Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE II
Qui est de la cognoissance de Dieu, entant qu’il s’est monstré Rédempteur en Jésus-Christ : laquelle a esté cognue premièrement des Pères sous la Loy, et depuis nous a esté manifestée en l’Evangile.

Chapitre XVI
Comment Jésus-Christ s’est acquitté de l’office de Médiateur, pour nous acquérir salut : où il est traitté de sa mort, résurrection et ascension.

2.16.1

Ce que nous avons dit jusques yci de nostre Seigneur Jésus, se doit rapporter à ce but, qu’estans damnez, morts et perdus en nous-mesmes, nous cherchions absolution, vie et salut en luy : comme nous sommes enseignez par ceste sentence notable de sainct Pierre, qu’il n’y a autre nom sous le ciel donné aux hommes, auquel ils puissent estre sauvez Actes 4.12. Et de faict, ce n’a pas esté de cas fortuit ou à l’appétit des hommes, que le nom de Jésus luy a esté imposé : mais il a esté apporté du ciel par l’Ange estant envoyé héraut du décret éternel et inviolable, voire en adjoustant la raison, qu’il estoit envoyé pour sauver le peuple, le rachetant de ses péchez Matt. 21.1 ; Luc 1.31. En quoy ce que nous avons dit ailleurs est a noter : c’est que l’office de Rédempteur luy a esté enjoinct pour nous estre aussi Sauveur. Ce pendant la rédemption ne seroit qu’à demi, si elle ne nous conduisoit de jour en jour continuellement jusques au bout de nostre salut. Parquoy nous ne pouvons pas décliner tant peu que ce soit de Jésus-Christ, que nostre salut ne s’esvanouisse, puis qu’il réside entièrement en luy : tellement que tous ceux qui ne s’y reposent et n’y prenent leur contentement, se privent de toute grâce. Parquoy l’advertissement de sainct Bernard est bien digne qu’on y pense : c’est que le nom de Jésus n’est pas seulement clairté : mais aussi viande : pareillement huile de confiture, sans laquelle toute viande est seiche : que c’est le sel pour donner goust et saveur à toute doctrine, qui autrement seroit fade. Brief, que c’est miel en la bouche, mélodie aux oreilles, liesse au cœur, médecine à l’âme : et que tout ce qu’on peut disputer n’est que fadaise, si ce nom n’y résonne[c] : mais il est requis de bien considérer comment il nous a acquis salut, afin que non-seulement nous soyons persuadez qu’il en est autheur, mais aussi qu’ayans embrassé tout ce qui appartient à bien et fermement appuyer nostre foy, nous rejettions toutes choses qui nous pourroyent distraire ça et là : car comme ainsi soit que nul ne puisse descendre en soy, et sonder à bon escient quel il est, qu’il ne sente que Dieu luy est contraire et ennemy, et que par conséquent il n’ait besoin de chercher le moyen et façon de l’appaiser : (ce qui ne se peut faire sans satisfaction) il est question d’estre yci bien arresté en certitude plene et indubitable. Car l’ire de Dieu tient tousjours les pécheurs saisis, jusques à ce qu’ils soyent absous : pource que luy estant juste Juge, ne peut souffrir que sa Loy soit violée, qu’il n’en face punition, et qu’il ne se venge du mespris de sa majesté.

[c] Bernard., In Cantic. serm. XV.

2.16.2

Toutesfois devant que passer outre, nous avons à regarder comment cecy s’accorde, que Dieu lequel nous a prévenus de sa miséricorde, nous ait esté ennemy jusques à ce qu’il nous a esté réconcilié par Jésus-Christ. Car comment, nous eust-il donné en son Fils unique un gage si singulier de son amour, sinon que desjà au paravant il nous eust porté faveur gratuite ? D’autant doncques qu’il y a yci quelque apparence de contrariété, je vuideray le scrupule qui y peut estre. Le sainct Esprit use ordinairement en l’Escriture de ceste forme de parler, que Dieu a esté ennemy aux hommes, jusques à ce qu’ils ont esté remis en grâce par la mort de Christ : qu’ils ont esté maudits jusques à ce que par son sacrifice leur iniquité a esté effacée. Item, qu’ils ont esté séparez de Dieu, jusques à ce qu’ils ont esté rejoincts à luy au corps de Christ Rom. 5.10 ; Gal. 3.10, 13 ; Col. 1.21-22. Or telles manières de parler sont accommodées à nostre sens, afin de nous faire tant mieux entendre combien est malheureuse la condition de l’homme, hors de Christ. Car s’il n’estoit clairement exprimé, que l’ire et la vengence de Dieu, et la mort éternelle estoyent sur nous : nous n’entendrions pas suffisamment et comme il faut, combien nous estions povres et malheureux sans la miséricorde de Dieu, et n’estimerions point le bénéfice qu’il nous a eslargi selon sa dignité, en nous délivrant. Exemple : Quand on diroit à quelqu’un ainsi : Si Dieu t’eust hay du temps que tu estois pécheur, et qu’il t’eust rejette comme tu le méritois, il te faloit attendre une damnation horrible : mais d’autant que par sa miséricorde gratuite il t’a retenu en son amitié, et n’a pas souffert que tu fusses aliéné de luy, il t’a par ce moyen délivré d’un tel danger. Celuy à qui on diroit cela en seroit aucunement touché, et sentiroit en partie combien il seroit tenu à la bonté de Dieu : mais d’autre part, quand on luy parleroit comme fait l’Escriture, en luy disant qu’il estoit aliéné de Dieu par le péché, qu’il estoit héritier de la mort éternelle, sujet à malédiction, exclu de tout espoir de salut, banny de toute grâce de Dieu, serf de Satan, captif et prisonnier sous le joug de péché, destiné à une horrible ruine et confusion : mais que Jésus-Christ est intervenu, et qu’en recevant sur soy la peine qui estoit apprestée â tous pécheurs par le juste jugement de Dieu, il a effacé et aboly par son sang les vices qui estoyent cause de l’inimitié entre Dieu et les hommes, et que par ce payement Dieu a esté satisfait, et son ire appaisée : que cela est le fondement sur lequel est appuyée l’amour que Dieu nous porte, que c’est le lien pour nous entretenir en sa bénévolence et en sa grâce : cela ne sera-il point pour l’esmouvoir plus au vif, d’autant qu’en ces mots est exprimée beaucoup mieux la calamité dont Dieu nous a retirez ? En somme, d’autant que nostre esprit ne peut recevoir avec trop grand désir, le salut qui nous est offert en la miséricorde de Dieu, ny avec telle révérence et recognoissance qu’il appartient, sinon que premièrement il ait esté espovanté d’une frayeur de l’ire de Dieu et de la mort éternelle : la saincte Escriture nous donne ceste instruction, de cognoistre Dieu aucunement courroucé contre nous quand nous n’avons pas Jésus-Christ, et sa main estre armée pour nous abysmer : au contraire, de n’avoir aucun sentiment de sa bénévolence et bonté paternelle sinon en Jésus-Christ.

2.16.3

Or combien que Dieu en usant d’un tel style, s’accommode à la capacité de nostre rudesse, toutesfois si est-ce la vérité : car luy qui est la justice souveraine, ne peut aimer l’iniquité laquelle il voit en nous tous : nous avons donc matière en nous pour estre hays de Dieu. Pourtant au regard de nostre nature corrompue, et puis de nostre meschante vie, nous sommes tous en la haine de Dieu, coulpables de son jugement, et nais en damnation : mais pource que Dieu ne veut point perdre en nous ce qui est sien, il y trouve encores par sa bénignité quelque chose à aimer : car jà soit que nous soyons pécheurs par nostre faute, néantmoins nous demeurons tousjours ses créatures : combien que nous ayons acquis la mort, toutesfois il nous avoit créez à la vie. Par ainsi il est esmeu par la pure et gratuite dilection qu’il nous porte, à nous recevoir en grâce. Or s’il y a un différent perpétuel, et qui ne se peut appointer entre la justice et l’iniquité : cependant que nous demeurons pécheurs, il ne nous peut point recevoir du tout. Pourtant afin qu’en abolissant toute inimitié, il nous réconcilie entièrement à soy 1Jean 4.19 : en mettant au-devant la satisfaction qui a esté faite en la mort de Jésus-Christ, il abolit tout le mal qui est en nous, afin que nous apparoissions justes devant sa face, au lieu qu’auparavant nous estions impurs et souillez. Il est donc bien vray que Dieu le Père prévient par sa dilection la réconciliation qu’il fait avec nous en Jésus-Christ : ou plustost entant qu’il nous a aimez auparavant, il nous réconcilie après à soy 1Jean 4.19. Mais d’autant que jusques à ce que Jésus-Christ nous subviene par sa mort, l’iniquité demeure en nous, laquelle mérite l’indignation de Dieu, et est maudite et damnée devant luy : nous n’avons point plene et ferme conjonction avec luy, sinon quand Jésus-Christ nous y conjoinct. Et de faict, si nous voulons avoir asseurance que Dieu nous aime et nous est propice, il nous convient jetter les yeux sur Jésus-Christ, et nous arrester en luy : comme de vray c’est par luy seul que nous obtenons que nos péchez ne nous soyent point imputez, desquels l’imputation emporte l’ire de Dieu.

2.16.4

Pour ceste cause sainct Paul dit, que la dilection de laquelle Dieu nous a aimez devant la création du monde, a tousjours esté fondée en Christ Jean 3.16 ; Rom. 5.10. Ceste doctrine est claire et conforme à l’Escriture, et est propre pour accorder ces passages, où il est dit que Dieu nous a monstré sa dilection en ce qu’il a exposé son Fils unique à la mort : et néantmoins qu’il nous estoit ennemi, devant que Jésus-Christ en mourant eust faict l’appointement. Toutesfois afin que ceux qui désirent tousjours l’approbation de l’Eglise ancienne, en soyent encore plus certains, j’allégueray un passage de sainct Augustin, auquel il déduit très-bien cela : La dilection de Dieu, dit-il, est incompréhensible et immuable : car il n’a point commencé à nous aimer depuis que nous sommes réconciliez avec luy par la mort de son Fils : mais devant la création du monde il nous a aimez, afin que nous fussions ses enfans avec son Fils unique, devant que nous fussions du tout rien[d]. Touchant ce que nous avons esté réconciliez par le sang de Christ, il ne le nous faut pas prendre comme si Jésus-Christ avoit fait l’appointement entre Dieu et nous, afin que Dieu commençast à nous aimer, comme s’il nous eust hays au paravant : mais nous avons esté réconciliez à celuy qui nous aimoit desjà, lequel toutesfois avoit inimitié avec nous, à cause de nos iniquitez. Que l’Apostre soit tesmoin si je dy vérité, ou non : Dieu, dit-il, approuve sa dilection envers nous, en ce que Jésus-Christ est mort pour nous, du temps que nous estions encores pécheurs ; il nous portoit amour desjà du temps que nous avions inimitié avec luy en mal vivant Rom. 5.8. Pourtant d’une façon admirable et divine il nous aimoit et hayssoit tout ensemble. Il nous hayssoit, d’autant que nous n’estions point tels qu’il nous avoit faits : mais d’autant que l’iniquité n’avoit pas du tout destruit son œuvre en nous, il hayssoit en chacun de nous ce que nous avions fait, et aimoit ce qu’il avoit fait. Voylà les paroles de sainct Augustin.

[d] Tractat, in Evang. Joan., CX.

2.16.5

Maintenant si on demande comment Jésus-Christ, ayant aboli les péchez, a osté le divorce qui estoit entre Dieu et nous : et nous acquérant justice, nous l’a rendu ami et favorable : on peut respondre en général, qu’il a fait et accompli cela par tout le cours de son obéissance : ce qui se prouve par le tesmoignage de sainct Paul. Comme par la transgression d’un homme plusieurs ont esté rendus pécheurs : aussi par l’obéissance du second, plusieurs ont esté rendus justes Rom.5.19. Et de faict, en un autre lieu il estend à toute la vie de Jésus-Christ la grâce d’absolution, qui nous exempte de la malédiction de la Loy : Quand le temps de plénitude est venu, dit-il, Dieu a envoyé son Fils fait de femme, assujeti à la Loy, afin de racheter ceux qui estoyent sous la Loy Gal. 4.4. Parquoy luy aussi en son Baptesme a prononcé, que par tel acte il accomplissoit une partie de justice, pource qu’il faisoit ce qui luy avoit esté commandé du Père Matt. 3.15 : brief, depuis qu’il a vestu la forme d’un serf, il a commencé à payer le pris de nostre délivrance, afin de nous racheter. Toutesfois l’Escriture, pour mieux déterminer du moyen de nostre salut, spécifie notamment que nostre salut gist en la mort de Jésus-Christ : et luy prononce qu’il donne son âme en rédemption pour plusieurs. Et selon le tesmoignage de sainct Paul, il est mort pour nos péchez. Dont Jehan-Baptiste preschoit, qu’il est venu pour oster les péchez du monde, d’autant qu’il est l’Agneau de Dieu Matt. 20.28 ; Rom. 4.25 ; Jean 1.19. Sainct Paul en un autre passage, dit que nous sommes gratuitement justifiez par la rédemption qui est en Christ : pource qu’il nous a esté donné pour réconciliateur en son sang. Item, que nous sommes justifiez en son sang, et réconciliez par sa mort. Item, que celuy qui ne sçavoit que c’estoit de péché, a esté fait péché pour nous, afin que nous fussions justice de Dieu en luy Rom. 3.23-24 ; Rom. 5.10 ; 2Cor. 5.21. Je ne poursuyvray point le tout, pource qu’il y auroit un rolle infini : et il en faudra alléguer d’autres en leur ordre. Parquoy il y a un bon ordre gardé au sommaire de la foy, qu’on appelle le Symbole des Apostres, quand après avoir fait mention de la naissance de Jésus-Christ, incontinent il est parlé de sa mort et résurrection, pour monstrer que c’est là que consiste et se doit arrester la fiance de nostre salut. Toutesfois le résidu de son obéissance qu’il a monstrée en toute sa vie, n’est point exclud : comme aussi sainct Paul la comprend depuis le commencement jusques en la fin, disant qu’il s’est anéanty prenant la forme de serviteur, et se rendant obéissant au Père jusques à la mort, voire jusques à la mort de la croix Phil. 2.7-8. Et de faict, pour faire valoir la mort de Jésus-Christ à nostre salut, la sujétion volontaire tient le premier degré pource que le sacrifice n’eust rien proufité à justice, s’il n’eust esté offert d’une franche affection. Parquoy le Seigneur Jésus, après avoir déclairé qu’il mettoit son âme pour ses brebis, adjouste notamment que nul ne la luy ostera, mais qu’il la quittera luy-mesme Jean 10.15, 18. En ce sens Isaïe dit, qu’il a esté comme un mouton devant celuy qui le tond, ne sonnant mot Esaïe 53.7. L’histoire de l’Evangile aussi récite qu’il est venu au-devant des gendarmes pour se présenter, et que devant Pilate se déportant de toute défense il s’est appresté à recevoir condamnation Jean 18.4 ; Matt. 27.11 : non pas qu’il n’ait senti en soy de grans combats et répugnances : car il avoit prins nos infirmitez, et a falu que la sujétion qu’il rendoit à son Père fust esprouvée en choses dures et aspres, et desquelles il se fust volontiers exempté. Et ç’a esté un tesmoignage plus grand de l’amour incomparable qu’il nous portoit, quand il a soustenu de si horribles assaux contre les tormens de la mort : et toutesfois estant ainsi angoissé n’a point eu d’esgard à soy, afin de procurer nostre bien. Quoy qu’il en soit, ce point nous doit estre résolu, que Dieu ne pouvoit estre deuement appaisé, sinon d’autant que Christ renonçant à toutes ses propres affections, s’est submis à la volonté d’iceluy, et du tout adonné à la suyvre. A quoy l’Apostre applique très-bien le tesmoignage du Pseaume : Il est escrit de moy au volume de la Loy, que je face ta volonté : Je le veux mon Dieu, et ta Loy est au milieu de mon cœur : lors j’ay dit, Voicy, je vien Héb. 10.5 ; Ps. 40.7-8. Au reste pource que les consciences craintives et estonnées du jugement de Dieu, ne trouvent repos sinon qu’il y ait sacrifice et lavement pour effacer les péchez : c’est à bon droict que nous sommes là guidez, et que la matière de salut nous est proposée et mise devant les yeux en la mort de Jésus-Christ. Or pource que la malédiction nous estoit apprestée, et nous tenoit comme saisis ce pendant que nous estions tenus coupables devant le siège judicial de Dieu : la condamnation de Jésus-Christ nous est mise à l’opposite, faite par Ponce Pilate gouverneur de Judée : afin que nous sçachions que la peine à laquelle nous estions obligez, a esté mise sur l’innocent, pour nous en délivrer. Nous ne pouvions eschapper de l’horrible jugement de Dieu : Jésus-Christ pour nous en retirer a souffert d’estre condamné devant un homme mortel, voire meschant et profane. Car ce nom de gouverneur n’est pas exprimé seulement pour la certitude de l’histoire : mais afin de nous mieux apprendre ce qui est dit en Isaïe, que le chastiment de nostre paix a esté mis sur le Fils de Dieu, et que nous sommes guairis par ses playes Esaïe 53.5. Car il ne suffisoit point pour abolir nostre damnation que Jésus-Christ endurast une mort telle quelle : mais pour satisfaire à nostre rédemption, il a falu eslire un genre de mort, par lequel il prinst à soy ce que nous avions mérité : et nous ayant acquittez de ce que nous devions, nous délivrast. Si les brigans luy eussent couppé la gorge, ou qu’il eust esté lapidé et meurtri par sédition, il n’y eust point eu pour satisfaire à Dieu : mais quand il est amené au tribunal comme criminel, et qu’on tient quelque formalité de justice contre luy, l’arguant de tesmoignages, qu’il est condamné de la bouche propre du juge : on le voit là condamné au lieu des pécheurs, pour souffrir en leur nom. Et faut yci considérer deux choses, lesquelles avoyent esté prédites des Prophètes, et apportent une singulière consolation a nostre foy. Car quand nous oyons que Christ a esté mené du consistoire à la mort, et pendu entre des brigans : en cela nous avons l’accomplissement de la Prophétie, laquelle est alléguée par l’Evangéliste, qu’il a esté mis au rang des malfaiteurs Esaïe 53.11 ; Marc.15.23. Pourquoy cela ? c’estoit afin de s’acquitter de la peine que devoyent les pécheurs, et se mettre en leur lieu : comme à la vérité il ne souffroit point la mort pour la justice, mais pour le péché. Au contraire, quand nous oyons qu’il a esté absous de la bouche mesme de laquelle il estoit condamné (car Pilate a esté contraint par plusieurs fois de rendre publiquement tesmoignage à son innocence) ce qui a esté dit par un autre Prophète nous doit venir en mémoire : c’est qu’il a payé ce qu’il n’avoit point ravi Ps. 69.4. Ainsi nous contemplerons la personne d’un pécheur et malfaiteur représentée en Jésus-Christ : et ce pendant nous cognoistrons par son innocence, et qu’il a esté chargé du péché des autres, et non point du sien. Il a donc souffert sous Ponce Pilate, estant condamné par sentence juridique du gouverneur du pays comme malfaiteur : et néantmoins n’estant pas tellement condamné, qu’il n’ait esté prononcé juste, entant qu’il disoit qu’il ne trouvoit aucune cause en luy Jean 18.38. Et voylà où gist nostre absolution : c’est que tout ce qui nous pouvoit estre imputé pour nous faire nostre procès criminel devant Dieu, a esté transporté sur Jésus-Christ, tellement qu’il a réparé toutes nos fautes Esaïe 53.5, 11. Et ceste récompense nous doit bien venir en mémoire toutesfois et quantes que nous sommes inquiétez de doutes et frayeurs, afin que nous ne pensions pas que la vengence de Dieu, laquelle Jésus-Christ a portée, nous doyve plus presser.

2.16.6

D’avantage, le genre de mort n’est pas sans mystère. La croix estoit maudite, non-seulement par humaine opinion, mais par le décret de la Loy de Dieu Deut. 21.22-23. Quand doncques Christ est attaché à icelle, il se rend sujet à malédiction. Et faloit qu’il fust ainsi fait : c’est que la malédiction qui nous estoit deue et apprestée pour nos iniquitez, fust transférée en luy, afin que nous en fussions délivrez : ce qui avoit esté au paravant figuré en la Loy. Car les hosties qu’on offroit pour les péchez, estoyent appelées du nom mesme de Péché. Par lequel nom le sainct Esprit a voulu signifier qu’elles recevoyent toute la malédiction deue au péché. Ce qui a esté doncques par figure représenté aux sacrifices anciens de Moyse, a esté à la vérité accompli en Jésus-Christ, qui est la substance et le patron des figures. Pourtant afin de s’acquitter de nostre rédemption, il a mis son âme en sacrifice satisfactoire pour le péché, comme dit le Prophète : afin que toute l’exécration qui nous estoit deue comme à pécheurs, estant rejettée sur luy, ne nous fust plus imputée. L’Apostre déclaire plus apertement cela, quand il dit que celuy qui n’avoit jamais cognu péché, a esté fait du Père, péché pour nous : afin qu’en luy nous obtinssions justice devant Dieu 2Cor. 5.21. Car le Fils de Dieu estant pur et net de tout vice, a prins et vestu la confusion et ignominie de nos iniquitez : et d’autre part nous a couverts de sa pureté. Ce qui est aussi démonstré en un autre passage de sainct Paul, où il est dit que le péché a esté condamné de péché, en la chair de Jésus-Christ. Car le Père céleste a aboli la force du péché, quand la malédiction d’iceluy a esté transférée en la chair de Jésus-Christ Rom. 8.3. Ainsi il est signifié par ce mot, que Christ en mourant a esté offert au Père pour satisfaction : afin que l’appointement estant fait par luy, nous ne soyons plus tenus sous l’horreur du jugement de Dieu. Il appert maintenant que veut dire ceste sentence du Prophète, que toutes nos iniquitez ont esté posées sur luy Esaïe 53.6 : c’est asçavoir, que voulant effacer les macules d’icelles, il les a premièrement receues en sa personne, afin qu’elles luy fussent imputées. La croix doncques a esté une enseigne de cela : en laquelle Jésus-Christ estant attaché, nous a délivrez de l’exécration de la Loy, (comme dit l’Apostre) entant qu’il a esté fait exécration pour nous, (car il est escrit, Maudit celuy qui pend au bois Gal. 3.13 ; Deut.27.26) et ainsi la bénédiction promise à Abraham, a esté espandue sur tous peuples. A quoy aussi sainct Pierre a regardé, en disant que Jésus-Christ a soustenu le fardeau de nos péchez au bois 1Pi. 2.25 : pource qu’en ceste marque visible nous comprenons mieux qu’il a esté chargé de la malédiction que nous avions méritée. Néantmoins il ne faut pas entendre qu’il ait tellement receu nostre malédiction, qu’il en ait esté couvert et accablé : mais au contraire, en la recevant il l’a déprimée, rompue et dissipée. Pourtant la foy en la damnation de Christ appréhende absolution : et en sa malédiction appréhende bénédiction. Pourtant ce n’est pas sans cause que sainct Paul magnifie tant le triomphe que Jésus-Christ nous a acquis en la croix, comme si elle eust esté alors convertie en un chariot royal ou de triomphe, ayant esté plene d’ignominie et opprobre : car il dit que l’obligation qui nous estoit contraire a esté là attachée et que les principautez de l’air ont esté despouillées, et que les diables en signe qu’ils estoyent vaincus ont esté mis en monstre Col. 2.14-15. Et cela ne doit estre trouvé estrange : car Jésus-Christ estant desfiguré selon le monde, n’a pas laissé (tesmoin l’autre Apostre) de s’offrir par l’Esprit éternel Héb. 9.14 : dont vient un tel changement. Mais afin que ces choses prenant ferme racine en nos cœurs, et qu’elles y demeurent bien fichées, que tousjours le sacrifice et lavement nous vienent au-devant. Car nous ne pourrions pas nous confier droictement que Jésus-Christ eust esté nostre pris et rançon, rédempteur et propiciatoire, s’il n’avoit esté sacrifié. Et c’est pourquoy l’Escriture en monstrant la façon de nous racheter, fait tant souvent mention de sang : combien que le sang de Jésus-Christ estant espandu n’a pas seulement servi de récompense pour nous appointer avec Dieu, mais nous a esté pour lavement à purger toutes nos ordures.

2.16.7

Il s’ensuit au Symbole, Qu’il a esté mort et enseveli : où derechef on peut appercevoir comment depuis un bout jusques à l’autre il s’est submis à rendre le devoir pour nous, pour payer le pris de nostre rédemption. La mort nous tenoit liez sous son joug : il s’est livré en sa puissance, pour nous en retirer. Ce qu’entend l’Apostre, quand il dit qu’il a gousté la mort pour tous. Car en mourant il a fait que nous ne mourions point : ou bien, ce qui vaut autant à dire, par sa mort il nous a acquis la vie Héb. 2.9, 15. Or il a eu cela divers de nous, qu’il s’est permis à la mort, comme pour estre englouti d’icelle : non point toutesfois pour estre du tout dévoré mais plustost pour la dévorer, afin qu’elle n’eust plus de puissance sur nous comme elle avoit. Il a permis d’estre comme subjugué par icelle, non point pour en estre opprimé et abatu : mais plustost pour renverser son règne, lequel elle exerçoit par-dessus nous. Finalement il est mort, afin qu’en mourant il destruisist celuy qui a la seigneurie de la mort, c’est-à-dire le diable : et délivrast ceux qui tout le temps de leur vie pour crainte de la mort estoyent en servitude. Voylà le premier fruit que sa mort nous apporte : l’autre, c’est que par sa vertu elle mortifie nos membres terriens, à ce que d’oresenavant ils ne facent plus leurs opérations : et tue le vieil homme qui est en nous, afin qu’il n’ait plus sa vigueur, et ne fructifie de soy-mesme. A laquelle fin tend aussi la sépulture de Jésus-Christ : asçavoir, qu’ayans la société d’icelle, nous soyons ensevelis à péché. Car quand l’Apostre dit que nous sommes entez en la similitude de la mort de Christ, que nous sommes ensevelis avec luy en la mort de péché, que par sa croix le monde nous est crucifié, et nous au monde, que nous sommes morts avec luy Rom. 6.5 ; Gal.2.19 ; 6.14 ; Col. 3.3 : non-seulement il nous exhorte à imiter l’exemple de la mort, mais il démonstre qu’une telle efficace est en icelle, laquelle doit apparoir en tous Chrestiens, s’ils ne veulent rendre la mort de leur Rédempteur inutile et infructueuse. Pourtant il y a double grâce qui nous est proposée en la mort et sépulture de Jésus-Christ, asçavoir la délivrance de la mort, et la mortification de nostre chair.

2.16.8

La descente aux enfers ne se doit point oublier en cest endroict, veu qu’elle emporte beaucoup à l’effect de nostre salut. Car combien qu’il semble par les escrits des Anciens, que cest article n’ait pas esté du tout en usage commun par les Eglises, si est-il nécessaire de luy donner son rang pour bien expliquer la doctrine que nous traittons, veu qu’il contient un mystère grandement utile, et qui n’est point à mespriser. Dont on peut conjecturer qu’il a esté tantost après le temps des Apostres adjousté : mais que petit à petit il est venu en usage. Quoy qu’il soit, cela est indubitable qu’il a esté prins de ce que doyvent tenir et sentir tous vrais fidèles. Car il n’y a nul des Pères anciens qui ne face mémoire de la descente de Jésus-Christ aux enfers : combien que ce soit en divers sens. Or ce n’est pas chose de grande conséquence, de sçavoir par qui et en quel temps ceste sentence a esté insérée au Symbole : plustost il nous faut regarder d’avoir yci une plene et entière somme de nostre foy, en laquelle il ne défaille rien, et en laquelle il n’y ait rien proposé qui ne soit prins de la Parole de Dieu. Si toutesfois quelques-uns sont empeschez par leur chagrin de ne la point admettre au Symbole, si verra-on par ce que nous avons tantost à dire, qu’en l’obmettant on retranche beaucoup du fruit de la mort et passion de Jésus-Christ. L’exposition est diverse : car il y en a aucuns qui ne pensent pas qu’il soit yci rien dit de nouveau, mais seulement qu’en diverses paroles est répété ce qui avoit esté dit au paravant de la sépulture : veu que souvent le nom d’enfer est prins pour sépulchre. Touchant ce qu’ils prétendent de la signification du mot, je leur confesse estre vray qu’au lieu de sépulchre souvent on trouvera le nom d’enfer estre prins : mais il y a deux raisons lesquelles contrevienent à leur opinion, qui me semblent estre suffisantes pour la convaincre. Car c’eust esté une chose de grand loisir, après avoir clairement et par paroles familières démonstré une chose laquelle n’a nulle difficulté en soy, de la répéter par paroles beaucoup plus obscures. Car quand on conjoinct deux locutions pour signifier une mesme chose, il convient que la seconde soit comme déclaration de la première. Or quelle déclaration sera-ce là, si nous voulons exposer que c’est à dire la sépulture de Jésus-Christ, de dire qu’il est descendu aux enfers ? D’avantage, il n’est vraysemblable qu’en ce sommaire, où les principaux articles de nostre foy sont briefvement et en peu de paroles comprins, l’Eglise ancienne ait voulu mettre une chose ainsi superflue et sans propos, laquelle n’eust point eu de lieu en beaucoup plus long traitté. Et je ne doute pas que ceux qui examineront la chose de près, n’accordent avec moy.

2.16.9

Les autres l’interprètent diversement : c’est que Christ est descendu aux âmes des Pères qui estoyent jà au paravant décédez, pour leur apporter le message de leur rédemption, et les retirer de la chartre où elles estoyent tenues enserrées. Pour colorer leur fantasie, ils tirent par les cheveux quelques tesmoignages : comme du Pseaume, qu’il a brisé les portes d’airain, les verroux de fer. Item de Zacharie, qu’il a retiré les prisonniers du puits où il n’y avoit point d’eau Psaume 107.16 ; Zach. 9.11. Or le Pseaume raconte les délivrances de ceux qui en voyageant sont tenus captifs en pais estrange. Zacharie accompare le bannissement du peuple à un abysme sec et profond, pource qu’il estoit comme enseveli en Babylone. Comme s’il disoit, que le salut de toute l’Eglise sera comme une sortie du profond d’enfer. Je ne sçay comment il s’est fait qu’on a pensé que ce fust quelque caverne sous terre à laquelle on a attribué le nom de limbe. Mais ceste fable, combien qu’elle ait des autheurs renommez, et qu’aujourd’huy encores plusieurs la défendent comme article de foy, n’est rien que fable. Car d’enclorre les âmes des trespassez en une prison, c’est chose puérile. D’avantage, quel besoin estoit-il que Jésus-Christ descendist là pour les en arracher ? Je confesse volontiers que Jésus-Christ les a esclairez en la vertu de son Esprit, afin qu’ils cognussent que la grâce qu’ils avoyent seulement goustée en espoir, estoit manifestée au monde. Et n’est pas impertinent d’applicquer à ce propos la sentence de sainct Pierre, où il dit que Jésus-Christ est venu, et a presché aux esprits qui estoyent non pas (à mon advis) en une prison 1Pierre 3.19, mais comme faisans le guet en une tour. Car le fil du texte nous meine là aussi, que les fidèles qui estoyent morts devant ce temps-là, estoyent compagnons avec nous d’une mesme grâce : veu que l’intention de l’Apostre est d’amplifier la vertu de la mort de Jésus-Christ, en ce qu’elle est parvenue jusques aux morts, quand les âmes fidèles ont jouy comme à veue d’oeil, de la Visitation qu’elles avoyent attendue en grand souci et perplexité : au contraire, qu’il a esté notifié aux réprouvez qu’ils estoyent exclus de toute espérance. Or ce que sainct Pierre ne parle pas distinctement des uns et des autres, il ne le faut pas tellement prendre comme s’il les mestoit ensemble et indifféremment : mais il a voulu seulement monstrer, que tous ont senti et cognu combien la mort de Jésus-Christ estoit vertueuse.

2.16.10

Mais laissant à part le Symbole, nous avons à chercher une interprétation plus certaine de la descente de Jésus-Christ aux enfers : laquelle se présente en la Parole de Dieu, non-seulement bonne et saincte, mais aussi plene de singulière consolation. Il n’y avoit rien de fait si Jésus-Christ n’eust souffert que la mort corporelle : mais il estoit besoin qu’il portast la rigueur de la vengence de Dieu en son âme, pour s’opposer à son ire, et satisfaire à son jugement. Dont il a esté requis qu’il combatist contre les forces d’enfer, et qu’il luttast comme main à main contre l’horreur de la mort éternelle. Nous avons ci-dessus récité du prophète, que la correction de nostre paix a esté mise sur luy : qu’il a esté batu pour nos péchez, affligé pour nos iniquitez Esaïe 53.5. En quoy il signifie qu’il a esté pleige et respondant, qu’il s’est constitué debteur principal et comme coulpable, pour souffrir toutes les punitions qui nous estoyent apprestées, afin de nous en acquitter. Il y a une exception, c’est qu’il ne pouvoit estre détenu des douleurs de mort Actes 2.24. Parquoy il ne se faut esmerveiller s’il est dit qu’il est descendu aux enfers, veu qu’il a enduré la mort de laquelle Dieu punit les malfaiteurs en son ire. La réplique que font aucuns est trop frivole et ridicule : c’est que par ce moyen l’ordre seroit perverti, qu’il n’est point convenable d’adjouster après la sépulture, ce qui va devant. Car après avoir exposé ce que Jésus-Christ a souffert à la veue des hommes, le lieu est bien opportun de mettre conséquemment ce jugement invisible et incompréhensible, lequel il a soustenu devant Dieu, afin que nous seachions que non-seulement son corps a esté livré pour le pris de nostre rédemption : mais qu’il y a eu un autre pris plus digne et plus excellent, d’avoir enduré les tormens espovantables que doyvent sentir les damnez et perdus.

2.16.11

C’est en ce sens que sainct Pierre dit que Jésus-Christ en ressuscitant a esté délivré des douleurs de mort, desquelles il estoit impossible qu’il fust détenu ou surmonté Actes 2.24. Il ne nomme pas simplement la mort, mais il exprime que le Fils de Dieu a esté saisi des tristesses et angoisses que l’ire et la malédiction de Dieu engendre, comme elle est source et commencement de la mort. Car ce n’eust pas esté grande chose, qu’il se fust offert à endurer la mort sans aucune destresse ne perplexité, mais comme en se jouant. Le vray tesmoignage de sa miséricorde infinie a esté, de ne point fuir la mort, laquelle il avoit en horreur extrême. Il n’y a doute aussi, que l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux n’enseigne le mesme, en disant que Jésus-Christ a esté exaucé de sa crainte Héb. 5.7. Les autres translatent révérence ou piété : mais la grammaire et la matière qui est là traittée monstrent que c’est mal à propos. Jésus-Christ doncques ayant prié avec larmes et hauts cris, a esté exaucé de sa crainte : non pas pour estre exempté de la mort, mais pour n’y estre point englouti comme pécheur, pource qu’il soustenoit là nostre personne. Et de faict, on ne peut imaginer abysme plus espovantable, que de se sentir estre délaissé et abandonné de Dieu, n’en recevoir aide quand on l’invoque, et n’attendre autre chose sinon qu’il ait conspiré à nous perdre et destruire. Or nous voyons Jésus-Christ en estre venu jusques-là : tellement qu’il a esté contraint, tant l’angoisse le pressoit, de crier : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m’as-tu laissé Matt. 27.46 ; Ps. 22.1 ? Car ce qu’aucuns exposent, qu’il a dit cela plustost selon l’opinion des autres que de sa propre affection, n’est point vray-semblable : veu qu’on apperçoit clairement que ceste parole venoit d’une profonde amertume de cœur. Toutesfois par cela nous ne voulons inférer, que Dieu ait jamais esté ou adversaire ou courroucé à son Christ. Car comment se courrouceroit le Père à son Fils bienaimé, auquel il dit qu’il a prins tout son plaisir Matt. 3.17. Ou, comment Christ appaiseroit-il le Père envers les hommes par son intercession, s’il l’avoit courroucé contre soy ? Mais nous disons qu’il a soustenu la pesanteur de la vengence de Dieu, entant qu’il a esté frappé et affligé de sa main, et a expérimenté tous les signes que Dieu monstre aux pécheurs, en se courrouçant contre eux et les punissant. Pourtant sainct Hilaire dit, que par ceste descente nous avons obtenu ce bien, que la mort soit maintenant abolie. Et en d’autres passages il ne va point loin de nostre propos, comme quand il dit, que la croix, la mort et les enfers sont nostre vie. Item, Le Fils de Dieu est aux enfers : mais l’homme est exalté au ciel. Mais quel besoin est-il d’alléguer tesmoignages d’un homme privé, veu que l’Apostre afferme le semblable, disant que ce fruit nous revient de la victoire de nostre Seigneur Jésus, que nous sommes délivrez de la servitude à laquelle nous estions sujets pour la crainte de la mort ? Il a falu doncques que Jésus-Christ vainquist toutes les frayeurs qui naturellement solicitent et tormentent tous hommes mortels : ce qui ne se pouvoit faire qu’en combatant. Or que la tristesse de Jésus-Christ n’avoit point esté vulgaire, ou conceue à la volée, il apperra tantost. En somme, Jésus-Christ combatant contre la puissance du diable, contre l’horreur de la mort, contre les douleurs d’enfer, en a obtenu victoire, et en a triomphé : afin que nous ne craignions plus en la mort les choses que nostre Prince a abolies et anéanties.

2.16.12

Certains brouillons dressent les cornes contre ceste doctrine : et combien que ce soyent gens ignorans : si est-ce qu’ils sont plustost poussez de malice que de bestise, comme ils ne cherchent que d’abbayer. Ils disent doncques que je fay grande injure à Jésus-Christ, pource qu’il n’est point convenable qu’il ait craint pour le salut de son âme. Puis ils se desbordent plus outre en leur calomnie : c’est que j’attribue au Fils de Dieu désespoir, contraire à la foy. Premièrement, quant à la crainte et estonnement de Jésus-Christ, que les Evangélistes preschent si clairement, ces canailles sont trop hardis d’en esmouvoir question. Car devant que le temps de la mort veinst, il est dit qu’il a esté troublé en esprit et affligé d’angoisse : quand c’est venu à joindre, qu’il a commencé d’estre plus fort espovanté. Si quelqu’un dit que c’a esté feintise, l’eschappatoire est trop vilene. Nous avons doncques, comme dit sainct Ambroise, à confesser franchement la tristesse de Jésus-Christ, si nous n’avons honte de sa croix. Et de faict, si son âme n’eust esté participante du chastiment qu’il a porté, il eust esté seulement Rédempteur des corps. Ainsi, il a combatu pour relever ceux qui estans jettez par terre ne pouvoyent pas se relever. Or tant s’en faut que cecy amoindrisse en rien sa gloire céleste, que nous avons à y contempler sa bonté : laquelle y reluit d’une façon admirable, en ce qu’il n’a point desdaigné de recevoir nos infirmitez sur soy. Et voylà dont a tiré l’Apostre l’argument de consolation qu’il nous donne en destresses et douleurs, c’est que nostre Médiateur a expérimenté nos faiblesses, afin d’en avoir compassion, et estre tant plus enclin à y subvenir Heb. 4.15. Les contredisans allèguent qu’on fait tort à Jésus-Christ en luy attribuant une passion vicieuse. Voire, comme s’ils estoyent plus sages que l’Esprit de Dieu, qui accorde les deux ensemble : c’est que Jésus-Christ a esté tenté en tout et par tout comme nous, et toutesfois sans péché. Nous ne devons doncques trouver l’infirmité de Jésus-Christ estrange, à laquelle il s’est assujeti : non pas estant contraint par violence ou nécessité, mais estant induit de sa miséricorde et de la pure amour qu’il nous a portée. Or tout ce qu’il a souffert de son bon gré pour nous, ne diminue rien de sa vertu. Ces mesdisans ne recognoissent point que telle foiblesse de Jésus- Christ a esté pure de toute macule et vice, pource qu’elle s’est tenue entre les bornes de l’obéissance de Dieu. Car pource qu’on ne peut appercevoir une droicte modération en nostre nature ainsi corrompue qu’elle est, veu que toutes passions y sont troublées et excessives en leur impétuosité, ils mesurent le Fils de Dieu à ceste aulne commune. Or il y a grande diversité : car luy estant entier et sans aucune tache d’imperfection, il a eu ses affections tellement modérées, qu’on n’y sçauroit trouver nul excès. Il a doncques peu estre semblable à nous en douleur, crainte et estonnement, et toutesfois différer en ceste marque. Estans convaincus, ils se tournent à une autre cavillation : Combien que Jésus-Christ ait craint la mort, toutesfois qu’il n’a pas redouté la malédiction et l’ire de Dieu, de laquelle il se sentoit asseuré. Mais je prie les lecteurs de considérer combien il seroit honorable à Christ d’avoir esté plus craintif et couard que beaucoup de gens de cœur failli. Les brigans et malfaiteurs prenent le frein aux dents pour aller à la mort : plusieurs la mesprisent de telle constance qu’il semble que ce leur soit un jeu, les autres la portent tout doucement : que le Fils de Dieu en ait esté si fort estonné et comme transi, quelle constance ou magnanimité seroit-ce ? Car les Evangélistes récitent de luy ce qu’on estimeroit estre incroyable et contre nature : c’est que pour la véhémence de sa destresse, les gouttes de sang luy sont tombées de la face. Et ne faut pas dire qu’il ait fait une telle monstre devant les hommes, veu qu’il prioit secrètement son Père en un lieu à l’escart. Et la doute est encores mieux ostée, par ce qu’il a esté nécessaire que les Anges descendissent du ciel pour le consoler d’une façon nouvelle et non accoustumée. Quelle honte seroit-ce, que le Fils de Dieu eust esté si efféminé, de se tormenter jusques-là pour la mort commune, qu’il suast sang et ne peust estre récréé que par la vue des Anges ? Poisons bien aussi ceste prière qu’il a réitérée trois fois : asçavoir, Père s’il est possible, que ce hanap soit osté arrière de moy Matt. 26.39 : et il nous sera facile d’en juger, d’autant qu’elle n’est procédée que d’une amertume incroyable, que Jésus-Christ a eu un combat plus aspre et difficile que contre la mort commune. Dont il appert que ces brouillons ausquels je respon, gazouillent témérairement de choses incognues, pource que jamais ils n’ont appréhendé ne jugé que c’est ou que vaut d’estre racheté du jugement de Dieu. Or c’est nostre sagesse, de sentir à bon escient combien nostre salut a cousté au Fils de Dieu. Si maintenant quelqu’un demande, asçavoir si Jésus-Christ est descendu aux enfers quand il a requis son Père d’estre affranchi de la mort : Je respon que c’en a esté un commencement. Dont aussi on peut conclurre, combien les tormens qu’il a endurez ont esté horribles pour l’effrayer, veu qu’il cognoissoit qu’il luy convenoit respondre au siège judicial de Dieu, comme coulpable de tous nos maléfices. Or combien que pour peu de temps la vertu divine de son Esprit se soit tenue cachée pour donner lieu à l’infirmité de la chair, jusques à ce que Jésus-Christ se fust acquitté de nostre salut : néantmoins il nous faut sçavoir que la tentation qu’il a endurée du sentiment de crainte et douleur, a esté telle, qu’elle ne répugnoit point à la foy. En quoy aussi a esté accompli ce que nous avons allégué du sermon de sainct Pierre, qu’il estoit impossible qu’il fust détenu des douleurs de mort Actes 2.25 : veu qu’en se sentant comme délaissé de Dieu, il n’est point décliné tant peu que ce soit de la fiance qu’il avoit en sa bonté. Ce que monstre ceste prière, en laquelle il s’escrie pour la véhémence de la douleur qu’il endure, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m’as-tu délaissé Matt. 27.46 ? Car combien qu’il soit angoissé outre mesure, si ne laisse-il pas d’appeler son Dieu, celuy duquel il se plaind d’estre abandonné. Dont l’erreur d’Apollinaire ancien hérétique est convaincu, et pareillement de ceux qu’on a appelez Monothélites. Car Apollinaire a controuvé que l’Esprit éternel estoit au lieu d’âme en Jésus-Christ, tellement qu’il le faisoit demi-homme seulement. Et c’a esté une absurdité trop lourde : comme si Jésus-Christ eust peu effacer autrement nos péchez, qu’en obéissant à son Père. Et où sera l’affection ou volonté d’obéir, sinon en l’âme, laquelle a esté troublée en Jésus-Christ, afin que les nostres estans affranchies de tremblement et inquiétude, ayent paix et repos ? Quant est des Monothélites, qui ont voulu faire accroire que Jésus-Christ n’avoit qu’une volonté, nous voyons que selon l’homme il n’a point voulu ce qu’il vouloit selon sa nature divine. Je laisse à dire, qu’il dompte et surmonte la crainte dont nous avons parlé, par une affection contraire. Car il y a grande apparence de contrariété en ce qu’il dit, Père, délivre-moy de ceste heure : mais pour ceste cause suis-je venu à ceste heure : Père, glorifie ton Fils Jean 12.27-28 Tant y a qu’en ceste perplexité il n’y a eu nul desbordement, ni intempérance, telle qu’on la cognoist en nous, mesmes quand nous mettons peine et nous efforçons à nous réfréner.

2.16.13

S’ensuit la résurrection des morts, sans laquelle tout ce que nous avons déduit jusques yci seroit imparfait. Car d’autant qu’en la croix, en la mort et en la sépulture de Christ n’y apparoist qu’infirmité : il faut que la foy passe outre, pour estre plenement corroborée. Pourtant, combien qu’en sa mort nous ayons entier accomplissement de salut, veu que par icelle nous sommes réconciliez à Dieu, il a esté satisfait à son juste jugement, la malédiction a esté abolie, et avons esté acquittez de toutes les peines dont nous estions redevables : néantmoins il n’est pas dit que par la mort nous, ayons esté ressuscitez en espérance vive, mais par la résurrection 1Pi. 1.3. Car comme luy en ressuscitant s’est monstré vainqueur de la mort, ainsi la victoire de nostre mort consiste en sa résurrection. Les mots de sainct Paul monstreront mieux que cela veut dire, quand il dit qu’il est mort pour nos péchez et ressuscité pour nostre justification Rom. 4.25  : comme s’il disoit que par sa mort le péché a esté osté : par sa résurrection, la justice a esté instaurée. Car comment en mourant nous eust-il peu délivrer de la mort, s’il eust succombé à icelle ? Comment nous eust-il acquis la victoire, s’il eust défailli au combat ? Pourtant nous partissons tellement la substance de nostre salut entre la mort de Christ et sa résurrection, que nous disons par la mort le péché avoir esté destruit, et la mort effacée : par la résurrection, la justice establie, et la vie remise au-dessus : et en telle sorte, que c’est par le moyen de la résurrection, que la mort a son efficace. Parquoy sainct Paul nous monstre que Jésus-Christ a esté déclairé Fils de Dieu en sa résurrection : pource qu’alors il a desployé sa vertu céleste, laquelle est comme un clair miroir de sa divinité, et un ferme appuy de nostre foy. Comme en l’autre passage il dit qu’il a souffert selon l’infirmité de la chair, et est ressuscité de la vertu de son Esprit 2Cor. 13.4. Selon le mesme sens, en traittant de la perfection il dit, Je m’efforce afin de le cognoistre, et la vertu de sa résurrection Phil. 3.9-10. Au reste, il adjouste tantost après, qu’il poursuit d’estre conjoinct et associé à sa mort. A quoy s’accorde très-bien le dire de sainct Pierre, que Dieu l’a ressuscité des morts, et luy a donné gloire, afin que nostre foy et espérance fust en Dieu 1Pi. 1.21 : non pas que nostre foy estant appuyée sur la mort de Jésus-Christ, chancelle : mais que la vertu de Dieu, qui nous garde sous la foy, se descouvre principalement et démonstre en la résurrection. Qu’il nous souviene doncques, que toutesfois et quantes qu’il est fait mention seulement de la mort, que ce qui est propre à la résurrection y est comprins : qu’il y a aussi une mesme raison et forme de parler, quand la résurrection est nommée seule, pource qu’elle tire avec soy ce qui convient spécialement à la mort. Mais pource que Jésus-Christ en ressuscitant s’est acquis la palme de victoire pour estre résurrection et vie, sainct Paul à bon droict débat et maintient que la foy seroit anéantie, et que l’Evangile ne seroit que fallace et mensonge 1Cor. 15.17, sinon que nous fussions bien persuadez en nos cœurs de la résurrection de Jésus-Christ. Parquoy en l’autre passage, après qu’il s’est glorifié en la mort de Jésus-Christ contre toutes les frayeurs de damnation qui nous troublent, il adjouste pour mieux amplifier, que celuy qui est mort, est mesmes ressuscité, et apparoist devant Dieu Intercesseur pour nous Rom. 8.34. D’avantage, comme nous avons ci-devant exposé que la mortification de nostre chair dépend de la communication de la croix de Christ, aussi il faut entendre qu’il y a un autre fruit correspondant a cestuy-là, provenant de sa résurrection. Car nous sommes, comme dit l’Apostre, entez en la similitude de sa mort, afin qu’estans participais de sa résurrection, nous cheminions en nouveauté de vie Rom. 6.4. Parquoy en un autre lieu, comme il déduit un argument de ce que nous sommes morts avec Christ, qu’il nous faut mortifier nos membres sur la terre : aussi de ce que nous sommes ressuscitez avec Christ, il infère qu’il nous faut chercher les choses célestielles Col. 3.1-5. Par lesquelles paroles non-seulement il nous exhorte à nouvelle vie, à l’exemple de Christ ressuscité : mais il enseigne que cela se fait par sa vertu, que nous soyons régénérez en justice. Nous avons une troisième utilité de ceste résurrection : c’est que comme ayans une arre de la résurrection, nous en sommes rendus plus certains de la nostre : d’autant que celle de Christ en est le fondement et la substance, comme il en est parlé plus à plein en la première aux Corinthiens. Il faut aussi en passant noter qu’il est dit estre ressuscité des morts : en quoy la vérité de sa mort et résurrection est signifiée, comme s’il estoit dit qu’il a souffert une mesme mort que les autres hommes, et qu’il a receu immortalité en la mesme chair qu’il avoit prinse mortelle.

2.16.14

Ce n’est pas aussi un article superflu, qu’il est monté au ciel après estre ressuscité : car combien que Christ ait commencé en ressuscitant à magnifier sa gloire et vertu, ayant despouillé la condition basse et contemptible de ceste vie mortelle, et l’ignominie de la croix, toutesfois il a vrayement lors exalté son règne, quand il est monté au ciel : ce que l’Apostre démonstre, quand il dit qu’il est monté pour accomplir toutes choses Eph. 4.10 : où en mettant une espèce de contrariété quant aux mots, il advertit qu’il y a un bon accord entre les deux : pource que Jésus-Christ s’est tellement desparty de nous, qu’il nous est présent d’une façon plus utile que quand il a conversé en terre, estant logé comme en un domicile estroit. Parquoy sainct Jehan, après avoir récité que Jésus-Christ convioit à boire de l’eau vive tous ceux qui avoyent soif, adjouste tantost après, que le sainct Esprit n’estoit pas encores donné, pource que Jésus-Christ n’estoit point encores glorifié Jean 7.37, 39. Ce que le Seigneur mesme a testifié à ses disciples : Il vous est expédient que je m’en aille : car si je ne m’en vay, le Consolateur ne viendra point Jean 16.7. Pareillement il les console quant au regret qu’ils pouvoyent concevoir de son absence corporelle, disant qu’il ne les délaissera point orphelins, mais qu’il viendra derechef à eux, voire d’une façon invisible : toutesfois plus désirable, pource qu’alors ils seront enseignez d’une expérience plus certaine, que l’Empire qui luy est donné, et l’authorité qu’il exerce suffit non-seulement à vivre bien et heureusement, mais aussi à mourir de mesmes. Et de faict, nous voyons combien il a plus largement espandu les grâces de son Esprit, combien il a plus amplifié sa majesté, combien il a déclairé d’avantage sa puissance, tant en aidant les siens, qu’en abatant ses ennemis. Estant doncques receu au ciel, il a bien osté la présence de son corps de nostre veue Actes 1.9, mais non pas pour laisser d’assister aux fidèles qui ont encores à cheminer en terre : ains pour gouverner le monde par une vertu plus présente qu’au paravant. Et de faict, ce qu’il avoit promis d’estre avec nous jusques à la consommation du siècle Matt. 28.20, a esté accompli par ceste Ascension : en laquelle comme le corps a esté eslevé sur tous les cieux, ainsi la vertu et efficace s’est espandue outre toutes les limites du ciel et de la terre. Ce que j’aime mieux expliquer par les paroles de sainct Augustin, que par les miennes : Jésus-Christ, dit-il, devoit aller par la mort à la dextre de son Père, pour de là venir juger les vifs et les morts en présence corporelle, comme il est monté. Car par présence spirituelle il devoit estre avec ses Apostres après son ascension[a]. En un autre passage il parle encores plus clairement : Selon la grâce invisible et infinie de Jésus-Christ, dit-il, est accompli ce qu’il disoit à ses Apostres : Voyci, je suis tousjours avec vous jusques à la fin du siècle. Mais selon la chair laquelle il a vestue, selon ce qu’il est nay de la Vierge, selon ce qu’il a esté prins des Juifs, selon ce qu’il a esté pendu en la croix, et puis déposé d’icelle pour estre enseveli et mis au sépulchre, selon ce qu’il s’est manifesté après sa résurrection, est accomplie ceste sentence, Vous ne m’aurez pas tousjours avec vous Matt.26.11, Pourquoy ? D’autant que selon la présence de son corps il a conversé avec ses disciples quarante jours, et eux voyans il est monté au ciel, et n’est plus ici : car il est là assis à la dextre de Dieu son Père  : et est encores yci, d’autant qu’il n’a point retiré la présence de sa majesté. Parquoy nous avons tousjours Jésus-Christ avec nous selon la présence de sa majesté : quant à la présence de sa chair, il a dit à ses disciples, Vous ne m’aurez pas tousjours avec vous. Car pour peu de jours l’Eglise l’a eu présent selon la chair : maintenant elle le possède par foy, mais elle ne le voit point des yeux.

[a] Tract, in Evang. Joan., CIX.

2.16.15

Parquoy il est incontinent adjousté, qu’il est assis à la dextre du Père. Laquelle similitude est prinse des Roys : dont les lieutenans, ausquels ils donnent la charge de gouverner, sont comme leurs assesseurs. Ainsi Christ, auquel le Père veut estre exalté, et par la main duquel il veut exercer sa seigneurie, est dit estre assis à la dextre du Père. Par laquelle parole il faut entendre qu’il a esté ordonné Seigneur du ciel et de la terre, et qu’il en a prins solennellement la possession : et non-seulement qu’il l’a prinse une fois, mais qu’il la maintient jusques à tant qu’il descendra au jour du jugement. Car ainsi l’expose l’Apostre, quand il dit que le Père l’a constitué à sa dextre sur toute principauté, et puissance, et vertu, et domination, et tout nom qui est renommé non-seulement en ce siècle, mais aussi en l’autre : et qu’il a assujeti toutes choses sous ses pieds : et qu’il l’a mis Chef en l’Eglise sur toutes choses Eph. 1.20 ; Phil. 2.9 ; Eph. 4.15 ; 1Cor. 15.27. Nous voyons à quoy tend ce qui est dit, que Jésus-Christ est assis : asçavoir que toutes créatures tant célestes que terriennes honorent sa majesté, sont gouvernées par sa main, obéissent à son plaisir, et sont sujettes à sa vertu. Et ne veulent autre chose dire les Apostres, quand ils en font si souvent mention, sinon que toutes choses ont esté permises à son commandement Actes 2.30-33 ; 3.21 ; Héb. 1.7. Pourtant ceux qui pensent que par ce mot est simplement signifiée la béatitude en laquelle a esté receu Jésus-Christ, s’abusent en cela. Or il ne doit chaloir que sainct Estiene aux Actes tesmoigne qu’il l’a veu comme estant debout Actes 7.56 : car il est yci question non pas de la disposition du corps, mais de la majesté de son Empire : tellement Qu’estre assis ne signifie autre chose que présider au throne céleste.

2.16.16

De cela revienent divers proufits à nostre foy. Car nous entendons que le Seigneur Jésus par son ascension au ciel nous y a fait ouverture, laquelle estoit fermée par Adam[b]. Car puis qu’il y est entré en nostre chair : et comme en nostre nom, de cela il s’ensuit ce que dit l’Apostre, que desjà aucunement nous sommes assis avec luy aux lieux célestes Eph.2.6 : asçavoir, d’autant que nous n’en avons point une espérance nue, mais en avons desjà la possession en nostre Chef. D’avantage, nous recognoissons que ce n’est pas sans nostre grand bien qu’il réside avec le Père. Car estant entré au Sanctuaire qui n’est point fait de main d’homme, il apparoist là continuellement pour nostre advocat et intercesseur Héb. 7.25 ; 9.11 ; Rom. 8.34, convertissant tellement les yeux du Père en sa justice, qu’il les destourne du regard de nos péchez : nous réconciliant tellement son cœur, qu’il nous donne accès par son intercession à son throne, nous y préparant grâce et clémence, et faisant qu’il ne nous soit horrible comme il doit estre à tous pécheurs. Tiercement en cest article nous concevons la puissance de Jésus-Christ, en laquelle est située nostre force et vertu, nostre aide et la gloire que nous avons contre les enfers. Car en montant au ciel, il a mené ses adversaires captifs Eph. 4.8 : et les ayant despouillez, il a enrichy son peuple, et de jour en jour l’enrichit de grâces spirituelles. Il est doncques assis en haut, afin que de là espandant sur nous sa vertu, il nous vivifie en vie spirituelle, et nous sanctifie par son Esprit afin d’orner son Eglise de plusieurs dons précieux : afin de la conserver par sa protection à l’encontre de toute nuisance : afin de réprimer et confondre par sa puissance tous les ennemis de sa croix et de nostre salut : finalement afin d’obtenir toute puissance au ciel et en terre, jusques à ce qu’il aura vaincu et destruit tous ses ennemis qui sont aussi les nostres, et qu’il aura achevé d’édifier son Eglise Ps. 110.1. Et voylà quel est le vray estat de son Royaume, et la puissance que le Père luy a donné jusques à ce qu’il accomplisse le dernier acte venant juger les vifs et les morts.

[b] Aug., De Fide et sym., cap. VIII.

2.16.17

Dés maintenant les serviteurs de Jésus-Christ ont assez de signes pour cognoistre la présence de sa vertu. Mais d’autant que son règne est encores obscurcy et caché sous l’humilité de la chair, ce n’est pas sans cause que la foy est yci dirigée à sa présence visible, laquelle il manifestera au dernier jour. Car il descendra en forme visible, comme on l’a veu monter : et apparoistra à tous avec la majesté inénarrable de son règne, avec la lumière d’immortalité, avec la puissance infinie de sa divinité en la compagnie de ses Anges Actes 1.11 ; Matth. 24.30. De là donc il nous est commandé d’attendre nostre Rédempteur au jour qu’il séparera les agneaux des boucs Matth. 24.31, 32, les esleus des réprouvez : et n’y aura nul, ne vivant ne mort, qui puisse eschapper son jugement. Car le son de la trompette sera ouy de tous les bouts du monde : par laquelle tous hommes seront appelez et citez à son throne judicial, tant ceux qui seront pour lors en vie, que ceux qui seront trespassez au paravant. Il y en a aucuns qui exposent par les vivans et les morts, les bons et les mauvais. Et de faict, nous voyons qu’aucuns des Anciens ont douté comment ils devoyent exposer ces vocables : mais le premier sens est beaucoup plus convenable, d’autant qu’il est plus simple et moins contraint, et prins de la manière accoustumée de l’Escriture. Et ne contrevient point ce qui est dit par l’Apostre, qu’il est une fois estably à tous hommes de mourir Héb. 9.27. Car combien que ceux qui seront pour lors en la vie mortelle quand le jugement viendra, ne mourront point selon l’ordre naturel, toutesfois la mutation qu’ils souffriront, d’autant qu’elle aura grande convenance à la mort, n’est pas sans raison appelée mort. Il est certain que tous ne reposeront pas longuement : ce que l’Escriture appelle dormir : mais tous seront muez et changez 1Cor. 15.51. Qu’est-ce à dire cela ? c’est que leur vie mortelle sera abolie en une minute de temps et transformée en une nouvelle nature. Nul ne peut nier qu’un tel abolissement de la chair ne soit une mort. Néantmoins cela ce pendant demeure tousjours vray, que les vivans et les morts seront citez en jugement. Car les morts qui sont en Christ, ressusciteront les premiers : puis après ceux qui seront survivans, viendront au-devant du Seigneur en l’air : comme dit sainct Paul 1Thess. 4.16-17. Et de faict, il est vray-semblable que cest article a esté prins de la prédication de sainct Pierre, selon que sainct Luc récite, et de l’adjuration notable que fait sainct Paul à Timothée, où il est nommément parlé des vivans et des morts Actes 10.42 ; 2Tim. 4.1.

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De là nous revient une singulière consolation, que nous oyons la puissance de juger estre donnée à celuy qui nous a ordonnez comme participans de son honneur à faire jugement : tant s’en faut qu’il monte en son throne pour nous condamner Matt. 19.28. Car comment un Prince de si grande clémence perdroit-il son peuple ? comment le chef dissiperoit-il ses membres ? comment l’advocat condamneroit-il ceux dont il a prins la défense ? Et si l’Apostre ose se glorifier, qu’il n’y a nul qui puisse condamner quand Jésus-Christ intercède pour nous Rom. 8.33, il est encores plus certain que Christ estant nostre intercesseur, ne nous condamnera point, veu qu’il a prins nostre cause en main, et a promis de nous soustenir. Ce n’est pas certes une petite asseurance, de dire que nous ne comparoistrons point devant autre siège judicial, que celuy de nostre Rédempteur, duquel nous attendons salut[c]. D’avantage nous avons yci, que celuy qui nous promet maintenant par son Evangile béatitude éternelle, ratifiera lors sa promesse, en faisant jugement. Le Père doncques a tellement honoré son Fils, en luy attribuant authorité de juger, qu’en ce faisant il a pourveu à consoler les consciences de ses serviteurs, lesquelles pourroyent trembler de l’horreur du jugement, si elles n’y avoyent certaine espérance. Jusques yci j’ay suyvi l’ordre du Symbole qu’on appelle des Apostres, pource que là nous pouvons veoir comme en un tableau, par les articles qui y sont contenus, en quoy gist nostre salut : et par ce moyen aussi entendons à quelles choses il nous faut arrester pour obtenir salut en Jésus-Christ. J’ay desjà dit qu’il ne nous faut pas beaucoup soucier de l’autheur de ce Sommaire. Les Anciens d’un commun accord l’attribuent aux Apostres : soit qu’ils estimassent qu’il avoit esté laissé d’eux par escrit, soit qu’ils ayent voulu authoriser la doctrine laquelle ils sçavoyent estre provenue d’eux, et fidèlement baillée de main en main. Et de faict, je ne doute point que ce n’ait esté une confession receue sans contredit dés la première origine de l’Eglise, et mesmes du temps des Apostres. Il est aussi vray-semblable qu’un tel sommaire n’a pas esté composé par quelque homme privé : veu que dés le commencement il a obtenu authorité sacrée entre les fidèles ; ce qui nous doit estre le principal est hors de dispute : asçavoir que toute l’histoire de nostre foy y est briefvement racontée en tel ordre et distinction, qu’il ne nous faut chercher d’avantage, et que rien n’y est mis qui ne soit prouvé par fermes tesmoignages de l’Escriture. Cela cognu, ce seroit chose inutile de beaucoup travailler à nous enquérir de l’autheur, ou débatre avec celuy qui ne s’accordera point avec nous, sinon que nous soyons si difficiles à contenter, que ce ne nous soit point assez d’estre enseignez par l’Esprit de Dieu en la vérité infallible, si nous ne sçavons de quelle bouche elle a esté proférée, ou de quelle main elle a esté escrite.

[c] Vide Ambros., De Jac, lib. I, cap. VI.

2.16.19

Or puis que nous voyons toute la somme et toutes les parties de nostre salut estre comprinses en Jésus-Christ, il nous faut garder d’en transférer ailleurs la moindre portion qu’on sçauroit dire. Si nous cherchons salut : le seul nom de Jésus nous enseigne qu’il est en luy. Si nous désirons les dons du sainct Esprit : nous les trouverons en son onction. Si nous cherchons force : elle est en sa seigneurie. Si nous voulons trouver douceur et bénignité : sa nativité nous la présente, par laquelle il a esté fait semblable à nous, pour apprendre d’estre pitoyable. Si nous demandons rédemption : sa passion nous la donne. En sa damnation nous avons nostre absolution. Si nous désirons que la malédiction nous soit remise : nous obtenons ce bien-là en sa croix. La satisfaction, nous l’avons en son sacrifice : purgation, en son sang : nostre réconciliation a esté faite par sa descente aux enfers. La mortification de nostre chair gist en son sépulchre : la nouveauté de vie en sa résurrection : en laquelle aussi nous avons espérance d’immortalité. Si nous cherchons l’héritage céleste : il nous est asseuré par son ascension. Si nous cherchons aide et confort, et abondance de tous biens : nous l’avons en son règne. Si nous désirons d’attendre le jugement en seureté : nous avons aussi ce bien, en ce qu’il est nostre Juge. En somme, puis que les thrésors de tous biens sont en luy, il nous les faut de là puiser pour estre rassasiez, et non d’ailleurs. Car ceux qui non contens de luy, vacillent çà et là en diverses espérances : mesmes quand ils auroyent leur principal esgard en luy, si ne tienent-ils pas la droicte voye, d’autant qu’ils destournent une partie de leurs pensées ailleurs. Combien que ceste desfiance ne peut entrer en nostre entendement, quand nous avons une fois bien cognu ses richesses.

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