Quel est le rôle de la conscience morale à l’égard des révélations divines externes à leurs différents degrés ? Telle est la question qui se pose ici.
De tout ce qui précède, il résulte qu’aucune révélation divine externe ne peut être perçue par le sujet autrement que par la conscience ; nous affirmons d’un autre côté que le rôle de la conscience s’arrête à cette limite, et qu’elle ne peut dans aucun cas devenir agent producteur de la vérité religieuse objective.
En ceci nous nous séparons à la fois du rationalisme et du supranaturalisme, l’un qui fait dériver toute vérité de la conscience ou de la raison subjective, qui, ayant en elle la virtualité nécessaire pour créer ou reproduire l’objet, rendrait par là inutile ou même fâcheuse l’intervention d’une révélation supérieure ; l’autre qui prétend imposer d’autorité et par un procédé mécanique et coercitif la révélation divine à la nature humaine, lors même qu’il n’y aurait rien chez celle-ci qui y répondît ou qui la sanctionnât intérieurement.
Nous disons au contraire que la conscience est appelée à donner son assentiment à toute révélation divine externe, soit dans la nature, soit dans l’histoire ; mais elle doit reconnaître que ces révélations contiennent des vérités et des faits qui la dépassent et que les facultés naturelles de l’homme, et la conscience elle-même, sont impuissantes à s’assimiler entièrement ; à plus forte raison est-elle impuissante à les procréer.
Sans le concours de la conscience, les révélations religieuses demeureraient étrangères à l’homme ; sans l’intervention des révélations externes, la conscience réduite à elle-même et à sa virtualité propre s’éteindrait comme une flamme à laquelle l’aliment ferait défaut. Dans son rapport à toute révélation de vérité supérieure de l’ordre religieux, le rôle de la conscience, comme organe d’appropriation de l’homme, est à la fois indispensable et insuffisant.
La nécessité du concours de la conscience et de la révélation externe pour produire chez le sujet une connaissance utile, apparaît à tous les degrés successifs de la révélation, soit dans le domaine de la nature, soit dans le domaine de l’histoirec.
c – Il va sans dire que nous n’excluons point dans cette appropriation de la révélation extérieure par le sujet la part considérable de l’intelligence qui formule en idées cette donnée, et de la volonté qui se l’approprie ou la repousse ; mais nous disons que c’est à la conscience en l’homme que toute révélation divine s’adresse en premier lieu ; la conscience est la porte par laquelle elle fait son entrée.
Dans les limites de la religion naturelle déjà, nous avons établi que la conscience religieuse, ayant Dieu pour objet, doit se dégager de la conscience morale, ayant le bien pour objet. Mais nous ne craignons pas d’affirmer tout à la fois que la conscience morale ne s’élèverait pas d’elle-même à la conscience religieuse, ou du moins ne s’y soutiendrait pas, si cette notion purement interne de Dieu ne m’était attestée et confirmée par l’expérience personnelle que je fais des actes divins dans la nature ou dans ma vie ; d’un autre côté, ni le spectacle de la nature matérielle, ni mes souvenirs personnels ne créeraient à eux seuls en moi cette notion, si elle ne répondait pas à un postulat de ma nature morale subjective.
Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire.
Croire, en effet, et non pas voir, ni savoir ; caché, dans deux sens distincts : aux organes corporels d’abord, puisqu’il est esprit et non pas matière ; à la raison pure aussi, puisqu’il est le bien personnel et non pas la logique universelle. La nature et l’histoire le révèlent, mais la conscience le cherche, l’appelle et le perçoit dans ses ouvrages ou dans ses actes.
Mais Dieu ne s’est pas seulement révélé à l’homme par des œuvres invariables et immuables, mais aussi par des faits et des actes qui traversent l’histoire de l’humanité comme un sillon de feu au sein des ténèbres. Ces révélations se sont actualisées dans les différentes alliances conclues entre Dieu et les hommes, depuis le temps des patriarches jusqu’à Jésus-Christ. Nous disons donc que toute révélation divine dans l’histoire et la révélation chrétienne elle-même, qui doit renouveler le cœur, l’intelligence, la conscience, ne laisse pas de faire appel tout d’abord à cette conscience humaine qui seule dans l’homme naturel est apte à reconnaître et à attester la validité morale du témoignage que Dieu s’est rendu à lui-même en Jésus-Christ. Le christianisme s’est soumis à cette épreuve ; il ne l’a pas redoutée, il l’a d’avance bravée ; c’est à toute conscience droite que Jésus-Christ et les apôtres se sont adressés pour légitimer leur parole devant l’homme ; ils ont eu foi à la foi morale de l’humanité, et ils ont eu foi en eux-mêmes jusqu’au point de faire de l’adhésion de tout homme à leur témoignage la mesure et le critère de sa propre moralité. Comp. Jean 3.20 ; 7.17 ; 2 Corinthiens 4.2 ; 5.11d.
d – Voyez aussi Propédeutique. Ire et IIe section : Sur les bases de l’Apologétique.
La conscience est donc à la fois l’organe intérieur de l’homme et supérieur à l’homme, intérieur par son siège, supérieur parce qu’il le rattache à Dieu comme à son auteur, à son législateur, à son bienfaiteur, à son juge suprême ; elle n’est donc pas une des facultés ni un des organes propres à la nature humaine, elle est une substance divine en l’homme, l’organe d’un témoignage divin à la fois inné à la nature humaine et surnaturel. C’est à titre d’être doué d’une conscience, plutôt encore qu’à titre d’être intelligent et voulant, que l’homme est appelé l’image de Dieu, puisque Dieu n’est pas essentiellement l’être, mais l’être saint ; c’est par là que nous sommes de droit de race divine (Actes 17.28).
Nous avons déjà entrevu comment ce droit doit et peut se réaliser dans le fait, c’est-à-dire par le concours actif du sujet portant son action sur ce témoignage inné et immédiat pour y acquiescer et l’approprier à sa nature morale. La troisième partie de notre étude sera l’exposition détaillée de ce progrès constant du sujet, de ce point de départ jusqu’au point d’arrivée.
Après avoir traité de l’image de Dieu en l’homme, c’est à-dire de cet élément qui en l’homme même est encore une substance supérieure à l’homme, nous passons à l’étude de la nature humaine comme telle, et tout d’abord de ses parties constitutives.