Embarras du pape – Les triomphes de Charles le décident – Il appelle la cause à Rome – Accablement de Wolsey – Colère de Henri – Ses craintes – Wolsey obtient un adoucissement – Arrivée des deux légats à Grafton – Wolsey accueilli par Henri – Wolsey et Norfolk à dîner – Henri chez Anne – Conférence entre le roi et le cardinal – Joie et douleur de Wolsey – Le souper d’Enston – Audience de congé de Campeggi – Disgrâce de Wolsey – Campeggi à Douvres – Les courtisans l’accusent – Il quitte l’Angleterre – Wolsey prévoit sa ruine et celle de la papauté
Pendant que la cour s’amusait à Woodstock, Wolsey était, à Londres, en proie aux plus vives angoisses. « L’appel à Rome, écrivait-il à Bennet, entraînera l’abaissement du siège pontifical et la perturbation de la chrétientép. » A peine ce message était-il parvenu au pape, que les ambassadeurs d’Autriche lui remettaient la protestation de la reine, et ajoutaient d’un ton significatif : « Si votre Sainteté n’appelle pas cette cause devant elle, l’Empereur, décidé à en finir, aura recours « à d’autres arguments. » La même perplexité agitait toujours Clément : Qui doit-il sacrifier, de Henri ou de Charles ? Antoine de Leyva, qui commandait les troupes impériales, ayant mis en déroute l’armée française, Clément ne douta plus que Charles ne fût l’élu du ciel. Ce n’était pas seulement l’Europe qui reconnaissait le pouvoir de ce prince ; un nouveau monde venait de déposer à ses pieds sa puissance et son or. Le redoutable roi-prêtre des Aztèques n’avait pu résister à Cortez ; le roi-prêtre de Rome pouvait-il résister à Charles-Quint ? Cortez, revenu du Mexique en Espagne, y avait paru, avec la splendeur barbare des chefs mexicains, des milliers de pesos, de l’or, de l’argent, des émeraudes d’une grosseur extraordinaire, de magnifiques tissus et des oiseaux au plumage éclatant. Il avait accompagné Charles, qui se rendait alors en Italie, jusqu’au lieu de l’embarquement, et avait envoyé à Clément VII de riches métaux, de superbes pierreries, et une troupe de danseurs, de bouffons et de jongleurs mexicains, qui avait surtout charmé le pape et les cardinauxq.
p – Lettre en chiffres de Wolsey à Bennet. (State Papers, VII, p. 195.)
q – Conquête du Mexique, par Prescott. Livre VII, ch. 4.
Clément, tout en se refusant aux demandes de Henri VIII, n’avait pas encore accédé à celles de l’Empereur. Il crut ne pouvoir résister plus longtemps à l'étoile d’un monarque vainqueur des deux mondes, et se hâta d’entrer en négociation avec lui. De subites terreurs venaient bien encore l’assaillir : Mon refus, se disait-il, nous fera peut-être perdre l’Angleterre ! Mais Charles, le serrant de sa puissante main, l’obligeait à se soumettre. Les antécédents de Henri rassuraient un peu le pontife. Comment imaginer qu’un prince qui, seul entre les monarques de l’Europe, avait naguère combattu le grand réformateur, se séparerait maintenant de la papauté ? Clément déclara, le 6 juillet, aux envoyés d’Angleterre qu’il évoquait à Rome le procès de Henri VIII et de Catherine d’Aragon. C’était refuser le divorce. Il y a vingt-trois points dans cette affaire, disait-on, et les débats sur le premier viennent de durer une année ; avant la fin de la procédure, le roi aurait passé l’âge de se marier ou serait même ensevelir. »
r – Not only past marrying, but past living. (Fuller, p. 178.)
En apprenant que le coup fatal était porté, Bennet saisi de douleur, s’écria : « Hélas ! Très saint Père, cet acte sera la ruine de l’Église en Angleterre ; le roi me l’a déclaré en fondant en larmess. — Oh ! pourquoi mon sort est-il de vivre en des jours si funestes, répondit le pape en versant aussi des pleurs ; mais la puissance de l’Empereur m’enveloppe, et si je complais au roi, j’attire sur moi et sur l’Église une ruine épouvantable. — Dieu sera mon juge !… »
s – The Church of England utterly to be destroyed… with weeping tears. (Burnet, Records, I, p. 75.)
Le 15 juillet Da Casale écrivit au ministère anglais la fatale nouvelle. Le roi était cité devant le pape, et en cas de refus condamné à une amende de dix mille ducats. Le 18 juillet, la paix fut proclamée à Rome entre le pontife et l’Empereur, et le lendemain, 19 juillet (ces dates sont importantes), Clément, voulant tenter encore de détourner le coup dont la papauté était menacée, écrivit au cardinal Wolsey : « Mon cher fils, comment vous peindre notre douleur ! Montrez en cette affaire la prudence qui vous distingue, et retenez le roi dans la bienveillance qu’il nous a toujours témoignéet. » Tentative inutile ! loin de sauver la papauté, Wolsey allait faire naufrage avec elle.
t – Ut dictum regem in solita erga nos benevolentia retinere velis. (Burnet, Records, 2 p. 38.)
Wolsey fut consterné. Au moment où il ne cessait d’assurer Henri du dévouement de Clément et de François, l’un et l’autre l’abandonnaient. La politique que le cardinal avait crue si habile et qui n’avait été que tortueuse, échouait. Henri n’avait plus en Europe que des adversaires, et la Réformation allait se répandre dans tout le royaume. L’angoisse de Wolsey ne peut se décrire. Sa puissance, son faste, ses palais, tout était menacé ; qui sait même s’il garderait la liberté et la vie ! — Juste salaire de tant de duplicité !…
Mais la colère du roi devait être encore plus grande que l’effroi de son ministre. Ses serviteurs épouvantés se demandaient comment ils lui annonceraient la décision du pontife. Gardiner, qui, après son retour de Rome, avait été nommé secrétaire d’État, se rendit le 3 août à Langley, pour la lui communiquer. Quelle nouvelle pour le fier Tudor ! Le jugement du divorce interdit en Angleterre, la cause appelée à Rome pour y être ensevelie et iniquement perdue, François Ier traitant avec l’Empereur, Charles et Clément VII sur le point de se donner à Bologne des signes éclatants de leur inaltérable accord, les services rendus par le roi à la papauté payés de la plus noire ingratitude, son espérance de donner un héritier à la couronne indignement frustrée, enfin, et par-dessus tout, Henri VIII, le plus fier monarque de la chrétienté, sommé de se rendre à Rome pour y comparaître devant un tribunal ecclésiastique, … c’était trop pour Henri. Sa colère, un moment contenue, éclata comme la foudreu, et tout trembla autour de lui. « Prétend-on, s’écria-t-il, instruire ma cause ailleurs que dans mes propres États ? Moi, le roi d’Angleterre, cité en Italie devant un tribunal !… Eh bien, oui… je me rendrai à Rome, mais ce sera avec une si puissante armée, que le pape, ses prêtres et tous ses Italiens en seront frappés de terreurv ! — Je défends, reprit-il, que les lettres de citation soient exécutées. Je défends que la commission se regarde comme déchargée de ses fonctions. » Henri eût voulu déchirer la pourpre de Campeggi, jeter en prison ce prince de l’Église, afin d’épouvanter Clément VII, mais la grandeur même de l’injure l’obligea à se modérer. Il craignait par-dessus tout de paraître humilié aux yeux de l’Angleterre, et il espérait, en montrant quelque douceur, voiler l’affront qu’il venait de recevoir. « Que l’on fasse tout au monde, dit-il à Gardiner, pour cacher à mes sujets ces lettres de citation, si préjudiciables à ma gloire. Écrivez à Wolsey que j’ai la plus grande confiance dans sa dextérité et qu’il doit, par de bons traitements, gagner le cardinal Campeggiw, les conseillers de la reine, et surtout obtenir à tout prix que l’on ne me présente pas ces lettres de citation. » Mais à peine Henri avait-il donné ses instructions que l’outrage dont il venait d’être l’objet se représentait à lui ; la pensée de Clément VII le poursuivait nuit et jour, et il jurait de tirer du pontife une éclatante vengeance. Rome ne veut plus de l’Angleterre… l’Angleterre, à son tour, ne voudra plus de Rome. Henri sacrifiera Wolsey, Clément, l’Église ; rien n’arrêtera sa fureur. L’astucieux pontife a caché son jeu, le roi le battra à jeu découvert ; et de siècle en siècle la papauté versera des larmes sur l’imprudente folie d’un Médicis.
u – He became much incensed. (Herbert, 287.) Supra quam dici potest excanduit. (Sanders, p. 50.)
v – He would do the same with such a mayn [great] and army royal, as should be formidable to the pope and all Italy. (State Papers, 7 p. 194 ; Burnet, Records, p. 37.)
w – Your grace’s dexterity… by good handling of the cardinal Campeggio. (State Papers, vol. 1 p. 336.)
Ainsi, après les insupportables longueurs qui avaient fatigué la nation, une trombe venait de fondre sur l’Angleterre. La cour, le clergé, le peuple, auxquels on n’avait pu cacher ces grands événements, étaient profondément émus, et le trouble était dans tout le royaume. Wolsey, espérant encore prévenir sa ruine et celle de la papauté, déploya aussitôt toute la dextérité que Henri avait réclamée ; il obtint qu’on ne présentât pas au roi les lettres de citation, et qu’on se contentât de lui dénoncer le bref adressé à Wolsey par Clément VIIx. Le cardinal, joyeux de ce petit succès, et voulant en profiter pour relever son crédit, résolut d’accompagner Campeggi qui allait à Grafton prendre congé du roi. Quand on apprit l’arrivée prochaine des deux légats, l’agitation fut grande à la cour. Les ducs virent dans cette démarche un dernier effort de leur ennemi, et conjurèrent Henri de ne pas le recevoir. « Le roi le recevra ! disait-on ; — Le roi ne le recevra pas ! » Enfin, un dimanche matin, on vint annoncer que les deux prélats étaient aux portes du château. Wolsey regardait d’un œil inquiet s’il ne découvrait pas les grands officiers qui avaient coutume de l’introduire. Ils parurent et invitèrent Campeggi à les suivre. Le légat romain une fois installé, Wolsey attendait son tour ; mais quelle fut sa consternation quand on lui dit qu’il n’y avait pas d’appartement pour lui ! Sir Henri Norris, gentilhomme de la garde-robe, offrit à Wolsey d’entrer dans sa modeste chambre, et le légat l’y suivit, le cœur navré de l’humiliation qu’il venait de subiry. Il se prépara à paraître devant le roi, et s’armant de courage, se rendit à la salle d’audience.
x – The exhibition of the bref in lieu of the letters citatorial. (State fapers, I, p. 343.)
y – Cavendish, écuyer de Wolsey, nous a donné tous les détails de ce séjour à Grafton. (Life of Wolsey, p. 237 à 245.)
Les lords du conseil y étaient placés selon leur rang ; Wolsey, ôtant son chapeau, fit le tour du cercle et salua chacun d’eux avec une civilité affectée. Un grand nombre de courtisans arrivaient, impatients de savoir comment Henri recevrait son ancien favori ; et la plupart triomphaient de la disgrâce éclatante dont ils croyaient être témoins. Enfin, on annonça le roi.
Henri s’étant placé sous le dais royal, Wolsey s’avança et fléchit le genou. Le plus profond silence régnait dans l’assemblée… O surprise ! le roi lui tend la main, le prend par les deux bras, et le relèvez… Puis, avec un sourire aimable, il conduit Wolsey dans la large embrasure de la grande fenêtre, l’invite à se couvrir et l’entretient familièrement. Alors, dit Cavendish, écuyer du cardinal, vous auriez ri de voir la contenance des courtisans. »
z – Then he took mylord up by both arms and caused him to stand up. (Cavendish, p. 239.)
Mais c’était le dernier rayon du soir qui éclairait alors le front assombri de Wolsey ; l’astre de sa faveur allait se coucher pour toujours… Le silence s’était accru, car chacun eût voulu entendre quelques mots de la conversation. Le roi semblait accuser Wolsey, et Wolsey paraissait se justifier. Tout à coup Henri tirant une lettre de son habit, la plaça vivement sous les yeux du cardinal, et lui dit en haussant la voix : « Comment cela se fait-il ? n’est-ce pas votre main ? » C’était sans doute la lettre que Bryan avait interceptée. Wolsey répondit à voix basse, et parut avoir apaisé son maître. L’heure du dîner étant arrivée, le roi sortit en annonçant à Wolsey qu’il ne tarderait pas à le rejoindre ; les courtisans s’empressèrent de faire au cardinal de profondes salutations, mais il traversa la salle avec hauteur, et les ducs coururent porter à Anne Boleyn la nouvelle de cet étonnant accueil.
Wolsey, Campeggi et les lords du conseil se mirent à table. Le cardinal, comprenant que la terrible lettre le perdait sans retour, et que les bonnes grâces de Henri n’avaient d’autre but que de préparer sa chute, commença à faire pressentir sa retraite. « Vraiment, dit-il d’un ton dévot, il serait bon que le roi renvoyât à leurs bénéfices tous les prêtres et les évêques qui résident à la cour… » On se regardait étonné. — « Oui-dà ! s’écria un peu rudement le duc de Norfolk, et vous aussi, milord ?… — Je serais fort content, répondit Wolsey, que le roi voulût bien me permettre de me retirer dans mon bénéfice de Winchester. — Non, non, reprit Norfolk, dans celui d’York, s’il vous plaît ! » Norfolk se souciait fort peu que Wolsey résidât si près de Henri. — Comme il plaira au roi, » répondit Wolsey, et il changea de conversation.
Henri s’était fait annoncer chez Anne Boleyn, qui, dit Cavendish, tenait à Grafton un état de reine plutôt que de dame d’honneur. Douée d’une extrême sensibilité et d’une ardente imagination, Anne, qui ressentait la moindre injure avec la sensibilité d’un cœur de femme, était fort mécontente du roi après le rapport des ducs ; aussi, sans se soucier des gens qui les servaient : « C’est une chose étonnante, Sire, lui dit-elle, que les dangers où vous a précipité le cardinal d’York. — Comment cela ? » dit Henri. Anne continua : « Ne savez-vous pas la haine que ses exactions vous ont attirée ? Il n’y a pas un homme dans votre royaume, valant cent livres sterling, dont il ne vous ait fait le débiteur. » Anne voulait parler d’un emprunt du roi. « Bien, bien, dit Henri qui n’aimait pas cette conversation, je connais cela un peu mieux que vous, Madame. — Si le duc de Suffolk, si mon oncle, si mon père avaient fait la moitié autant de mal que le cardinal d’York, continua Anne, il y a longtemps qu’ils l’eussent payé de leur tête !… — Oh ! oh ! dit Henri, je m’aperçois que vous n’êtes pas de ses amis. — Non, Sire, ni moi ni aucun de ceux qui vous aiment, » répliqua-t-elle. Le dîner fini, le roi, sans paraître ébranlé, se rendit à la salle d’audience où Wolsey l’attendait.
Après l’avoir entretenu quelques moments à voix basse, Henri le prit par la main et le conduisit dans son cabinet. Les courtisans attendaient avec impatience la fin d’une entrevue qui pouvait décider du sort de l’Angleterre ; ils se promenaient dans les corridors du château, passant souvent devant la porte du cabinet, dans l’espoir de surprendre sur les traits de Wolsey, lorsqu’elle s’ouvrirait, le résultat de cette conférence secrète ; mais les quarts d’heure, les heures même se succédaient et Wolsey ne sortait pas !… Henri, ayant résolu que cette conversation serait la dernière, recueillait sans doute, auprès de son ministre, des informations qui lui étaient nécessaires. Mais les courtisans s’imaginèrent que le cardinal rentrait dans la faveur de son maître ; Norfolk, Suffolk, Wiltshire et les autres ennemis du premier ministre commencèrent à s’alarmera et coururent chez Anne Boleyn, qui était leur dernier espoir.
a – Which blanked his enemies very sore. (Cavendish, p. 242.)
La nuit était venue : le roi et Wolsey sortirent enfin du cabinet royal ; le premier paraissait gracieux et le second satisfait ; Henri eut toujours pour coutume de sourire à ceux qu’il allait immoler. « A demain matin, dit-il au cardinal avec un signe de bienveillance. » Wolsey salua profondément, et en se retournant vers les seigneurs de la cour, il vit leurs traits refléter le sourire du roi. Wiltshire Tuke, Suffolk même lui témoignaient leurs civilités. « Bien, se dit-il, le mouvement de ces girouettes m’annonce de quel côté souffle la faveurb. »
b – From the motions of such weathercocks the air of prince’s affection was best gathered. (Burnet, I, p. 77.)
Mais un moment après le vent commença à tourner. Des hommes, munis de torches, attendaient le cardinal aux portes du château, pour le conduire au lieu où il devait passer la nuit. Ainsi il ne coucherait pas sous le même toit que Henri. C’était à Enston, chez maître Empson, à trois milles de là qu’on l’envoyait. Wolsey, réprimant son dépit, monta à cheval, les valets le précédèrent en agitant leurs flambeauxc, et après une heure de route par de fort mauvais chemins, il arriva au domicile qu’on lui avait assigné.
c – Whither mylord came by torch fight. (Cavendish, p. 243.)
On se mit à table ; quelques-uns de ses plus intimes amis avaient été invités ; tout à coup on annonça Gardiner. Gardiner devait tout au cardinal et néanmoins il ne s’était pas présenté chez lui depuis son retour de Rome. Il vient sans doute faire l’hypocrite et m’épier, pensa Wolseyd. Mais à peine le secrétaire était-il entré, que Wolsey se levant, lui fit un compliment gracieux et l’invita à s’asseoir. « Monsieur le secrétaire, dit-il, où donc avez-vous été depuis votre retour de Rome ? — J’ai suivi la cour dans ses voyages. — Vous avez donc chassé ? Avez-vous des chiens lévriers ? demanda le premier ministre, qui savait fort bien ce que faisait Gardiner dans le cabinet du roi. — Quelques-uns, répliqua Gardiner. » Wolsey pensait que Gardiner lui-même était un lévrier à ses trousses. Toutefois, après le souper, il le prit à part et causa avec lui jusqu’à minuit. Il croyait prudent de ne rien négliger de ce qui pouvait éclairer sa position ; et Wolsey sondait Gardiner, comme Henri venait de le sonder lui-même.
d – Mylord took it that he came to dissemble or to espy » (Ibid.)
Le même soir, à Grafton, le roi reçut Campeggi en audience de congé, et il le traita fort bien, « tant de présents que d’autres choses, » dit Du Bellay. Puis Henri retourna chez Anne Boleyn. Les ducs avaient fait comprendre à cette jeune femme l’importance du moment ; elle demanda donc et obtint de Henri, sans grande difficulté, la promesse de ne plus jamais parler à son ministree. L’injure de la papauté avait aigri le roi d’Angleterre, et ne pouvant la punir, il se vengeait sur son cardinal.
e – Du Bellay au Grand-Maître. (Le Grand, preuves, p. 375.)
Le lendemain matin, Wolsey, impatient d’avoir l’entrevue que Henri lui avait promise, se rendit de bonne heure à Grafton. Mais comme il arrivait, il aperçut un grand train de valets et de chevaux d’équipages, et bientôt il vit paraître Henri lui-même, Anne Boleyn, et plusieurs seigneurs et dames de la cour, s’avançant à chevalf. Qu’est-ce à dire ? se demanda le cardinal, troublé. « Milord, lui dit le roi, je ne puis m’arrêter avec vous. Vous retournerez à Londres avec le cardinal Campeggi. » Puis, piquant des deux, Henri salua amicalement son ministre et s’éloigna. Après le roi s’avança Anne Boleyn, qui passa devant Wolsey la tête haute et lui lançant un fier regard. La cour se rendait à Hartwell-Park, où Anne avait résolu de retenir le roi tout le jour. Wolsey était confondu. Il n’y a plus à en douter ; sa disgrâce est certaine. La tête lui tourne, il reste un moment immobile ; enfin il se remet ; mais l’affront qu’il a reçu n’a pas échappé aux courtisans, et l’on annonce partout la chute définitive du cardinal.
f – At whose coming the king was ready to ride. » (Cavendish, p. 244.)
Après le dîner les légats partirent, et arrivèrent le second jour au manoir du Moor, château bâti par un prédécesseur de Wolsey, l’archevêque Néville, qui, pour cause de haute trahison, avait été envoyé en prison d’abord à Calais, puis au château de Ham. Ce souvenir ne fut pas agréable au superstitieux Wolsey. Le lendemain, les deux cardinaux se séparèrent, Campeggi se dirigeant sur Douvres, et Wolsey sur Londres.
Campeggi était impatient de se trouver hors de l’Angleterre, et fut très chagrin quand, arrivé à Douvres, il se vit arrêté par les vents. Mais un contre-temps plus fâcheux encore lui était réservé. A peine avait-il pris quelque repos que la porte de sa chambre s’ouvrit, et une troupe d’archers s’y précipita. Le cardinal, qui savait ce que signifiaient en Italie des scènes de cette espèce, se crut mortg, et tomba tout tremblant aux pieds de son chapelain, en lui demandant l’absolution. Pendant ce temps les archers ouvraient ses paquets, enfonçaient ses malles, dispersaient ses effets, et secouaient ses hardesh.
g – Le Grand, Histoire du divorce, II, 156. Vie de Campeggi, par Sigonius.
h – Sarcinas excuti jussit. (Sanders, p. 51.)
La tranquillité d’âme de Henri n’avait pas été de longue durée. « Campeggi porte à Rome des lettres de Wolsey, disait-on autour de lui ; qui sait si elles ne contiennent pas quelque acte de haute trahison ? — Il a encore dans ses papiers la fameuse décrétale qui prononce le divorce, disait un autre ; cet acte, si nous l’avions, terminerait l’affaire. » — Un troisième affirmait qu’il se trouvait dans son bagage de grands tonneaux contenant les trésors du cardinal d’York, et que celui-ci irait jouir des fruits de sa trahison dans la ville des pontifesi. « Il est certain, assurait un quatrième, que Campeggi, aidé du cardinal, a su se procurer la correspondance de Votre Majesté avec Madame Anne Boleyn et qu’il l’emporte. » Henri avait donc envoyé un courrier après le nonce, avec ordre de le fouiller soigneusement.
i – The king was informed that he carried with him great treasures of mylord’s, conveyed in great tuns. (Cavendish, p. 246.) Voir aussi Le Grand, II, p. 258.
On n’avait rien trouvé, ni lettre, ni bulle, ni trésors. La bulle, elle avait été détruite ; les trésors, Wolsey n’avait pas pensé à les remettre à son collègue ; les lettres de Henri et d’Anne Boleyn, Campeggi les avait envoyées en avant par son fils Rodolphe, et le pape tendait déjà les mains pour les recevoir, fort glorieux, ainsi que ses successeurs, de ce vol commis par deux de ses légats.
Campeggi rassuré, et voyant qu’on ne voulait ni le tuer ni le voler, fit grand bruit de cet acte de violence et des discours outrageux qui l’avaient provoqué. « Je ne sortirai pas d’Angleterre, fit-il dire à Henri, que l’on ne m’ait donné satisfaction. — Monseigneur oublie sans doute qu’il n’est plus légat, répondit le roi, puisque le pape lui a retiré ses pouvoirs ; il oublie de plus qu’il est mon sujet, puisqu’il tient de moi l’évêché de Salisbury ; quant aux discours contre Monseigneur et le cardinal d’York, c’est une liberté que le peuple a coutume de prendre en Angleterre, et à laquelle on n’est pas maître de s’opposer. » Campeggi, impatient d’arriver en France, se contenta de ces raisons, et oublia bientôt tous ses ennuis, à la table somptueuse du cardinal Duprat.
Wolsey n’était pas si heureux. Il avait vu partir Campeggi, et restait comme un naufragé jeté sur une île déserte, qui a vu s’éloigner les amis seuls capables de lui donner quelque secours. La nécromancie lui avait appris que cette année lui serait fatalej. L’ange de la nonne de Kent avait dit : « Va vers le cardinal et annonce-lui sa chute, parce qu’il n’a pas fait ce que tu lui avais commandé de faire. » D’autres voix se faisaient encore entendre : la haine de la nation, les mépris de l’Europe, et surtout la colère de Henri VIII, tout lui criait que son heure était arrivée. Le pape, il est vrai, lui disait qu’il ferait tout pour le sauverk ; mais les bons offices de Clément ne devaient que hâter sa ruine. Du Bellay, que le peuple croyait complice du cardinal, constatait le changement qui s’était opéré dans les esprits. Pendant qu’il traversait à pied les rues de la capitale, suivi de deux valets, « on lui remplissait, en passant, les oreilles de moquerie, tant qu’il ne savait, dit-il, où s’en tournerl. Le cardinal s’en va totalement, écrivait-il, et n’y vois ordre au contraire. » Il venait parfois à Wolsey la pensée de prononcer lui-même le divorce ; mais c’était trop tard. « Votre vie est en danger ! » lui disait-on. La fortune, aveugle et chauve, le pied sur la roue, s’enfuyait rapidement sans qu’il lui fût possible de l’arrêter. Ce n’était pas tout ; après lui, pensait-il, il n’y avait personne qui pût maintenir dans la Grande-Bretagne l’Église des pontifes. Le navire de Rome était à cette heure sur une mer agitée et sillonnée d’écueils ; Wolsey, à la barre du gouvernail, cherchait vainement un refuge ; le navire faisait eau de toutes parts ; il sombrait, et le cardinal poussait un cri de détresse. Hélas ! il avait voulu sauver Rome, mais Rome ne l’avait pas voulu…
j – He had learned of his necromancy that this would be a jeopardose year for him. » (Tyndale, I, p. 480.)
k – The angel commanded her. » (Strype, I, p. 373.)
l – Herbert, p. 289.