A) Œuvres divines : Salut du monde ; — Résurrection des morts ; — Jugement du monde ; — Création. — B) Perfections divines : Toute-puissance ; — Éternité ; — Toute-présence ; — Toute-science.
A). Œuvres divines. — Elles sont attribuées à Jésus-Christ dans le Nouveau Testament.
1° Le salut du monde est l’objet spécial de sa venue (Matthieu 1.21 ; Luc 1.31, etc.) Tout est de lui, en lui et par lui. De lui, descendent incessamment les deux grâces qui nous ouvrent le Ciel, la justification et la régénération (Actes 5.31). Ce qu’il fait pour l’Église, il le fait pour chacune des âmes dont l’Église se compose, la soutenant, la gardant, la dirigeant, la conduisant, de foi en foi, à travers les tentations et les épreuves, en sorte que tout concourt finalement à son vrai bien (Jean 16.1-8 ; Éphésiens 1.2-7). Qu’on regarde à la multitude de chrétiens répandus sur la Terre, à l’infinie diversité de leur état, de leur caractère, de leurs besoins, de leurs moyens ; aux soins nécessaires à chacun et à tous : cela n’exige-t-il pas une action constante et universelle, en d’autres termes une action divine ? Cela n’implique-t-il pas visiblement les attributs divins, tels que la toute-science, la toute-présence, la toute-puissance chez l’Auteur de la nouvelle création ? Examinez d’ailleurs ce qui est dit de son règne médiatorial qui a pour but essentiel le développement de l’œuvre de la rédemption. Nous avons vu que la manière dont le titre de « Seigneur » lui est appliqué, emporte des caractères évidents de divinité ; nous voyons que les fonctions qui sont attachées à ce titre supposent ou manifestent de semblables caractères puisque, pour tout dire d’un seul mot, Jésus-Christ est la Providence de l’Église, comme de chacune des âmes dont l’Église se compose. Nouveau trait de cette harmonie profonde qui unit toutes les parties de la doctrine sainte, quoiqu’elles ne soient données qu’un peu ici et un peu là.
2° L’Écriture attribue à Jésus-Christ la résurrection des morts (Jean 5.28-29 ; Philippiens 3.21 ; 1 Thessaloniciens 4.16) ; sa propre résurrection (Jean 2.19 ; 10.17-18). Il les opère l’une et l’autre par sa puissance personnelle, parce qu’il a la vie en lui-même (Jean 5.21-26). S’il est dit aussi qu’il a été ressuscité par le Père, et que c’est par la puissance du Père que se fera la résurrection générale, cette énantiophanie tient à la Christologie tout entière : le système orthodoxe en rend compte, sans prétendre l’éclairer ou la lever pleinement, par le principe qu’a posé Jésus-Christ lui-même : le Père et moi sommes un ; tandis qu’elle est plus ou moins insoluble dans tous les autres systèmes.
3° L’Écriture attribue à Jésus-Christ le jugement du monde ; et dans ce jugement, tel qu’il est décrit, se révèlent encore les attributs et les actes divins. Remarquons que c’est sur cette base que la philosophie élève l’argument moral de la théodicée ; le seul qu’ait laissé subsister le Kantisme et celui qui saisit le plus vivement la conscience religieuse : De la notion immédiate de bien et de mal, de juste et d’injuste, de même que de la notion corrélative de peine et de récompense, on infère un Législateur et un Juge suprême, et dans ce Législateur, dans ce Juge, on s’accorde à reconnaître Dieu. Cette induction est si spontanée, si rapide, qu’elle ressemble à une intuition. Or, le Juge du monde est Jésus-Christ. L’objection tirée de Matthieu 19.1-8 et de 1 Corinthiens 5.2 n’est qu’un subterfuge. Quelle que puisse être la part que les apôtres et les saints prendront au jugement, c’est tout autre chose que ce qui est dit de Jésus-Christ.
4° L’Écriture attribue à Jésus-Christ la création — : Jean 1.1-3, 10. Nous avons va ailleurs que ce texte ne peut s’entendre que de la création proprement dite.
Colossiens 1.16-17 : C’est par lui qu’ont été créées toutes les choses qui sont dans les Cieux et sur la Terre, etc. Il était difficile de dire plus catégoriquement que la création universelle est l’œuvre de Christ, a) Il a créé toutes choses (τα παντα) ; b) les visibles et les invisibles, le monde des corps et le monde des esprits ; c) les êtres les plus élevés du monde des esprits, les Trônes, etc. ; d) L’univers a en lui sa fin aussi bien que son origine ; tout a été créé par lui et pour lui ; e) comme il en est le Créateur, il en est aussi le Conservateur ; toutes choses subsistent par lui (Comp. avec la doxologie de Romains 11.36).
Si, dans notre Sauveur et notre Juge, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître notre Dieu, à plus forte raison dans notre Créateur.
On a voulu ramener ce texte, de même que les premiers versets de l’Évangile selon saint Jean, à la création morale. Quand cela serait possible, le passage resterait à la preuve, répétons-le, car la création morale attribuée à Jésus-Christ en mille endroits est déjà un admirable déploiement des perfections divines. Elle emporte, en effet, la connaissance des dispositions intérieures de l’homme, la direction des esprits et des cœurs, l’action universelle, continue, toute-puissante de la Providence et de la grâce sur le monde et sur l’Église : elle est quelquefois représentée comme supérieure à la création matérielle (Ésaïe 65.17).
Mais ce n’est pas de la création spirituelle opérée par l’Évangile qu’il est ici question. Cette interprétation, à laquelle revient sans cesse le rationalisme, est aussi insoutenable pour notre texte que pour le prologue de saint Jean. L’étendue des termes (toutes choses, — visibles et invisibles, etc.) ne permet pas de douter que l’apôtre embrasse dans sa pensée la totalité des êtres. Or, la rédemption chrétienne ne s’étend qu’aux êtres moraux ; parmi lesquels encore elle ne concerne ni les anges ni les démons, les premiers n’en ayant pas besoin et les seconds n’en étant pas l’objet. Quant aux hommes eux-mêmes, un grand nombre y restent étrangers : Il y a beaucoup d’appelés, etc. Le texte se dérobe donc à l’explication, qu’il dépasse de tout point.
On peut, sans doute, élever bien des difficultés à ce sujet en pressant certaines expressions scripturaires. Il en est une, au v. 15 de ce chapitre même, sur laquelle on insiste trop pour que nous puissions la passer sous silence : C’est lui qui est l’image du Dieu invisible, le premier né de toute créature (πρωτοτοκος πασης κτισεως). Quelle que soit, dit-on, la création que saint Paul attribue à Jésus-Christ dans les v. 16 et 17, il reste toujours qu’il l’a placé au verset précédent parmi les créatures.
Qu’il y ait dans le dogme du Θεαντρωπος des incompréhensibilités et par suite des énantiophanies ; qu’il soit difficile ou même impossible d’en harmoniser toutes les faces, il fallait s’y attendre et il faut s’y résigner, car c’est le mystère des mystères. Mais est-on fondé à entendre comme on le fait l’expression dont il s’agit ? cette interprétation et la conséquence qu’on en tire présentent, de prime abord, quelque chose d’absolument contraire à l’impression que produit le passage entier. Comment voir un être créé dans le Créateur de toutes choses ? Si saint Paul, dans ce passage, et saint Jean, dans son prologue, avaient eu la pensée qu’on suppose, ils auraient dû, après avoir dit que tout a été fait par Jésus-Christ, ajouter avec l’Arianisme, dans le sens duquel ils seraient entrés : excepté Jésus-Christ lui-même. Eh bien ! loin d’impliquer le moins du monde une restriction pareille, leur large et pleine assertion la repousse visiblement. Rien de ce qui a été fait n’a été, etc. — Par lui, toutes choses ont été faites, etc.
L’induction que nous discutons pourrait être légitime si, au lieu de πρωτοτοκος πασης κτισεως, l’apôtre avait appelé Jésus-Christ πρωτοκτιστος. Cette épithète l’aurait placé en effet au rang des êtres créés. Mais le terme de πρωτοκος le sépare des κτισματα, bien loin de l’y rattacher. Tandis que tout le reste est κτιστος, il s’en distingue en tant que τεκθεις : il est engendré et non pas fait ; et nous touchons ici à ce qu’on a nommé son éternelle génération, formule qui s’est imposée en quelque sorte, malgré son étrangeté.
Remarquons que le terme de premier-né avait chez les Juifs une acception très élevée ; il équivalait à celui de Maître, de Seigneur. Les rabbins ont nommé Dieu lui-même « le Premier né du monde ».
Le retour, au v. 18, du terme de πρωτοκος, également appliqué à Jésus-Christ, mais dans un autre ordre d’idées ou de choses, peut jeter quelque jour sur le v. 15. L’apôtre, après avoir dit que Jésus-Christ est le chef (κεφαλη) du corps de l’Église, ajoute : ὅς ἐστιν ἀρχή, πρωτότοκος ἐκ τῶν νεκρῶν, ἵνα γένηται ἐν πᾶσιν αὐτὸς πρωτεύων. Jésus-Christ tient le premier rang dans la résurrection, non seulement parce qu’il en est les prémices (1 Corinthiens 15.20), mais aussi et surtout parce qu’il l’opère (Jean 5.29), parce qu’il est lui-même la résurrection et la vie. De même dans la création. Aux deux égards, πρωτοκος correspond à αρχη, qui marque et la priorité et le principe actif. Jésus-Christ est avant tout, et tout est de lui et par lui (Apocalypse 3.14 : η αρχη της κτισεως του Θεου).
Quoi qu’il en soit, du reste, de ces observations, le point de dogme ou de fait, objet de cet article, ne saurait être douteux. D’après le Nouveau Testament, Jésus-Christ est bien le Créateur du monde. Saint Jean et saint Paul le déclarent trop formellement pour qu’on puisse le contester en bonne exégèse. Voilà ce qu’il faut reconnaître avec tout ce qu’il emporte, quelles que soient les difficultés de le concilier avec d’autres données scripturaires. Encore une fois, les obscurités ne doivent point surprendre en un tel sujet, où les ombres se mêlent à tant d’égards aux lumières de la Révélation (Cf. Hébreux 1.1-10 ; 3.4).
Nous nous tenons religieusement aux grands traits de l’enseignement biblique, malgré les incompréhensibilités qui y restent. Jésus-Christ est l’auteur de la création comme l’auteur du salut. C’est lui qui opérera la résurrection et qui exercera le jugement. Cela établi, toutes les théories où disparaît d’une ou d’autre manière sa divinité absolue, s’écroulent d’elles-mêmes. Celui en qui, par qui et pour qui sont toutes choses, qui en est le principe et la fin, qui soutient les mondes par sa puissance, qui règne sur l’Église et veille sur chaque fidèle, qui délivre du péché et de la mort, qui donne la grâce et la vie, qui ouvre le Ciel dont il est la lumière et la gloire ; Celui qui opère la création morale, à qui nous devons la rédemption, la justification, la régénération, devant qui le Père se retire en quelque sorte afin que tous les bouts de la Terre regardent à lui, est certainement Dieu ; car il soutient avec nous tous les rapports qui existent entre Dieu et l’âme, il se présente comme ayant accompli ou comme accomplissant tout ce qui éveille et nourrit les sentiments de la piété. Il est notre Créateur et notre Roi, notre Sauveur et notre Juge, il est notre espérance et notre force, notre paix et notre vie ; et nous sommes invités à nous appuyer sur son Nom pour le temps et pour l’éternité. Qu’est-il donc, et que faisons-nous à son égard, s’il n’est pas notre Dieu ?
Et cela frappe tous les systèmes de l’humanitarisme nouveau, déistiques, panthéistiques ou mystiques, comme ceux de l’humanitarisme ancien. Cet Être, qui est la Providence des âmes comme celle de l’Église et du monde, l’Auteur et le Consommateur de tous les grands faits spirituels qui fondent la foi, l’adoration, la piété, qui motivent le don du cœur, la soumission de la vie, cet Être, qui est pour nous tout ce qu’est Dieu et à qui nous nous devons nous-mêmes tout entiers, est réellement notre Dieu. C’est la constante impression de la conscience chrétienne ; c’est l’attestation formelle des Écritures.
B). Perfections divines. — En rapportant à Jésus-Christ les œuvres divines, l’Écriture le montre revêtu des perfections divines, ainsi que la raison théorique et pratique pouvait déjà le conclure ; car ici les actes impliquent les attributs.
Toute-puissance. — Le fait de la création l’atteste. On l’a contesté quelquefois, sous prétexte qu’un monde fini ne saurait refléter ou démontrer un attribut infini. Mais qu’on regarde à l’Univers tel que l’astronomie le dévoile, et qu’on mette en question si le Créateur est le Tout-Puissant. La toute-puissance est attribuée à Jésus-Christ dans plusieurs passages (Matthieu 28.18 ; Jean 5.19 ; Philippiens 3.21 ; Apocalypse 1.8, etc.).
Éternité. — Michée 5.2 ; Ésaïe 9.5 ; Apocalypse 1.8 ; 11.17 ; 22.12-13 Comp. à Ésaïe 44.6 ; 48.12 ; Hébreux 1.10-12 (cit. du Psaume 3) ; Hébreux 13.8.
Toute présence. — Elle ressort, nous l’avons vu, de la nature de son œuvre et de son règne. Elle est aussi formellement enseignée. Jésus-Christ dit lui-même : Là où deux ou trois… j’y suis au milieu d’eux (Matthieu 18.20). L’expression je suis ou je serai avec toi est une de celles dont l’Ancien Testament se sert pour marquer la miséricordieuse présence du Seigneur. On a dit que la promesse Matthieu ch. 18 ne concernait que les apôtres, ou qu’il fallait l’entendre de cette sorte de présence mentale à laquelle fait appel saint Paul lui-même (1 Corinthiens 5.3-4 ; Colossiens 2.5). Mais Jésus-Christ parle d’une manière générale des réunions de ses disciples, et son expression, déterminée par l’analogie des Écritures, est tout autre que l’expression métaphorique de saint Paul. Joignez-y Matthieu 28.20 qui ferait, au besoin, tomber la précédente défaite : Et voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde (εως της συντελειας του αιωνος). Pour le sens de cette locution, qui ne se trouve que dans saint Matthieu, voy. Matthieu 13.39, 40, 49 ; 24.3.
2 Timothée 4.1 : Je te conjure devant Dieu et devant le Seigneur Jésus-Christ etc. Là, nous voyons la toute-présence attribuée en même temps et de la même manière à Jésus-Christ et à Dieu, et indiquée comme un motif, un appui, un secours pour l’accomplissement des devoirs évangéliques (Cf. 1 Timothée 6.13 ; 2 Timothée 2.14).
La doctrine de la communion des fidèles avec leur Seigneur et leur Sauveur repose aussi sur sa toute-présence (Jean 15.1-8 ; 1 Jean 1.4).
Toute-science. — Elle ressort, comme la toute-présence, de l’œuvre du salut, prise dans sa généralité et sa profondeur. Elle est formellement attestée ou visiblement impliquée en divers textes. Ainsi Matthieu 11.27 : Nul ne connaît le Fils que le Père et nul ne connaît le Père que le Fils (Cf. Jean 10.15). Ce qui frappe dans ces passages, c’est cette connaissance réciproque et égale du Père et du Fils, qui emporte manifestement l’intelligence infinie.
Jean 21.17 : Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t’aime. Sans doute, ce terme de toutes choses dans le style du Nouveau Testament, comme dans le langage commun, ne peut pas se prendre toujours à la lettre (Marc 9.23 ; Jean 14.26, etc) ; le sens doit être déterminé par le contexte ou par la nature des choses. Or ici, le contexte montre qu’il s’agit d’une connaissance qui pénètre les pensées, les sentiments, les dispositions les plus secrètes, par conséquent une connaissance surhumaine. Cette connaissance du cœur, que Dieu seul possède (Actes 1.24 ; 15.8), est souvent attribuée à Jésus-Christ (Matthieu 12.25 ; Luc 6.8 ; 9.47). De même que Dieu il est καρδιογνωτης.
On objecte Marc 13.32 : Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, pas même le Fils. Cette déclaration, dont l’unitarianisme, sous toutes ses formes, a toujours fait un de ses principaux arguments, est aussi une de celles où s’appuie l’opinion de la haute orthodoxie actuelle qui veut que le Christ, dans son incarnation, ait, non seulement voilé, mais dépouillé les attributs divins. Ce texte étonne singulièrement à côté de ceux que nous venons d’indiquer et de tous ceux qui enseignent, en termes si positifs et sous tant d’aspects, la divinité du Rédempteur. Il a été, dans tous les temps, la croix du dogme ecclésiastique.
Voici les deux principales solutions qu’on a essayées sur ce passage, du point de vue orthodoxe ; solutions qui restent fort hypothétiques, cela va sans dire, mais qu’il convient d’indiquer :
1° Jésus-Christ parle là comme homme, et il déclare ne pas connaître, en cette qualité, le jour de la catastrophe qu’il prédit et n’être pas chargé de la révéler. Si c’est la ruine de Jérusalem qu’il a en vue, il s’agit uniquement d’une détermination précise, car il venait de marquer d’une manière générale les circonstances et l’époque de ce redoutable jugement. Sa déclaration reviendrait alors à ceci : Jérusalem ne doit pas plus savoir l’heure exacte de sa chute, que l’homme celle de sa mort, ou le monde celle de sa fin. Tout cela rentre dans la grande loi providentielle qui veut, en tant de cas, que le fait en lui-même soit pleinement connu comme avertissement de la justice ou de la miséricorde, mais que le mode et le moment de son accomplissement demeurent enveloppés de ténèbres. Rapprochez sa réponse aux apôtres, qui lui demandent (Actes 1.6) Seigneur, sera-ce en ce temps que lu rétabliras le royaume d’Israël ? — Ce n’est pas à vous de savoir les temps ou les moments dont le Père a réservé la disposition à sa propre puissance.
Jésus-Christ est homme en même temps que Dieu, disent les partisans de cette interprétation. Le nom de Fils peut le désigner ici en tant que Fils de l’homme aussi bien qu’en tant que Fils de Dieu. Or, en tant qu’homme, Jésus-Christ ne possède pas la toute-science, pas plus que l’ubiquité ou l’immutabilité qui n’appartiennent qu’à Dieu. Il est dit de lui qu’il croissait en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes, que l’Esprit du Seigneur était sur lui etc. Il eut la connaissance nécessaire à l’accomplissement de son œuvre ; il ne put avoir, il n’eut pas, dans son humanité, la science divine. — Mais comment concevoir que Jésus-Christ ne sut pas comme homme ce qu’il savait comme Dieu ? Là-dessus on se déclare sans réponse ; et l’on soutient que cela devait être nécessairement, quelque étrange qu’il paraisse, puisque les deux natures ont conservé leurs attributs essentiels, ceux de la divinité n’ayant pas plus passé à l’humanité que ceux de l’humanité à la divinité. L’homme-Jésus n’a pas eu la toute-science ; il n’a pas eu davantage la toute-présence ou la toute-puissance, puisque cela n’est pas de l’homme. — Et pourtant, peut-on contester que la toute-puissance et la toute-présence appartiennent au Christ, selon les Écritures ? La toute-science elle-même ne lui est-elle pas reconnue dans plusieurs passages, et ne ressort-elle pas de son œuvre entière ; n’y est-elle pas impliquée et par conséquent attestée ? Si on ne conçoit pas le comment de ces faits pris ensemble, on conçoit qu’ils peuvent être, bien plus, qu’ils doivent être dans cette union hypostatique de l’homme et du Dieu. Dès lors, le passage crée une difficulté qu’on tenterait en vain d’éclaircir ; il ne fonde pas une objection.
2° D’autres interprètes ont pris οιδεν dans le sens hiphilique pour faire savoir, déclarer, annoncer, signification évidente de ειδεναι 1 Corinthiens 2.2 : Je n’ai voulu savoir parmi vous etc. ; car saint Paul parle là, non de sa connaissance personnelle, mais de sa prédication, c’est son enseignement qu’il a en vue, le εν υμιν le prouverait à lui seul. La force particulière du verbe hébreu a dû passer et a passé en effet dans le langage hellénistique du Nouveau Testament. Οιδεν, ainsi entendu Marc 13.32, indiquerait, non que Jésus-Christ ne connaissait pas le moment précis de la ruine de Jérusalem ou de la fin du monde, mais qu’il n’avait pas mission de le déclarer. Le sens en serait celui-ci : Dieu n’a pas voulu que ce moment fût marqué ni par les prophètes, ni par les apôtres, ni par les anges, ni par le Fils lui-même, parce qu’il doit surprendre tous les habitants de la Terre. Sa Providence le révélera ; c’est un de ces temps qu’il s’est réservés.
cette interprétation éclaircirait tout ; elle ne laisserait plus de place à l’objection, parce qu’elle ne lui laisserait plus de base. Le texte deviendrait aussi intelligible qu’harmonique avec la large partie des Écritures qu’il semblait heurter.
Mais, quoiqu’il en soit de ces explications, il demeure une observation capitale ou, pour mieux dire, un principe d’herméneutique sacrée dont on tient trop peu de compte. Ce passage, de quelque manière qu’on le prenne, ne saurait annuler le reste du témoignage évangélique relativement au Sauveur. Qu’on lui fasse dire tout ce qu’il paraît dire à première vue, je le veux bien ; mais qu’on laisse dire également aux passages collatéraux tout ce qu’ils disent. Rien d’étonnant, répétons-le, qu’il se trouve des incompréhensibilités et, par cela même, des énantiophanies dans ce que l’apôtre nomme le grand mystère de piété, où Jésus Christ se montre à la fois comme homme, comme Médiateur entre Dieu et les hommes et comme Dieu. En bien des- cas et sur bien des points, il faut savoir s’abstenir et s’incliner, parce qu’on touche à l’inconnu, disons mieux, à l’inconnaissable. Cette humilité d’esprit et de cœur s’impose d’elle-même dans ces choses de Dieu et du Ciel. Celui qui refuse de courber sa pensée propre comme sa volonté propre en présence de la Révélation est encore étranger au premier des préceptes évangéliques (Luc 9.23).
Mais les ombres n’anéantissent pas les lumières. Attachons-nous à ce qui est révélé, en respectant ce qui reste pour nous au-delà du voile, surtout sans prétendre faire disparaître l’ensemble par quelques détails pressés à outrance. Nous avons vu la divinité de Jésus-Christ impliquée jusque dans les moindres traits du langage de l’Écriture, comme, par exemple, dans le κατα σαρκα qui accompagne généralement la mention de sa descendance humaine. Nous l’avons vue ensuite se manifester plus à découvert dans ses titres de Fils de Dieu et de Seigneur, et dans les faits qui s’unissent à ces traits. Nous l’avons vue ressortir encore de la place qu’occupe son nom à côté de celui de Jéhovah. Nous l’avons vue enfin directement affirmée dans les déclarations qui lui attribuent, avec les noms de Dieu, les œuvres et les perfections divines. Tout se lie au fond, à travers les obscurités elles-mêmes, dans cette série de témoignages qui s’éclairent, se confirment, se complètent les uns les autres Le titre de Seigneur, par exemple, avec les caractères qui l’environnent en Jésus-Christ, emporte les perfections et les œuvres divines ; les perfections et les œuvres divines appellent, pour ainsi dire, les noms divins ; car, selon le vieil axiome métaphysique, là où sont les attributs et les actes d’un être, là est cet être. Or, à chaque fois, l’enseignement de l’Écriture vient répondre aux prévisions de la réflexion logique et de la conscience religieuse.