Claude Pelliez, vicaire de la Madeleine, annonça tout à coup qu'il allait prêcher contre les hérétiques. Au jour fixé, l'église était pleine de catholiques ; quelques évangéliques étaient aussi présents. Le vicaire fit un éloge pompeux de « l'Église », de son chef, non pas Christ, mais le pape de Rome. En outre, il dénonça Froment comme un menteur ignorant, un loup qui rôdait autour du bercail pour dévorer les brebis. Après ce sermon, quatre Eidguenots se rendirent chez le vicaire. « Froment est un homme docte et lettré, lui dirent-ils ; vous dites qu'il a menti, prouvez-le par la sainte Écriture. » Claude Pelliez y consentit. Les Eidguenots auraient voulu qu'il donnât ses preuves en public, mais le vicaire ne voulut parler que chez lui, en présence de quelques amis seulement. Cette discussion fut fixée au 31 décembre 1532.
Antoine Froment avait été seulement deux mois à Genève ; l'œuvre du Seigneur marchait avec une rapidité étonnante.
Au jour et à l'heure fixés par Pelliez, quatre Eidguenots se rendirent au presbytère ; ils y trouvèrent quelques prêtres invités par le vicaire. Celui-ci était encore enfermé dans son cabinet, cherchant des textes dans la Vulgate pour combattre Froment. Hélas ! il n'en trouvait point ! Les Eidguenots et les prêtres attendirent longtemps ; ils finirent même par boire ensemble du vin que l'un des Eidguenots paya. Le vicaire ne paraissait pas. Amis et adversaires commençaient à croire qu'il ne viendrait pas du tout quand la porte s'ouvrit et Pelliez entra, un gros volume sous le bras. Le vicaire ouvrit son livre qui était rempli de bandes de papier pour marquer les divers passages dont il avait besoin et se mit à lire un long article contraire aux enseignements de Froment.
« Mais qu'est-ce que c'est que ce livre-là ? demanda Perrin, un des Eidguenots. Ce n'est pas la Bible ! »
« Ah ! s'écrièrent les autres, vous n'avez pu trouver un seul texte dans la Bible pour nous combattre. »
Le vicaire devint rouge de colère : « Qu'entendez-vous ? dit-il, ce sont les Commentaires perpétuels sur la Bible de l'illustre Nicolas de Lyra. »
« Mais vous nous aviez promis de réfuter Froment par la Bible, » répondirent les Eidguenots.
« Eh bien, Lyra est le meilleur des commentateurs de la Bible, » dit le vicaire.
« Nous ne voulons pas des Commentaires, nous voulons la Bible. »
Perrin se fâchait, le vicaire encore plus ; ils finirent par être tous les deux très en colère.
Perrin était un de ces Eidguenots qui avaient pris parti pour Froment par haine contre la tyrannie des prêtres et non par amour pour Christ. Pendant le débat, un des amis du vicaire s'était glissé inaperçu hors de la chambre, et il revint tout à coup, amenant une bande de prêtres armés dont le premier marchait l'épée dégainée. Les Eidguenots furent indignés de cette trahison et saisissant leurs propres épées, qu'ils avaient posées sans défiance en entrant, ils se frayèrent un passage à travers le régiment de prêtres. Lorsque les Eidguenots furent dans la rue, un de leurs agresseurs courut sonner le tocsin et en un clin d'œil ils se virent entourés d'amis et d'ennemis accourus pêle-mêle. Les prêtres prétendaient que les quatre Eidguenots avaient voulu s'emparer de l'église pour y faire prêcher Froment. Les papistes ameutés voulurent se jeter sur eux, mais leurs amis les entourèrent. Le tapage et les cris causèrent une vive frayeur à la sœur Jeanne et à ses compagnes derrière les murs de leur couvent ; elle nous dit « Les pauvres dames de Ste-Claire étant à dîner, sortirent de table pour recourir au Souverain notre Seigneur et faire la procession en grande dévotion, car déjà on menaçait de les faire marier. » Enfin les magistrats parurent ; ils dispersèrent la foule et poursuivirent les prêtres qui tâchaient de susciter une émeute plus loin. Après cela on convoqua le conseil pour prévenir de nouveaux troubles ; les Eidguenots furent invites à comparaître devant les magistrats qui leur signifièrent de faire cesser les prédications de Froment soit à la Croix-d'Or, soit dans les maisons particulières. Les Eidguenots répondirent qu'ils voulaient entendre la Parole de Dieu partout où ils pourraient. « Personne n a le droit de nous en empêcher, dirent-ils ; d'ailleurs le Conseil a décrété que la Parole de Dieu doit être prêchée dans chaque église paroissiale et ce décret n'a pas été exécuté ; ainsi nous voulons entendre Froment. »
Là-dessus le Conseil envoya chercher le vicaire de l'évêque et le pria de faire venir des prédicateurs, lui demandant surtout un certain moine gris qu'on avait entendu pendant l'Avent. Ils exigèrent du vicaire que la Parole de Dieu serait prêchée dans toutes les églises paroissiales. Le vicaire, qui tenait avant tout à vivre en paix, promit tout ce qu'on voulut, et le Conseil, croyant apparemment qu'il pouvait faire venir des prédicateurs comme des musiciens ou des crieurs publics se sépara très satisfait de ses arrangements.