Emmené malgré ses larmes, Joseph fut vendu en Egypte sur le marché aux esclaves et devint ainsi la propriété d’un païen, dans un pays où il ne connaissait personne. Mais la bonté de Dieu, en bénissant ses travaux et en lui conciliant la bienveillance et la confiance de son maître, adoucit bientôt sa position. Il devint l’intendant de la maison et le chef de tous les domestiques. Il n’en demeurait pas moins esclave, et n’avait autour de lui que des étrangers. Bien qu’il pressentît quelle devait être la douleur de son père, il n’avait aucun moyen de lui envoyer un message. Il se trouvait parmi des gens qui n’adoraient point le Dieu de ses pères, loin des autels où Abraham, Isaac et Jacob lui offraient un culte de vérité. Son mal du pays dut être profond. L’abondance matérielle ne pouvait le consoler de la privation de biens supérieurs. Entouré d’exemples mauvais, il n’oublia pas les enseignements de son père, et, comme Daniel et ses compagnons à la cour de Nébucadnetsar, il demeura pur dans la maison de Potiphar et resta fidèle au Dieu dans lequel il se confiait, et aux influences de son Esprit, qu’il avait déjà éprouvées dans son enfance.
Son exemple nous montre comment un esclave, un pauvre domestique, peut être en bénédiction à ses maîtres. Joseph apporte une bénédiction dans la maison de l’Egyptien, — non en se faisant valoir, en prétendant faire la leçon à son maître, mais par son travail fidèle, humble et paisible, en servant Dieu dans le secret et se tenant éloigné des souillures du monde.
Dieu permit que la femme de Potiphar fût pour lui l’occasion d’une terrible tentation. C’est un poison subtil que celui qu’elle lui offrait, c’est un charme redoutable que celui par lequel elle cherchait à le séduire. Comment triompha-t-il dans une épreuve où des milliers d’autres ont succombé ? Il n’y a qu’une explication : Joseph se tenait ferme à Dieu et il veillait.
Il avait Dieu dans le cœur. « Comment ferais-je un si grand mal et pécherais-je contre l’Eternel ? » Jour par jour, il marchait avec Dieu, comme ses pères ; il s’attachait et regardait à lui comme s’il l’eût vu de ses yeux ; le sentiment de la toute-présence du Dieu juste et saint ne le quittait pas. De là sa force à l’heure de la tentation. La pensée des suites terribles du péché, s’il, eût été découvert, n’eût pas suffi à le garder. C’est en regardant à Dieu qu’il put écarter de son imagination les prestiges qui troublent l’esprit et paralysent la conscience. Il comprit que pécher, ce ne serait pas seulement se dégrader lui-même, trahir la confiance d’un bon maître, mais surtout outrager le Dieu vivant.
Nous sommes exposés à des incitations toutes pareilles, soit de la part des hommes, soit de la part de notre propre cœur ; Dieu le permet, afin d’éprouver si nous lui appartenons. Il a gardé Joseph. Combien plus pouvons-nous compter sur le secours de sa grâce, nous qui regardons à Jésus en qui le péché est jugé et vaincu ; nous qui avons l’exemple de Celui qui a été tenté, comme nous, en toutes choses, mais sans péché ; nous qui avons plus que son exemple, sa victoire, devenue notre victoire ; qui sommes en communion avec Christ qui participons à sa mort et à sa résurrection ! Dieu nous a incorporés à lui ; notre vieil homme est crucifié avec lui ; nous sommes ressuscités avec lui, comme des hommes nouveaux ; nous avons part à sa vie, qui est plus puissante que le péché et la mort. Le mot de Joseph a donc acquis pour nous une portée et une force nouvelles. Comment ferais-je revivre ce que Dieu a condamné et enseveli dans le tombeau de Christ ? Comment remettrais-je sur le trône le vieil homme que mon Sauveur a anéanti par ses souffrances et sa mort ? Comment me séparerais-je de mon Dieu, pour choisir les choses qu’il hait et condamne à jamais ? Si Christ nous, a vivifiés, nous n’avons plus rien de commun avec les péchés, quels qu’ils soient, dans lesquels vit le monde. Marchons donc avec Christ, et, à l’heure de la tentation, dirigeons vers lui un regard de foi et d’amour, — vers lui qui, dans notre chair, a effacé notre faute, tué le péché, vaincu Satan lui-même.
Joseph n’a pas triomphé seulement par la confiance en Dieu, mais aussi par la vigilance et la prudence. Il évitait la présence de la femme de son maître comme celle d’un serpent. Il n’était point téméraire, il ne tentait pas Dieu ; il fuyait le danger, il ne s’y exposait pas ; il ne négligeait pas les précautions que la raison et l’expérience indiquent ; il avait le sentiment délicat de ce qui est convenable et de ce qui ne l’est pas, qualité bien rare et cependant bien nécessaire à la jeunesse pour sauvegarder son innocence et sa vertu. Il ne craignait pas de régler sa vie sur les conseils de la sagesse et ne connaissait pas cette indifférence, aujourd’hui si ordinaire, qui tolère, même dans des familles dont on attendrait mieux, des habitudes domestiques pleines d’inconvenance et de péril. Sans doute, cette conduite prudente ne l’eût pas sauvé, s’il n’eût regardé à Dieu. Mais, d’autre part, la prière, la confiance en Dieu, à elles seules, ne l’auraient pas gardé, s’il n’eût agi avec prudence. La foi qui regarde à Dieu et la vigilance qui regarde autour de soi, doivent être unies : l’une ne suffit pas sans l’autre.
Joseph devait pressentir quelle inimitié ses refus allumeraient contre lui. Mais la crainte de Dieu l’emporta chez lui sur toute crainte humaine. Il aima mieux être haï et condamné des hommes, aimé et approuvé de Dieu, que d’avoir la faveur des hommes et d’être rejeté de Dieu. Il pratiqua d’avance l’exhortation de Jésus : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps… Craignez Celui qui peut envoyer l’âme dans la géhenne » (Luc 12.4-5). Il fit ce à quoi tout chrétien s’est engagé envers son Sauveur : mourir plutôt que de pécher sciemment ; il abandonna sa robe, pour fuir le péché. Ainsi les martyrs ont livré leurs corps mortels pour sauver leurs âmes. Cette énergie doit être la nôtre, si nous voulons être reconnus du Seigneur au jour de sa venue.
La haine de la séductrice ne fut pas moins passionnée que n’avait été son amour. De peur d’être accusée, elle accusa elle-même, et, avec une habileté vraiment diabolique, elle sut choisir le meilleur moyen de perdre Joseph. Le monde ressemble à la femme de Potiphar : cherchant d’abord à gagner les enfants de Dieu par la flatterie, puis, s’ils lui résistent, se tournant contre eux avec une haine mortelle ; disons mieux : même alors qu’il flatte, ses lèvres distillent déjà un venin de vipère. C’est un charme enchanteur que celui dont s’entoure la séductrice ; mais, sous cet aspect, se cache sa vraie figure, une grimace diabolique. Salomon l’a bien décrite : « Ses paroles sont doucereuses, mais sa route mène chez les morts » (Proverbes 2.16-18 ; 5.3-5).
Il en sera de tous ceux qui ne veulent pas marcher avec le monde comme de Joseph ; les mondains ne sont satisfaits que lorsqu’ils nous voient partager tous leurs plaisirs ; leur conscience est troublée quand ils nous voient nous abstenir de ce qu’ils envisagent comme les plus grands biens de la vie. Ne disons-nous pas un mot de jugement ou de blâme sur ceux qui se livrent aux excès du plaisir, — la seule existence d’hommes qui y renoncent pour chercher quelque chose de meilleur, est un reproche qu’ils supportent malaisément. Quel meilleur moyen de mettre fin à ce trouble, que de nous amener à faire comme eux ! De là leurs invitations séduisantes à nous joindre au monde. Mais ne nous trompons pas sur leurs vrais sentiments. Si nous cédons, ils en jubileront, — mais en même temps ils nous mépriseront dans leurs cœurs pour notre inconstance et notre manque de caractère. Demeurons donc fermes, dans l’attente du jour où, par la grâce de Dieu, plus d’un, parmi ceux qui sont maintenant contre nous, nous bénira pour notre fermeté.
Joseph n’a personne pour le défendre contre une accusation injuste, pas même un juge à qui en appeler. Esclave, il est sous la puissance absolue de Potiphar ; celui-ci fera de lui ce qu’il voudra. Loin de son père et de son peuple, il n’a personne à qui se recommander, que le Juge invisible qui voit et entend tout. Il descend donc silencieusement dans la prison, précurseur de Celui qui, « lorsqu’on lui disait des injures, n’en rendait point, mais se remettait à Celui qui juge justement. » Quand la haine du monde, parfois endormie, se réveille contre les confesseurs du Christ, le même sort leur est réservé. Satan n’est jamais à court d’accusations contre l’Eglise de Jésus, et il est rare que celle-ci obtienne sa justification de juges humains. Il faut donc qu’elle apprenne à compter sur un autre Juge, et qu’elle prouve qu’elle croit en lui, en n’essayant jamais de se venger de l’injustice.
La captivité de Joseph fut d’abord très dure. Le Psaume 105 la décrit : « On lui serra les pieds dans des ceps, il fut mis aux fers » (Psaumes 105.18-19). Traité comme un grand criminel, il se sentait seul et délaissé dans son obscur cachot, et s’il avait quelque société, ce ne pouvait être que celle des malfaiteurs. Il ne nous est pas dit quelles prières il fit de là monter vers Dieu. Sans doute elles ressemblaient aux plaintes de David dans ses Psaumes d’affliction. Si ces prières, où il répandait son cœur devant Dieu et luttait du sein de l’angoisse pour obtenir lumière et force, nous avaient été conservées, nous y reconnaîtrions certainement un prélude des souffrances de Jésus, dont Joseph a pour ainsi dire porté à l’avance la croix. Le fruit de ces souffrances fut doux. « On le mit aux fers, dit le Psaume, jusqu’au temps où arriva ce qu’il avait annoncé, et où la Parole de l’Eternel l’éprouva. » Ce fut comme une visite de la grâce. L’amour de Dieu se répandit dans son cœur troublé ; la sagesse éternelle l’éclaira et lui parla un langage plein d’une force divine ; une paix surnaturelle remplit son âme, et il se sentit purifié et vivifié. Paul et Silas, dans la prison de Philippes, font une expérience semblable par la puissance de l’Esprit de Christ en eux (Actes 16.23-25). Ce même Esprit était avec Joseph dans la prison. La sainte influence qui l’avait déjà pénétré dans son enfance, se faisait sentir avec plus de force et d’intimité encore qu’auparavant. Nous ne sachions pas que Joseph ait prophétisé dans la maison de Potiphar ; il reçoit maintenant l’Esprit de révélation, qui bientôt le rendra capable d’expliquer les choses cachées et d’annoncer l’avenir.
En versant du baume sur son cœur blessé, la faveur divine vint adoucir aussi sa situation extérieure. « L’Eternel lui fit trouver grâce devant le chef de la prison. » Celui-ci lui ôta les fers et les ceps et lui confia la surveillance des autres prisonniers. Comme dans la maison de Potiphar, la bénédiction divine l’accompagnait à chaque pas dans son service ; mais ce n’était ici que le prélude d’une activité plus haute, par laquelle il devait être le bienfaiteur de tout un peuple.
Joseph a donc été préparé à devenir un prophète de l’Eternel et un distributeur de ses bienfaits, d’un côté par la conservation de son innocence, de l’autre par les amères souffrances qu’il eut à subir. C’est là la double école où Dieu forme ses enfants pour en faire les porteurs de sa grâce et de sa gloire. C’est une grande chose que d’avoir fui les convoitises de la jeunesse et résisté aux tentations terribles des années les plus critiques ; une adolescence pure est un bien inestimable et la préparation à une activité bénie dans le règne de Dieu. Heureux celui qui, dès l’enfance, est demeuré dans la grâce du baptême ! L’histoire de l’Eglise montre ce que Dieu peut faire de tels hommes pour le salut de beaucoup. Mais ce n’est pas assez. Pour que la préparation soit complète, la souffrance, l’opprobre, l’isolement, ne sont pas moins nécessaires. Ainsi seulement s’achève la purification. Comment y échapperions-nous, quand cela n’a été épargné à aucun serviteur de Dieu, quand le Fils de Dieu lui-même n’est pas parvenu autrement à la perfection ! Ce n’est pas en vue de notre salut personnel seulement que Dieu nous purifie ainsi, c’est pour nous mettre en état de servir nos frères, car telle est notre mission. Mais le peu qu’il nous est donné de faire pour eux en cette vie n’est qu’un commencement d’activité, comparable aux travaux de Joseph dans la maison de Potiphar ou dans la prison où il était encore prisonnier lui-même. Aux enfants de Dieu, comme à Joseph, est réservée une activité plus glorieuse, dans le futur royaume des cieux. Ce n’est pas seulement leur souvenir qui demeure en bénédiction après leur mort ; c’est eux-mêmes qui, se relevant de la poussière, reparaîtront avec Christ pour entreprendre, comme sacrificateurs et rois, une activité toute nouvelle ! Alors leur préparation aura atteint son but ; alors il sera manifeste que ce n’est pas pour rien que nous aurons lutté contre les tentations de cette vie et que nous aurons été mis à l’école de la souffrance. L’œuvre moins grande à laquelle nous sommes appelés maintenant, est nécessaire pour donner la mesure de notre fidélité ; elle l’est aussi parce qu’en elle est la semence de notre moisson future !