Le poète anglais Coleridge a déclaré que l’épître aux Romains était à ses yeux ce que l’homme a écrit de plus profond. En effet les deux pôles de l’existence terrestre, le péché et le salut, y sont saisis avec une égale énergie et l’on voit se dessiner avec une admirable netteté, autour de ces deux points fixes, la petite et la grande ellipse du salut individuel et du salut humanitaire.
Dans l’épître aux Galates, Paul avait montré la relation normale du salut chrétien avec l’économie juive. L’épître aux Romains embrasse un horizon plus vaste. C’est tout le passé de l’humanité, avec ses deux grands courants, païen et juif, qu’elle nous montre aboutissant au salut chrétien. Elle oppose, non l’alliance mosaïque, mais le règne de la mort provenant du chef de l’humanité première et dont la période de la loi n’est qu’un épisode, au règne de la vie émanant du nouveau chef de l’humanité. En conséquence de ce point de départ plus reculé, la perspective d’avenir aussi est plus avancée. Le salut n’est point présenté seulement au point de vue des bénédictions spirituelles auxquelles s’arrête l’épître aux Galates ; la description de l’œuvre divine est poussée jusqu’à la résurrection des corps et à la restauration de la nature entière. Et quant au rejet d’Israël, à peine indiqué dans les Galates (4.30), il est ici traité de front ; Paul en montre la relation étroite avec le sort des païens et le présente comme rentrant dans le plan du salut universel, qui correspond au tableau initial de la condamnation universelle.
Ces vastes horizons dans lesquels se meut l’épître aux Romains montrent toute la distance qu’il y a entre cette lettre et celle aux Galates et l’erreur de ceux qui leur assignent le même but, celui de combattre le judéo-christianisme. L’une oppose le pur spiritualisme évangélique à une tentative d’allier la légalité à la loi en Christ ; l’autre montre le besoin que l’humanité païenne et juive a du christianisme. On comprend ainsi que le sujet de l’épître aux Galates est virtuellement renfermé, dans celui de l’épître aux Romains, ce qui explique sans peine l’analogie entre certains passages de l’une et de l’autre.
La relation de cette épître avec les deux aux Corinthiens, qui l’ont immédiatement précédée, est d’une tout autre nature. Ces trois écrits traitent trois sujets d’ordres différents, mais propres à se compléter : le salut — c’est le sujet de l’épître aux Romains, — l’Église — c’est celui de la première aux Corinthiens, — le ministère — c’est celui de la seconde aux Corinthiens. Aucun plan préconçu n’a présidé à cet arrangement, car dans ce cas elles eussent été composées dans l’ordre indiqué et non dans l’ordre inverse. A chaque fois le sujet a été donné par des circonstances locales et occasionnelles. Et pourtant ces trois écrits n’en forment pas moins une remarquable trilogie : le salut, but suprême ; l’Église, colonne de ce salut dans l’humanité ; le ministère, point d’appui et, en quelque sorte, colonne dorsale de l’Église. Les deux derniers sujets sont naturellement traités sous l’angle d’une situation très spéciale, ce qui fait qu’il y aura encore place plus tard pour une tractation d’une nature toute différente.
Où Paul a-t-il puisé la connaissance du salut divin telle qu’il l’expose dans notre épître ? Cet enseignement est–il uniquement le fruit de ses méditations sur l’apparition et les paroles de Christ ? Ou bien la pensée divine sur ce point central lui a-t-elle été communiquée par voie de révélation positive ? Nous savons quelle était sur ce point la pensée de Paul lui-même ; comparez Galates 1.12 ; 1 Corinthiens 2.10-12 ; Éphésiens 3.3, et dans notre épître même 16.25. Mais l’apôtre ne s’est-il point fait illusion à cet égard ? N’a-t-il-point pris pour un-rayon de lumière venu d’en-haut une clarté qui se dégageait naturellement du travail de sa pensée ? Si le Seigneur est réellement intervenu personnellement dans la vocation de Paul, comme nous croyons l’avoir prouvé, la question est résolue, non que nous pensions à exclure le travail réfléchi de l’apôtre sur les faits connus de lui au moment de sa conversion et sur les passages scripturaires qui s’y rapportaient ; mais celui que le Seigneur appelait si directement à éclairer le monde ne pouvait être abandonné à son propre esprit en ce moment décisif pour toute son œuvre future ; et la conscience distincte qu’a eue Paul d’avoir été à l’origine de son œuvre l’objet d’une illumination supérieure, ne peut avoir été trompeuse. Elle a pour garantie l’appel divin qui avait précédé et l’œuvre incomparable qui a suivi. Elle est confirmée par l’expérience des mille milliers d’âmes qui ont trouvé, sur la voie tracée ici par l’apôtre, la justification par la foi, d’abord, puis la sanctification par le Saint-Esprit. Ces fruits témoignent de la nature de l’arbre qui les a portés.
Il est remarquable qu’une fois ce fait central, le salut, mis en pleine lumière dans l’esprit de Paul par la révélation, le rayonnement de cette clarté supérieure se soit répandu jusqu’à la circonférence de la connaissance chrétienne, sur tous les points où elle confine aux différents domaines de la connaissance humaine. Nous avons vu l’apôtre s’expliquer avec la plus surprenante netteté de vues sur l’origine de la religion et sur celle du paganisme (ch. 1), sur la loi psychologique qui préside au développement moral de l’individu (ch. 6), sur la vraie raison de l’insuffisance de la loi pour sanctifier (ch. 7), sur l’influence opposée des deux chefs de la race humaine (ch. 5), sur la nature divine de l’État (ch. 13), sur la marche et le but de l’histoire (ch. 11), sur le terme glorieux réservé à la nature en vertu de sa relation organique avec la vie de l’humanité (ch. 8).
Un écrivain a appelé l’épître aux Romains la clef d’or des Écritures ; il eût pu dire : la clef d’or de l’histoire. Si en effet le salut est le centre de l’histoire, lever le voile dont ce salut était couvert, c’était jeter le jour sur le fond des choses.