Méditations sur la Genèse

XLIV
La Réconciliation de Jacob et d’Esaü

Genèse 33.1-16

I

Il n’est pas sur la terre de joie plus grande que celle de la réconciliation, surtout entre parents autrefois divisés. Ils étaient perdus l’un pour l’autre, et ils se sont retrouvés. Cette joie n’est que l’écho d’une joie céleste. Il y a de la joie parmi les anges pour un seul pécheur qui se convertit Combien plus, quand il y en a deux qui se repentent ! Dans les querelles entre parents, il est rare que l’injustice soit toute d’un côté. Ainsi de Jacob et d’Esaü. Jacob avait trompé son frère ; Esaü avait chassé le sien de la maison.

Quand des difficultés s’élèvent entre chrétiens sur des questions de tien et de mien, ou d’autres semblables, les ministres de Christ ont autre chose à faire que de s’ériger en arbitres ; c’est de dire à l’une et à l’autre partie : Vous êtes charnels, vous avez à vous humilier ; que chacun de vous rentre en lui-même, et purifie son cœur ! Lorsque Jésus refuse de juger une contestation entre deux frères, il ajoute : « Gardez-vous de l’avarice » (Luc 12.13-18). Aux Corinthiens, qui ont des procès devant les juges païens, Paul écrit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse du tort ? » Quand il voit l’Eglise divisée, il ne dit pas : Tel parti a raison en ceci, tel autre en cela, — il les censure tous, il les rappelle les uns et les autres à des sentiments plus spirituels (1 Corinthiens 6.7 ; 3.3-4).

Le plus souvent, celui qu’on exhorte à se réconcilier répond : Que l’autre commence ! Parler ainsi, c’est s’exclure du bonheur promis par Jésus (Matthieu 5.9). « Procurer la paix, » c’est faire le premier pas en vue de la réconciliation. Ne dites pas que votre frère, ayant fait le premier pas dans l’injustice, doit faire aussi le premier dans la réconciliation ; mais « allez et reprenez-le entre vous et lui seul » (Matthieu 18.15). Tant que la dureté des cœurs est telle que personne ne veut commencer, il n’y a pas de paix possible ; si un tiers parvient à la rétablir, elle n’est pas durable. Quiconque a une étincelle de l’Esprit de Christ, doit savoir prendre les devants comme Jacob. Jacob s’humilie devant Dieu, il se sent trop petit pour toutes ses faveurs, il lutte par la prière contre la haine d’Esaü, et il cherche à le gagner par des présents et par un message amical ; il le prévient avec déférence. La grâce de Dieu triomphe d’abord dans son cœur, puis elle triomphe aussi chez Esaü.

D’autres répondent : Je puis bien pardonner, mais non oublier ! Réponse mensongère, car elle signifie : Je pardonne extérieurement, mais non pas dans mon cœur. Les rapports se rétabliront peut-être, mais l’aigreur subsistera dans les cœurs. Il n’en est pas ainsi de Jacob et d’Esaü ; ils ne font pas même allusion à leur ancienne haine ; elle est éteinte dans leurs âmes ; un amour pur les a réchauffées et en a fondu la glace. Ils s’aiment comme si rien ne s’était passé. Persister dans la froideur, c’est être en dehors de la grâce de Dieu. Le refus de pardonner nous exclut du ciel aussi sûrement que l’impureté, le vol ou d’autres péchés grossiers.

Ce qui surtout engendre l’aigreur, ce sont les jugements malveillants, les médisances, les discours railleurs ou calomnieux, qui non seulement irritent notre frère, mais empoisonnent notre propre cœur (Matthieu 15.18-20). Notre cœur serait-il plus dur que celui d’Esaü ? Contristerions-nous le Saint-Esprit-par notre méchanceté ? La même bouche prononcerait-elle les louanges de Dieu et des calomnies contre un frère ? La mort spirituelle est le partage assuré de quiconque juge et tue avec la langue. Cette vérité sérieuse s’applique non seulement aux individus, mais aussi aux partis religieux qui s’anathématisent mutuellement ; en faisant ainsi, ils se condamnent eux-mêmes à la mort.

Pour agir sur le cœur d’Esaü, Jacob s’adresse à sa générosité ; il fait passer en avant les faibles, les femmes et les enfants ; ce sont eux qui les premiers rencontrent Esaü et se prosternent devant lui. Jacob lui-même s’incline sept fois jusqu’en terre. Il lui avait été dit autrefois que « les fils de sa mère tomberaient à ses pieds ; » c’est lui qui est maintenant aux pieds d’Esaü. Il ne se targue pas de la promesse pour masquer un refus de se réconcilier ; il s’humilie devant son frère ; la prière lui en a donné la force : en s’abattant devant Dieu, il a vaincu l’amertume de son propre cœur, et il est en état de vaincre la malice qui peut exister encore chez son frère.

Cet hommage n’a rien d’exagéré ; il est conforme aux mœurs de l’Orient. Jacob honore en Esaü le frère aîné, plus puissant, que Dieu a revêtu de la dignité de chef de la famille. En rendant hommage aux puissants de ce monde, nous ne regardons pas à ce qu’ils peuvent être personnellement, — le jugement appartient à Dieu, — nous honorons en eux les représentants de Dieu.

Jacob se sent fortifié par l’accueil bienveillant de son frère. Dieu fait luire de nouveau sa face, qui s’était voilé pour lui lorsqu’il tremblait devant Esaü.

II

L’Eglise des derniers temps est appelée aussi à surmonter le mal par le bien. Dès le commencement, l’Eglise a compris qu’elle avait le devoir de prier pour ses ; persécuteurs, comme Jésus l’a commandé dans le sermon de la montagne, et en a lui-même donné l’exemple. La prière du Seigneur pour ses ennemis n’avait pas été vaine, — témoins les trois mille qui furent saisis par la grâce le jour de la Pentecôte. La prière d’Etienne mourant : « Ne leur impute, point ce péché, » ne fut pas vaine non plus : Saul fut converti. Intercéder en faveur des persécuteurs, est un saint et doux devoir, qui a sa récompense en lui-même. Cette prière sera entendue. La conversion d’Esaü nous dit quelle récompense en recevra l’Eglise. Que devant l’oppression ou la moquerie notre bouche reste donc pure ; ne répondons pas à l’outrage par l’outrage, à la raillerie par la raillerie ; cela tue l’intercession. Que celle-ci abonde plutôt ! Dieu a des pensées de grâce ! Gardons-nous d’envisager personne — et surtout nos adversaires — comme insauvable !

Nous reconnaissons en Esaü le type d’un pouvoir d’origine spirituelle, influent dans ce monde, dur et tyrannique, aussi rapproché des disciples de Christ qu’Esaü l’est de Jacob, et qui cependant les persécute. Nous devons à ce pouvoir respect, intercession. L’amour finira par vaincre. Au moment où Jacob s’attend à être égorgé par Esaü, le cœur de celui-ci se trouve changé. Le Seigneur fera plus que nous ne demandons et ne pensons. Plus d’un Saul se convertira.

Jacob a triomphé d’Esaü par l’amour. Il n’accepte pas cependant sa proposition de se joindre à lui (v. 13 et 14). Il ne faut pas vouloir faire marcher les brebis trop vite, forcer le progrès dans une Église. La croissance de la vie spirituelle exige du temps, de la patience et des ménagements de la part des pasteurs. On ne fait pas de bien à une Eglise en l’accablant de censures, fussent-elles autant de vérités. Les pasteurs nuisent plutôt qu’ils n’aident aux progrès des croyants, en s’occupant trop de tous les détails de la vie du troupeau. La vie spirituelle d’une Église ne gagne pas à ce qu’on lui impose des professions de foi et une organisation pour lesquelles elle n’est pas mûre. L’œuvre de Dieu est une œuvre de patience. Soyons patients les uns envers les autres, comme il l’est envers nous !

Esaü offre à son frère des hommes d’armes pour accompagner et protéger ses troupeaux ; Jacob refuse. Quand les puissants de ce monde s’offrent à soutenir l’œuvre du Seigneur, il y a là un danger et une tentation qui exigent la plus grande prudence de la part des serviteurs de Christ. Jacob ne veut pas entrer en Canaan sons les auspices du glaive d’Esaü : la cause de Dieu en serait compromise. L’œuvre de Dieu aux derniers temps doit demeurer pure et ne plus être mêlée comme autrefois à des intérêts mondains. Jacob se confie, non dans les hommes forts d’Esaü, mais dans la protection du Seigneur et dans l’accompagnement des anges, qui lui sont apparus à Mahanaïm. Ne faisons pas non plus de la chair notre bras ! Nous respectons les pouvoirs terrestres. Mais ce que nous leur demandons, ce n’est pas l’appui de leur glaive, c’est simplement la liberté de nous acquitter du message que nous a confié notre Maître. Nous ne réclamons d’eux que la protection due à tout citoyen honnête. Notre espérance, en travaillant, repose sur le Dieu vivant. C’est lui qui fraiera la voie, qui protégera, qui donnera l’accroissement, en sorte que l’Eglise puisse un jour faire son entrée dans la patrie céleste qui lui est promise.

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