Une des plus spécieuses objections que les incrédules nous fassent, est prise de l’éloignement qu’il y a entre nous et les faits qui nous sont rapportés dans les diverses histoires de l’Ancien Testament ; éloignement qui semble en rendre la foi douteuse et incertaine.
Il me semble qu’on peut lever entièrement cette difficulté, en remarquant, premièrement, que les faits de l’Ancien Testament, qui sont éloignés à notre égard, étaient fort prochains, et même fort présents à l’égard de ceux qui les écrivaient ; en second lieu, que ces faits, outre qu’ils sont d’une nature à ne venir point facilement dans l’esprit, à moins qu’ils ne soient véritables, du moins pour la plupart, outre qu’ils ont été écrits par des auteurs d’un caractère naïf, sincère, et non suspect, ont été marqués dans des monuments qui en ont conservé une mémoire et des idées certaines, malgré le temps et les révolutions de tous les âges.
La première de ces deux vérités est incontestable. On ne peut nier que ces faits n’aient été écrits par des historiens qui les avaient ou vus, ou ouï rapporter à ceux qui les avaient vus. C’en serait assez pour nous obliger à ne point douter là-dessus ; car de la manière dont les hommes sont faits, il ne leur vient guère dans l’esprit de publier des mensonges qu’il est absolument impossible de faire accroire, surtout lorsqu’ils sont exposés à la contradiction ou à l’envie de tous les hommes de leur siècle ; et il ne vient pas même dans l’esprit qu’on puisse faire accroire des choses si notoirement fausses.
Or, c’est là précisément l’état où se sont trouvés tous ceux qui nous rapportent les faits miraculeux dont il s’agit ici. Il n’y a point eu de temps où il ne se soit trouvé des rebelles parmi les Juifs. A peine sont-ils sortis hors de l’Egypte, qu’ils y veulent retourner. Tantôt ils murmurent de ce qu’ils n’ont point d’eau, et tantôt de ce qu’ils n’ont point de pain. Tantôt ils se font un veau d’or ; tantôt ils adorent Rampham, Moloc, Astarot ; tantôt ils servent Bahal ; tantôt ils se font des veaux en Dan et en Béthel ; et presque toujours ils persécutent les prophètes, qui tantôt se cachent, tantôt sont mis en prison, tantôt sont lapidés, tantôt sont coupés par le milieu. Pour un roi juste, il y en a plusieurs impies et sacrilèges qui n’ont rien plus à cœur que d’abolir la véritable religion, soit pour témoigner leur complaisance aux nations dont ils dépendent, soit pour avoir la liberté de satisfaire leurs passions, et d’exercer sans scrupule toutes sortes d’injustices. Cependant il n’y a point de temps où ces prophètes ne viennent faire des reproches à ce peuple, et où ils ne fassent profession de convaincre les contredisants par ces miracles si sensibles et si extraordinaires, qui ont tout le peuple pour témoin. Moïse prend les yeux des Israélites à témoins des merveilles si surprenantes que Dieu a faites au milieu d’eux. Elie fait descendre le feu du ciel aux yeux de tout Israël. Le premier fait mourir par l’épée plusieurs milliers du peuple qui avait idolâtré, dans le temps qu’il leur met devant les yeux ces bienfaits miraculeux auxquels ils ont été ingrats. Le second, faisant égorger les prêtres de Bahal, si chéris du roi et de la reine d’Israël, ne manque ni d’ennemis ni de contredisants, lorsqu’il veut convaincre toute une grande nation en faisant descendre le feu du ciel.
Mais il y a plus que cela encore. La sagesse divine a voulu que ces faits extraordinaires se conservassent dans certains monuments particuliers qui servissent également à en perpétuer la mémoire, et à en démontrer sensiblement la vérité. Il est nécessaire de les parcourir l’un après l’autre pour le mieux comprendre.
1. La création de toutes choses étant le premier de tous les événements, et le plus éloigné de notre connaissance, c’est aussi celui qu’il est le plus difficile de justifier. Cependant la sagesse de Dieu y a pourvu, en le gravant, pour ainsi dire, dans ces quatre divers monuments, le monde, la société, l’histoire, et l’établissement d’un jour de repos, consacré pour en perpétuer la mémoire. Le monde porte si visiblement les caractères d’un ouvrage, et il fait si bien connaître la sagesse de celui qui l’a formé, qu’il est impossible de ne pas voir que l’existence de Dieu et la vérité de la création sont deux vérités essentiellement enchaînées.
On ne saurait considérer la société, ni regarder à cette suite de générations qui a nécessairement un principe, sans demeurer d’accord qu’il y a eu un premier homme et une première femme, qui ont été créés immédiatement de Dieu. L’histoire nous fait voir par la nouveauté des arts, des sciences, des coutumes, et par l’origine des peuples, que la société a commencé d’être, et même qu’elle n’est pas très ancienne. Enfin, l’établissement du sabbat, dont les raisons seraient incompréhensibles, ou plutôt dont l’institution serait extravagante, s’il n’avait fallu qu’elle servit à perpétuer la mémoire d’un événement si important, nous conduit encore nécessairement à la vérité de la création qu’il nous représente. Or, bien que chacun de ces monuments suffise pour apprendre aux hommes qui n’ont pas d’idée préconçues, la vérité de la création, il est certain que c’est l’amas de tous ces monuments qui rend cette évidence démonstrative. Car qui est-ce, je vous prie, qui peut avoir fait cet accord de la nature, de la société, de l’histoire et de la tradition judaïque ? Pourquoi faut-il que toutes les parties de la nature conviennent avec toutes les parties de la société ; que les parties de la société s’accordent avec toutes les histoires, et que celles-ci aient tant de rapport avec la tradition judaïque, la plus ancienne du monde, et surtout avec cet établissement si extraordinaire d’un jour consacré au repos ? Certainement la sagesse de Dieu a mis cette vérité de la création au-dessus de tous les doutes, lorsqu’il a voulu qu’elle fût marquée dans la nature, qui dépend de lui, et ne dépend que de lui ; dans la société et l’amas des peuples venant d’un même principe, dont il est seul le père ; dans la mémoire des choses passées, dont il est le principe ; et dans une partie du temps, qui n’appartient qu’à lui seul, parce que celui qui a fait les créatures, est aussi la cause de leur durée, et a le droit de disposer de nos jours et de nos années, et de se consacrer telle partie de notre temps qu’il lui plaît.
2. Je mets la vocation d’Abraham au nombre des faits miraculeux, parce qu’elle me paraît miraculeuse et dans son principe et dans ses suites. Abraham y fait trois choses très difficiles. Il quitte sa patrie, il se circoncit, et il offre son fils en sacrifice. Il est impossible qu’il fasse tout cela sans qu’il soit assuré non seulement que Dieu est, mais que c’est Dieu qui lui est apparu. Et l’on peut dire aussi que ces trois marques de son obéissance qu’il donne à Dieu sont comme trois monuments divers dans lesquels la sagesse de Dieu à voulu graver, pour ainsi dire, la vérité de la révélation surnaturelle dont ce patriarche fut honoré. Au reste, ces monuments sont très réels et très certains. On ne peut douter qu’Abraham n’ait quitté son pays, puisque sa postérité se trouve ensuite dans une terre étrangère, et que le séjour de la postérité d’Abraham, premièrement au milieu des Cananéens, et en second lieu en Egypte, et la profession qu’elle fit constamment d’avoir en horreur les idoles, et de servir un seul Dieu, rendait incontestable qu’Abraham avait quitté son pays, et qu’il avait renoncé au culte des idoles. Il est certain qu’Abraham offrit son fils en sacrifice sur la montagne de Morija. Le nom qui fut donné à cette montagne, et ce proverbe qu’on dit depuis si longtemps en Israël : A la montagne de l’Éternel il y sera pourvu, en sont une preuve qui ne doit pas être suspecte ; et l’on ne peut pas douter aussi que l’effort qu’Abraham fait sur les plus tendres sentiments de son cœur, ne suppose qu’il ne doutait en aucune façon que Dieu ne lui eût parlé pour lui ordonner de lui offrir son fils. Mais le mouvement le plus sensible qui nous représente cette vérité, c’est la résolution qu’il prend de se circoncire, lui, ses serviteurs et ses enfants. C’est se moquer de dire qu’Abraham ait pu se résoudre à se circoncire dans une autre vue que celle d’obéir à Dieu. La circoncision en soi est quelque chose qui ne viendra jamais de soi-même dans l’esprit. La circoncision enferme quelque chose qui semble choquer la pudeur et l’honnêteté. Elle est douloureuse, et contraire à l’affection paternelle, comme il est aise de le voir par l’exemple de Sephora, qui appelle Moïse un époux de sang à cette occasion. D’ailleurs, cette pratique n’enferme aucune véritable utilité. Ceux qui ont taché de faire des efforts d’imagination pour en découvrir les usages, n’ont dit au fond que des inepties. Ils ont prétendu que la circoncision sert à la fécondité. Mais ils l’ont prétendu sans raison, et contre l’expérience, qui nous fait voir que les nations incirconcises ne sont pas moins fertiles que les autres. Ils ont dit qu’elle sert à la propreté. Mais il n’est pas concevable que ce soit là le motif qu’Abraham a eu pour pratiquer un usage si difficile, si douloureux, si singulier, d’ailleurs si étrange, et qui pouvait le rendre ridicule à toute la terre, comme cela ne manqua pas d’arriver. Il faut donc demeurer d’accord de la vérité du fait, qui est que Dieu choisit la circoncision pour en faire un monument, d’autant moins suspect et plus certain de son alliance, de sa protection, et de ses révélations, que c’est une pratique pour laquelle nous avons naturellement une très grande répugnance. La circoncision marque très sensiblement, premièrement, que c’est Dieu qui appelait Abraham, puisque nul autre que Dieu ne pouvait exiger de lui une telle preuve de sa foi ; et en second lieu, qu’Abraham était aussi persuadé qu’on peut l’être, que c’était Dieu qui lui avait parlé, puisqu’il n’y pouvait avoir d’autre considération que celle de Dieu même, qui pût l’engager à faire une chose pour laquelle il avait tant de répugnance.
3. A la vocation d’Abraham il faut joindre toutes les marques surprenantes et miraculeuses de sa protection que Dieu a données aux patriarches en plusieurs occasions différentes, et qui sont telles, que, l’autorité de l’histoire qui les rapporte à part, elles semblent se justifier elles-mêmes, et nous persuadent par des caractères naturels de leur vérité. Nous n’en marquerons que deux, sur lesquelles nous avons déjà fait nos réflexions. La première est qu’Abraham et Moïse attribuent à un ange tous les droits, tous les titres et toute la gloire de l’Être souverain, comme nous l’avons déjà fait voir. La seconde, que Jacob est dit avoir lutté avec Dieu, et l’avoir vaincu ; ce que Moïse n’a pu écrire contre ses préjugés, si cela n’a pas été véritable.
Car il est évident que Moïse, loin de s’aviser d’inventer de pareilles choses, devait avoir plutôt du penchant à les rejeter. Et il ne faut point qu’on dise qu’il inventait cette sorte de faits pour plaire au peuple ; car, 1° chacun sait combien Moïse était peu complaisant pour un peuple qu’il traitait incessamment de peuple de col roide, et endurci de cœur. 2° Il prend le soin d’instruire lui-même ce peuple de la grandeur de Dieu, et de la bassesse de l’homme, et de la disproportion qui est entre l’un et l’autre : et comment serait-il, dans cette occasion, si contraire à son propre dessein ?
Joignez maintenant toutes ces considérations à ce double monument, dans lequel la sagesse de Dieu a voulu conserver la vérité de ce fait, le nom de Phanuel donné au lieu où se fit cette lutte, une coutume extraordinaire et surprenante des Juifs qui ne mangeaient point de la hanche des animaux ; double monument qui est trop singulier et trop éloigné des réflexions ordinaires de l’esprit pour être l’objet de quelque fiction de l’esprit ; et vous serez confirmé dans la pensée que ce sont ici des faits véritables et sincèrement rapportés.
Le séjour que les Israélites ont fait en Egypte, est le monument dans lequel la sagesse de Dieu a écrit la vérité de l’élévation de Joseph. Car il n’est pas concevable que la famille de Jacob eût voulu monter en Egypte pour une autre occasion que celle-là, puisqu’elle prétendait à la possession de la terre de Canaan : ce qui paraît par le soin que Jacob prend, en mourant, d’ordonner qu’on transporte ses os dans ce pays des pèlerinages de ses pères. Quelle apparence, en effet, que les enfants de Jacob pensassent à habiter parmi les Egyptiens, et à exercer la profession de bergers, qui était en abomination en Egypte, s’ils n’y eussent eu une puissante protection, et s’ils n’y eussent été appelés par une pressante nécessité ? Mais le séjour des Israélites en Egypte est peu de chose auprès de la manière surprenante et miraculeuse dont ils en furent retirés.
On ne peut pas douter que Dieu n’ait employé pour cela toutes ces merveilles effrayantes et accablantes que Moïse rapporte, et que nous appelons les plaies de l’Egypte. Car comment les Egyptiens auraient-ils pu se résoudre a les laisser aller sans cela ? Comment se seraient-ils privés volontairement de l’utilité qu’ils recevaient de leur travail ? S’ils avaient craint que les Israélites ne se multipliassent trop, ils auraient craint beaucoup davantage que cette effroyable multitude, étant toute assemblée en un corps, ne fût en état de leur faire la guerre, et de les assujettir. D’ailleurs, il est certain que les Israélites emmenèrent leurs troupeaux avec eux, et qu’ils emportèrent les vaisseaux des Egyptiens. Car, sans cela, d’où auraient-ils pris ce qu’ils employèrent dans le désert pour la construction du tabernacle, pour les sacrifices, et pour les autres parties du service de Dieu ? Que si les Israélites emmenèrent leurs troupeaux, et s’ils emportèrent les vases des Egyptiens, il faut nécessairement que les choses se soient passées de la manière qu’elles sont écrites dans l’histoire que Moïse en a composée.
Et certainement celui qui considérera toutes les diverses circonstances de ce fait, comme le peu d’apparence qu’il y avait de laisser aller un si grand peuple, qui pouvait assujettir l’Egypte, comme il assujettit depuis la terre de Canaan ; les richesses qu’ils emportèrent avec eux, selon l’aveu qu’ils font d’avoir emporté les vases des Egyptiens, qu’ils consacrèrent ensuite à Dieu en les employant pour le service du tabernacle ; l’équipage de voyageurs, dans lequel ils célébraient la Pâque tous les ans, pour se représenter que leurs pères s’étaient tenus prêts à partir en mangeant l’agneau pascal ; cette cérémonie si surprenante et incompréhensible sans cela d’arroser sa porte du sang d’un agneau, et d’en manger la chair le bâton à la main, et les chandelles allumées ; le nom de passage donné à l’agneau qui faisait tous les ans commémoration de cet ancien passage de l’ange, donné même au repas, et au jour auquel ce repas de commémoration se faisait ; la consécration des premiers-nés du peuple qui étaient saints au Seigneur, et des lévites qui étaient regardés comme les premiers-nés du peuple ; consécration qui se faisait en vue de ce que les premiers-nés des Egyptiens ayant été égorgés, les premiers-nés d’Israël avaient été épargnés ; on trouvera que la religion judaïque est un monument le plus certain et le plus infaillible qui sera jamais, dans lequel la sagesse de Dieu a conservé la mémoire de cet événement.
Suivons les Israélites dans le désert, nous trouverons que Dieu fait en leur faveur des merveilles étonnantes, et en si grand nombre, qu’on a de la peine à se souvenir de toutes. Mais ce qui fait à notre sujet, et que nous devons principalement remarquer ici, c’est que Dieu en perpétue la mémoire, et en rend la vérité incontestable, en établissant des signes et des mémoriaux qui rendent impossible la fiction à cet égard. Après que les Egyptiens ont été submergés dans les eaux de la mer Rouge ; Moïse en compose un cantique qui se conserve de siècle en siècle. Dieu leur fait tomber de la manne pour les nourrir miraculeusement. Il ordonne qu’on en remplisse une cruche toute pleine, et veut qu’elle soit conservée d’âge en âge parmi les Juifs, pour tenir lieu de miracle constant et perpétuel. Les enfants d’Israël font un long séjour dans le désert, habitant dans des tentes, et ne subsistant que par les miracles que la Providence fait continuellement en leur faveur ; étant évident qu’ils ne pouvaient subsister si longtemps dans ce désert autrement que par un secours surnaturel. Dieu fait bâtir un tabernacle qui sera un monument sensible et durable de cette vérité ; étant évident que si les enfants d’Israël n’avaient fait que passer par le désert, ils n’auraient point bâti de tabernacle à Dieu, mais qu’ils auraient attendu d’être au lieu où ils tendaient, pour lui édifier un temple. La verge d’Aaron ayant fleuri entre toutes les autres, pour faire voir par ce prodige que la vocation de ce souverain sacrificateur était véritablement divine, Dieu fait mettre à part cette verge, et ordonne qu’elle soit gardée dans le tabernacle, pour être un témoignage perpétuel de cette vérité, et pour confondre la rébellion. Dieu ayant puni l’ingratitude de son peuple, en leur envoyant des serpents dont les morsures étaient brûlantes ; et ayant ensuite donné le remède avec le mal, en faisant élever un serpent d’airain en l’air, auquel les Israélites regardaient quand ils avaient été mordus : ce serpent d’airain qui dura jusqu’au temps d’Ezéchias, et qui aurait duré davantage si les Israélites, le prenant pour l’objet de leur idolâtrie, n’eussent donné sujet à ce bon roi de le mettre en pièces ; ce serpent d’airain, dis-je, était un mémorial de la miraculeuse guérison de ceux qui regardaient à ce serpent, et ne pouvait représenter autre chose. Car je voudrais bien savoir pourquoi l’on se serait avisé d’élever un serpent d’airain, et si jamais depuis la naissance du monde cela était tombé dans l’esprit de qui que ce soit. Dieu donne sa loi au peuple d’Israël, en faisant entendre sa voix distinctement et immédiatement. Le décalogue, la préface du décalogue sont un monument de cette vérité : Ecoute, Israël, je suis l’Éternel ton Dieu, etc. Moïse donne pour raison du second commandement. Souviens-toi que lorsque tu étais en Horeb, tu entendis bien une voix, mais que tu ne vis point de ressemblance. Cela même peut être regardé comme un monument de cette révélation immédiate de Dieu qui s’était faite en Horeb. Dieu avait fait de grandes merveilles pour délivrer Israël. Le décalogue est un monument non suspect de cette vérité, puisqu’il suppose toutes ces grandes merveilles. Enfin, cette nuée miraculeuse dans laquelle Dieu descendit pour conduire les enfants d’Israël, et qui était lumière d’un coté, et obscurité de l’autre, ayant rempli le tabernacle où Dieu rendait ses oracles et répondait à ceux qui l’interrogeaient, fut pendant plusieurs siècles un monument de toutes les merveilles que Dieu avait faites par son ministère.
On pourrait bien ajouter à cela, qu’après que Dieu eut puni l’impiété de ceux qui s’élevaient contre ses ordres, en contestant à Moïse son autorité, et à Aaron sa sacrificature, lorsqu’il ouvrit la terre pour engloutir les uns, et qu’il consuma les autres par le feu qui descendit du ciel, on prit les encensoirs de ces impies, et qu’on les garda par l’ordre de Dieu, pour servir à la postérité de monument d’une si redoutable vengeance ; ce qui, joint au grand nombre de personnes qui périrent alors par la main de la justice de Dieu, et à ce que ce feu vengeur n’épargna pas même Nadab et Abihu, qui avaient aussi témoigné leur impiété, quoique dans une autre occasion, pourrait être de quelque poids pour nous confirmer la vérité de ces événements. Mais il est bon de passer à la considération des merveilles qui suivirent la mort de Moïse, et qui accompagnèrent l’entrée des enfants d’Israël dans la terre de Canaan.
Les Israélites voulant traverser le Jourdain, ils firent marcher devant eux l’arche de Dieu, laquelle, par la vertu de Dieu qui l’accompagnait, et qui se montrait présent en elle d’une façon toute particulière, fendit les eaux d’une telle force, que celles d’en bas s’écoulèrent, et que celles d’en haut s’enflèrent comme de hautes montagnes ; et demeurèrent suspendues jusqu’à ce que les enfants d’Israël eussent passé. Mais ce miracle était trop remarquable pour le laisser tomber dans l’oubli. Non-seulement Dieu voulut qu’il fût mis dans le livre où s’écrivait tout ce qui arrivait de considérable au peuple d’Israël, mais il ordonna qu’au milieu même du fleuve on en dressât un monument avec douze pierres, et un autre semblable en Guilgal, qui fût un témoignage sensible à la postérité, que les enfants d’Israël avaient traversé ce fleuve à sec.
La frayeur de Dieu marchait devant les Israélites. Les murailles des villes tombaient devant l’arche et au son du cornet, comme cela paraît par l’exemple de Jéricho. Et les peuples étonnés des choses prodigieuses que Dieu avait faites en faveur de ce peuple, étaient dans la dernière consternation, et ne croyaient point pouvoir subsister un moment devant lui. Si l’on veut avoir une preuve incontestable des impressions publiques qu’avaient faites les miracles que Dieu avait opérés en faveur de son peuple, il ne faut que considérer le procédé des Gabaonites. Ceux-ci, n’espérant rien de leurs forces, ni de tous les secours humains, surprirent la bonne foi de Josué par un stratagème connu de chacun. Ils firent leur traité. On jura qu’on les épargnerait, et on leur tint parole. Ils habitèrent parmi les Israélites, et furent coupeurs de bois et puiseurs d’eau, jusqu’à ce que Saül, en les exterminant contre un traité si saint et si solennel, attira la colère de Dieu, qui voulut que cette action fût punie très rigoureusement sur la postérité de Saül, laquelle fut livrée aux Gabaonites pour en faire telle vengeance qu’il leur plairait. Les Gabaonites subsistant seuls des autres Cananéens parmi les Israélites, le traité qu’ils font et qu’on observe à leur égard, la violation de ce traité si sévèrement punie, dans un temps où il était facile de savoir si ce traité était une vérité ou une fable, ont été autant de monuments non suspects de l’impression qu’avaient faite les merveilles de Dieu sur l’esprit des nations.
Enfin, l’arche de Dieu était comme un miracle sensible aux yeux des Israélites, qui leur prouvait la divinité de leur religion ; et c’était en même temps le monument des miracles qui avaient déjà été faits en Israël par la puissance de Dieu. Un des faits les plus remarquables qui se trouvent dans l’histoire du vieux Testament, est la manière surprenante et admirable dont l’arche de Dieu agit au milieu des Philistins, qui furent frappés par la main de Dieu, qui les contraignit, malgré qu’ils en eussent, de renvoyer cette arche parmi les Israélites. Toutes les circonstances de ce fait sont remarquables. On mène cette arche dans le temple de Dagon, le lendemain on trouve l’idole de Dagon renversée. On relève Dagon ; on le remet en sa place. Le jour suivant on le trouve par terre sans tête et sans mains. La vengeance de Dieu passe de cette idole aux idolâtres. Les habitants d’Azot sont incommodés par une multitude infinie de rats que Dieu fit naître dans leur pays, et ils sont frappés d’une plaie secrète et honteuse qui les empêchait de pouvoir s’asseoir. Ceux d’Azot ne pouvant plus souffrir l’arche au milieu d’eux à cause de tant de maux, l’envoient dans les autres villes des Philistins où elle produit la même désolation. C’est pourquoi les Philistins craignant qu’elle ne les fit tous mourir, ils assemblent leurs sages, qui leur conseillent de renvoyer l’arche avec un petit coffre où l’on mettrait cinq figures de rats, dont ils avaient été si fort incommodés, avec cinq autres figures des parties de leur corps où ils avaient été frappés de ces plaies. Ils mirent l’arche sur un chariot tout neuf, auquel ils attelèrent deux vaches dont ils enfermèrent les petits. Ces animaux, malgré l’instinct ou le penchant de la nature qui les entraînait vers leurs petits, traînèrent l’arche sans s’arrêter jusqu’à ce qu’ils arrivèrent en Betsames. Les Betsamites ayant voulu regarder dans l’arche par une curiosité impie et téméraire, Dieu en fit mourir cinquante mille. Après quoi l’arche fut conduite en Gabaon dans la maison d’Abinadab.
On pourrait peut-être douter de toutes ces merveilles, si, outre la fidélité de l’histoire qui les rapporte, on ne les trouvait marquées dans ces trois monuments sensibles, le renvoi de l’arche parmi les Israélites, les figures qui furent enfermées dans le coffret qu’on renvoya avec l’arche, et les cinquante mille hommes qui tombèrent du peuple pour avoir regardé trop curieusement dans l’arche. Car le moyen de s’imaginer que les Philistins aient renvoyé de leur gré et sans y être forcés, une arche à laquelle ils savaient bien que les Juifs attachaient toute leur confiance, et qu’il leur importait si fort, par conséquent, de bien conserver ? Et puis, que signifiaient ces figures de rats et des parties du corps les plus secrètes où ils avaient été frappés, qui furent longtemps conservées en Israël ? Pourquoi ce mélange de rats et de parties du corps humain ? Et enfin, comment pouvoir faire accroire que cinquante mille Betsamites ont été frappés et sont morts pour avoir regardé dans l’arche ? Un tel fait ne peut être supposé s’il est faux. Cinquante mille hommes mis à mort tous à la fois, et une contrée exterminée d’une manière si étrange à l’arrivée de l’arche, sont un monument qui, dans sa dépendance des autres circonstances de cette histoire, est assurément bien capable d’en faire connaître la vérité.
Au reste, ces choses arrivèrent trente ans environ avant la naissance de David. Celui-ci savait ce qui en était, ou du moins il lui fut très facile de le savoir ; et il aurait été absolument impossible qu’ayant autant d’habileté et de lumière qu’il en avait, il eût été la dupe de ceux qui lui auraient conté des fables si contraires à la notoriété publique. Comment, je vous prie, aurait-on pu faire accroire à David, ou aux hommes qui vivaient du temps de David, que l’arche avait été renvoyée par les Philistins, qui y avaient été forcés par tant de plaies ; que cinquante mille Betsamites avaient été frappés pour avoir regardé trop curieusement dans l’arche ; que les Philistins avaient envoyé avec l’arche des figures qui étaient des monuments sensibles des plaies qu’ils avaient souffertes, et que tout cela s’était passé il n’y avait que vingt-cinq ou trente ans ? Il y avait plusieurs millions de personnes encore vivantes qui savaient le contraire, et qui avaient vu le contraire, ou plutôt qui n’avaient vu ou ne voyaient rien de tout cela.
Il est certain que ces monuments sont, 1° en très grand nombre ; 2° très remarquables ; 3° non suspects ; et que par leur variété ils forment une démonstration morale qui ne saurait manquer de convaincre des esprits droits.
1° Je dis qu’ils sont en très grand nombre : en effet, le septième jour consacré pour perpétuer la mémoire de la création, et la septième année et la septième semaine d’années ; l’arche qui subsista longtemps sur les montagnes d’Ararat depuis le déluge ; la statue de sel en laquelle fut changée la femme de Lot, qui dura pendant plusieurs siècles ; la circoncision, usage si difficile à pratiquer ; le nom des patriarches, exprimant les caractères de leur vocation ou les bienfaits de Dieu ; les divers noms qui furent imposés aux lieux où ces merveilles se passèrent, comme sont Morija, Phanuel, etc. ; l’état de la république d’Israël, qui ne s’explique que lorsqu’on l’unit avec toutes ces révolutions miraculeuses qui y sont arrivées ; la Pâque, cérémonie qui représente sensiblement les circonstances de la sortie des enfants d’Israël, et particulièrement la mort des premiers-nés des Egyptiens ; la verge d’Aaron qui avait fleuri, conservée miraculeusement dans le tabernacle ; une cruche remplie de ce pain céleste ou de cette manne qui nourrit les Israélites pendant si longtemps dans le désert ; le tabernacle, monument perpétuel et durable du long séjour que les Israélites avaient fait dans un désert où ils n’auraient pu vivre longtemps sans un secours surnaturel ; le serpent d’airain conservé à la postérité, lors même que son usage fût passé pour être un mémorial de la guérison miraculeuse que les Israélites avaient obtenue en le regardant ; les encensoirs de Coré, Dathan et Abiram, et des autres qui s’étaient soulevés contre l’ordre de Dieu, conservés aussi pour faire souvenir le peuple de ce châtiment surnaturel ; l’autel qui fut dressé au milieu du Jourdain, pour marquer que les enfants d’Israël l’avaient passé à sec par la puissance de Dieu ; les Gabaonites conservés par la religion du serment, et condamnés à un vil ministère ; la famille de Rahab subsistante parmi les Israélites, pour être un monument de la miséricorde qui fut exercée envers cette femme ; l’arche de Dieu, l’instrument de tant de merveilles, et le monument de tant de miracles ; les cantiques de reconnaissance qui furent chantés après les délivrances miraculeuses conservées précieusement parmi les Juifs ; la langue sainte toute composée d’expressions qui vont à attribuer tout à Dieu (car les langues expriment les mœurs des peuples) et qui exprime par son génie et par ses manières de parler l’histoire de ce peuple, et les bienfaits signalés que Dieu lui a si souvent accordés ; la tradition des Israélites ; le cœur des patriarches et des autres hommes, qui a été sanctifié par la vue de toutes ces grandes merveilles ; et enfin la miraculeuse subsistance de ce peuple, qui n’aurait pu ni se conserver si longtemps séparé des autres nations, et moins encore conserver sa religion pure et le service du vrai Dieu, malgré le penchant que ses passions et l’exemple des nations voisines lui donnaient pour la superstition : tous ces monuments, dis-je, sont en grand nombre ; on ne peut les contester, et il faut avouer que jamais on n’avait pris tant de précaution pour conserver la mémoire des choses passées qu’on en a pris dans cette occasion.
2° Il est vrai que ces monuments ont été fort sensibles et fort éclatants. Qu’y a-t-il de plus connu que le tabernacle, l’arche, l’état du peuple juif, la circoncision, le septième jour ? Voyez quel soin Dieu prend de conserver la mémoire des choses passées, quand elles peuvent servir à confirmer ou à illustrer la religion. Il les grave dans le temps qui fait périr toutes choses, et qui demeure néanmoins plus longtemps que tout ce que nous voyons, dans la chair des Israélites, dans leur religion, et dans les révolutions de leur État ; afin que ces objets, frappant les yeux avec plus d’éclat, soient et plus remarquables et plus incontestables tout ensemble.
3° Ces monuments sont d’ailleurs non suspects. On ne soupçonnera point Moïse d’avoir établi le sabbat et la circoncision pour donner créance à des impostures, puisque ces deux usages étaient établis avant lui. Moïse a pu avoir de l’adresse d’esprit ; mais il n’a pu rendre les événements souples à ses désirs, ni les accommoder à ses passions. Les patriarches avaient porté leurs noms avant Moïse, et ces noms font connaître ce qui leur est arrivé. Il est incompréhensible que, si les merveilles que Dieu a faites en Egypte ou dans le désert sont des fictions, Moïse se soit avisé de faire une religion qui en est tout entière un portrait sensible. Ce législateur n’a pu tromper le présent et l’avenir, les hommes qu’il conduisait et leur postérité, en faisant garder une manne qu’il savait bien devoir se corrompre, comme si elle eut dû être incorruptible. Il n’a pu faire accroire que les Israélites étaient sortis de l’Egypte avec les vases précieux des Egyptiens, et en faire un monument magnifique en faisant ce Tabernacle si riche. Car avec quoi l’aurait-il fait ? Il ne sera point venu dans l’esprit à Josué de faire bâtir une espèce d’autel pour marquer qu’ils avaient passé à sec une rivière qu’ils avaient passée sur des ponts, ou autrement ; car il se serait trop exposé à la moquerie et de ceux qui auraient vu un travail si insensé, et de ceux qui y auraient travaillé eux-mêmes. Le serpent d’airain ne se sera pas formé lui-même, et une nation qui haïssait mortellement toutes sortes de peintures et de sculptures, ne l’aura point dressé, ou permis qu’on le dressât sans un grand mystère ou une grande nécessité. Les Philistins n’auront point renvoyé l’arche de Dieu par complaisance pour les Israélites, qui y attachaient toute leur confiance ; et les Betsamites ne se seront pas laissés mourir pour rendre cette arche plus terrible et plus vénérable. Les Gabaonites n’auront pas été exceptés de tant d’autres peuples qui tombèrent sous l’épée sans quelque raison ; et David et plusieurs autres saints hommes qui vivaient dans un temps où ils pouvaient savoir le vrai ou le faux de ces aventures, n’auront point été sanctifiés par des fictions et des fables reconnues pour telles ; car, ne connaissant pas aussi distinctement que nous la vie éternelle, ils se seraient facilement abandonnés à l’amour du monde s’ils n’avaient été retenus par la considération de ces merveilles, dont ils étaient si pleinement et si parfaitement persuadés : s’ils n’avaient eu le contre-poids de ces faits miraculeux qui les réveillaient et leur parlaient fortement de la part de Dieu, rien ne les pouvait soutenir ni les empêcher de s’abandonner au vice, qui devenait pour eux préférable à la vertu. On peut dire que les miracles de l’Ancien Testament tenaient, à cet égard, la place des motifs de l’Évangile, et que les motifs de l’Évangile, je veux dire la vie éternelle et la mort éternelle révélées distinctement, tiennent la place de ces miracles, et doivent être le contre-poids qui nous empêche de tomber dans le vice. Cette considération nous conduit à passer maintenant de la considération de la religion judaïque à la considération de la religion chrétienne.