De bonne heure on se préoccupa, dans les communautés chrétiennes, de recueillir, sur les derniers moments des martyrs, les détails qui devaient faire honneur à leur mémoire et intéresser la piété des fidèles. Ces détails, mis par écrit, et souvent communiqués sous cette forme aux Églises voisines, constituent ce que nous appelons les Actes des martyrs. L’importance de ces écrits est grande, on le comprend, aussi bien pour l’apologie que pour l’histoire ; et il ne sera pas inutile d’en dire ici un mot.
On peut diviser en trois catégories les Actes des martyrs. Il y a d’abord les Actes proprement dits, à savoir les procès-verbaux officiels, dressés par les greffiers du tribunal, de la comparution, de l’interrogatoire et de la condamnation des martyrs. Ces pièces, généralement courtes et sèches, sont assez rares : on en a cependant quelques-unes que les chrétiens ont pu copier et qu’ils ont simplement reproduites en les faisant précéder d’une brève introduction et suivre d’une conclusion que l’on distingue très bien du corps du procès-verbal. Tels sont, par exemple, les Actes de saint Justin et de ses compagnons ; ceux de saint Cyprien, etc. Évidemment, l’autorité de ces documents est de premier ordre.
Il y a, en second lieu, des relations de martyres qui ne sont pas des procès-verbaux officiels, mais qui ont été écrites par des témoins oculaires ou absolument contemporains des faits qu’ils racontent. Tel le récit de la mort de saint Polycarpe écrit au lendemain de sa mort au nom des chrétiens de Smyrne, ou encore le récit des combats des martyrs lyonnais adressé par l’Église de Lyon et de Vienne aux Églises d’Asie et de Phrygie. Pour n’avoir pas le caractère officiel des Actes de la première catégorie, il est clair que ces écrits ne leur sont pas inférieurs en autorité et méritent, comme eux, toute créance.
Viennent enfin les Actes qui ne sont plus des pièces officielles ni l’œuvre de témoins oculaires et contemporains, mais des compositions postérieures souvent de plusieurs siècles aux faits qu’ils racontent. Ce sont de beaucoup les plus nombreux. Ces documents ne sauraient évidemment prétendre à la même autorité que ceux des deux premières catégories ; mais on conçoit que cette autorité varie à l’infini selon qu’ils reproduisent plus ou moins fidèlement une tradition ancienne ou des relations primitives. Suivant les cas, elle sera considérable ou presque nulle.
Eusèbe avait écrit, aussitôt après la persécution de Dioclétien, vers 312, l’histoire des martyrs qui avaient souffert en Palestine pendant cette persécution, et l’avait ajoutée en appendice à son Histoire ecclésiastique. Nous l’avons encore. Mais de plus, il s’était appliqué, et cela dès avant l’an 303, à constituer un recueil de tout ce qu’il avait pu se procurer de récits authentiques sur les martyrs des trois premiers siècles. Malheureusement, ce recueil, auquel il fait lui-même plusieurs fois allusion, a péri ; et c’est par d’autres voies que l’on a conservé quelques-unes des pièces qu’il contenait.
On possède, pour les persécutions des trois premiers siècles, une quarantaine environ d’Actes de martyrs qui rentrent dans les deux premières catégories signalées, ou qui, s’ils sont, dans leur forme actuelle, d’une époque plus tardive, reproduisent cependant dans leur rédaction une partie au moins des Actes primitifs. Mentionnons seulement, parmi les plus anciens et les plus connus, le Martyre de saint Polycarpe, écrit en 155-157, et dont il a été déjà question ; les Actes des saints Carpus, Papylus et Agathonices († 161-169), œuvre d’un témoin oculaire ; les Actes de saint Justin et de ses compagnons († 163-167), procès-verbal officiel ; la lettre de l’Église de Lyon et de Vienne sur les martyrs de 177, écrite en 177 ou 178 ; les Actes des martyrs scillitains († 17 juillet 180), œuvre d’un témoin oculaire si ce n’est le procès-verbal lui-même ; les Actes d’Apollonius († 180-185) qu’Eusèbe avait insérés dans sa collection (H. E., 5.21.5) : la Passion des saintes Perpétue et Félicité († probablement le 7 mars 203) dont la recension longue, œuvre d’un témoin oculaire, est la plus ancienne ; les Actes proconsulaires de saint Cyprien († 14 septembre 258), procès-verbal officiel, etc. Dans tous ces récits — par opposition aux compositions plus ou moins légendaires, — l’attitude des juges et des martyrs nous apparaît telle qu’elle a dû être en effet, celle de magistrats qui appliquent la loi souvent à contre-cœur, mais parce qu’ils s’y croient obligés ; et celle de chrétiens qui meurent simplement, sans bravades ni récriminations, pour leur foi.
[Les Actes authentiques des anciens martyrs ont été réunis par D. Th. Ruinart, Acta primorum martyrum sincera et selecta, Parislis, 1689, souvent réimprimés. Il y aurait lieu seulement de supprimer dans ce recueil certaines pièces et d’en ajouter quelques autres récemment découvertes. Deux recueils d’Actes choisis ont été donnés par O. von Gebhardt, Ausgewaelte Martyreracten, Berlin, 1902, et par R. Knopf (même titre), Tubingue, 1901. Traduction française publiée par D. H. Leclercq : Les Martyrs, recueil des pièces authentiques… depuis les origines du christianisme jusqu’au XXe siècle, Paris, 1902 et suiv. Voir A. Dufourq, Etudes sur les Gesta martyrum romains, Paris, 1900-1907. Id., Article Actes des martyrs grecs et latins dans le Dictionnaire d’hist. et de géogr. ecclésiastique, i. P. Delehaye, Les légendes hagiographiques, Paris, 2e éd., 1906 ; Les origines du culte des martyrs, Bruxelles, 1912.]