Aberdeen, 10 juin 1637
Cher frère,
Je suis fâché que vous et d’autres encore attendiez autant de moi, qui ne suis qu’un roseau brisé. En vérité je ne suis pas digne de ce que vous réclamez. Que ne puis-je faire retentir au loin les louanges de mon royal Souverain, par le bruit des chaînes que je porte pour Celui dont je suis le prisonnier ! Si mes liens édifiaient une seule âme, je les porterais joyeusement ; mais je ne puis rien faire pour mon cher Maître si souverainement aimé, auprès de Lui je ne suis qu’un faible vermisseau.
A quoi servirait-il de dire que le vent du Seigneur a soufflé sur moi, pauvre cadavre desséché ? Mais, puisque vous désirez voir de mon écriture, je vous prie de m’aider à glorifier Christ à cause de cet amour vivifiant qui peut fondre la glace du cœur le plus endurci. Voilà ce que vous pouvez faire pour un prisonnier. Je suis parfaitement assuré que mes épreuves actuelles tourneront à la gloire de Celui qui les envoie. Il m’est doux de glorifier Jésus et sa croix ; si je n’avais pas fait voile pour le ciel, après avoir suivi comme tant d’autres la voie terrestre, je n’aurais peut-être pas connu à ce point l’excellence de la bonté de mon Sauveur. Et voici qu’Il laisse souffler sur moi sa céleste brise ; je désire qu’elle me pénètre jusqu’au fond de ce cœur de fer. J’ignore si je suis plus affligé à cette heure de l’aimer si peu, ou de savoir si mal lui rendre grâce.
Oh ! que n’apaise-t-Il la faim dévorante de mon âme, que ne fait-Il disparaître ma souillure qui y apporte un grand obstacle ! Cependant Il est un Dieu toujours prêt à pardonner, et, quant à mes frères, malheur à moi si je ne parviens à leur donner quelque peu de ce que j’ai reçu de cet océan d’amour. Puisse-t-Il m’enseigner la gratitude, me faire apercevoir sa face et chanter ses louanges ! Une plus étroite communion avec Lui, un seul de ses regards bénis, seraient pour moi un avant-goût du ciel. La charité de l’Époux n’est point hautaine, je le sais, alors même que l’objet sur lequel elle s’exerce en est totalement indigne. Tout ce que j’ai le plus à cœur, c’est de faire pour Lui tout ce dont je suis capable.
Je vous engage à considérer Christ comme devant tenir une plus grande place dans votre cœur que vous ne l’avez fait jusqu’ici ; surtout recherchez davantage la grâce gratuite. Jésus n’est pas connu au milieu de nous. Bien que j’aie plus appris de Lui que je ne l’avais fait encore, cependant je n’entrevois qu’un point de son excellence. L’amour de mon Seigneur vaut mieux que toutes les souffrances ; Il adoucirait… que dis je, Il anéantirait les tourments de l’enfer. Que ne souffrirais-je pas pour le posséder selon mes désirs ? les anges eux-mêmes ne peuvent le sonder ; l’homme ne saurait comprendre la hauteur, la largeur, la profondeur de sa bonté, de sa douceur et de ce pardon qui est toujours par devers Lui. Si des mille milliers d’anges et d’hommes se réunissaient pour démêler la source de son excellence, tous demeureraient confondus devant une si admirable perfection. Que ne puis-je L’approcher d’assez près pour baiser ses pieds, entendre sa voix et respirer l’air qui l’a touché ! Mais, hélas ! le peu que j’obtiens me fait toujours plus désirer d’obtenir davantage.
Souvenez-vous de prier pour moi. Je ne donnerais pas ma dure couche et mes heures de tristesse contre la joie de mes adversaires qui reposent sur le velours.
Que la grâce soit avec vous.