par le mouvement religieux qui commençait alors à remuer la France. Mais comment, au milieu d’une cour si profane et des libres récits dont on l’amusait, la duchesse d’Alençon pouvait-elle être atteinte par la Réforme ? Son âme élevée avait des besoins que l’Évangile seul pouvait satisfaire ; la grâce agit partout ; et le christianisme, qui, avant même qu’un apôtre eût paru dans Rome, avait déjà des partisans dans la maison de Narcisse et à la cour de Néront, pénétra rapidement, lors de sa renaissance, à la cour de François Ier. Des dames, des seigneurs parlèrent à la princesse le langage de la foi ; et ce soleil qui se levait alors sur la France, fit tomber l’un de ses premiers rayons sur une tête illustre, qui les refléta tout aussitôt sur la duchesse d’Alençon.

tRomains 16.11 ; Philippiens 4.22.

Parmi les seigneurs les plus distingués de la cour se trouvait le comte Guillaume de Montbrun, fils du cardinal Briçonnet de Saint-Malo, entré dans l’Église après veuvage. Le comte Guillaume, plein d’amour pour l’étude, prit lui-même les ordres et devint successivement évêque de Lodève et de Meaux. Envoyé deux fois à Rome comme ambassadeur, il revint à Paris, sans avoir été séduit par les charmes et les pompes de Léon X.



Briçonnet (1470-1534)

Au moment où il reparut en France, tout commençait à fermenter. Farel, maître ès arts, enseignait dans le célèbre collège du cardinal Lemoine, l’une des quatre principales maisons de la faculté de théologie de Paris, égale en rang à la Sorbonne. Deux compatriotes de Lefèvre, Arnaud et Gérard Roussel, et d’autres hommes encore, grossissaient ce cercle d’esprits libres et généreux. Briçonnet, à peine sorti des fêtes de Rome, fut étonné de ce qui s’était fait à Paris en son absence. Altéré de vérité, il renoua ses anciennes relations avec Lefèvre, et passa bientôt des heures précieuses avec le docteur de la Sorbonne, Farel, les deux Roussel et leurs autres amisu. Plein d’humilité, cet illustre prélat voulait être instruit par les plus humbles, mais surtout par le Seigneur lui-même. « Je suis dans les ténèbres. disait-il, attendant la grâce de la bénignité divine, de laquelle par mes démérites je suis exilé. » Son esprit était comme ébloui par l’éclat de l’Évangile. Ses paupières se baissaient devant cette splendeur inouïe. « Tous les yeux ensemble, ajoute-t-il, ne sont suffisants pour recevoir toute la lumière de ce soleilv. »

u – Hist. de la révocat. de l’édit de Nantes, vol. I, p. 7. Maimbourg, Hist. du calv., p. 12.

v – Ces paroles de Briçonnet sont extraites du manuscrit de la Bibliothèque Royale qui porte pour titre : Lettres de Marguerite, reine de Navarre, et pour marque S. F., 337. J’aurai plus d’une fois occasion de citer ce manuscrit, que j’ai eu souvent de la peine à déchiffrer. Je laisse dans mes citations le langage du temps.

Lefèvre avait renvoyé l’évêque à la Bible ; il la lui avait montrée comme le fil conducteur qui ramène toujours à la vérité originelle du christianisme, à ce qu’il était avant toutes les écoles, les sectes, les ordonnances et les traditions, et comme le moyen puissant par lequel la religion de Jésus-Christ est renouvelée. Briçonnet lisait l’Écriture, La douceur de la viande divine est si grande, disait-il, qu’elle rend un esprit insatiable ; plus on la goûte, plus on la désirew. » La vérité simple et puissante du salut le ravissait ; il trouvait Christ, il trouvait Dieu lui-même. « Quel vaisseau est capable, disait-il, de recevoir si grande amplitude d’inexhaustible douceur ? Mais le logis croît selon le désir que l’on a de recevoir le bon hôte. La foi est le fourrier qui seul peut le loger, ou, pour mieux parler, qui nous fait loger en lui. » Mais en même temps le bon évêque s’affligeait de voir cette doctrine de vie que la Réformation rendait au monde, si peu estimée à la cour, dans la ville et parmi le peuple ; et il s’écriait : « O singulière, très digne et peu par mes semblables savourée innovation !… »

w – Manuscrit de la Bibl. Royale. S. F., 337

C’est ainsi que les sentiments évangéliques se frayèrent un chemin au milieu de la cour légère, dissolue et lettrée de François Ier. Plusieurs des hommes qui s’y trouvaient et qui jouissaient de toute la confiance du roi, Jean du Bellay, de Budé, Cop, médecin de la cour, et même Petit, confesseur du roi, semblaient favorables aux sentiments de Briçonnet et de Lefèvre. François, qui aimait les lettres, qui attirait dans ses États des savants enclins au luthéranisme, et qui « pensait, dit Érasme, orner et illustrer ainsi son règne d’une manière plus magnifique qu’il ne l’eût fait par des trophées, des pyramides ou les plus pompeuses constructions, » fut lui-même entraîné par sa sœur, par les gens de lettres de sa cour et de ses universités. Il assistait aux disputes de ses savants, se plaisait à table à entendre leurs discours et les appelait ses fils. Il préparait les voies à la Parole de Dieu en fondant des chaires pour l’étude de l’hébreu et du grec. Aussi Théodore de Bèze dit-il, en plaçant son image en tête de celles des réformateurs : « O pieux spectateur ! ne frémis pas à la vue de cet adversaire ! Ne doit-il pas avoir part à cet honneur, celui qui, ayant chassé du monde la barbarie, mit à sa place d’une main ferme trois langues et les bonnes lettres, pour être comme les portières de l’édifice nouveau qui allait bientôt s’éleverx ? »

x – Neque rex potentissime pudeat… quasi atrienses hujus ædis futuras. Bezæ Icones. Disputationibus eorum ipse interfuit. Flor. Ræmundi Hist. de ortu hæresum, VII. 2.

Mais il était une âme surtout, à la cour de François Ier, qui semblait préparée à l’influence évangélique du docteur d’Étaples et de l’évêque de Meaux. Marguerite, incertaine et chancelante, au milieu de la société corrompue qui l’entourait, cherchait un appui, et elle le trouva dans l’Évangile. Elle se tourna vers ce souffle nouveau qui ranimait le monde, et le respira avec délices comme une émanation du ciel. Elle apprenait de quelques-unes des dames de sa cour ce qu’enseignaient les nouveaux docteurs ; on lui communiquait leurs écrits, leurs petits livres, appelés dans le langage du temps « tracts ; » on lui parlait de primitive Église, de pure Parole de Dieu, d’adoration en esprit et en vérité, de liberté chrétienne qui secoue le joug des superstitions et des traditions des hommes pour s’attacher uniquement à Dieuy. » Bientôt cette princesse vit Lefèvre, Farel et Roussel ; leur zèle, leur piété, leurs mœurs, tout en eux la frappa ; mais ce fut surtout l’évêque de Meaux, lié depuis longtemps avec elle, qui devint son guide dans le chemin de la foi.

y – Maimbourg, Hist. du Calvinisme, p. 17.

Ainsi s’accomplit, au milieu de la cour brillante de François Ier et de la maison dissolue de Louise de Savoie, une de ces conversions du cœur, qui, dans tous les siècles, sont l’œuvre do la Parole de Dieu. Marguerite déposa plus tard dans ses poésies les divers mouvements de son âme à cette époque importante de sa vie ; et nous pourrons y retrouver les traces du chemin qu’elle parcourut alors. On voit que le sentiment du péché la saisit avec une grande force, et qu’elle pleura sur la légèreté avec laquelle elle avait traité les scandales du monde. Elle s’écria :

Est-il de mal nul si profond abîme,
Qui suffisant fut pour punir la dîme
De mes péchés ?…

Cette corruption qu’elle avait si longtemps ignorée, elle la retrouvait partout, maintenant que ses yeux étaient ouverts.

Bien sens en moi que j’en ai la racine
Et au dehors branche, fleur, feuille et fruitz.

z – Marguerites de la Marguerite des princesses (Lyon, 1517), tome Ier, Miroir de l’âme pécheresse, p. 15. L’exemplaire dont je me suis servi paraît avoir appartenu à la reine de Navarre elle-même, et quetques notes qui s’y trouvent sont, à ce qu’on assure, de sa main. Il appartient aujourd’hui à un ami de l’auteur.

Cependant, au milieu de l’effroi que lui causait l’état de son âme, elle reconnaissait qu’un Dieu de paix s’était approché d’elle :

Mon Dieu, ci-bas à moi êtes venu,
A moi qui suis ver de terre tout nud.

Et bientôt le sentiment de l’amour de Dieu en Christ était répandu en son cœur :

Mon père donc… mais quel père ?… éternel,
Invisible, immuable, immortel,
Qui pardonnez par grâce tout forfait,
Je me jette, Seigneur, ainsi qu’un criminel,
A vos saints pieds. O doux Emmanuel !
Ayez pitié de moi, père parfait !
Vous êtes sacrifice et vous êtes autel,
Vous qui nous avez fait un sacrifice tel,
Que vous-même, grand Dieu, en êtes satisfait.

Verbe divin, Jésus-Christ salvateur,
Unique fils de l’éternel Auteur,
Premier, dernier, de tous instaurateur,
Évêque et roi, puissant triomphateur,
Et de la mort, par mort libérateur.
L’homme est par foi fait fils du Créateur ;
L’homme est par foi juste, saint, bienfaiteur ;
L’homme est par foi remis en innocence ;
L’homme est par foi roi en Christ régnateur ;
Par foi j’ai Christ et tout en affluence.

Dès lors un grand changement s’était opéré dans la duchesse d’Alençon :

Elle pauvrette, ignorante, importante,
Se sent en vous riche, sage et puissante.

Cependant la puissance du mal n’était pas encore abolie pour elle. Elle trouvait en son âme un désaccord, une lutte qui l’étonnait :

Noble d’esprit et serf suis de nature ;
Extrait du ciel et vile géniture,
Siège de Dieu, vaisseau d’iniquité ;
Immortel suis, tendant à pourriture ;
Dieu me nourrit, en terre est ma pâture ;
Je fuis le mal, en aimant forfaiture ;
J’aime raison, en fuyant équité.
Tant que j’aurai vie dessus la terre,
Vivre me faut étant toujours en guerrea.

a – Marguerites de la Marguerite des princesses (Lyon, 1547), tome Ier ; Miroir de l’âme pécheresse, p. 18,19 ; Ibid. Oraison à J.-C, p. 143. Ibid. ; Discorde l’esprit et de la chair, p. 73. Ibid. ; Miroir de l’âme, p. 22. Discorde de l’esprit et de la chair, p. 71.

Marguerite, cherchant dans la nature des symboles qui exprimassent les besoins et les affections de son âme, prit pour emblème, dit Brantôme, la fleur du souci, « qui par ses rayons et ses feuilles a le plus d’affinité avec le soleil et se tourne de toutes parts là où il vab. » — Elle y ajouta cette devise :

b – Vie des Femmes illustres, p. 33.

Non Inferiora secutus.
Je ne recherche point les choses d’ici-bas ;

« en signe, ajoute cet écrivain courtisan, qu’elle dirigeait toutes ses actions, pensées, volontés et affections à ce grand Soleil qui était Dieu ; et pour cela la soupçonnait-on de la religion de Lutherc. »

c – Ibid.

En effet, la princesse éprouva bientôt la vérité de cette parole, que nul ne peut vivre selon la piété qui est en Jésus- Christ, sans endurer persécution. On parla à la cour des nouvelles opinions de Marguerite, et l’éclat fut grand. Quoi ! la sœur même du roi faisait partie de ces gens-là ! On put croire quelques moments que c’en était fait de Marguerite. On la dénonça à Francois Ier. Mais le roi, qui aimait fort sa sœur, affecta de penser qu’il n’en était rien. Le caractère de Marguerite diminua peu à peu l’opposition. Chacun l’aimait, car, dit Brantôme, elle était très bonne, douce, gracieuse, charitable, fort accostable, grande aumônière, ne dédaignant personne, et gagnant tous les cœurs pour les belles parties qu’elle avait en elled. »

d – Vie des Femmes illustres, p. 341.

Au milieu de la corruption et de la légèreté de ce siècle, l’esprit se repose avec joie sur cette âme d’élite, que la grâce de Dieu sut saisir sous tant de vanités et tant de grandeurs. Mais son caractère de femme l’arrêta. Si François Ier avait eu les convictions de sa sœur, il eût été sans doute jusqu’au bout. Le cœur craintif de la princesse trembla devant la colère de son roi. Elle est sans cesse agitée entre son frère et son Sauveur, et ne veut sacrifier ni l’un ni l’autre. On ne peut reconnaître en elle une chrétienne pleinement parvenue à la liberté des enfants de Dieu ; type parfait de ces âmes élevées, si nombreuses dans tous les siècles, surtout parmi les femmes, qui, puissamment attirées vers le ciel, n’ont pourtant pas la force de se dégager entièrement des liens de la terre.

Cependant telle qu’elle est, elle est une touchante apparition dans l’histoire. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre ne nous présentent une Marguerite de Valois. C’est un astre un peu voilé sans doute, mais dont l’éclat possède une incomparable douceur ; et même aux temps dont je parle, sa lumière se fait assez librement connaître. Ce n’est que plus tard, quand le regard irrité de François Ier dénoncera à l’Évangile une mortelle haine, que sa sœur épouvantée couvrira sa sainte foi d’un voile. Mais maintenant elle lève la tête au sein de cette cour corrompue et y paraît comme une épouse de Jésus-Christ. Le respect qu’on lui porte, la haute idée qu’on a de son intelligence et de son cœur, plaident, à la cour de France, la cause de l’Évangile, mieux que n’eût pu le faire aucun prédicateur. Cette douce influence de femme donne accès à la doctrine nouvelle. C’est peut-être à ce temps qu’il faut faire remonter le penchant de la noblesse française à embrasser le protestantisme. Si François eût aussi suivi sa sœur, si toute la nation se fût ouverte au christianisme, la conversion de Marguerite eût put devenir le salut de la France. Mais tandis que les nobles accueillaient l’Évangile, le trône et le peuple restèrent fidèles à Rome ; et ce fut un jour pour la Réforme la source de grandes infortunes, que de compter dans son sein des Navarre et des Condé.

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