Et voici que nos hérétiques s’emparent d’un autre texte pour rabaisser la nature du Christ : « Quant au jour et à l’heure, personne ne les connaît, ni les Anges dans le ciel, ni le Fils, personne d’autre que le Père » (Marc 13.32).
Selon eux, le fait que le Christ ait ignoré le jour et l’heure du jugement serait donc un argument pour ne pas le croire Fils unique de Dieu : le Dieu né de Dieu ne jouirait pas en perfection de la nature divine, puisqu’il serait le sujet d’une ignorance invincible ; dès lors, une force extérieure à lui, plus puissante que lui, le retiendrait contre son gré, captif d’une ignorance qui serait le fruit de sa faiblesse.
Bien plus, l’acharnement des hérétiques prétend nous forcer d’admettre cette interprétation impie : il est quasi nécessaire, disent-ils, de croire qu’il en est ainsi, car ce sont les propres paroles du Seigneur, et ce serait le comble de l’impiété de changer le sens d’une affirmation tout à fait nette du Seigneur, en raison d’une opinion née d’une interprétation différente.
Tout d’abord, avant de rechercher le motif et l’occasion de cette répartie, faisons appel au jugement du simple bon sens : Est-il croyable que l’Auteur de toutes choses, présentes ou futures, ait ignoré l’une d’entre elles ? Si en effet, tout existe par le Christ et dans le Christ, et si tout est si bien « Par lui », que tout est « En lui » (Colossiens 1.16), comment ce qui n’est pas hors de lui et sans lui, pourrait-il échapper à sa science, alors que la puissance de sa nature qui sait tout, appréhende habituellement ce qui n’est ni en elle, ni par elle ?
Or il est des choses qui n’existent que par lui et ne trouvent qu’en lui le principe de leur existence actuelle ou future, et il ne les saisirait pas en lui ? Mais comment resteraient-elles étrangères à la science qui caractérise sa nature, une science qui connaît et contient tout ce qui va arriver ?
En fait, le Christ Seigneur n’ignore pas les pensées des hommes connaît celles que leur suggèrent leurs impressions du moment, et il perçoit même celles qui naîtront de leurs désirs futurs ; l’Evangéliste s’en porte garant : « Jésus savait en effet, dès le commencement, quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui devait le trahir » (Jean 6.64). La puissance de sa nature lui permet donc de connaître les réalités à venir, et il n’ignore pas les souffles des passions qui sont de nature à troubler les âmes encore en repos ; dès lors, allons-nous supposer qu’il ignore ce qui existe par lui et en lui ? S’il était à même de percer les pensées d’autrui et incapable de savoir ce qui le concerne, pourrions-nous évoquer ce qui est écrit de lui : « Tout a été créé par lui et en lui, et il est lui-même avant toute créature » (Colossiens 1.16-17), ou encore : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude, et par lui, à réconcilier tous les êtres en lui » (Colossiens 1.19-20).
Toute plénitude est donc en lui, tout est réconcilié par et en lui, et nous attendons ce jour où nous serons réconciliés. Et lui, le Christ, ignorerait-il ce jour, alors que le moment du jugement dépend de lui, et que c’est par le mystère de son humanité qu’il se fera ? Car c’est bien du jour de son avènement que l’Apôtre dit : « Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, vous aussi, vous apparaîtrez avec lui dans la gloire » (Colossiens 3.4).
Allons, personne n’ignore ce qui existe par lui et en lui ! Le Christ doit venir, et il ignorerait le jour de sa venue ? Mais c’est son jour, selon le même Apôtre : « Car le jour du Seigneur viendra, tel un voleur, durant la nuit » (1 Thessaloniciens 5.2), et nous nous imaginerions que le Christ ignorerait ce jour ? Les hommes, dans la mesure où cela dépend d’eux, prévoient ce qu’ils ont résolu d’accomplir, et l’on décide ce qu’il faudra faire, après avoir eu le dessein d’agir ; et celui qui est né Dieu, ignorerait ce qui existe en lui et par lui ? Mais c’est par lui que les temps existent, et le jour du jugement est en lui ; car l’organisation de l’avenir dépend de lui et le temps fixé pour sa venue est dans ses mains ! Serait-il stupide au point qu’à la manière des brutes et des bêtes sauvages, la sensibilité réduite d’une nature amorphe le laisserait dans l’ignorance de ce qui existe par lui ? Celles-ci ont une âme sans raison incapable de réfléchir et de prévoir, elles ignorent ce qu’elles font ; mues par une sorte de mouvement né d’une volonté aveugle, elles sont portées à une conduite qui est soumise à l’occasionnel et au hasard.
S’il ignore le jour de sa venue, en sommes-nous réduits à croire que le Seigneur de gloire possède une nature incomplète et imparfaite, soumise comme par contrainte à un avènement dont elle est incapable de connaître le jour ? Mieux vaudrait attribuer à Dieu le Père une ignorance qui le rendrait incapable de communiquer sa science !
Mais alors, quel redoublement d’impiété que de reprocher d’abord une infirmité au Fils, et ensuite un défaut à Dieu le Père ! Celui-ci priverait de la connaissance de ce jour Dieu, l’Unique Engendré, le Fils qu’il chérit, et par un sentiment de jalousie, il refuserait au Fils de connaître la fin des temps ? Il lui permettrait de connaître le jour et l’heure de sa Passion, mais il ne souffrirait pas qu’il sache le jour où il lui sera donné de se manifester dans sa puissance, l’heure de sa glorification parmi ses saints[63] ?
[63] Cf. 2 Thessaloniciens 1.10.
Quelque chose se révolte en chacun à cette idée, notre conscience n’ose se permettre ce jugement sur Dieu et lui attribuer les défauts de l’humanité versatile : non, le Père ne peut refuser à son Fils quelque perfection, le Dieu né ne peut ignorer le moindre événement !
Or Dieu ne saurait être qu’amour, il ne saurait être que Père. Et celui qui aime ne porte pas envie, celui qui est Père, est Père de tout son être. En effet, le nom de Père n’admet pas de milieu : on n’est pas père sous un aspect, tout en ayant une conduite opposée à celle d’un père sous un autre aspect. Le Père est Père selon toutes les perfections qu’il possède ; il se retrouve tout entier en celui pour lequel sa paternité s’exerce totalement. Il n’est pas Père pour garder pour lui ce qui lui appartient, mais c’est en ces perfections qui le font être ce qu’il est, qu’il est entièrement Père pour le Fils qui procède de lui.
Selon la nature de nos corps humains qui sont un assemblage d’éléments disparates et qui existent à partir d’éléments multiples, un père ne peut être père sans communiquer tout ce qu’il est, puisqu’une naissance parfaite conserve aux fils aussi bien ce qui constitue l’ensemble du corps que chacune de ses parties. Un père est donc père de tout ce qu’il est ; un fils vient de tous les éléments du père et les garde.
Mais en Dieu, il n’y a pas d’éléments corporels, il est un être simple : sans parties, il est un tout et il est partout ; il n’est pas composé d’éléments vivifiés, mais il est la vie ; tout entier le Vivant, Dieu est aussi tout entier l’Unique, puisqu’il n’est pas composé de parties, mais parfait par suite de sa simplicité. Il est donc nécessaire que Dieu, en tant que Père, soit Père en tout ce qu’il communique de lui-même à celui que, Père tout entier, il engendre de lui-même. Car la naissance parfaite du Fils assure la perfection du Père en tout ce qu’il a.
Si donc, Dieu a en propre d’être Père du Fils, le Fils demeure nécessairement dans cette nature qui est propre au Père. Mais comment estimer qu’il y demeure, s’il ne jouit pas de la prescience propre à cette nature, s’il est privé par son Auteur de quelque perfection due à cette naissance ? Car il manquerait à peu près de tout, s’il n’avait pas ce qui fait la caractéristique de Dieu. Et qu’est-ce qui fait la caractéristique de Dieu, si ce n’est de connaître l’avenir ? Car sa nature, capable de donner l’existence à des créatures que nous ne voyons pas, et à des êtres encore inexistants, embrasse en elle ce qui n’existe pas encore et sera dans la suite.
Paul, le Docteur des Nations, ne veut pas nous voir faire nôtre cette erreur impie, et soutenir que Dieu, le Fils unique, ignore quelque chose. Il dit en effet : « Etablis dans l’amour, ils [les croyants] accèdent en toute sa richesse à la plénitude de l’intelligence, à la connaissance du mystère de Dieu, le Christ en qui se trouvent cachés tous les trésors de la science et de la sagesse » (Colossiens 2.2-3).
Dieu le Christ est un mystère, et en lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science. Or une partie et le tout ne sont pas la même chose : la partie n’est pas le tout, et le tout ne saurait être compris comme étant une partie. Si donc le Fils ignore le jour de son avènement, tous les trésors de la science et de la sagesse ne sont pas en lui ; mais si tous les trésors de la science et de la sagesse sont en lui, il n’ignore pas ce jour, lui qui possède en lui tous les trésors de la science. Toutefois il est bon de nous rappeler que ces trésors de science sont cachés en lui ; qu’ils y soient cachés ne veut pas dire qu’ils n’y sont pas : le Christ est Dieu, ils sont en lui ; le Christ est un mystère, ils sont cachés en lui.
Mais ce mystère de Dieu le Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la science, ne nous est ni caché, ni ignoré. Et puisqu’il s’agit d’un mystère, voyons si le Christ ignore vraiment ce qu’il avoue ne pas savoir. Car si, en d’autres endroits, son affirmation qu’il ne sait pas n’a pas à être comprise comme un aveu d’ignorance, ici aussi, il serait possible qu’il sache ce qu’il nous dit ne pas savoir. Car puisqu’en lui sont cachés tous les trésors de la science, son ignorance pourrait être une disposition providentielle plutôt qu’un défaut de connaissance, et tu aurais là le motif de son ignorance, sans pourtant être forcé de l’interpréter comme une absence de science.
De fait, chaque fois que Dieu affirme ignorer quelque chose, il ne saurait être limité par une ignorance, bien qu’il avoue ne pas savoir : lorsqu’il nous dit qu’il ne sait pas, le défaut de l’ignorance n’est pas en cause, mais c’est qu’il n’est pas opportun de parler, ou que le temps d’agir n’est pas venu.
Dieu parle à Abraham en ces termes : « Le cri qui monte de Sodome et de Gomorrhe est bien fort, et leurs péchés sont énormes. Je vais donc descendre et je verrai si, selon leur clameur, leur crime est arrivé à son comble ; s’il n’en est pas ainsi, je le saurai » (Genèse 18.20-21). Voilà donc un Dieu qui ne sait pas ce que pourtant il connaît. Car il le sait : ces péchés sont énormes, et par ailleurs, il descend pour savoir ce qu’il en est, si leur crime est à son comble ou s’il n’en est pas ainsi.
Comprenons-le : ici, Dieu n’est pas sans savoir, bien qu’il dise ne pas savoir, mais il veut savoir, parce que le temps est venu d’agir. Savoir, pour Dieu, n’est donc pas sortir de l’ignorance, mais exprimer qu’un temps est arrivé à son terme. En effet, il attend encore pour savoir. Et puisque nous ne pouvons supposer en lui une ignorance, et puisqu’il attend encore pour savoir, c’est que ce qu’il ne sait pas en le sachant, et ce qu’il sait en l’ignorant, n’est autre chose que l’expression du dessein de sa providence[64], selon lequel il parle ou il agit.
[64] Dispensatio = Oikonomia. Formule d’Hilaire très concise : « loquendi dispensatio sit vel gerendi ».
Cela ne fait donc aucun doute : la science de Dieu est à mettre en relation avec un temps opportun pour agir, plutôt qu’avec un changement de sa part ; car le fait que Dieu sache quelque chose, exprime qu’il est temps de manifester qu’il le sait, et non pas qu’il ait à l’apprendre.
L’avertissement adressé à Abraham nous l’enseigne aussi : « Ne porte pas la main sur l’enfant et ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains le Seigneur ton Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils bien-aimé » (Genèse 22.12). Ainsi Dieu connaît maintenant. Mais connaître maintenant, laisse entendre qu’auparavant, on ne connaissait pas. Or un tel défaut n’est pas le fait de Dieu, celui-ci n’ignorait pas auparavant la fidélité d’Abraham, dont il est écrit : « Abraham eût foi en Dieu et celui-ci le lui compta comme justice » (Genèse 15.6). Si Dieu l’apprend « maintenant », c’est que le temps est venu pour Abraham de recevoir de la part de Dieu ce témoignage de fidélité, mais ce n’est pas que Dieu commence à le savoir. Car Abraham avait prouvé son amour envers Dieu par l’holocauste de son fils ; Dieu le sait au moment où il en parle. Mais comme nous ne pouvons supposer que Dieu l’ignorait auparavant, nous devons entendre que si Dieu nous dit qu’il le connaît « maintenant », c’est parce qu’il exprime alors cette connaissance par la parole.
L’Ancien Testament contient bien d’autres passages qui nous parlent de la connaissance de Dieu. Nous ne rapportons que ceux-ci, à titre d’exemples : ce que Dieu ne sait pas ne doit pas être compris comme une ignorance de Dieu, mais cela signifie que le moment n’est pas venu pour lui d’agir.
Nous constatons aussi dans les Evangiles, que le Seigneur ignore bien des choses, tout en les connaissant. Il ne connaît pas ceux qui commettent l’iniquité, mais se glorifient des nombreuses merveilles qu’ils ont accomplies en son nom. Il leur dit en effet : « Alors, je le jurerai : Je ne vous connais pas. Retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité ! » (Matthieu 7.23). Eh oui, il affirme sous serment qu’il ne les connaît pas, alors qu’il sait bien qu’ils commettent le mal. Il ne les connaît pas ; et pourtant, ce n’est pas qu’il ne les connaisse pas, mais c’est qu’ils ne sont pas dignes d’être connus de lui, par suite de l’iniquité de leurs œuvres. Il souligne même la confiance que mérite sa parole sous la foi du serment, lui qui, par la puissance de sa nature, ne pouvait être ignorant, et qui dans le mystère de sa volonté, se refusait à savoir.
Dieu le Fils unique, ne connaît pas non plus les vierges sottes ; entré dans la salle des noces de son glorieux avènement, il ne veut pas reconnaître celles qui négligèrent de prendre de l’huile avec elles. Celles-ci se présentent à la porte et l’implorent, et il les connaît si bien qu’il leur répond : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas ! » (Mt 25,12). Car, puisque les voilà qui le prient devant la porte, elles ne sauraient être ignorées de lui ; mais s’il leur répond qu’il ne les connaît pas, ce n’est pas faute d’avoir une nature divine, mais de par sa volonté à leur égard : les vierges sottes sont indignes d’être connues par celui à qui rien n’est inconnu.
De fait, pour nous éviter d’attribuer son ignorance à un défaut, le Seigneur ajoute immédiatement à l’adresse de ses Apôtres : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure » (Matthieu 25.13). S’il les avertit de veiller parce qu’ils ne savent ni le jour, ni l’heure, nous reconnaissons par là que s’il n’a pas connu ces vierges, c’était parce que, négligentes et somnolentes, elles s’étaient ainsi rendues indignes d’entrer dans la salle des noces, faute de s’être pourvues d’huile pour leur lampe.
Le Seigneur Jésus-Christ, le « Dieu qui scrute les reins et les cœurs » (Psaumes 7.10), n’a donc pas une nature si débile qu’il ignore quelque chose : par la science dont jouit sa nature, il perçoit cela même qu’il ignore. Mais s’il en est qui par hasard, lui attribuent une ignorance, qu’ils craignent de voir celui qui connaît leurs pensées leur adresser ce reproche : « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? » (Matthieu 9.4).
Il n’a rien d’un ignorant, lui qui voit nos pensées et nos actions, s’il pose des questions, comme s’il ne connaissait pas nos faits et gestes, lorsque par exemple, il s’adresse à la femme qui toucha la frange de son vêtement[65], aux Apôtres qui se disputent entre eux[66], à ceux qui pleurent devant le tombeau de Lazare[67] ; interprétons ceci en reconnaissant une ignorance qui n’est pas un non-savoir, mais qui n’est que verbale. Il est en effet, difficile d’admettre que celui qui, absent, avait su que Lazare était mort et enseveli[68], n’ait pas connu l’emplacement de son sépulcre ; que celui qui voit les pensées des cœurs, n’ait pas remarqué la foi de la femme ; que celui qui n’a pas besoin de poser des questions ait interrogé les Apôtres sur la cause de leur querelle[69]. Non, pour lui qui connaît tout, c’est parfois un secret dessein de dire qu’il ne connaît pas cela même qu’il n’ignore pas.
[65] Cf. Marc 5.30.
[66] Cf. Marc 9.32.
[67] Cf. Jean 11.34.
[68] Cf. Jean 11.14.
[69] Cf. Jean 16.30.
Ainsi, dans le cas d’Abraham, il cache sa science pour un temps, lorsqu’il s’agit des vierges sottes et de ceux qui commettent l’iniquité, il ne veut pas connaître ces gens qui se sont rendus indignes de lui, et quand il est question du mystère du Fils de l’homme, s’il interroge comme s’il ignorait, c’est parce qu’il est homme. En tout ce qui relève de sa véritable naissance corporelle, il se met au niveau de la faiblesse de notre nature : ce n’est pas qu’il ait une nature limitée, lui qui est Dieu, mais c’est parce que ce Dieu né comme homme, a pris sur lui les limites des hommes. Il les a prises sur lui non pour que sa nature immuable en soit réduite à n’être plus qu’une nature misérable, mais pour réaliser dans sa nature immuable, le mystère de la prise en charge de notre nature. Car c’est bien celui qui était Dieu qui devient homme, et cet homme ne cesse de demeurer Dieu.
C’est pourquoi, agissant comme un homme né de la chair, et se révélant comme tel tout en demeurant Dieu le Verbe, on trouve très souvent sur sa bouche cet aveu qu’il est homme, alors que fréquemment, ces mots qui sont ceux de l’homme, affirment hautement qu’il est Dieu : ce qu’il ne sait pas, c’est ce qu’il n’est pas encore temps de révéler, ou ce qui ne mérite pas d’être connu.
Nous voilà amenés à comprendre pourquoi le Seigneur affirme qu’il ignore le jour du jugement. Si nous nous imaginions qu’il l’ignore tout à fait, l’Apôtre nous réfuterait par ces mots : « Lui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Colossiens 2.3). La science est donc cachée en lui. Elle est cachée, cela suppose que parfois elle prenne des dehors d’une ignorance, ce qui lui permet de rester cachée. Car si elle était manifestée, elle ne demeurerait plus dans le secret. Le Christ dit donc qu’il n’en sait rien, pour que sa science demeure cachée. S’il ignore pour garder sa science cachée, celui qui sait tout n’ignore pas du fait de sa nature, mais il ignore seulement pour garder un secret. Or pourquoi la connaissance du jour du jugement a-t-elle été cachée ? La réponse est claire. Le Seigneur qui nous exhorte à demeurer toujours dans l’attente avec une foi constante, nous prive de la sécurité que nous donnerait une connaissance certaine de ce jour ; de la sorte, notre esprit, inquiet par l’incertain d’un délai dont on ne connaît pas le terme, continue d’espérer dans une attente continuelle, guettant sans cesse le jour de sa venue et s’y préparant avec ardeur. Gardant l’heure incertaine, il maintient ainsi en éveil le souci d’attendre, sans pourtant qu’il y ait à douter de l’imminence du temps du jugement. C’est pourquoi le Seigneur nous avertit : « Ainsi donc, tenez-vous prêts, vous aussi, car vous ne savez pas à quelle heure le Fils de l’homme viendra » (Matthieu 24.44). Et encore : « Heureux le serviteur qu’à son retour, le Maître trouvera occupé de la sorte » (Matthieu 24.46).
L’ignorance du jour du jugement n’a donc pas pour but de nous induire en erreur, mais elle doit nous permettre de persévérer dans le bien. Connu, nous en aurions tiré un désavantage ; inconnu, c’est pour nous un avantage : ainsi, la sécurité, fruit de la connaissance de ce jour, n’engendre pas le laisser-aller d’une foi qui n’en aurait que le nom, mais l’attente vigilante d’un jour indéterminé nous tient constamment préparés. Un souci de cette nature nous fait craindre la venue du Seigneur comme on craindrait l’intrusion d’un voleur qui choisit le temps du sommeil pour commettre son larcin ; dès lors, le maître de la maison est toujours sur ses gardes, dans la crainte d’un, désastre[70].
[70] Cf. Matthieu 24.43.
Voilà donc un point éclairci : l’ignorance de Dieu n’est pas une ignorance, mais un mystère. Selon le dessein secret de son action, de ses affirmations et de ses manifestations, il ignore alors qu’il sait, et il sait alors qu’il ignore.
Toutefois, nous devons rechercher s’il est vrai que le Fils serait limité au point de ne pas savoir ce que sait le Père. Il peut connaître les pensées du cœur humain, soit, mais c’est parce qu’une nature plus puissante a part au mouvement d’une nature qui lui est inférieure, la pénétrant, telle une matière inerte, de sa force invincible. Par contre, une nature inférieure se trouve impuissante à pénétrer une nature plus forte qu’elle : ce qui est léger se laisse traverser par ce qui est lourd, les éléments raréfiés par les corps denses, les liquides par les solides. Mais au contraire, les corps lourds sont imperméables aux corps légers, les corps denses aux éléments raréfiés, les solides aux liquides. Ceci parce que les corps robustes ne donnent pas entrée aux corps fragiles, tandis que les corps tendres se baissent pénétrer par les corps solides.
C’est pourquoi, nous disent les impies, le Fils ignore les pensées de Dieu le Père : puisqu’il est débile, il ne va pas entrer dans un plus puissant que lui, le faible ne traversera pas le fort.
Si quelqu’un ose parler ainsi à la légère de Dieu, le Fils unique, et de plus, entretenir dans son cœur des pensées impies, qu’il écoute ce que nous enseigne l’Apôtre en parlant du Saint-Esprit, lorsqu’il écrit aux Corinthiens : « Or c’est à nous que Dieu l’a révélé par son Esprit : l’Esprit en effet, scrute tout, même les profondeurs de Dieu. Qui donc chez les hommes connaît ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu » (1 Corinthiens 2.10-11).
Mettant donc de côté les exemples illusoires tirés des réalités matérielles, faisons-nous une idée de Dieu d’après ce que nous dit Dieu, jugeons l’Esprit d’après l’Esprit, en fonction de sa puissance plutôt que selon les conditions qui sont celles des êtres vivants sur la terre. Mesurons-le, non selon notre intelligence, mais d’après ce que Dieu nous révèle. Croyons à celui qui affirme : « Qui m’a vu, a vu le Père » (Jean 14.9). N’ignorons pas celui qui nous demande : « Croyez du moins à mes œuvres que le Père est en moi, et moi dans le Père » (Jean 10.38). Ne méconnaissons pas celui qui nous assure : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30).
Si en effet, le simple vocabulaire interprété selon les lois de l’intelligence humaine, vient appuyer notre pensée, celui que notre intelligence voit en quelqu’un, a la même nature que lui ; il ne diffère pas de manière d’être, celui qui, ayant quelqu’un en lui, demeure en celui qui demeure en lui ; ils ne sont pas divers, ceux qui sont un. Là où la nature n’est pas différente, comprends qu’elle est une. Saisis par ailleurs, à quelle profondeur se situe le mystère d’une nature indivisible, puisque l’Un est le miroir de l’Un. Mais s’il est miroir, ce n’est pas que son éclat reflète l’image d’une nature extérieure à lui-même, mais c’est qu’en tant que Vivant, il est identique en sa nature, à la nature du Vivant, son Père. En effet, il est toute la nature divine, procédant de toute la nature divine, puisque cette nature étant celle de l’Unique-Engendré, a le Père en elle et demeure dans le Père, puisque le Fils est Dieu.
Aussi, puisque les hérétiques ne peuvent nier que ces paroles du Seigneur expriment le mystère de sa naissance, ils s’efforcent de les esquiver en les rapportant à une harmonie des volontés : il n’y aurait pas en Dieu le Père et en Dieu le Fils, une seule divinité, mais une seule volonté. L’expression qui nous a traduit l’enseignement divin serait très condensée, et le Seigneur n’aurait pas pris le temps de dire : « Moi et le Père, nous voulons une même chose », mais tel serait tout de même bien le sens de : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30). Ou encore, le Christ, ignorant les tournures de style, aurait voulu dire : « Celui qui a vu ma volonté, a vu aussi la volonté de mon Père », et il aurait dit : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père » (Jean 14.9). Ou ailleurs, le Seigneur n’aurait pas employé ces termes : « La volonté de mon Père est en moi, et ma volonté est dans mon Père », mais ceci est bien l’expression exacte de : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14.10).
Toute cette exégèse ne tient pas debout, elle est infâme et impie ! Le simple bon sens ne peut admettre ce que veulent nous faire entendre ces ridicules propos, à savoir que le Seigneur ne puisse exprimer ce qu’il veut dire, ou qu’il faille comprendre autre chose que ce qu’il nous dit. – Certes, nous trouvons dans son langage un usage constant d’allégories et de paraboles, mais confirmer ses propos par des exemples, répondre à la dignité du sujet par des comparaisons, ou adapter sa parole aux besoins du moment est toute autre chose que ce que l’on veut nous faire admettre –. Ici du moins, le passage dont il est question et qui concerne l’unité du Père et du Fils, ne souffre pas qu’on lui donne une autre signification que le sens suggéré par les mots eux-mêmes.
Si en effet, le Père et le Fils étaient un, uniquement par une unité de volonté, des natures séparables qui, par l’opposition de leur manière d’être, se différencieraient nécessairement en des volontés différentes en raison de la diversité de leur nature, ne sauraient avoir une même volonté ; comment donc pourraient-ils alors avoir la même volonté, ceux qui n’ont pas la même science, puisque le savoir et le non-savoir dans une seule volonté, empêcherait d’affirmer l’unité de cette volonté ? L’ignorance est le contraire de la science, aussi des êtres chez qui se rencontreraient ces contraires, ne sauraient avoir un même vouloir.
Mais si le Fils nous dit que le Père seul, connaît le jour du jugement, nous voilà sûrs qu’il ignore quelque chose, ce Fils qui nous avoue qu’il ne connaît pas ce jour[71]. Oui, tout à fait d’accord, si le Christ n’avait pas affirmé que le Père seul connaît ce jour, notre interprétation aurait couru un grave danger, car nous serions en droit de penser que lui, il ne le connaît peut-être pas. Mais, puisque l’ignorance du Fils est due à un plan providentiel qui le porte à cacher sa science, plutôt qu’à une incapacité de connaître qui affligerait sa nature, si le Fils affirme ici que le Père seul connaît ce jour, n’allons pas croire que lui, il l’ignore ! En effet, nous l’avons dit plus haut[72], connaître, pour Dieu, ce n’est pas prendre conscience d’une chose ignorée, mais dire ce qu’il sait. Et si le Père seul connaît, n’y voyons pas une preuve de l’ignorance du Fils. Car si le Fils nous déclare qu’il ne connaît pas ce jour, c’est pour que d’autres que lui ne le sachent pas ; et s’il nous assure que le Père seul, le connaît, cela ne veut pas dire que lui-même l’ignore.
[71] Cf. Marc 13.32.
[72] Cf. chap. 63-65.
De fait, si Dieu nous dit qu’il ne cache pas son dessein à Abraham[73] parce qu’il se sait aimé d’Abraham, nous voilà bien forcés d’admettre que si le Père connaît ce jour, il ne l’a pas caché à son Fils ! Par ailleurs, nous savons que Dieu n’acquiert pas sa science par une perception soudaine, mais qu’il la manifeste lorsque l’occasion en est venue. Si donc le Fils, par un dessein secret, ne connaît pas ce jour, c’est pour qu’il reste caché ; mais par contre, il nous apprend que le Père seul le sait, pour nous montrer que pour lui, ce jour ne reste pas secret.
[73] Cf. Genèse 18.17.
Loin de nous la pensée que les modifications qui résultent des changements qui affectent les êtres corporels, se retrouvent dans le Père et le Fils ; n’allons pas nous imaginer que le Père adresse la parole à son Fils, et ensuite se tait ! Certes, nous avons présent à la mémoire que parfois, une voix s’est faite entendre du ciel à notre intention[74], mais c’était pour que la parole du Père fortifie notre foi dans le mystère qu’est le Fils, comme le précise le Seigneur : « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est faite entendre, mais pour vous » (Jean 12.30).
[74] Cf. Matthieu 3.17 ; 17.5 ; Jean 12.28.
D’ailleurs, la nature divine n’a pas besoin des combinaisons compliquées qui permettent à l’homme de s’exprimer, telles que le mouvement de la langue, la position des lèvres, l’émission du souffle, l’expulsion de l’air : Dieu est simple. C’est à notre foi de le concevoir, à notre amour de le reconnaître, mais notre pensée n’a pas à le scruter, mais à l’adorer. Car une nature limitée et infirme comme la nôtre, ne saurait embrasser par les concepts de son intelligence, le mystère d’une nature infinie et toute-puissante.
Non, Dieu ne connaît pas la diversité qui résulterait d’une divinité composite : chez lui le vouloir ne suit pas l’indécision, la parole ne succède pas au silence, ni l’action au repos. N’allons pas croire que sa volonté doive être mise en mouvement pour qu’il veuille, ni qu’il ne puisse parler sans qu’un silence précède ses mots, ni qu’il n’agisse que lorsqu’il se met à l’œuvre ! Il ne saurait être soumis aux lois de la nature, celui de qui toute nature tire sa loi. Son action ne saurait être limitée par quelque faiblesse ou changement, celui dont la puissance ne connaît pas de mesure, selon la parole du Seigneur : « Père, tout t’est possible » (Marc 14.36). Aussi est-il capable de merveilles que ne saisit pas la pensée des hommes.
Or par ces mots : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement » (Jean 5.19), le Fils prend garde de se priver de sa Toute-Puissance. Là où il n’y a pas de faiblesse, il n’y a pas de difficulté à agir ; seule une puissance incapable d’agir se heurterait à une difficulté. La cause d’une difficulté provient d’un manque de force. Mais une puissance sans limite n’est pas arrêtée par cette loi dictée par la faiblesse.
Nous l’avons donc prouvé : il n’y a pas lieu de penser que le Père a parlé à son Fils après avoir gardé le silence, ou que le Fils ait acquis une connaissance après un temps d’ignorance. Mais notre intelligence a besoin de recevoir son enseignement en des termes conformes à notre nature. Elle ne comprend ce qu’on veut lui montrer qu’avec l’aide de paroles ; pour ne plus ignorer quelque chose, il faut qu’elle l’ait apprise.
C’est pourquoi, si le Fils nous dit qu’il ignore le jour du jugement, c’est pour nous le cacher. Et s’il affirme que le Père seul, le connaît, c’est parce que celui-ci l’a révélé uniquement à son Fils. Mais, comme nous l’avons signalé, le Fils n’est pas soumis aux infirmités inhérentes à notre nature, pour qu’il connaisse juste quand il cesse d’ignorer, ou apprenne seulement lorsque le Père commence à parler. Par ces mots : « Tout ce qu’a le Père, est à moi » (Jean 16.15), le Christ nous enseigne en des termes qui ne laissent planer aucune équivoque, l’unité de sa nature avec celle du Père, du fait qu’il est son Fils unique. Car il ne parle pas ici d’une acquisition qu’il viendrait de faire : autre est d’avoir quelque chose à soi sans être celui qui possède l’existence, autre est d’être celui-là même, et ce qu’il possède ; c’est une chose d’avoir pour biens le ciel, la terre, l’univers entier, et c’est autre chose de signifier que l’on existe soi-même, avec tous les biens qui nous appartiennent : ce que Dieu possède, il ne le possède pas comme quelque chose qui lui serait surajouté de l’extérieur, mais lui-même existe en ce qu’il possède.
Ici donc, le Fils nous exprime sa nature divine, puisque tout ce qu’a le Père est à lui, et non pas une participation à des biens qui lui auraient été donnés. Car en ce passage où il nous affirme que le Saint-Esprit recevra de lui, le Christ nous dit : « Tout ce qu’a le Père est à moi, et c’est pourquoi j’ai dit : Il recevra de moi » (Jean 16.15). Si l’Esprit reçoit du Fils, il serait difficile d’admettre qu’il ne reçoive pas aussi du Père ; ou s’il prend de ce qui est au Père, on ne comprendrait guère qu’il ne prenne pas aussi de ce qui est au Fils. Car l’Esprit-Saint, lui qui est l’Esprit de Dieu, n’a rien à prendre chez les créatures pour que l’on s’imagine qu’il reçoive quelque chose des créatures, sous prétexte que toutes, elles appartiennent à Dieu. Non, ce n’est pas en ce sens que tout ce qui est au Père est au Fils : ce que l’Esprit prend du Fils, il le prend aussi du Père, puisque, comprenons-le, tout ce qu’a le Père, le Fils l’a aussi.
Ainsi la nature du Fils n’a que faire de changement, d’interrogation ou de réponse, pour passer de l’ignorance à la science, pour interroger après un temps de silence, ou pour écouter après une interrogation. Mais demeurant parfaite dans sa mystérieuse unité, elle reçoit tout de Dieu, lorsqu’elle en reçoit la naissance. Possédant tout, elle détient aussi ce qui est contenu dans ce tout, c’est-à-dire la science et la volonté. Le Fils n’apprend donc pas à la suite d’une interrogation ce que connaît son Père, pas plus qu’il ne veut ce que veut son Père, sur un ordre de celui-ci. Mais puisqu’il possède tout ce qui appartient au Père, c’est ce qui caractérise sa nature, de vouloir et de savoir tout ce que sait et veut le Père.
La plupart du temps, le Fils se présente en tant que personne ; il dit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jean 6.38). Il fait la volonté de son Père, et non la sienne ; de ce fait, puisqu’il parle de la volonté de celui qui l’a envoyé, il témoigne de l’existence du Père. Or qu’il veuille aussi tout ce que veut le Père, il nous le montre sans ambiguïté : « Père, dit-il, je veux que ceux que tu m’as donnés, soient aussi avec moi, là où je suis » (Jean 17.24). Ainsi le Père veut que nous soyons avec le Christ en qui, selon l’Apôtre, « Il nous a choisis avant la création du monde » (Éphésiens 1.4), et c’est cela même la volonté du Fils : que nous soyons avec lui. La volonté du Fils est donc la même que celle du Père, en ce qui regarde la nature ; mais pour manifester sa naissance, le Christ distingue la volonté du Père et la volonté du Fils.
Le Fils n’ignore donc pas ce que n’ignore pas le Père. Et si le Père seul connaît, ce n’est pas que le Fils ne le sache : mais, puisque tous deux demeurent dans l’unité d’une seule nature, si le Fils « en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Colossiens 2.3), ignore quelque chose, c’est chez lui un dessein secret de se taire, comme l’affirme le Seigneur lorsqu’il répond à ses Apôtres qui s’enquièrent de la fin des temps : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa puissance divine » (Actes 1.7). Le Christ veut les laisser dans l’ignorance, et non seulement ils n’ont pas à connaître la fin des temps, mais ils n’ont même pas à s’en inquiéter, ce n’est pas leur affaire !
Oui, mais ici, les Apôtres interrogent le Seigneur après sa résurrection ; lorsqu’ils avaient posé cette question avant la résurrection, le Christ leur avait répondu qu’il n’en savait rien. On pourrait croire qu’ils n’ont pas compris que le Fils ignore ces temps, bien qu’ils l’aient entendu de leurs oreilles leur dire qu’il ne les connaissait pas, puisque maintenant, ils l’interrogent à nouveau. Au contraire, ayant compris que ce mystère du non-savoir du Fils relève d’un dessein divin de se taire, maintenant qu’il est ressuscité, ils l’interrogent à nouveau, croyant que le temps est venu pour lui de parler. Et ici, le Fils ne leur répond plus qu’il l’ignore, mais leur dit que ce n’est pas à eux de connaître ce moment que le Père a fixé dans sa puissance divine.
Si donc les Apôtres attribuent à un dessein divin, et non à une indigence, le fait que le Fils dit ne pas connaître le jour du jugement, allons-nous prétendre, nous, que s’il l’ignore, c’est parce qu’il n’est pas Dieu ? Mais, si Dieu le Père a fixé ce jour dans sa puissance divine, n’est-ce pas pour qu’il ne vienne pas à la connaissance de l’homme ?
Le Fils, interrogé avant sa résurrection, avait répondu à ses Apôtres qu’il n’en savait rien, alors que questionné à nouveau, il ne leur répond plus maintenant qu’il l’ignore, mais qu’il ne leur appartient pas de connaître ce jour ; le Père ne l’a-t-il pas fixé, non dans sa propre science, mais dans sa puissance divine ? Car, puisque le jour et le moment sont indus dans ce mot : « temps », il semble difficile d’admettre que celui-là même qui doit rétablir le Royaume d’Israël[75], ignore le jour et le moment de sa restauration !
[75] Cf. Actes 1.6.
Non, mais en faisant ressortir la puissance divine du Père, le Christ nous instruits en orientant notre pensée vers sa naissance : aussi ne répond-t-il pas qu’il ne connaît pas ce jour ; et en soulignant, à l’adresse des Apôtres que le pouvoir de le connaître ne leur a pas été donné, il affirme que lui-même est impliqué dans le mystère de la puissance du Père[76].
[76] Certains manuscrits ajoutent encore quelques lignes dont il y a lieu de mettre en doute l’authenticité :
« Nous ne devons donc pas croire que le Fils ignore ce jour, parce qu’il dit ignorer le jour et le moment, comme il n’y a pas lieu de prétendre que Dieu est capable de pleurer, de craindre et de dormir, parce que le Christ, en tant qu’homme, pleure, dort et s’abandonne à la tristesse. Mais, sa vraie nature de Fils unique étant sauve, comme les pleurs, la faim, la soif, la fatigue, la crainte, sont à mettre au compte de la faiblesse de la chair, ainsi faut-il interpréter son aveu qu’il ignore le jour et l’heure, en fonction de sa nature humaine. »