… La Christologie, il faut le redire, nous place au cœur des mystères du Royaume des Cieux. Tenons-nous, avec une humble et ferme docilité, aux grands faits de révélation, sans prétendre en sonder toutes les profondeurs ni en déterminer tous les rapports, convaincus d’avance que nous l’essayerions en vain. Prenons garde d’altérer et de fausser les faits divins en voulant trop les presser. Mais prenons garde aussi de nous attacher à la vérité morte, au lieu de saisir et de nous appliquer la vérité vivante. Prenons garde de nous arrêter à une pure notion intellectuelle, à laquelle on se rend sans s’y livrer ; péril doublement redoutable pour nous, car nous y sommes exposés et par la pente du cœur naturel, comme tous les hommes, et par la pente de nos études qui accoutument à discuter le divin pour le constater plus que pour s’en nourrir. Ce qui importe pardessus tout, et sans quoi tout n’est rien, c’est l’impression que doit faire sur nous cette ineffable dispensation de l’amour infini qui a remis la Terre en communication avec le Ciel, et d’où émane la vie spirituelle et éternelle. Le caractère pratique des révélations scripturaires adressées, non au savant, mais à l’homme, non à l’intelligence, mais à l’âme qu’elles ont pour but de justifier et de régénérer, n’est nulle part plus sensible qu’ici. La manifestation de Dieu en Christ est, selon l’expression de l’apôtre, le mystère de piété. Et c’est de ce mystère, auquel tiennent tous les autres, qu’on peut dire qu’il n’est connu et reçu véritablement que lorsqu’il l’est par le cœur. Nous avons vu, à diverses reprises, sous quel jour le présentent les Livres saints. Traversant, sans y regarder, les préoccupations de la science, ils vont droit à la conscience religieuse et morale, pour y développer la sanctification par la foi : ils ne nous révèlent Christ que pour nous faire une même plante avec lui. Rappelons seulement un des textes que nous avons discutés au point de vue dogmatique, et qu’on ne saurait trop méditer au point de vue pratique, savoir Philippiens 2.5-8 : Ayez les mêmes sentiments qui étaient en Christ, lequel, etc. Voyez où cela porte, et dites-vous que c’est là le Christ de l’Évangile, et, par conséquent, le chrétien de l’Évangile. Car de là sort, de toute nécessité, pour qui croit réellement, cet esprit d’humilité et de charité, ce dévouement à Dieu, fruit du renoncement à soi-même, qui est la racine, la sève, la substance du christianisme évangélique, et que tout respire et inspire dans l’œuvre de notre Emmanuel. Il semble, en effet, plus difficile de croire cette étonnante dispensation, que de se donner, quand on croit, à Celui qui s’est ainsi donné à nous et pour nous. Ah ! ce ne sont pas les miracles externes, contre lesquels s’insurge notre temps, qui m’arrêtent et me confondent ; c’est ce miracle interne dont tout le reste dépend : le Fils de Dieu devenu le Fils de l’homme, et s’anéantissant jusqu’à la mort de la croix, afin de sauver un monde perdu ! Est-il possible de croire cela, sans y répondre par ce don du cœur, ce sacrifice moral, cette transformation de l’être humain qui remplace la vie de la Terre par la vie du Ciel ? Et pourtant, qu’en est-il ? où est cette vie chez les croyants ? Qu’elle est faible encore là même où l’on ne peut s’empêcher de l’admirer ! Et où est la foi chrétienne quand la vie chrétienne existe si peu, puisqu’en réalité elles ne font qu’un, l’une n’étant que la prolongation de l’autre ? Croyons-nous ? Notre foi est-elle la foi ? Voilà la question que nous avons à nous poser au terme de cette étude, et lorsque notre conviction du grand mystère évangélique est, je m’assure, complète. Auprès de cette question vitale, que sont les questions purement dogmatiques, malgré l’importance propre qu’elles peuvent avoir et qu’il m’appartient moins qu’à personne de déprécier ? Souvenons-nous que si nous sommes forcés de réduire la religion en théologie, notre théologie doit se réduire incessamment en religion. Si l’on croit connaître quelque chose, dit l’apôtre (quand on reste dépourvu de la charité, cette vie de la foi), on n’a encore rien connu comme il faut connaître (1 Corinthiens 8.2).