Oui, Seigneur, notre misère ici-bas est notre œuvre, et non pas la tienne. La terre est plus vaste, ses fruits plus abondants qu’il ne le faudrait pour deux générations ! Oui, dans notre intelligence, dans notre puissance d’affection se trouve un trésor de bonheur que nous jetons au vent. Oui, dans notre conscience obéie, dans les vertus exercées sont enfouies des joies vives et pures que nous dédaignons. Ah ! si nous savions seulement tirer de la vie terrestre ce qu’elle renferme, ce serait déjà un avant-goût du ciel ! Si nous savions aimer, si nous savions être confiants les uns envers les autres ; si nous voulions être sincères, complètement sincères, que de maux disparaîtraient et que de joies surgiraient de ces nouveaux rapports de frères et d’amis. Oh ! si ma vie entière pouvait être ce qu’elle a été dans de trop courts instants d’abandon, de charité, de foi ; si je pouvais, sans crainte, ouvrir toujours mon cœur, et, sans ombre, lire dans le cœur de mes frères ; si nous voulions seulement nous unir sans arrière-pensée pour accomplir ton œuvre, que de bonheur sur cette terre, aujourd’hui triste et désolée ! Mais non, Seigneur, nous ne le voulons pas. Nous déplorons nos misères, et nous faisons tout pour les garder. Nous exaltons la confiance, et nous nous défions. Nous célébrons la charité, et nous n’aimons pas, ou nous aimons, comme les péagers, ceux qui nous font du bien, en sorte qu’au fond de notre affection même est un véritable égoïsme. Notre amour est intéressé ; notre amour n’est pas de l’amour. Quand donc, Seigneur, n’en sera-t-il plus ainsi ? Quand aimerai-je comme Jésus a aimé, largement, franchement, sans jamais m’en fatiguer ? Hélas, je crains bien que ce ne soit que dans ton ciel, car la foi me manque pour l’espérer ici-bas. Mon Dieu, fais donc plus que je n’attends ; aide-moi contre mon incrédulité.