L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
12 Comme il se faut faire à la patience, et combattre les passions
A ce que je puis voir, Seigneur, J’ai grand besoin de patience Contre la rude expérience Où cette vie engage un cœur.
Elle n’est qu’un gouffre de maux, D’accidents fâcheux et contraires, Qu’un accablement de misères, D’où naissent travaux sur travaux.
Je n’y termine aucuns combats Que chaque instant ne renouvelle, Et ma paix y traîne avec elle La guerre attachée à mes pas.
Les soins même de l’affermir Ne sont en effet qu’une guerre, Et tout mon séjour sur la terre Qu’une occasion de gémir.
Tu dis vrai, mon enfant ; aussi ne veux-je pas Que tu cherches en terre une paix sans combats, Un repos sans tumulte, un calme sans orage, Où toujours la fortune ait un même visage, Et semble par le cours de ses événements S’asservir en esclave à tes contentements. Je veux te voir en paix, mais parmi les traverses, Parmi les changements des fortunes diverses ; Je veux y voir ton calme, et que l’adversité Te serve à t’affermir dans la tranquillité.
Tu ne peux, me dis-tu, souffrir beaucoup de choses ; En vain tu t’y résous, en vain tu t’y disposes, Tu sens une révolte en ton cœur mutiné Contre la patience où tu l’as condamné. Lâche, qu’oses-tu dire ? ainsi le purgatoire, Ainsi ses feux cuisants sont hors de ta mémoire ! Auras-tu plus de force ? ou les présumes-tu Plus aisés à souffrir à ce cœur abattu ? Apprends que de deux maux il faut choisir le moindre, Que tes soins en ce but se doivent tous rejoindre, Et que pour éviter les tourments éternels Tu dois traiter tes sens d’infâmes criminels, Braver leurs appétits, leur imposer des gênes, Préparer ta constance aux misères humaines, Les souffrir sans murmure, et recevoir les croix Ainsi que des faveurs qui viennent de mon choix.
Crois-tu les gens du monde exempts d’inquiétude ? Ne vois-tu rien pour eux ni d’amer ni de rude ? Va chez ces délicats qui n’ont soin que d’unir Le choix des voluptés aux moyens d’y fournir ; Si tu crois y trouver des roses sans épines, Tu n’y trouveras point ce que tu t’imagines.
Mais ils suivent, dis-tu, leurs inclinations ; Leur seule volonté règle leurs actions, Et l’excès des plaisirs en un moment consume Ce peu qui par hasard s’y coule d’amertume. Eh bien ! soit, je le veux, ils ont tout à souhait ; Mais combien doit durer un bonheur si parfait ?
Ces riches, que du siècle adore l’imprudence, Passent comme fumée avec leur abondance, Et de leurs voluptés le plus doux souvenir, S’il ne passe avec eux, ne sert qu’à les punir. Celles que leur permet une si triste vie Sont dignes de pitié beaucoup plus que d’envie ; Elles vont rarement sans mélange d’ennuis, Leurs jours les plus brillants ont les plus sombres nuits ; Souvent mille chagrins empoisonnent leurs charmes, Souvent mille terreurs y jettent mille alarmes, Et souvent des objets d’où naissent leurs plaisirs Ma justice en courroux fait naître leurs soupirs : L’impétuosité qui les porte aux délices Elle-même à leur joie enchaîne les supplices, Et joint aux vains appas d’un peu d’illusion Le repentir, le trouble et la confusion.
Toutes ces voluptés sont courtes et menteuses, Toutes n’ont que désordre, et toutes sont honteuses ; Les hommes cependant n’en aperçoivent rien ; Enivrés qu’ils en sont, ils en font tout leur bien ; Ils suivent en tous lieux, comme bêtes stupides, Leurs sens pour souverains, leurs passions pour guides ; Et pour l’indigne attrait d’un faux chatouillement, Pour un bien passager, un plaisir d’un moment, Amoureux d’une vie ingrate et fugitive, Ils acceptent pour l’âme une mort toujours vive, Où, mourant à toute heure, et ne pouvant mourir, Ils ne sont immortels que pour toujours souffrir.
Plus sage à leurs dépens, donne moins de puissance Aux brutales fureurs de ta concupiscence ; Garde-toi de courir après les voluptés, Captive tes désirs, brise tes volontés, Mets en moi seul ta joie, et m’en fais une offrande, Et je t’accorderai ce que ton cœur demande.
Oui, ce cœur ainsi libre, ainsi désabusé, Ne peut, quoi qu’il demande, en être refusé ; Et, si tu veux goûter des plaisirs véritables, Des consolations et pleines et durables, Tu n’as qu’à dédaigner par un noble mépris Cet éclat dont le monde éblouit tant d’esprits ; Tu n’as qu’à t’arracher à ces voluptés basses Qui repoussent des cœurs les effets de mes grâces ; Tu n’as qu’à te soustraire à leur malignité, Et je te rendrai plus que tu n’auras quitté, Plus à leurs faux attraits tu fermeras de portes, Plus mes faveurs seront et charmantes et fortes ; Et moins la créature aura chez toi d’accès, Et plus du Créateur les dons auront d’excès.
Ne crois pas toutefois sans peine et sans tristesse A ce détachement élever ta faiblesse ; Une vieille habitude y voudra résister, Mais par une meilleure il faudra la dompter ; Ta chair murmurera, mais de tout son murmure La ferveur de l’esprit convaincra l’imposture ; Enfin le vieux serpent tâchera de t’aigrir Contre les moindres maux que tu voudras souffrir ; Il fera mille efforts pour brouiller ta conduite ; Mais avec l’oraison tu le mettras en fuite, Et l’obstination d’un saint et digne emploi Ne lui laissera plus aucun pouvoir sur toi.