Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 11
Les prélats dépouillent les prêtres et persécutent les protestants

(Septembre 1531 à 1532)

6.11

Stokesley veut faire payer le bas clergé – Émeute des prêtres – Discours de l’évêque – Une bataille – Pour se concilier le clergé, Henri lui livre les évangéliques

Henri, qui en rompant avec Catherine avait par cela même rompu avec le pape, sentit le besoin de s’unir d’autant plus avec ses prélats. Voulant procéder à l’établissement de sa dignité nouvelle, il lui fallait des évêques, et surtout des évêques habiles. Il nomma Edouard Lee archevêque d’York, Etienne Gardiner évêque de Winchester, et ces deux hommes, dévoués aux doctrines scolastiques, ambitieux et serviles, furent chargés d’inaugurer la nouvelle monarchie ecclésiastique du roi d’Angleterre. Quoique le pape se fût hâté de leur expédier leurs bulles, ils déclarèrent tenir leur dignité uniquement et immédiatement du roiz ; puis, ils s’employèrent sans délai à organiser une ligue étrange. Si le roi avait besoin des évêques contre le pape, les évêques avaient besoin du roi contre les réformateurs. Cette alliance ne tarda pas à recevoir le baptême du sang.

z – « Immediatly and only upon your grace. » (Juramentum. Rymer, Acta, VI, p. 169.)

Mais, avant d’en venir là, les prélats avisèrent aux moyens de trouver les 118 000 livres sterling qu’ils s’étaient engagés à payer au roi. Chacun voulait faire sa part aussi petite que possible et rejetait sur ses collègues le plus lourd du fardeau. Les évêques résolurent de le mettre en bonne partie sur les épaules des simples prêtres.

Stokesley, nommé évêque de Londres, commença la bataille. Homme habile, avide, violent, jaloux de ses prérogatives, il réunit six ou huit prêtres, sur lesquels il croyait pouvoir compter, afin de prendre, avec leur concours, des résolutions qu’il pourrait ensuite plus facilement imposer à leurs collègues. Ces ecclésiastiques, soigneusement choisis, furent invités à se rendre, le 1er septembre 1531, dans la salle du chapitre de Saint-Paul.

Le projet de l’évêque, s’étant ébruité, causa dans la cité une indignation générale. Etait-ce aux battus à payer l’amende ? Quelques laïques même, charmés de voir le clergé en querelle, loin d’éteindre le feu, cherchaient à l’accroître.

Le 1er septembre étant arrivé, l’évêque était avec ses officiers au chapitre, où la conférence avec les huit prêtres devait avoir lieu ; bientôt il entendit un bruit inaccoutumé autour de Saint-Paul ; ce n’étaient pas six ou huit prêtres qui se présentaient, c’étaient six cents, accompagnés d’un grand nombre de bourgeois et de gens du peuple. Toute cette foule s’agitait devant la cathédrale, criait, demandait d’être admise au même titre que les élus, dans la salle du chapitre. Que faire ? disait-on autour du prélat ; on lui conseilla de joindre aux sept ou huit qu’il avait d’abord choisis d’autres prêtres des moins passionnés. Stokesley se rangea à cet avis, espérant que les portes et les verrous, seraient assez forts pour retenir la majorité. Il dressa donc la liste des nouveaux élus, et l’un de ses officiers se rendant au milieu de la foule irritée, fit l’appel de ceux que l’évêque avaient choisis. Ceux-ci s’avancèrent, non sans peine ; mais en même temps les exclus firent un effort énergique pour entrer. Tous s’entre-poussaient, donnaient de l’épaule, luttaient, criaient : c’était une véritable batterie. Les officiers de l’évêque, ayant fait promptement passer ceux qui avaient été désignés, fermèrent brusquement les portes. La victoire semblait donc rester à l’évêque et il allait prendre la parole, quand le bruit devint terrible. Les prêtres du dehors, irrités de ce qu’on voulait décider sans eux les affaires de leur bourse, prétendaient que c’était à eux d’en tenir les cordons. Prenant tout ce qu’ils trouvaient sous la main, et aidés des laïques, ils attaquaient les portes du chapitre. Ils réussirent ; les portes cédèrent, et tous, ecclésiastiques et bourgeois, se précipitèrent en avanta. En vain les gens de l’évêque voulaient-ils les arrêter ; la foule leur donnait des coups de poing sur la figureb, les jetait à droite et à gauche. Les robes étaient déchirées, les visages baignés de sueur, les traits décomposés, quelques-uns même étaient blessés. Ces prêtres furieux arrivèrent enfin dans la salle, courant, criant ; on eût dit une meute se précipitant sur le cerf, et non le révérend clergé de la métropole de l’Angleterre, paraissant devant son prélat.

a – « The rest forced the door, rushed in, and the bishop’s servant ? were beaten and ill used. » (Burnet, I, p. 110.)

b – « They struck the bishop’s officers over the face. » (Hall, Chron., p. 783.)

L’évêque, qui avait de l’esprit, ne se fâcha pas et chercha plutôt à apaiser les émeutiers. Ayant obtenu quelque silence : « Je m’étonne, mes frères, leur dit-il, que vous vous échauffiez tellement ; vous ignorez encore ce que j’ai à vous dire… Ecoutez-moi tranquillement. Vous savez que la nature de l’homme ici-bas est fragile ; or, par manque de sagesse, nous du clergé, nous nous sommes tous mal comportés envers le roi et nous sommes ainsi tombés les uns et les autres sous la peine du Prœmunire, en sorte que nos biens, nos terres, nos meubles devraient être confisqués en faveur de la couronne, et nous-mêmes mis en prison. Mais Sa Majesté, dans sa grande clémence, veut bien nous pardonner, et au lieu de tous nos biens, devenus sa propriété, elle consent à accepter peu ; environ cent mille livres sterling, payables en cinq ans. Consentez donc à y contribuer de votre revenu. »

C’était justement ce que les prêtres ne voulaient pas. Ils trouvaient étrange qu’on leur demandât de l’argent pour une faute qu’ils n’avaient pas commise. « Monseigneur, dit l’un, nous n’avons jamais péché, nous, contre le Prœmunire ; nous n’avons jamais eu rien à faire avec l’autorité du cardinalc. Que les évêques et les abbés payent ; c’est eux qui ont commis l’offense, et ils ont de bonnes places. Monseigneur, dit un autre, vingt noblesd par an, ce n’est vraiment pas beaucoup pour vivre, et c’est pourtant notre seul revenu. Tout est si cher que la pauvreté nous oblige à dire non. N’ayant pas besoin du pardon du roi nous n’avons aucune envie de le payer. » Ces paroles furent couvertes d’applaudissements. Non ! » s’écriait la foule qui commençait de nouveau à s’animer, nous ne payerons rien, rien !… » Les officiers de l’évêque s’emportèrent et en vinrent aux gros mots ; les prêtres leur rendirent injures pour injures ; les bourgeois, charmés de voir leurs maîtres se quereller attisaient la dispute. Bientôt on passa des paroles aux faitse. Les huissiers épiscopaux, qui essayaient de rétablir l’ordre, reçurent des coups de poing et des soufflets ; l’évêque même vit sa vie en danger. Enfin l’assemblée se sépara au milieu d’un vacarme inouï. Stokesley courut se plaindre au chancelier Thomas More, qui, grand ami des prélats, fit jeter en prison quinze prêtres et cinq laïques. Ils l’avaient sans doute mérité ; mais les prélats, qui, pour épargner leur superflu, enlevaient à de pauvres curés leur nécessaire, étaient plus coupables encore.

c – « We never meddled with cardinal’s faculties. » (Hall, Chron., p. 784.)

d – Le noble valait 8 francs.

e – « From high words, the matter come to blows. » (Burnet. I, P. 111.)

Telle était l’unité qui existait entre les évêques et les prêtres de l’Angleterre, au moment où les réformateurs se présentaient à ses portes. Les prélats comprenaient le danger auquel les exposait cette doctrine évangélique, source de tant de lumière et de vie. Ils savaient que leurs échafaudages ecclésiastiques pourraient s’écrouler sous le souffle nouveau de la Parole divine. Aussi, non contents de dépouiller de leur petit avoir les pauvres pasteurs dont ils auraient dû être les pères, ils résolurent d’enlever à ceux qu’ils appelaient des hérétiques, non seulement leurs bourses, mais encore la liberté et la vie. Henri VIII le leur permettra-t-il ?

Le roi ne voulait soustraire l’Angleterre à la juridiction papale qu’avec l’assentiment du clergé. S’il le faisait de sa propre autorité, les prêtres s’élèveraient contre lui et le compareraient à Luther. Il y a trois grands partis dans la chrétienté : l’évangélique, le catholique, le papiste. Henri se proposait d’abattre le papisme, mais sans revenir jusqu’à l’évangélisme ; c’était dans le catholicisme qu’il voulait rester. Un moyen se présentait de satisfaire les clercs. Tout en étant partisans fanatiques de l’Église, ils avaient pourtant sacrifié le pape ; ils s’imaginèrent qu’en immolant quelques hérétiques, ils expieraient cette lâche complaisance. Louis XIV plus tard fit de même pour réparer d’autres erreurs. Un synode provincial de Cantorbéry, s’étant réuni, dit au roi : « Sire, vous avez naguère défendu l’Église avec la plume, quand vous n’étiez que l’un de ses membres ; maintenant que vous en êtes le chef suprême, il faut que Votre Majesté écrase ses ennemis ; vos mérites alors dépasseront tout élogef ! »

f – « Tanta ejus Majestatis merita quod nullis laudibus æquari queant. » (Concilia, M. Brit, p. 742.)

Henri VIII, pour prouver qu’il n’était pas un second Luther, livrera donc les disciples de cet hérétique au prêtres ; et ceux-ci pourront les emprisonner, les brûler, pourvu qu’ils aident le roi à saisir le pouvoir usurpé par le pape. Les évêques se mirent aussitôt à traquer les disciples de l’Évangile.

Un testament avait fait grand bruit dans le comté de Glocester. Un gentilhomme, William Tracy, d’une conduite irréprochable et plein de bonnes œuvres, également généreux envers les laïques et envers les prêtresg, était mort en demandant à Dieu de sauver son âme par les mérites de Jésus-Christ ; mais sans laisser aucun argent pour dire des messes. Le primat d’Angleterre fit exhumer et brûler ses os. Mais ce n’était pas assez ; il fallait brûler des vivants.

g – « Full of gord works, good both to the clergy and also to the laity. » (Latimer, Sermons, p. 46. — Tyndale, Op., III, p. 231.)

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