Matthieu 21.17-22 ; Marc 11.12-14, 20-24
Ce miracle fut accompli le lundi de la semaine de la Passion ; notre Seigneur avait fait, le dimanche des Rameaux, son entrée triomphale à Jérusalem ; le soir, il s’était retiré à Béthanie, dans la maison de Lazare. Le lundi matin, comme il allait de Béthanie à Jérusalem, il maudit le figuier. Le soir de ce jour, il retourna avec ses disciples à Béthanie, mais trop tard, sans doute pour qu’ils pussent constater les effets de la parole prononcée contre l’arbre ; ce ne fut que le mardi matin qu’« ils virent ce figuier séché jusqu’aux racines. » Saint Marc nous présente exactement la suite des faits.
Il y a dans ce récit des difficultés qu’il vaut la peine d’examiner ; la première consiste dans le fait que le Seigneur, sachant d’avance qu’il n’y avait pas de figues sur cet arbre soit venu pour en trouver. Était-ce agir selon la vérité ? On est surpris qu’il ait traité l’arbre comme un être moral, le châtiant comme s’il était responsable de sa stérilité. Cette difficulté est accrue par la remarque de l’évangéliste, que « ce n’était pas la saison des figues. »
En ce qui concerne le fait que le Seigneur s’approche du figuier, comme s’il s’attendait à y trouver du fruit, quoiqu’il sût qu’il n’en trouverait pas, trompant ainsi ceux qui étaient avec lui, il suffit de faire observer qu’une semblable accusation peut être dirigée également contre tout enseignement figuré, en parole ou en action ; dans un tel enseignement, ce qui importe, c’est l’esprit. Une parabole peut-être racontée comme s’il s’agissait d’un fait réel, et en effet elle est vraie, à cause de la vérité qu’elle renferme et à laquelle elle sert d’enveloppe ; de même, un acte symbolique peut être accompli comme s’il était réel ; il a une signification infiniment plus élevée et plus profonde qu’un acte ordinaire. Jésus a voulu montrer ce qu’il arriverait d’un homme ou d’une nation, lorsque Dieu viendrait leur demander des fruits de justice et ne trouverait que les feuilles d’une profession tout extérieure.
Quant à la seconde objection, touchant le fait que le Seigneur s’indigne contre un arbre, elle existe dans le cœur de tous ceux qui ne veulent pas que Dieu châtie, qu’il y ait une colère de l’Agneau. Puisque cette colère est une réalité, il implore que les hommes ne l’oublient pas ; sans la malédiction du figuier, les disciples auraient pu l’oublier ; ici même, se montrent encore les compassions de Dieu, qui ne châtie pas des créatures vivantes, mais un arbre insensible. Il n’y a qu’un seul miracle de jugement, dans l’œuvre de Christ et c’est un arbre qui en est l’objet.
Mais, disent quelques-uns, il était injuste de traiter un arbre de cette manière, puisque, incapable de bien ou de mal, il ne devait être ni loué ni blâmé ; Jésus n’a pas attribué de responsabilité au figuier, lorsqu’il le frappa pour sa stérilité, mais il a jugé qu’il pouvait représenter des qualités morales. Lorsque nous disons : un bon arbre, un mauvais arbre, un arbre qui devrait porter du fruit, nous lui attribuons certaines qualitésa. Par ses paroles (Luc 13.6-9), le Seigneur avait préparé ses disciples à comprendre l’acte qu’il accomplit ici (Osée 9.10 ; Joël 1.7).
a – Il est remarquable que le figuier, dans le Nouveau Testament, apparaisse comme le symbole du mal (Luc 13.6).
Mais, en admettant tout cela, les paroles de saint Marc : « Ce n’était pas la saison des figues, » n’empêchent-elles pas absolument d’imputer une faute au figuier, même en image ? pourquoi le Seigneur cherche-t-il des figues dans une saison où il n’y en avait pas ? Voici quelle est, à nos yeux, la seule explication vraiment satisfaisante. Au commencement de l’année, en mars ou en avril, les figuiers ne portaient ni feuilles ni fruits ; mais le figuier qui nous occupe, par les feuilles qu’il portait, semblait être un figuier exceptionnel ; ayant des feuilles, il devait avoir du fruit, car, sur le figuier, les fruits viennent avant les feuilles. Cet arbre était donc trompeur, il semblait, par son feuillage, inviter le passant à venir prendre du fruit ; Jésus dut reconnaître qu’il était un figuier ordinaire, puisque ce n’était pas la saison des figues, et il le condamna, non parce qu’il n’avait pas de fruit, mais parce qu’il portait des feuilles qui semblaient promettre la présence du fruit.
Il en était de même du peuple d’Israël, symbolisé par ce figuier ; il se vantait de porter du fruit. Il aurait dû confesser qu’il n’en portait pas, que, sans Christ, il ne pouvait rien faire ; il aurait dû se montrer tel qu’il était en réalité : pauvre et nu. Mais c’est précisément ce qu’il ne voulait pas ; il se vantait d’être riche, tandis qu’il était dépourvu des vrais biens.
Comment pouvait-il en être autrement ? « ce n’était pas la saison des figues ; » le temps de la floraison et des fruits n’était pas encore venu pour l’humanité qui n’avait pas été greffée sur le noble plant du Fils de l’homme. Les autres arbres étaient stériles, mais n’avaient pas la prétention de porter du fruit. Les Gentils étaient dépourvus de fruits de justice, et le reconnaissaient franchement ; les Juifs étaient pauvres, mais se vantaient d’être riches ; les Gentils étaient pécheurs, mais les Juifs étaient hypocrites, par conséquent plus éloignés du royaume de Dieu et près d’être maudits. La loi aurait fait son œuvre et atteint son but, si elle avait dépouillé les Juifs de leur feuillage orgueilleux, ou si elle les avait empêchés de le faire paraître.
Par cette explication, les difficultés du récit s’évanouissent. Une étude attentive de l’épître aux Romains fournit la véritable clef de ce miracle (Romains 2.3, 17-27 ; 10.3, 4, 21 ; 11.7,10). Il faut aussi tenir compte d’un passage parallèle dans Ézéchiel 17.24. Cette sentence : « Que jamais personne ne mange de ton fruit ! » est la révocation de la bénédiction prononcée sur la postérité d’Abraham, l’abolition symbolique de la sacrificature lévitique ; la synagogue juive est désormais frappée de stérilité ; elle est condamnée, la malédiction repose sur elle. Cependant, ce mot « jamais » reçoit une limite qui lui est assignée par la miséricorde de Dieu ; personne ne mangera du fruit de l’arbre représenté par le figuier, jusqu’à l’accomplissement des temps des Gentils ; un jour viendra auquel Israël sera comme un arbre au riche feuillage et aux fruits abondants (Matthieu 24.32-33).
Il semblerait, d’après saint Matthieu, que la stérilité apparût aussitôt après la malédiction prononcée par Jésus ; mais ce fut seulement le lendemain que les disciples remarquèrent la sécheresse de l’arbre ; « ils virent le figuier séché jusqu’aux racines. » Le Seigneur profite de cette occasion pour exhorter ses disciples ; ce qu’il a fait, ils peuvent le faire aussi, la foi en Dieu les revêtira de la même puissance, en sorte qu’ils feront même des œuvres plus grandes que celle-ci.