1.[1] Quand Gaius, après un règne de trois ans et huit mois[1], eut été assassiné, les troupes de Rome portèrent de force Claude à l'empire : mais le Sénat, sur la motion des consuls Sentius Saturninus et Pomponius Secundus, chargea les trois cohortes[3] qui lui étaient restées fidèles de garder la ville, puis s'assembla au Capitole et, alléguant la cruauté de Gaius, décréta la guerre contre Claude : il voulait donner à l'empire une constitution aristocratique, comme celle d'autrefois, ou choisir par voie de suffrage un chef digne de commander.
[1] Sections 1 à 5 = Ant., XIX, 201-277. A la différence du chapitre précédent, ici c'est le récit de Guerre qui semble exagérer le rôle d'Agrippa dans l'avènement de Claude.
[2] Même chiffre dans Ant., XIX, 201. En réalité 3 ans et 10 mois (18 mars 37 à 24 janvier 41). La traduction latine à 6 mois.
[3] Quatre d'après Ant., XIX. 188. Il s'agit des cohortes urbaines.
2. Agrippa se trouvait alors à Rome ; le hasard voulut qu'il fût mandé et appelé en consultation à la fois par le Sénat et par Claude, qui l'invita dans son camp ; les deux partis sollicitaient son aide dans ce besoin pressant. Agrippa, quand il vit celui qui par sa puissance était déjà César, passa au parti de Claude. Celui-ci le chargea alors d'aller exposer au Sénat ses sentiments : d'abord, c'est malgré lui que les soldats l'ont enlevé ; mais il n'a cru ni juste de trahir leur zèle, ni prudent de trahir sa propre fortune[4], car on est en danger par le seul fait d'être proclamé empereur. D'ailleurs, il gouvernera l'empire comme un bon président et non comme un tyran ; l'honneur du titre suffit à son ambition, et, pour chaque affaire, il consultera le peuple entier. Quand même il n'eût pas été d'un naturel modéré, la mort de Gaius était pour lui une suffisante leçon de sagesse.
[4] Texte corrompu.
3. Quand Agrippa eut délivré ce message, le Sénat répondit que, confiant dans la force de l'armée et la sagesse de ses propres conseils, il ne se résignerait pas à un esclavage volontaire. Dès que Claude connut cette réponse des sénateurs, il renvoya encore Agrippa pour leur dire qu'il ne consentirait pas à trahir ceux qui lui avaient juré fidélité[5] ; il combattrait donc, malgré lui, ceux que pour rien au monde il n'aurait voulu avoir pour ennemis. Toutefois, il fallait, disait-il, désigner pour champ clos un endroit hors de ville, car il serait criminel que leur funeste entêtement souillât les sanctuaires de la patrie du sang de ses enfants. Agrippa reçut et transmit ce message.
[5] Nous traduisons ὁμόσαντας : plusieurs mss. ont ὁμονοήσαντα c'est-à-dire quorum consensu in imperium esset ascitus.
4. Sur ces entrefaites, un des soldats qui avaient suivi le parti du Sénat, tirant son glaive : « Camarades, s'écria-t-il, quelle folie nous pousse à vouloir tuer nos frères et à nous ruer contre nos propres parents, qui accompagnent Claude, quand nous avons un empereur exempt de tout reproche, quand tant de liens nous unissent à ceux que nous allons attaquer les armes à la main ? » Cela dit, il se précipite au milieu de la curie, entraînant avec lui tous ses compagnons d'armes. En présence de cette désertion, les nobles furent d'abord saisis d'effroi, puis, n'apercevant aucun moyen de salut, ils suivirent les soldats et se rendirent en hâte auprès de Claude. Au pied des murailles, ils virent arriver contre eux, l'épée nue, les plus ardents courtisans de la fortune, et leurs premiers rangs auraient été décimés avant que Claude eût rien su de la fureur des soldats. Si Agrippa, accourant auprès du prince, ne lui avait montré le péril de la situation : il devait arrêter l'élan de ces furieux contre les sénateurs, sans quoi il se priverait de ceux qui font la splendeur de la souveraineté et ne serait plus que le roi d'une solitude.
5. Sitôt informé, Claude arrêta l'impétuosité des soldats, reçut les sénateurs dans son camp et, après leur avoir fait bon accueil, sortit aussitôt avec eux pour offrir à Dieu un sacrifice de joyeux avènement. Il s'empressa de donner à Agrippa tout le royaume qu'avait possédé son aïeul, en y joignant, hors des frontières, la Trachonitide et l'Auranitide, dont Auguste avait fait présent à Hérode, en outre un autre territoire dit « royaume de Lysanias »[6]. Il fit connaître cette donation au peuple par un édit et ordonna aux magistrats de la faire graver sur des tables d'airain qu'on plaça au Capitole. Il donna aussi à Hérode, à la fois frère d'Agrippa et gendre de ce prince par son mariage avec Bérénice, le royaume de Chalcis[7].
[6] C'est-à-dire l'Abilène et divers cantons du Liban (Ant., XIX, 275).
[7] Cet Hérode reçut en effet le titre de roi et le rang prétorien (Dion, LX, 8). Bérénice était sa seconde femme ; en premières noces il avait épouse Mariamme, fille de Joseph II (neveu d'Hérode le Grand) et d'Olympias, fille d'Hérode le Grand (Ant., XVIII, 134).
6. Maître de domaines considérables, Agrippa vit promptement affluer l'argent dans ses coffres ; mais il ne devait pas profiter longtemps de ces richesses. Il avait commencé à entourer Jérusalem d'une muraille si forte[8] que, s'il eût pu l'achever, les Romains plus tard en auraient en vain entrepris le siège. Mais avant que l'ouvrage eût atteint la hauteur projetée, il mourut à Césarée[9], après un règne de trois ans, auquel il faut ajouter ses trois ans de tétrarque[10]. Il laissa trois filles nées de Cypros[11] : Bérénice, Mariamme et Drusilla, et un fils, issu de la même femme, Agrippa. Comme celui-ci était en bas âge[12], Claude réduisit de nouveau les royaumes en province et y envoya en qualité de procurateurs Cuspius Fadus[13], puis Tibère Alexandre[14], qui ne portèrent aucune atteinte aux coutumes du pays et y maintinrent la paix. Ensuite mourut Hérode, roi de Chalcis[15] ; il laissait, de son mariage avec sa nièce Bérénice, deux fils, Bérénicien et Hyrcan, et, de sa première femme, Mariamme, un fils, Aristobule. Un troisième frère, Aristobule, était mort dans une condition privée, laissant une fille, Jotapé[16]. Ces trois princes avaient pour père, comme je l'ai dit précédemment, Aristobule fils d'Hérode ; Aristobule et Alexandre étaient nés du mariage d'Hérode avec Mariamme, et leur père les mit à mort. Quant à la postérité d'Alexandre elle régna dans la grande Arménie[17].
[8] Sur le flanc nord de la ville, qu'elle enveloppait d'un vaste circuit.
[9] Au commencement de l'an 44. — En réalité, si Agrippa n'acheva pas la muraille projetée, c'est qu'il en fut empêché par Marsus, gouverneur de Syrie (Ant., XIX, 327).
[10] Plus exactement il avait possédé 4 ans (37-40) les tétrarchies de Philippe et de Lysanias, un an celle d'Hérode (cf. Ant., XIX. 351).
[11] Fille de Phasaël, neveu d'Hérode le Grand (Ant., XVIII, 131) et de Salampsio, fille d'Hérode et de la première Mariamme.
[12] Il avait 17 ans (Ant. XIX, 354).
[13] Environ 44-45 ap. J.-C.
[14] Environ 46-48.
[15] En 48 (Ant., XX, 104).
[16] Elle portait le nom de sa mère, une princesse d'Emèse, fille de Sampsigeramos (Ant., XVIII, 135).
[17] Tigrane et Alexandre II. Tigrane fut fait roi d'Arménie par Auguste en 11 ap. J.-C., mais bientôt déposé. En 60 ap. J.-C., un fils d'Alexandre II, également nommé Tigrane, reçut la même dignité.