Dieu ; — l’Éternel notre justice ; — l’Ange de l’Éternel ; — la Parole était Dieu ; — Dieu avec nous ; — Dieu manifesté en chair ; — le grand Dieu ; — le vrai Dieu ; — Dieu sur toutes choses, etc.
Et d’abord quelques passages de l’Ancien Testamenta :
Psaumes 45.6-7 : (appliqué à Jésus-Christ Hébreux 1.8-9)… C’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint, etc. Ce texte résiste à toutes les interprétations de l’humanitarisme.
a – Nous nous bornons à une simple nomenclature des textes de l’Ancien Testament sur lesquels le professeur Jalaguier entrait dans d’assez longs développements en vue d’établir leur caractère messianique. (Edit.)
Psaumes 110.1, 5 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, etc. ; (cité comme messianique par Jésus-Christ Matthieu 22.43,45 ; Marc 12.33 ; Luc 20.42).
Ésaïe 6.1-13 : (comparé à Jean 12.41 : Esaïe dit ces choses, quand il vit sa gloire et qu’il parla de lui. — Le pronom αυτου se rapporte bien à Jésus-Christ. Le v. 42 dissiperait tous les doutes s’il pouvait y en avoir : Il y en eut plusieurs qui crurent en lui (εις αυτον), mais ils ne le confessaient point à cause des Pharisiens).
Ésaïe 7.14 : (cité Matthieu 1.23, qu’on peut rapprocher de Jean 1.14 et de 1 Timothée 3.16, en admettant que, dans ce dernier texte, la leçon véritable est Θεος, comme nous le croyons.)
Ésaïe 9.5-6 : L’Enfant nous est né, le Fils nous a été donné… On appellera son nom l’Admirable… le Prince de paix, etc. (Le 1er v. de ce chap. cité Matthieu 4.14-16). La nature messianique du passage une fois reconnue, nous y voyons éclater, par des traits nombreux et positifs, l’union de la divinité et de l’humanité dans le Libérateur promis. — C’est au fond un parallèle d’Ésaïe 7.14.
Jérémie 23.5-6 : Voici, les jours viennent, dit le Seigneur, que je ferai lever à David un germe juste… on l’appellera : l’Éternel notre justice. C’est bien, ce semble, à Jésus-Christ qu’est donné ce grand et saint nom : Jéhovah notre justice, qui nous montre en lui notre Dieu. Cependant, il y a des raisons de douter… Le Christianisme conduit bien à considérer Jésus-Christ comme étant notre Dieu et notre justice (1 Corinthiens 1.30) et à lui rapporter littéralement l’expression de Jérémie. Mais l’expression elle-même ne saurait établir ce point de la dogmatique chrétienne. Autre chose est l’usage du texte dans l’enseignement ecclésiastique et pratique, quand la doctrine est établie par d’autres moyens, autre chose l’emploi qu’on en fait pour établir la doctrine elle-même dans l’œuvre théologique on apologétique.
Prédiction relative au Précurseur, rapprochée des citations qu’en font les évangélistes : Ésaïe 40.3-5 (appliqué à Jean-Baptiste Matthieu 3.3, etc.) ; Malachie 3.1 (cité Marc 1.2). — Dans Esaïe et dans Malachie, c’est Dieu devant qui il est ordonné de préparer la voie… Dans les Évangiles, c’est le Seigneur devant la face duquel marche Jean-Baptiste pour disposer le peuple à le recevoir (Matthieu 3.3), c’est le Seigneur Dieu (Luc 1.16.17), le Souverain (v. 76). Or, Jean-Baptiste est le précurseur de Jésus-Christ, c’est lui qu’il annonce, c’est à lui qu’il prépare les voies. Tous les noms divins donnés par les prophètes et par les évangélistes à celui dont Jean-Baptiste proclame la venue, appartiennent donc à Jésus-Christ. C’est ainsi que l’Église l’a toujours entendu, tant c’est évident.
Ce fait a pourtant été nié… — Mais 1° La simple lecture des passages dans l’Évangile atteste que ces noms se rapportent directement à Jésus-Christ, nommé par Jean-Baptiste Celui qui vient après lui. 2° L’oracle de Malachie identifie le Seigneur qu’il annonce avec l’Ange de l’Alliance, cet Être mystérieux qui est à la fois Dieu et l’envoyé de Dieu. 3° Jésus-Christ s’applique (Matthieu 11.10) l’oracle de Malachie et ceux d’Esaïe conséquemment, en y remplaçant même, pour en mieux déterminer la signification, le pronom de la première personne par celui de la seconde. 4° Si ces expressions : préparer le chemin du Seigneur, dresser ses sentiers, marcher devant lui, etc., ne marquaient que les travaux actifs de Jean-Baptiste pour ramener les hommes à Dieu, sans rapport spécial avec Celui dont il était le précurseur, elles pourraient s’appliquer à tous les grands prédicateurs de la justice, car tous ont fait cette œuvre d’appel. D’où vient qu’elles caractérisent uniquement le fils de Zacharie et son ministère ?
Passages moins directs, mais pourtant remarquables, où il est parlé, en un sens tout spécial, de l’Ange de l’Éternel, l’Ange de la présence ou de la face, l’Ange de l’Alliance — : Genèse 16.7-13 ; ch. 18 et 19 ; Genèse 21.17-18 ; 32.11-16 ; 48.16 ; Exode 3.2 ; 14.19 ; 23.20-23 ; Nombres 22.22 ; Juges 2.1-4 ; 6.11-14 ; Ésaïe 63.9 ; Zacharie 1.11 ; 3.1 ; 12.8 ; Malachie 3.1…
Cet Ange mystérieux se présente avec des attributs et des caractères qui frappent singulièrement le sérieux disciple de la Bible. Il est doué de l’omniscience, de la toute-présence, de la toute-puissance ; il jure par lui-même ; il est le protecteur du peuple, le rédempteur du mal, l’auteur du bien ; il reçoit l’adoration religieuse ; il est Dieu, et cependant l’envoyé de Dieu. Il est le Dieu qui se manifeste en tant que distinct du Dieu qui se cache ou, pour employer une expression de saint Paul, l’image du Dieu invisible (Colossiens 1.15).
La doctrine de l’Ange de l’Éternel n’est nulle part directement exposée ni formellement proposée à la foi. Elle se compose de traits isolés ; elle sort, pour ainsi dire par parcelles, du fond des Écritures et se forme par le rapprochement de textes épars, sans paraître faire partie expresse des révélations anciennes. Il en est ainsi du reste de bien d’autres doctrines. Ce sont comme les pierres d’attente d’un édifice nouveau, ou comme les rayons précurseurs d’une plus grande lumière, qui seule en dévoile la nature et la portée réelle.
Les premiers Pères firent un grand usage des textes de cette classe dans leurs apologies et, en particulier, dans leur controverse avec les Juifs. Ils y appuyèrent un de leurs dogmes fondamentaux, savoir que le Fils seul est apparu dans les théophanies de l’Ancien Testament.
Quand, dans un humble esprit de foi à la révélation biblique, ou réunit les divers traits que présentent les passages cités, et qu’on tient compte de l’unité de Dieu, doctrine fondamentale des Écritures, on ne peut guère s’arrêter qu’à l’une ou à l’autre de ces trois hypothèses : ou cet Ange est un envoyé de Dieu qui, agissant comme son représentant, prend à ce titre ses noms et ses attributs ; ou ce n’est pas autre chose qu’un signe miraculeux de sa présence, dans lequel il se manifeste et se voile tout ensemble ; ou bien cet Être extraordinaire, quoique distinct de Dieu, est pourtant un avec lui… Tout conduit à la troisième hypothèse.
L’Écriture, sans avoir rien de très exprès à cet égard, nous amène à reconnaître en Christ ce qui est dit de l’Ange de l’Éternel, soit en concentrant sur lui les anciennes idées de la Mimrah, de la Schekinah, du Λογος, soit par certains traits de l’enseignement prophétique et apostolique. Malachie annonce (Malachie 3.4) que le Seigneur qu’on cherche, l’Ange de l’Alliance qu’on attend, suivra le messager qui lui prépare les voies et qu’il entrera dans son temple. Cet Ange de l’Alliance, qui est le Seigneur, il faut le voir en Jésus-Christ dès qu’on regarde aux applications de l’oracle dans les Évangiles (Marc 1.2 ; Matthieu 11.10)… La lumière jetée ainsi sur ce texte éclaire tous les textes de la même catégorie…
En opposition avec l’opinion, passée pendant un temps à l’état d’axiome critique, que la notion juive du Verbe divin dérive du Mazdéisme ou du Platonisme, nous pouvons remarquer que la doctrine de l’Ange de l’Éternel, où cette notion a certainement une de ses premières racines, règne surtout dans le Pentateuque, et que, dès lors, elle est fort antérieure aux relations des Israélites soit avec les Perses soit avec les Grecs : car je ne pense point que les théories les plus aventureuses relativement au Pentateuque l’aient modernisé jusque-là. Cette doctrine est un fait sui generis qui se pose en dehors et au-dessus des théories hypothétiques de la science, et dont nous avons le droit de signaler les rapports avec le dogme ou le fait chrétien… Ces antiques données de la Bible restent, quoi qu’on fasse, comme un de ces liens mystiques qui unissent l’Ancien Testament au Nouveau, et que la grande prophétie messianique fait ressortir en mille sens. Outre que les explications naturelles se renversent incessamment les unes sur les autres, elles n’expliquent rien en réalité, car toujours elles écartent ou vaporisent les vrais éléments du problème. Aussi deviennent-elles d’autant moins hostiles à l’interprétation chrétienne qu’elles tiennent mieux compte des faits scripturaires, alors même que, dans leur prévention contre le surnaturel, elles ne les prennent qu’à un point de vue purement historique…
Ici se poserait une question souvent débattue : Les dogmes de la divinité du Rédempteur et de la Trinité se trouvent-ils dans l’Ancien Testament ?
Nous pouvons répondre que ces dogmes ne font pas partie directe de la révélation mosaïque et prophétique, non plus que ceux de l’immortalité de l’âme, de la résurrection des corps, du jugement dernier, etc. ; mais ils y existent en germe ou en principe, ils s’y font sentir quand on sonde diligemment les Écritures, et ils y ont été reconnus, à quelque degré, avant les temps évangéliques, de même que la doctrine générale des destinées futures de l’homme.
Tandis que certaines directions théologiques ont soutenu que les livres de l’ancienne Alliance ne renfermaient, à cet égard, ni données, ni lumières d’aucune espèce, d’autres ont affirmé que les patriarches et les pieux Israélites possédaient des notions presque aussi complètes que nous sur ces grands articles de foi. Ce fut longtemps l’opinion commune, où tout se réduisait finalement à la différence entre le Messie à venir et le Messie venu. Elle a été relevée avec éclat, de nos jours, par l’école catholiqueb.
b – Lamennais, Essai sur l’indiff. ; baron d’Ekstein, Le Christianisme avant Jésus-Christ.
Evidemment, l’Israël selon l’Esprit n’a pu qu’entrevoir dans un obscur lointain la personne et l’œuvre du Christ. Mais il n’en est pas moins vrai que l’Ancien Testament renfermait dans ses profondeurs les premiers linéaments du Nouveau. La loi annonçait l’Évangile et l’Évangile a accompli la loi ; l’ancienne Alliance préparait la Nouvelle, elle la contenait même déjà, mais enveloppée, in potentia, pour parler la langue de la Scolastique. C’était l’ombre des biens à venir, et non la vive image des choses (Hébreux 10.1).
Arrivons au Nouveau Testament, et examinons si le nom de Dieu y est donné à Jésus-Christ.
Jean 1.1 : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Cette déclaration est si expresse, si positive, qu’elle déciderait à elle seule la question. Aussi n’est-il pas d’effort qu’on n’ait fait pour en obscurcir le sens. On a voulu lire Θεου, quoiqu’aucun manuscrit n’ait cette leçon. On a traduit : Dieu était le Λογος, ce qui signifierait que Dieu était en Christ, qu’il l’inspirait, le dirigeait tellement qu’il parlait et agissait par lui ; traduction forcée, inconciliable avec la position de l’article, et qui, d’ailleurs, laisse le sens à peu près le même… On a soutenu que Θεος étant sans l’article, on pouvait le rendre par Θειος ou être divinc. Mais l’absence de l’article, bien loin d’exiger ou de légitimer cette interprétation, dépose, au contraire, en faveur de la traduction commune. Pour dire que la Parole était Dieu, il ne fallait pas l’article, car le nom qui est attribut ne le prend pas. « En grec comme en français, dit Burnouff, le nom précédé de l’article est le sujet, l’autre est l’attribut… » On a dit enfin, et comme dernière ressource, que le Λογος y est appelé Dieu dans le sens inférieur où ce nom est donné aux messagers divins (Exode 4.16 ; 7.1 : Moïse établi pour Dieu à Aaron et à Pharaon), aux magistrats (Exode 21.6 ; 22.7.8 ; Psaumes 82.1,6), aux anges (Psaumes 97.7). — Examinons cette ultima ratio, à laquelle on a sans cesse recours. 1° Il n’est pas dit que Moïse sera le Dieu d’Aaron et de Pharaon, mais qu’il leur sera pour Dieu, qu’il sera auprès d’eux le représentant de Dieu, qu’il tiendra sa place, parce qu’il parlera et agira en son nom. 2° Quant aux magistrats, la pensée est à peu près la même. Sous le gouvernement théocratique, les emplois religieux ou civils n’étaient que les organes de la loi divine, que les vice-gérants de Dieu : aller à eux, c’était aller à la loi, à l’oracle vivant, à Dieu lui-même ; aussi le nom d’Elohim n’est-il donné aux magistrats que collectivement… 3° Ce n’est pas seulement le nom d’Elohim qui est appliqué à Jésus-Christ, ce sont tous les noms de Dieu, même celui de Jéhovah. 4° Et ces noms sont fréquemment accompagnés d’attributs et de caractères nombreux de divinité ; ce qui est le cas, en particulier, dans le passage qui ouvre le 4e Évangile…
c – Version de Genève, 1805…
Impossible d’échapper à l’évidence et à la force de ce passage par l’étude purement exégétique. Aussi ne l’essaye-t on guère aujourd’hui. C’est en mettant en question ou l’authenticité ou l’autorité de l’Évangile, qu’on s’en débarrasse ; ce qui jette sur un autre terrain que celui où nous sommes placés et où nous devons nous tenir.
Jean 20.28 : Thomas répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Pour annuler cette déclaration, on a dit qu’elle n’est qu’une exclamation de surprise, comme « grand Dieu ! bon Dieu ! mon Dieu ! » Mais ces formes de langage, très communes autrefois dans le monde païen et aujourd’hui encore dans le monde chrétien, étaient étrangères aux Juifs qui poussaient jusqu’à la superstition la crainte de prendre en vain le nom de Dieu. On n’en trouve pas d’exemple dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament. Et si Thomas s’y fût laissé aller, ne serait-il pas extraordinaire qu’au lieu d’un blâme, Jésus lui eût adressé un éloge ? D’ailleurs, la construction grammaticale répugne à cette hypothèse. Les paroles de l’apôtre sont une réponse, non une exclamation, une déclaration de foi, non un cri d’étonnement. D’autres fois, on a voulu tout expliquer par un élan de gratitude et d’adoration envers Dieu, dont l’infinie miséricorde se manifestait avec tant d’éclat dans la résurrection de Jésus-Christ que Thomas était enfin forcé de le connaître. Mais, répétons que le texte s’oppose à cette interprétation aussi bien qu’à la précédente : c’est à Jésus lui-même que s’adresse l’apôtre (ειπεν αυτω)…
Romains 9.5 : ὧν οἱ πατέρες, καὶ ἐξ ὧν ὁ χριστὸς τὸ κατὰ σάρκα, ὁ ὢν ἐπὶ πάντων, θεὸς εὐλογητὸς εἰς τοὺς αἰῶνας. Texte décisif, une fois la leçon commune reconnue certaine… Son authenticité et son intégrité se trouvant inattaquables, on s’est pris alors à sa ponctuation. Les uns ont placé un point après σαρκα, les autres après παντων, en faisant du reste une doxologie. Mais la construction et la leçon commune est celle que donnent l’histoire, la critique grammaticale et le contexte.
Le témoignage des versions et des Pères est positif : ils ont construit et lu comme nous le faisons, et cela dit tout.
La critique grammaticale ne peut, non plus, laisser de doutes. Si on place un point après σαρκα, on soulève les difficultés suivantes : a) ευλογητος devrait alors précéder Θεος. C’est ce qui a lieu dans toutes les doxologies ; et les lois de la langue le demandent car, autrement, le sens est Dieu qui est béni et non Dieu soit béni. b) ο ων se rapporte nécessairement au nom précédent ; il est pour ος εστι, suivant une construction de l’article fréquente en grec (Voy. par exemple 2 Corinthiens 11.31). Or ici l’antécédent est Χριστος. (Il reste donc le Dieu éternellement béni), c) Ajoutons que dans la coupe de la phrase et dans la traduction qu’on propose, ων devient inutile ; il ne fait qu’embarrasser et l’on ne voit pas pourquoi il est là.
Si l’on place le point après παντων, la difficulté est la même, quant à la position d’ευλογητος, que dans la construction précédente : la forme régulière de la doxologie manque toujours. De plus, le mot Θεος, comme sujet de la phrase, devrait avoir l’article ; il l’a partout ailleurs où il est joint à ευλογητος dans une doxologie. Enfin, on se demande à quoi se rapporte alors παντων et ce qu’il signifie. S’il se rapporte à Ισραηλιται ou à πατερες, ce trait de supériorité en Jésus-Christ ne méritait guère d’être relevé, et il serait peu en harmonie avec la doctrine générale de saint Paul qui, certes, attribue au Seigneur une grandeur et une gloire infiniment plus hautes. Entend-on par παντων toutes choses (comme fait saint Paul Colossiens 1.16) ? On reconnaît alors au Sauveur la toute-puissance, l’autorité et la majesté divines, et la répugnance qu’on éprouve à lui rapporter ce qui suit n’a plus de motif.
Aucune de ces explications ne se soutient donc devant l’examen critique et grammatical.
Le contexte ne permet pas davantage de les admettre. D’abord elles font disparaître l’antithèse que suppose κατα σαρκα. L’apôtre ayant dit que le Christ descendait des Pères selon la chair, cela implique qu’à un autre égard il n’en descendait point. Si l’on s’arrête là, la pensée reste inachevée et suspendue ; tandis que dans la leçon commune, le second membre de la phrase fournit la seconde partie de l’antithèse, en faisant contraster la nature divine du Seigneur avec sa nature humaine, comme Romains 1.3 et ailleurs. De plus, il y aurait une sorte d’inconvenance dans la doxologie qu’on suppose. Saint Paul vient d’exprimer sa profonde douleur de ce que les Israélites, rendant inutiles leurs privilèges et les dons de Dieu, attiraient sur eux ses jugements les plus terribles (v. 2-3). Est-il naturel, est-il croyable qu’il se soit interrompu sur cette pensée pour bénir Dieu, lui qui, à cette place même, use de tant de ménagements envers ses anciens coreligionnaires ?…
Certains interprètes, en reconnaissant que Romains 9.5 dépose en faveur de l’opinion orthodoxe dès qu’on le laisse tel qu’il est et qu’on lui fait rendre ce qu’il contient, s’en tirent en le dédaignant comme un απαξ λεγομενον, une de ces paroles qui échappent par inadvertance et qu’il ne faut ni prendre à la lettre ni presser à la rigueur. Cette règle d’interprétation ou cette fin de non-recevoir une fois admise en principe, chaque passage embarrassant devient ou peut devenir à son tour un απαξ λεγομενον ; et l’on arriverait ainsi à les enlever tous, un à un. La vraie réponse à de telles allégations est de recueillir et de présenter dans leur ensemble les textes relatifs à la divinité de Jésus-Christ…
Colossiens 2.9 : Toute la plénitude de la divinité habite corporellement en lui (Cf. Colossiens 1.16-17). L’idée que réveille cette déclaration est celle de la déité du Sauveur ; la conclusion qu’en tire spontanément la conscience chrétienne c’est qu’il a été Dieu avec nous… Dieu manifesté en chair… L’apôtre semble avoir fait allusion à l’opinion des Juifs, qui se représentaient Dieu remplissant le Temple de sa présence et de sa gloire, ou à l’opinion gnostique, qui formait le πληρωμα de l’ensemble des éons, ou à l’opinion païenne, qui composait en quelque sorte la divinité générale de la réunion des divinités particulières. Ainsi envisagé, ce texte renferme une des assertions les plus fortes en faveur du dogme ecclésiastique. Mais quand on ne voudrait voir dans l’expression de saint Paul que la plénitude des dons de Dieu, cela même impliquerait les attributs de Dieu ; car les bénédictions et les œuvres divines emportent avec elles les perfections divines. Si Christ donne la vie, c’est qu’il la possède en propre. Il a en lui toute la plénitude de la divinité et c’est là que les fidèles puisent grâce sur grâce (Jean 1.16). Le πληρωμα divin est en Christ, et c’est par lui qu’il se communique aux fidèles (Éphésiens 3.19). On a présenté ce dernier texte comme parallèle de Colossiens 2.9. Il ne l’est pas, bien s’en faut. D’après Col. ch. 2, toute la plénitude de la divinité est substantiellement en Christ ; d’après Eph. ch. 3, les disciples, par leur union avec Christ, participent à cette plénitude. Si Éphésiens 3.19 est parallèle de Colossiens 2.9 quant à la lettre, il l’est, pour le fond, de Jean 1.16.
Philippiens 2.6-8 : Ayez les mêmes sentiments qui étaient en Christ, lequel, étant en forme de Dieu, n’a pas regardé comme une usurpation d’être égal à Dieu ; mais il s’est anéanti Lui-même en prenant la forme de serviteur, etc. Ce passage, dont l’authenticité est constatée par les versions, les manuscrits, les Pères, et qui enseigne d’une manière si expresse la préexistence de Jésus-Christ, établit aussi, bien positivement, sa divinité. Sans entrer dans les discussions auxquelles il a donné lieu, bornons-nous à quelques remarques sur deux des termes de la proposition principale : μορφη Θεου et ισα Θεου.
Μορφη signifie proprement la forme, la figure, l’apparence extérieure et sensible… Mais, en ce sens, ce terme ne saurait s’appliquer à Dieu. Par une métonymie fréquente et par l’usage, cet arbitre des langues, ce mot servit aussi à désigner la nature, l’essence d’un être ou d’une chose. C’est en ce sens qu’il a été appliqué à Dieu par les philosophes, les Juifs hellénistes et les Pères de l’Église… Le sens de μορφη Θεου est d’ailleurs déterminé par son contraire μορφη δουλου qui, bien certainement, ainsi que ομοιωμα ανθρωπου, exprime, non pas seulement la ressemblance, mais l’identité, non pas seulement l’apparence extérieure de l’homme, mais la réalité de la nature humaine. C’est donc, à cette place, une expression de divinité proprement dite.
Ισα Θεου — Schleusner donne pour signification à ισος ° æqualis, par, scilicet quantitate, numero, magnitudine ; 2° idem, æqualis et similis natura. Il interprète Philippiens 2.6 : Dei personam sustinere, seu æqualem natura et majestate Deo esse ; sens qu’il légitime par des passages d’auteurs grecs (Cf. Jean 5.19). On a beau tourmenter ce texte pour l’enlever à la doctrine ecclésiastique, il lui reste par-delà toutes élaborations négatives.
On a demandé : Si Christ est Dieu dans le sens absolu du mot, comment concevoir qu’il se soit abaissé, dépouillé, anéanti, puisque Dieu est par nature toujours le même ?
Sans doute, la Divinité est en soi immuable, mais ses manifestations peuvent varier. Elle s’est voilée en Jésus-Christ sous la forme humaine ; fait nécessairement couvert de mystère, mais qu’atteste le témoignage d’En haut et qui s’impose par là. On a pu dire que le Seigneur s’est dépouillé de la gloire dont il jouissait avant la création, quand il est venu, homme de douleur, vivre au milieu des hommes et mourir pour eux. La doctrine scripturaire de son abaissement, loin d’être en opposition avec la croyance orthodoxe, n’a sa réalité qu’en elle et par elle. Dans l’humanitarisme, la vie terrestre de Jésus, au lieu d’être une humiliation, est, au contraire, une glorification, puisque c’est elle qui le fait Fils de Dieu.
1 Timothée 3.16 : Certainement le mystère de piété est grand : Dieu a été manifesté en chair, justifié par l’Esprit, etc. Nous citons ce passage controversé, parce que nous croyons que la leçon commune est la véritable.
Il y a trois leçons : ο, ος, Θεος εφανερωθη. La première est celle de la recension Occidentale de Griesbach, c’est-à-dire celle de trois ou quatre manuscrits et de la Vulgate qu’ont suivie naturellement les Latins. La seconde (ος) est celle de la recension Alexandrine, et Griesbach l’a adoptée. Elle a pour elle un grand nombre de manuscrits, plusieurs versions et plusieurs Pères, non les Pères en général, comme l’avait affirmé Griesbach. On a prouvé que la plupart d’entre eux, soit avant, soit après le concile de Nicée, sont pour Θεος, qui est la leçon de la recension Constantinopolitaine et qui a pour elle la majorité des manuscrits et la version Peschito. Si l’expression d’Ignace, dans son Épître aux Ephésiens : Θεου ανθροπινως φανερομενου est une allusion à notre passage, elle, montre comment on le lisait alors.
L’argument historique et critique ne laisse pas de doute que la vraie leçon ne soit l’une des deux dernières, (la première, ο, n’ayant guère au fond pour elle que la Vulgate,) c’est donc entre ces deux leçons qu’il faut opter. Il est aisé de comprendre que ος et Θεος aient été pris l’un pour l’autre et que celui-là se soit substitué à celui-ci, quand on sait que Θεος s’écrivait d’une manière abrégée par un θ et un ς (θς). Le trait de l’intérieur du θ pouvait être facilement négligé par le lecteur et oublié par le copiste. On l’omettait souvent dans les manuscrits en lettres onciales ; plusieurs ne l’ont pas dans notre passage, même, à εφανερωθη. Il est, certes, bien plus naturel de croire à l’altération de θς en οςo, qu’à l’altération contraire ; l’omission du trait se conçoit bien mieux que son intrusion.
Les considérations externes sont donc en faveur de Θεος. Les considérations internes le sont également. Si on lit ο arec la Vulgate, l’antécédent est μυστεριον, de sorte que c’est le mystère de piété qui a été manifesté en chair, vu des anges, élevé dans la gloire, ce qui n’a pas de sens. Si on lit ος, il faut ou supposer un antécédent, — ce qui est s’exposer à trouver dans le texte ce qu’on y a mis, — ou aller le chercher dans Χριστω Ιησου, au v. 13, en passant par-dessus les idées intermédiaires des v. 14 et 15, — ce qui est peu d’accord avec les vrais principes d’herméneutique — ou le prendre au v. précédent dans Θεου ζωντος, — ce qui est peu naturel, mais qui laisse le même sens qu’avec Θεος — Si on lit Θεος, les difficultés grammaticales disparaissent, le passage entier prend toute la clarté qu’il puisse avoir et se montre en parfaite harmonie avec la doctrine générale du Nouveau Testament. Les six propositions qu’il renferme s’appliquent pleinement à Jésus-Christ ; il est le Λογος qui était Dieu et qui s’est fait chair ; il reçut le témoignage de l’Esprit à son baptême et à la Pentecôte ; les anges le servirent ; il a été prêché aux Gentils, cru dans le monde et élevé dans la gloire. N’oublions pas le rapport de la leçon commune avec Jean 1.1-14 ; Ésaïe 7.14 ; Matthieu 1.23 ; Ésaïe 9.5-6. C’est la même doctrine et presque la même expression ; c’est partout la divinité revêtant l’humanité.
On fit peu d’usage de ce texte dans la controverse arienne, sans doute parce que le point en discussion n’était pas si Jésus-Christ est Dieu, ce que les Ariens accordaient, mais s’il l’est au sens absolu, ce que le texte ne dit pas.
Il est un point de critique grammaticale, vivement controversé a la fin du xviiie siècle, et d’où est sorti un principe dont nous devons dire quelques mots, parce qu’il s’étend à d’autres textes favorables à notre doctrine. Quand deux ou plusieurs noms personnels, du même genre, du même nombre et du même cas, sont unis par la copulative και, si le premier a l’article et que les suivants ne l’aient pas, ces noms se rapportent à la même personne. Cette règle, sans être absolue, non plus que la plupart des autres, règne partout dans le Nouveau Testament ; il n’est presque pas de chapitres qui n’en présentent quelque exemple. Elle règne aussi chez les classiques et chez les Pères (longue et ardente discussion à ce sujet, dans laquelle se distinguèrent surtout, en Angleterre, l’évêque Midletton et le docteur Wordsworth). Les unitaires ont fini par dire que c’était appuyer la foi sur des vétilles grammaticales que de lui chercher de pareilles bases. Ils auraient parlé autrement si le débat avait tourné en leur faveur, car il avait été provoqué par eux. Quel bruit n’ont-ils pas fait de la prétendue absence de l’article devant les mots Θεος ou Κυριος appliqués à Jésus-Christ !
Citons simplement les textes de cette catégorie. Et d’abord le plus important : Tite 2.13 — : ἐπιφάνειαν τῆς δόξης τοῦ μεγάλου θεοῦ καὶ σωτῆρος ἡμῶν Ἰησοῦ χριστοῦ. (Même déclaration 2 Pierre 1.1, avec la seule addition de μεγαλου, qui, du reste, mérite bien d’être notée). Outre l’argument tiré des principes de la langue, nous avons ici et l’opinion des Pères depuis Clément d’Alexandrie, qui a commenté Tite 2.13, dans ses Exhortations aux Gentils, et le fond du contexte, car l’επιφανεια de Jésus-Christ est partout annoncée dans le Nouveau Testament et forme un des grands objets de l’attente de l’Église ; mais il n’est parlé nulle part d’une manifestation future du Père ; il est dit, au contraire, que personne ne l’a vu ni ne peut le voir.
Éphésiens 5.5 : βασιλείᾳ τοῦ χριστοῦ καὶ θεοῦ
2 Thessaloniciens 1.12 : κατὰ τὴν χάριν τοῦ θεοῦ ἡμῶν καὶ κυρίου Ἰησοῦ χριστοῦ.
1 Timothée 5.21 : ἐνώπιον τοῦ θεοῦ καὶ κυρίου Ἰησοῦ χριστοῦ.
Jude 1.4 : ὸν μόνον δεσπότην θεὸν καὶ κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν χριστὸν ἀρνούμενοι. (Les versions Syriaque et Egyptienne portent : reniant le seul Dominateur, notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ).
Il est un dernier texte des Épîtres sur lequel nous devons nous arrêter encore un instant, savoir 1 Jean 5.20 : C’est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle. Le point en discussion est ουτος. Se rapporte-t-il a Dieu ou à Jésus-Christ ? Tout en reconnaissant l’incertitude que laisse à cet égard la forme générale du passage, nous croyons qu’on a droit de le ranger (quoiqu’en seconde ligne) parmi ceux qui attribuent les noms divins au Sauveur. En principe, le pronom doit être rapporté à l’antécédent immédiat, à moins que l’antécédent plus éloigné ne domine visiblement. Or ici, l’antécédent immédiat et dominant est Jésus-Christ ; c’est donc à lui que ce principe général conduit à rapporter ουτος. Remarquons, de plus, que c’est Jésus-Christ, et lui seul, qui est appelé dans saint Jean la vie éternelle (1 Jean 1.1-2 ; 5.11-12). Ajoutons que l’assertion : Il est le vrai Dieu aurait été sans motif et sans but à l’égard du Père ; elle reviendrait à dire que Dieu est Dieu ; personne, pas même les gnostiques, dont la plupart refusaient le titre de Dieu suprême au Dieu des Juifs, ne le contestait au Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous savons aussi que saint Jean aime à désigner Jésus-Christ par un pronom, comme si tout le monde devait connaître cet αυτος, cet εκεινος, qui remplit son esprit et son cœur.
L’exhortation qui termine, et ou l’on a voulu voir un avertissement contre la tendance à diviniser Jésus-Christ, mène bien plutôt à une induction contraire. Ne serait-il pas étrange que saint Jean ait fait précéder l’ordre de se garder des idoles, d’un passage tel que celui qui nous occupe, s’il avait eu la pensée qu’on lui prête ? Au moment où il aurait été préoccupé de la crainte que l’Église ne tombât dans une idolâtrie nouvelle, se serait-il exposé à l’y pousser lui-même par l’équivoque de son langage ?
Ce texte demeure, croyons-nous, à la doctrine ecclésiastique ; mais quand elle devrait en faire l’abandon, elle n’en souffrirait point, tant les autres sont nombreux et positifs.
Nous avons pour résultat, sur ce premier point de notre recherche, que Jésus-Christ est appelé Dieu dans le sens absolu, le vrai Dieu, le grand Dieu, Dieu sur toutes choses, béni éternellement, et que les écrivains sacrés lui appliquent une foule de paroles dites primitivement de Jéhovah.
Qu’on se rappelle que l’Éternel, qui se nomme le Dieu jaloux, a déclaré qu’il ne donnerait ni sa gloire ni son Nom à un autre (Ésaïe 42.8 ; 43.11 ; 44.6-8 ; 45.5, 14, 21) et qu’on se demande, dans l’esprit des Écritures, quel est Celui à qui elles donnent tous les noms de la Divinité.