L’hypothèse d’après laquelle l’épître aux Romains ne serait qu’un assemblage de pièces rapportées (Steck, Völter) est inconciliable avec la marche ferme et le plan parfaitement rationnel que nous croyons avoir démontré dans cet écrit. S’il y a une œuvre puissamment conçue et sortie d’un jet, dans la littérature profane ou sacrée, c’est celle-ci.
Les 1200 variantes environ indiquées par Tischendorf dans sa 8me édition restent sans influence sur l’enseignement chrétien. On peut à peine envisager comme une exception la variante 8.11, la plus importante de toutes.
La vraie question, qui se soulève à ce sujet, est celle de l’authenticité et de l’intégrité des ch. 15 et 16. Il paraît, par une déclaration d’Origène (ad Rom. XVI, 25, en trad. lat.), que Marcion omettait ces deux derniers chapitresi. D’après Tertullien (Cont. Marc. V, 14) la parole 16.10 se trouvait in clausula de l’épître. Ce Père, ainsi qu’Irénée, ne cite nulle part ces deux chapitres. Enfin il se trouve que les trois versets doxologiques 16.25-27, qui terminent le ch. 16 dans notre texte, sont placés dans un certain nombre de documents (L, 200 Mnn., Lectionaria, Vers. Syr. Phil.) à la fin du ch. 16 ; d’où l’on peut inférer que pour ces autorités les chapitres suivants ne faisaient pas partie de l’épître.
i – « Caput hoc (16.25-27) Marcion de hâc epistolâ penitùs abstulit et non solum hoc, sed et ab eo loco ubi scriptum est : Omne autem quod non est ex fide, peccatum est, usque ad finem omnia dissecuit. » F. Nitzsch a entendu ce dissecuit non d’un retranchement total, mais d’une simple mutilation. Mais Rönsch, dansItala und Vulgata, a prouvé que dissecare était employé, dans le latin vulgaire de l’époque, dans le sens de desecare. L’opposition dans cette phrase n’est pas entre les deux verbes penitùs abstulit et dissecuit, mais entre les deux objets caput hoc et omnia.
Semler supposa que c’étaient là deux appendices remis par Paul aux porteurs de sa lettre, pour leur indiquer les noms des docteurs qu’ils devaient visiter dans leur voyage. Le ch. 15 devait former le sujet d’un entretien qu’ils auraient avec eux. Paidus, de Heidelberg, les envisagea comme un supplément destiné uniquement aux membres les plus avancés de l’église romaine. Griesbach, puis Eichhorn, virent dans le ch. 15 un supplément ajouté après coup, lorsque le ch. 14 était déjà rédigé ; le ch. 16 était selon eux la réunion de plusieurs billets adressés séparément par l’apôtre, ce qui expliquait les finales multiples que l’on croit discerner dans ce chapitre. Depuis D. Schulz, l’on admet plutôt que le ch. 16 a été adressé non point à l’église de Rome, mais à celle d’Éphèse, où Phébé devait s’arrêter en se rendant à Rome. Cette supposition repose sur deux raisons principales : la première, que d’aussi nombreuses salutations ont dû être adressées plutôt à une église connue de Paul qu’à une église qui lui était étrangère ; la seconde, que les trois premières personnes saluées, Aquilas, Priscille et Epénète, habitaient certainement Éphèse, d’après 1 Corinthiens 16.19 et Romains 16.5 (vraie leçon). Mais les nombreux critiques qui aujourd’hui partagent cette opinion se divisent sur certains points secondaires. D’après D. Schulz, Reuss, Weiss, le fragment adressé aux Ephésiens comprend 16.1-20 ; d’après Weizsæcker, 1-23 ; d’après Lücke et Lipsius, 1-6 et 17-20. Ewald et Mangold ne le font commencer qu’au v. 3. D’autres, autrement. Afin de donner plus de consistance à cette hypothèse d’un fragment de lettre aux Éphésiens inséré dans notre épître, Schultz l’a étendue aux ch. 12, 13 et 14 qui auraient aussi fait partie de cette prétendue lettre. Ces chapitres ne sauraient, dit-il, avoir appartenu à l’épître aux Romains, puisque la quintessence des exhortations morales qu’ils renferment, avait déjà été exposée par Paul dans les ch. 6 à 8. Toute cette partie, 12.1 jusqu’à 15.6, appartenait donc à une lettre aux Ephésiens, et le morceau de salutations 16.3-20 est un autre fragment de la même lettre, que Paul a écrite à une époque beaucoup plus tardive, durant, sa captivité romaine. M. Renan est surtout frappé des nombreuses finales que renferment les deux chapitres 15 et 16, et dont il compte quatre au moins. Elles prouvent, selon lui, qu’il y a ici amalgame de conclusions diverses appartenant aux exemplaires multiples de notre lettre, adressés à quatre églises. L’exemplaire destiné à Rome contenait ch. 1 à 11 + ch. 15 ; un second, adressé à Éphèse, comprenait ch. 1 à 11 + ch. 12 à 14 et 16.1-20 ; un troisième, envoyé à Thessalonique, renfermait ch. 1 à 11 + ch. 12 à 14 + 16.21-24 ; le quatrième enfin, destiné à une église inconnue, renfermait ch. 1 à 11 + ch. 12 à 14 + 16.25-27, — de sorte que chacun de ces exemplaires ne possédait qu’une des finales renfermées dans notre texte.
Baur va plus loin ; il affirme simplement, avec Marcion, l’inauthenticité complète des ch. 15 et 16. La position de la doxologie (16.25-27) à la fin du ch. 14, dans un grand nombre de documents, lui paraît un indice significatif dans ce sens. D’ailleurs l’attitude conciliante que prendrait l’apôtre dans ces chapitres par rapport au judéo-christianisme ne peut convenir au vrai Paul. Puis le faussaire se trahit dans plusieurs petits détails dont le but évident est d’écarter de Paul le soupçon de toute participation à l’antinomisme marcionite.
Mais, comme il était impossible de supposer que l’apôtre eût terminé sa lettre avec la fin du ch. 14, Volkmar et Lucht, deux disciples de Baur, ont cherché dans ces deux derniers chapitres quelques paroles vraiment authentiques qui auraient été amplifiées dans la suite. Volkmar les trouve dans les versets 15.33 à 16.1-2, en y ajoutant encore 16.21-24. Le reste a été ajouté, en partie en Orient, vers 120, pour produire l’impression d’une relation amicale entre Paul et l’église de Rome ; le morceau 16.17-20, en Occident, vers 150, pour combattre sous le nom de Paul l’hérésie immorale carpocratienne. — D’après Lucht, la fin authentique, dirigée contre la minorité ascétique du ch. 14, aurait été jugée trop sévère par les presbytres romains, qui la supprimèrent. Mais la feuille qui la contenait fut retrouvée plus tard, et un rédacteur la remania, en en retenant le passage 16.21-23 et en l’amalgamant avec une lettre de l’apôtre aux Éphésiens, où se trouvaient les passages 16.1-6 et 17-20 ; il ajouta de son chef 16.7-16 et 25-27.
Hilgenfeld, quoique appartenant à la même école, a pris résolument dans son Introduction (voir aussi Zeitschr. f. hist. Theol., 1855) la défense de l’authenticité de ces deux chapitres, sauf de la doxologie finale 16.25-27 ; c’était l’opinion défendue auparavant par Reiche.
Il n’est pas aisé de se frayer un chemin au travers de ce dédale d’hypothèses dont la variété trahit le caractère plus ou moins arbitraire.
L’opinion la plus radicale, celle de Baur, s’appuie sur un témoignage antique, celui de Marcion, vers 140. Mais si l’on pense à la manière dont Marcion mutilait les écrits bibliques qu’il admettait, pour les accommoder à ses vues dogmatiques, retranchant par exemple de l’épître aux Romains les morceaux 8.12 à 9.3 et 10.5 à 11.32, on comprend le peu de valeur du témoignage de cet hérétique. Il avait pour retrancher ces chapitres les mêmes raisons que Baur a fait valoir contre leur authenticité.
L’absence de citation chez Tertullien n’est pas tout à fait exacte, comme l’a montré Rönsch; voir Mangold, p. 38. Quant à Irénée, il peut fort bien ne pas avoir cité ces chapitres parce qu’il n’a pas eu l’occasion de le faire, de même qu’il ne cite pas une seule fois d’autres morceaux bien plus importants, comme les huit premiers ch. de la 2me aux Corinthiens et deux chapitres entiers de la 1re. L’auteur du Fragment de Muratori, contemporain d’Irénée, avait bien probablement en vue Romains 15.24,28, quand il expliquait la non-mention, dans les Actes, du martyre de Pierre et du voyage de Paul en Espagne, par la raison que Luc ne racontait que les faits dont il avait lui-même été témoin (voir Mangold, p. 43, note).
Quant aux raisons internes alléguées par Baur, elles n’ont de valeur que si on admet l’antagonisme de principes qu’il établit entre Paul et les Douze. Hilgenfeld lui-même demande avec raison si l’auteur de notre chapitre 15, en appelant Jésus serviteur de la circoncision (v. 8), a réellement dit quelque chose de plus en faveur du judaïsme que le vrai Paul, quand il fait des païens croyants un rejeton greffé sur l’olivier franc du peuple d’Israël (11.17 et suivant). Pfleiderer (Paulinimus, p. 314) reconnaît l’insuffisance des raisons alléguées par Baurj. Du reste, comme Reuss le dit avec raison : « On n’entrevoit pas le moins du monde la possibilité que l’épître se soit terminée avec le ch. 14 » (Épîtres pauliniennes, I, p. 126).
j – Comparez aussi das Urchristenthum, de ce même auteur : « L’authenticité de ce ch. (15) ne saurait être mise en doute. » Du ch. 16, il rejette seulement v. 17-20 et 25-27 (p. 145).
Les hypothèses compliquées de Volkmar et de Lucht reposent, comme l’opinion de Baur, sur la fausse supposition d’une opposition de principes entre le paulinisme et le christianisme apostolique. Ce que Volkmar laisse subsister d’authentique pour former la conclusion de la lettre est insuffisant pour faire le pendant du préambule 1.1-16. D’ailleurs s’imagine-t-on que les exemplaires des écrits apostoliques fussent à la merci du premier venu à qui il prenait fantaisie de les falsifier ? Il est vrai que Lucht met dans ce cas à l’œuvre les presbytres mêmes de l’église romaine, et après cela seulement un falsificateur inconnu. Si fines que soient les observations du critique, elles ne sauraient rendre vraisemblables de telles manipulations opérées sur des écrits qu’entourait le respect des églises. Le seul fait propre à soulever des doutes à l’égard de ces deux chapitres, est la place qu’un certain nombre d’autorités assignent à la doxologie finale, à la fin du ch. 14. Ces autorités ne sont, il est vrai, ni les documents de l’ancien texte alexandrin (א B), ni le témoin le plus ancien du texte gréco-latin, le Claromontanus (D), ni même les Codd. Alexandrinus et Porfirianus (A P, qui lisent ce passage aux deux endroits). On ne peut pas non plus citer en faveur de cette leçon les anciennes versions, syriaque et latine, non plus que les anciens interprètes, Origène et Ambrosiaster. Elle a pour elle seulement un grand nombre de documents byzantins (L, 200 Mnn.), les Lectionnaires et plusieurs Pères grecs (Chrysostome, Théodoret). Origène mentionne d’anciens manuscrits qui présentaient aussi cette leçon. Exégétiquement il n’est pas possible de rattacher rationnellement cette doxologie aux derniers mots du ch. 14 : « Ce qui se fait sans la foi est péché. » Hofmann l’a essayé, mais en vain. Il faudrait donc en tout cas admettre dans le texte à la fin du ch. 14 une forte lacune. L’invraisemblance de cette supposition parle contre la leçon des documents qui placent la doxologie à cet endroit et contre celle des documents qui la placent aux deux endroits.
La seule supposition possible serait que, dès une époque très ancienne, toute la portion du texte depuis 14.23 à 16.24 aurait été retranchée dans un certain nombre de documents Une telle supposition est-elle admissible ? Rinck a pensé que des exemplaires mutilés par les Marcionites avaient élé employés plus tard dans l’Eglise orthodoxe et que l’on avait négligé. d’y réintégrer les ch. 15 et 16. Il y a, me paraît-il, une explication moins invraisemblable. On sait qu’un grand nombre des leçons propres au texte byzantin proviennent de modifications exigées par les besoins de la lecture publique ; ainsi la substitution si fréquente du nom propre au pronom, au commencement des morceaux destinés aux lectures régulières. Or ce sont précisément les autorités byzantines (Minuscules, Lectionnaires, Cod. L) qui présentent la leçon dont nous nous occupons. Pourquoi ? Parce que la lecture publique avait uniquement en vue l’édification et que les ch. 15 et 16, ne contenant guère que des détails historiques, d’un intérêt local et temporaire, n’avaient que peu de prix à ce point de vue. Il était donc assez naturel de les omettre dans ces lectures. Nous avons un exemple frappant de cette manière de faire dans l’extrait syriaque des lettres d’Ignace publié par Cureton. On avait cru un moment que c’était la vraie teneur du texte primitif. Zahn a mis hors de doute, me paraît-il, que c’étaient là des extraits faits à l’usage d’un couvent syrien, et dans lesquels on avait omis tout ce qui n’allait pas à l’édification, c’est-à-dire tous les détails historiques et personnels qui nous intéressent précisément aujourd’hui à notre point de vue critique. C’est la même raison sans doute qui, à une époque ancienne, a occasionné dans la lecture publique l’omission de nos ch. 15 et 16 et par suite, dans les documents byzantins, la translation de la doxologie à la fin du ch. 14 où s’arrêtait cette lecture. On comprend par là que l’influence de ce fait se soit surtout fait sentir sur les Lectionnaires ou recueils des péricopes et sur des explications homilétiques, comme celle de Chrysostome. On a objecté qu’au Ve siècle Euthalius, à Alexandrie, faisait rentrer notre ch. 15 dans le cycle des péricopes destinées à la lecture publique. Mais l’omission des ch. 15 et 16 pouvait fort bien remonter à une époque antérieure à Euthalius ; il y remédia pour le ch. 15. Mais l’omission, maintenue par lui, du ch. 16 confirme notre explication. Quant à la question de l’authenticité de la doxologie, nous y reviendrons plus tard.
L’autre opinion, qui admet la composition apostolique de ces deux chapitres, mais qui ne peut consentir à reconnaître leur domicile primitif dans l’épître aux Romains, a beau être aujourd’hui la plus répandue, elle ne repose que sur des appuis chancelants. On allègue qu’Aquilas et Priscille, que Paul salue 16.3, habitaient alors à Ephèse et non à Rome (Actes 18.18-19 et 1 Corinthiens 16.19) ; Épénète également, d’après Romains 16.5 (conformément à la vraie leçon « prémices de l’Asie »). Mais les deux premiers, venus d’abord d’Asie-Mineure à Rome, s’étaient rendus ensuite de Rome à Corinthe, puis de Corinthe à Ephèse avec Paul (Actes 18.2). Pourquoi ne seraient-ils pas retournés d’Éphèse à Rome, quand Paul quitta l’Asie-Mineure, et cela afin de préparer son arrivée dans la capitale de l’empire, comme ils avaient préparé son séjour dans la capitale de l’Asie ? C’est dans la bouche de ces Juifs ambulants, négociants ou industriels, que Jacques met ces paroles : « Aujourd’hui et demain nous irons dans cette ville, et nous y passerons une année, et nous y trafiquerons et y ferons du gain » (Jacques 4.13). Une fois l’édit impérial, qui avait chassé de Rome ces deux époux, tombé en désuétude, pourquoi n’y seraient-ils pas retournés ? Weiss objecte le peu de temps qui s’était écoulé depuis que Paul, écrivant à Ephèse, saluait les Corinthiens de leur part (1 Corinthiens 16.19). Mais du printemps de l’an 57, où Paul écrivait la 1re aux Corinthiens, à l’hiver de l’an 59, où il écrivait, la lettre aux Romains, il y avait eu un temps suffisant pour le déplacement supposé. Quant à Épénète, s’il était le premier converti d’Éphèse, c’est qu’il avait été gagné par Aquilas et Priscille, dont l’activité dans cette ville avait précédé et préparé celle de Paul (Actes 18.18 et suiv.). Il n’y a donc rien d’invraisemblable à supposer qu’il les avait accompagnés, lorsqu’ils s’étaient rendus d’Éphèse à Rome.
On allègue surtout les nombreuses salutations adressées à une église à laquelle Paul était encore étranger et qu’il est bien plus naturel de supposer adressées à une église où il avait séjourné durant des années. Cette objection me paraît déjà résolue par ce que nous avons dit précédemment. Ces personnes étaient des frères et des sœurs que Paul avait connus en Orient et qui avaient contribué à l’établissement du christianisme à Rome. Les qualifications honorifiques qu’il ajoute à leur nom, s’expliquent bien mieux dans ce cas que s’il s’agissait d’une salutation ordinaire occasionnellement adressée. Paul tient à les honorer et à leur témoigner devant toute l’église et même par son intermédiaire (ἀσπάσαθε, saluez) l’affection et la reconnaissance qu’il ressent pour eux. Friedländer, dans sa Sittengeschichte Rom’s, dit que Rome foisonnait d’Asiates, et Farrar rappelle la remarque de Strabon qu’il s’y trouvait en particulier « beaucoup de Tarsiens, » De là ces nombreuses connaissances, compatriotes ou parents (συγγενεῖς), que Paul pouvait connaître et faire saluer à Rome. Aujourd’hui les villes de Paris et de Rome ne fourmillent-elles pas d’étrangers des deux sexes, dont un grand nombre sont venus s’y établir dans le but d’y accomplir une œuvre d’évangélisation ? Nous ne saurions trouver étonnant que Rome fût devenue le point de mire du zèle religieux des chrétiens d’Orient.
L’on suppose que Phébé devait porter toutes ces salutations à Ephèse en passant par cette ville. Mais depuis quand le chemin de Corinthe à Rome passe-t-il par Ephèse ?
Les raisons tirées du passage v. 17-20, où Paul met en garde les chrétiens de Rome contre les docteurs judaïsants, ne me semblent pas plus solides. Cet avertissement, dit-on, ne peut être adressé qu’à une église où ces docteurs étaient déjà connus ; autrement Paul devrait les désigner plus clairement ; et le terme d’obéissance, v. 19, ne peut s’appliquer qu’à une église fondée par lui-même. — Assurément, s’il s’agissait d’obéissance par rapport à lui, Paul ; mais il veut parler de leur obéissance par rapport à l’Évangile, comme 1.5 et 6.17. Que signifierait en effet une expression comme celle-ci : « Le bruit de votre obéissance (envers moi, Paul) est parvenu aux oreilles de tout le monde ? » tandis que s’il s’agit de l’obéissance à l’égard de l’Évangile, cette parole rappelle celle de 1.8. — Si d’Ephèse l’apôtre écrivait à une église fondée par lui, il ne dirait pas v. 17 : « La doctrine que vous avez apprise, » mais, comme 1 Thessaloniciens 4.1-2 : « Ce que vous avec appris de nous » (comparez 1 Corinthiens 11.2 ; 15.1 et suiv. ; Philippiens 4.9).
S’il s’exprime si brièvement au sujet des judaïsants, c’est qu’il y avait à Rome quantité de personnes qui, comme Aquilas et d’autres, avaient vécu en Orient au moment de la grande lutte et pouvaient donner des nouvelles de ces gens à l’église de Rome. Et d’ailleurs cet avertissement, v. 17-20, suppose certainement des lecteurs qui n’avaient point encore fait eux-mêmes l’expérience du caractère moral et des manœuvres perfides des adversaires de Paul. Assurément l’apôtre n’eût point parlé ainsi aux chrétiens d’Ephèse au milieu desquels il avait traversé les crises violentes de Galatie et de Corinthe.
La salutation du v. 16 de la part « de toutes les églises du Christ » est remarquable. Si elle eût été adressée à l’église d’Ephèse, Paul eût dit : toutes les églises de Grèce. Mais cette expression beaucoup plus générale : les églises du Christ, comprenant toutes les églises de Grèce et d’Asie, s’adresse très naturellement à une nouvelle sœur, comme l’église de Rome, ce point central vers lequel se dirigeaient les regards de toutes les églises déjà fondées en Orient.
Enfin, indépendamment de toutes ces circonstances exégétiques, y a-t-il rien de plus invraisemblable que le fait supposé qu’une feuille adressée à Ephèse ait pu venir échouer dans l’exemplaire d’une épître aux Romains conservé dans les archives de l’église de Rome ? Cela supposerait dans l’usage des documents apostoliques une négligence et une légèreté absolument incompatibles avec le prix qu’on y altachaitk.
L’hypothèse de Schultz a cet avantage sur la précédente, qu’elle substitue à un simple billet de salutations une lettre sérieuse aux Ephésiens comprenant toute la fin de notre épître depuis le ch. 12 à 15.6 et de plus 16.3-20. La vraie lettre aux Romains reprendrait à 15.7. Mais, s’il en était ainsi, le verset 15.7 aurait du être la continuation de 11.36, ce qui frise l’absurde. Le terme de προσλαμβάνεσθαι relie évidemment ce vers, à 16.1. La raison alléguée par Schultz, que les préceptes divers donnés ch. 12 à 14 font double emploi avec les chapitres 6 à 8, n’a pas le moindre fondement. Dans les ch. 6 à 8 Paul pose les bases de la sanctification chrétienne ; dans les ch. 12 à 14 il développe en détail les applications et les manifestations pratiques du principe posé.
Toutes les nombreuses hypothèses (Semler, Griesbach, Eichhorn, Weiss, Reuss, Renan, etc.), qui d’une manière ou d’une autre rompent l’unité de ces deux chapitres et en font des feuilles ou des fragments détachés, nous paraissent en définitive reposer sur le fait auquel Renan a accordé l’importance capitale : la multiplicité de ce qu’on appelle les finales. On en cite cinq : 15.13 ; 33 ; 16.20 ; 24 ; 25-27. Mais en réalité elles s’expliquent, sans qu’il soit besoin de recourir à des hypothèses aussi arbitraires que toutes celles qui ont été proposées.
La première, celle de 15.13, n’est que la conclusion de la recommandation relative à l’union. La seconde, le vœu 15.33, est amenée par les détails que Paul vient de donner sur sa situation actuelle et par les inquiétudes que lui inspire ce voyage à Jérusalem pour lequel il réclame l’intercession des Romains. Après cela, nous le reconnaissons, le ch. 16 a certainement, comme en général les conclusions des épîtres de Paul, qui renferment des commissions et des recommandations particulières, un caractère plus ou moins brisé. Il y a, d’abord, la recommandation de Phébé ; puis les salutations de l’apôtre, suivies de celles des églises d’Orient.
L’avertissement à l’égard des judaïsants est un vrai post-scriptum, ainsi que le vœu qui le termine, vœu qui est motivé par le sentiment du danger qui a provoqué cet avertissement. Ce vœu de bénédiction est en même temps celui par lequel l’apôtre a l’habitude de terminer ses lettres. Par là il arrive que les salutations des compagnons de l’apôtre, de son secrétaire et de son hôte, v. 21-23, sont mises comme en dehors de la lettre ; mais, ainsi que nous l’avons dit en parlant de la non-mention de Timothée dans l’adresse, cette manière d’agir est probablement intentionnelle. Cette lettre n’était point une lettre ordinaire. Paul l’a écrite en sa qualité personnelle d’apôtre des Gentils, qu’il ne partageait avec aucun de ses frères ou collaborateurs. De là cette place tout à fait à part donnée à ces salutations secondaires, dans laquelle on a vu, bien à tort, une preuve de désordre. Quant au vœu du v. 24, il est. certainement inauthentique. Sa place, d’après les documents, est à la fin du v. 20. Les documents gréco-latins l’ont transposé ici pour rendre aux salutations des compagnons d’œuvre la place qui leur est ordinairement accordée avant le vœu final. En vérité, si nous nous représentons ce dernier chapitre écrit un peu à bâtons rompus, il ne s’y trouve rien qui puisse motiver les doutes relatifs à l’unité de sa composition.
Reste la doxologie. Paul avait terminé chacune des parties principales de cet écrit exceptionnel en élevant, l’âme de ses lecteurs jusqu’à l’auteur de ce salut dont il exposait les bienfaits ; comparez la fin des ch. 8 et 11 et le passage 15.13. N’était-il pas naturel qu’il le fit une dernière fois en terminant l’œuvre entière ? Le passage 16.25-27 est comme l’accord final qui réunit toutes les notes particulières qui ont successivement retenti dans cet écrit. Les objections contre son authenticité élevées par Reiche, Mangold, Hilgenfeld, Lucht, etc., n’ont, rien de décisif. Reitss lui-même ne découvre dans ce morceau quoi que ce soit qui ne puisse être sorti de la plume de Paul. Holtzmann a fait ressortir la relation entre quelques idées et expressions de ce passage et plusieurs morceaux de l’épître aux Éphésiens ; il en a conclu qu’il faut l’attribuer à l’auteur inconnu de cette épître, l’interpolateur de celle aux Colossiens. Mais on peut conclure aussi à l’inverse et dire que le faussaire qui, selon Holtzmann, aurait composé ou amplifié ces deux lettres à la fin du premier siècle, devait avoir trouvé dans les écrits authentiques de Paul un point de départ quelconque pour sa composition frauduleuse. Je suis bien convaincu que notre doxologie est due à la même pensée que celle d’où sont procédées ces deux lettres ; mais c’est précisément pour moi une raison de ne pas douter de son authenticité.
Mangold allègue la construction incorrecte du ᾧ au v. 27. Mais les anacoluthies ne sont pas étrangères au style de Paul, et celle-ci est due au sentiment vif et profond qui a dicté ce morceau, et que ne comporte guère la composition à froid d’un faussaire. Enfin rappelons-nous que les exemplaires des écrits apostoliques n’étaient pas au pouvoir de quiconque prétendait les manipuler.