L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
11 Qu’il faut examiner soigneusement les désirs du cœur, et prendre peine à les modérer
Je vois qu’à me servir enfin tu te disposes ; Mais, n’en espère pas grand fruit, A moins que je t’apprenne encore beaucoup de choses Dont tu n’es pas encore assez instruit.
Seigneur, que veux-tu m’apprendre ? Je suis prêt de t’écouter ; Joins à la grâce d’entendre La force d’exécuter
Toutes tes volontés doivent être soumises Purement à mon bon plaisir, Jusqu’à ne souhaiter en toutes entreprises Que les succès que je voudrai choisir.
Tu ne dois point t’aimer, tu ne dois point te plaire Dans tes propres contentements ; Tu dois n’être jaloux que de me satisfaire, Et d’obéir à mes commandements.
Quel que soit le désir qui t’échauffe et te pique, Considère ce qui t’en plaît, Et vois si ta chaleur à ma gloire s’applique, Ou s’il t’émeut par ton propre intérêt.
Lorsque ce n’est qu’à moi que ce désir se donne, Qu’il n’a pour but que mon honneur, Quelque effet qui le suive, et quoi que j’en ordonne, Ta fermeté tient tout à grand bonheur.
Mais lorsque l’amour-propre y garde encor sa place, Quoique secret et déguisé, C’est là ce qui te gêne et ce qui t’embarrasse, C’est ce qui pèse à ton cœur divisé.
Défends-toi donc, mon fils, de la première amorce D’un désir mal prémédité ; N’y prends aucun appui, n’y donne aucune force Qu’après m’avoir pleinement consulté.
Ce qui t’en plaît d’abord peut bientôt te déplaire, Et te réduire au repentir, Et tu rougiras lors de ce qu’aura pu faire Cette chaleur trop prompte à consentir.
Tout ce qui paraît bon n’est pas toujours à suivre, Ni son contraire à rejeter ; L’ardeur impétueuse à mille erreurs te livre, Et trop courir c’est te précipiter.
La bride est souvent bonne, et même il en faut une A la plus sainte affection ; Son trop d’empressement la peut rendre importune, Et te pousser dans la distraction.
Il te peut emporter hors de la discipline, Sous prétexte de faire mieux, Et laisser du scandale à qui ne l’examine Que par la règle où s’attachent ses yeux.
Il peut faire en autrui naître une résistance Que tu n’auras daigné prévoir, Et de qui la surprise ébranlant ta constance La troublera jusqu’à te faire choir.
Un peu de violence est souvent nécessaire Contre les appétits des sens, Même quand leur effet te paraît salutaire, Quand leurs désirs te semblent innocents.
Ne demande jamais à ta chair infidèle Ce qu’elle veut ou ne veut pas ; Range-la sous l’esprit, et fais qu’en dépit d’elle Son esclavage ait pour toi des appas.
Qu’en maître, qu’en tyran cet esprit la châtie, Qu’il l’enchaîne de rudes nœuds, Jusqu’à ce que, domptée et bien assujettie, Elle soit prête à tout ce que tu veux ;
Jusqu’à ce que, de peu satisfaite et contente, Elle aime la simplicité, Et que chaque revers qui trompe son attente Sans murmurer en puisse être accepté.