Ne nous contentons pas d’avoir prouvé la divinité de la révélation judaïque ; allons plus loin, et voyons si elle ne nous conduira point à une plus grande révélation.
Un des plus grands et des plus considérables oracles qu’elle renferme, est sans doute celui qui prédit la vocation des païens. C’est ici un grand principe qui nous conduit au delà de la révélation judaïque, et qui nous fera entrer parfaitement dans le plan et dans le dessein de Dieu dans la religion, si nous l’avons une fois solidement établi.
Il ne faut, pour cet effet, que s’attacher bien à la considération de la prophétie, et à celle de son accomplissement.
On trouve dans l’Écriture tout ce qu’on peut raisonnablement demander à l’égard de la prophétie. Ce n’est point ici un oracle que le hasard ait mis en la bouche d’un seul prophète une seule fois ; il est en la bouche de tous les prophètes. Moïse, David, Salomon, Esaïe, Jérémie, et tous les autres, prédisent si souvent la vocation des gentils, qu’il semble qu’ils aient vu cet événement. Ce n’est point ici une prophétie qu’on puisse accuser d’obscurité ; car, qu’y a-t-il de si clair que ces paroles de Zachariea ? Et il arrivera qu’en ce jour-là des eaux vives sortiront de Jérusalem, etc., et l’Éternel sera roi sur toute la terre. En ce jour-là il y aura un seul Éternel, et son nom ne sera qu’un. Qu’y a-t-il encore de si clair que ce passage de Malachieb ? Mais depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant, mon nom sera grand entre les nations, et on offrira en tout lieu parfum à mon nom, et oblation pure ; car mon nom sera grand entre les nations, a dit l’Éternel des armées.
a – Zacharie 14.8-9.
b – Malachie 1.11.
Si l’on trouve que ces passages ne sont pas encore assez exprès pour marquer le choix que Dieu devait faire des gentils pour les recevoir dans son alliance, on n’a qu’à considérer ce passage où Dieu dit par la bouche d’Esaïec : Je me suis fait chercher par ceux qui ne me demandaient point, et je me suis fait trouver à ceux qui ne me cherchaient point. J’ai dit à la nation qui ne s’appelle pas de mon nom : Me voici, me voici. Et encore cet autre : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantais point ; toi qui ne savais ce que c ’est que le travail d’enfant, éclate de joie avec chant de triomphe, et t’égaie ; car les enfants de celle qui était délaissée seule, seront en plus grand nombre que les enfants de celle qui était mariée, a dit l’Éternel. Si vous demandez qui seront ceux d’entre les gentils qui auront part à cet avantage, vous trouverez que ce seront les gentils indifféremment, jusqu’à ceux qui avaient été autrefois les plus abandonnés de Dieu. En ce jour-là, dit Esaïe, l’Éternel se fera connaître à l’Egypte, et l’Egypte connaîtra l’Éternel.
Si les Juifs s’imaginent que les gentils ne doivent être appelés à la connaissance du vrai Dieu, que comme des esclaves destinés uniquement à suivre le char de triomphe d’Israël, nous leur fermerons la bouche par ces paroles de Michéed : En ce temps-là, dit l’Éternel, j’assemblerai la boiteuse, et recueillerai la rejetée ; et je mettrai la boiteuse pour être en relief, et celle qui était éloignée pour être une nation robuste ; et l’Éternel régnera sur eux en la montagne de Sion, dès cette heure jusqu’à toujours. Ezéchiel parle d’un temps auquel les deux peuples ne seraient plus deux peuples, et d’une alliance éternelle que Dieu traiterait avec eux en commune. Je traiterai, dit-il, avec eux une alliance de paix, et il y aura une alliance éternelle avec eux : je les assoirai et les multiplierai, et mettrai mon sanctuaire au milieu d’eux pour toujours ; et mon pavillon sera entre eux, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ; et les nations sauront que je suis l’Éternel, quand mon sanctuaire sera au milieu d’eux à toujours. Alors, dit Dieu par la bouche de Sophonief, je changerai aux peuples leurs lèvres, en les rendant pures, afin que tous invoquent le nom de l’Éternel pour le servir d’une même épaule.
d – Michée 4.6-7.
e – Ézéchiel 37.26.
f – Sophonie 3.9.
Si tous ces oracles ne vous satisfont pas, et si vous en voulez de plus circonstanciés, voyez de quelle façon Esaïe nous représente cet événementg : Or il arrivera, dit-il, aux derniers jours, que la montagne de la maison de l’Éternel sera affermie au sommet des montagnes, et sera élevée par-dessus les coteaux ; et plusieurs peuples iront et diront : Venez, et montons à la montagne de l’Éternel, à la maison du Dieu de Jacob, et il nous enseignera touchant ses voies, et nous cheminerons par ses sentiers ; car la loi sortira de Sion, et la parole de l’Éternel de Jérusalem. Et en un autre endroit : Lève-toi, et sois illuminée, car ta lumière est venue, et la gloire de l’Éternel est levée sur toi, et sa gloire apparaîtra sur toi ; et les nations chemineront à ta lumière, et les rois à la splendeur qui s’élèvera de toi. Mais, qui nous assurera que ce n’est point parce qu’ils le souhaitaient ainsi, ou par une exagération qui naissait de leurs désirs, qu’ils déclaraient qu’il n’y aurait point jusqu’aux gentils qui ne connussent Dieu, et ne célébrassent ses merveilles ? Qui nous empêchera de croire que le psalmiste a seulement exprimé ses désirs, lorsqu’il dith : Tous les bouts de la terre en auront souvenance, et se convertiront à l’Éternel, et toutes les familles des nations se prosterneront devant lui. On perd facilement ce soupçon lorsque l’on considère que les oracles qui marquent la vocation des païens, opposent quelquefois les gentils aux Juifs, comme lorsqu’il est dit, que celle qui était délaissée aurait un jour plus d’enfants que celle qui était mariée ; et surtout lorsque Moïse le représente par ces paroles si dignes de considérationi : Ils m’ont ému à jalousie par ce qui n’est pas le Dieu fort, et m’ont provoqué à courroux par leurs vanités. Ainsi les émouvrai-je à colère par un qui n’est point peuple, et les provoquerai-je à courroux par une nation folle. Qui ne voit qu’une prophétie tant de fois répétée, accompagnée de tant de circonstances, marquée en tant de manières, et jointe à la réjection des Juifs, n’est pas le jeu d’une imagination qui s’égaie, ou un effet de quelque dessein que les prophètes eussent de se flatter, ou de flatter leur nation.
g – Ésaïe 2.2 ; ch. 60.
h – Psaumes 22.27.
i – Deutéronome 32.21.
Mais peut-être que les prophètes prédisaient la vocation des païens, non parce qu’ils crussent qu’elle dut jamais arriver, mais pour exciter la repentance des Juifs, en les menaçant que Dieu se tournerait vers leurs ennemis. Premièrement, je veux que cette prophétie soit une menace ; cela empêcherait-il que cette menace ne fût aussi une prophétie ? Le discours d’un homme qui aurait menacé autrefois Sodome vicieuse du feu du ciel, aurait pu ne passer que pour une simple menace avant l’embrasement de cette ville ; mais il aurait dû passer pour une véritable prophétie, après que cette ville eut été réduite en cendres.
D’ailleurs, cette prophétie est trop bien circonstanciée, pour n’avoir pas été formée dans la vue de l’événement. Qui est celui qui a de la peine à comprendre comment la loi devait sortir de Sion, et la parole de l’Éternel de Jérusalem ; que toutes les nations devaient être éclairées par la lumière qui sortirait de Sion ; que des eaux vives sortiraient de Jérusalem, la moitié vers la mer d’Orient, et l’autre moitié vers la mer d’Occident ? etc.
Mais il paraît, en troisième lieu, que ce n’est pas pour menacer les Juifs que les prophètes prédisent la vocation des païens ; car on sait que, lorsqu’on dénonce à quelqu’un un malheur pour l’intimider, on a accoutumé de lui dénoncer un malheur prochain, et qui va fondre sur lui s’il n’y prend garde : cependant les prophètes ont prédit la vocation des païens comme un événement fort éloigné. Or il arrivera, dit Esaïe dans ce beau passage que nous avons déjà cité, il arrivera aux derniers jours, que la montagne de la maison, etc. Enfin, on n’a qu’à lire les écrits des prophètes, et l’on trouvera que quand ils prédisent la vocation des païens, ils en parlent assez souvent comme d’un événement qui doit faire la gloire de Sion, et qui doit être accompagné du véritable salut que Dieu destine aux vrais Israélites, bien qu’il doive être suivi de l’endurcissement du général. Au temps qu’il rebâtira tes cloisons, dit Michée, en ce temps-là les édits seront publiés au loin ; on viendra jusqu’à toi, même d’Assur et des villes de forteresse, et depuis la forteresse jusqu’au fleuve, et depuis une mer jusqu’à l’autre, et depuis une montagne jusqu’à l’autre.
Il est donc vrai que ces oracles sont, par leur nombre, par leur clarté, et par la manière dont ils se trouvent circonstanciés, au-dessus de la subtilité et des exceptions. Il ne s’agit donc plus que de savoir si l’événement a répondu à la prophétie : c’est de son accomplissement qu’il nous faut maintenant parler.
L’oracle de la vocation des païens est parfaitement accompli, s’il est vrai que les Juifs n’aient plus rien qui les distingue maintenant de ceux qu’on appelait autrefois gentils, et que les gentils aient obtenu ce qui élevait autrefois les Juifs au-dessus d’eux.
Les Juifs possédaient autrefois quatre avantages qui les distinguaient des païens, et qui formaient, pour ainsi dire, l’idée de leur élection ; savoir, la connaissance pure du vrai Dieu, la sacrificature, la royauté, et les dons de la prophétie. Les Juifs seuls entre les hommes connaissaient le vrai Dieu ; c’était déjà beaucoup : leurs sacrifices étaient les seuls que Dieu agréait sur la terre ; c’était encore davantage. Dieu était leur monarque invisible, qui les gouvernait d’une façon particulière, et qui avait attaché l’autorité souveraine à une famille ; c’était là un privilège particulier. Dieu avait choisi ce peuple parmi tous les autres pour lui donner son Esprit, et pour faire ses miracles au milieu de lui ; c’était là le dernier caractère de son élection.
Aujourd’hui, duquel de ces avantages est-ce que les Juifs peuvent se vanter ? Ils connaissent le vrai Dieu, mais toute la terre le connaît aussi ; et ce n’est plus par là que les Juifs peuvent se distinguer des autres hommes. Leur sacrificature est entièrement ôtée, puisque leur temple fut démoli il y a déjà plusieurs siècles, qu’ils n’ont plus de lévites ni de sacrificateurs, et que toutes leurs généalogies sont confondues. Il n’y a plus de royauté parmi eux, puisqu’ils sont devenus les esclaves des nations : et ce qui est plus étonnant pour eux, et plus considérable, c’est qu’ils ont aussi perdu l’esprit prophétique, qui était la marque la plus essentielle de leur élection.
Que si nous jetons maintenant les yeux sur ceux qui étaient autrefois appelés gentils, nous trouverons qu’ils ont des idées de Dieu plus belles et plus parfaites que n’ont jamais eues les Juifs ; qu’ils offrent à Dieu, en une infinité de lieux, l’encens de leurs prières et de leurs actions de grâces, et qu’ils marchent à la lumière qui est sortie de Sion. Quel bandeau funeste empêche les Juifs et les incrédules de voir à cet égard le rapport de la prophétie avec l’événement ?
Les Juifs ne veulent pas que nous soyons véritablement dans l’alliance de Dieu, parce que nous ne sommes pas circoncis, et que nous ne pratiquons pas diverses cérémonies prescrites dans la loi de Moïse : mais peuvent-ils ignorer que ce n’est pas là ce qui faisait l’essentiel du pur culte de Dieu et de la vraie religion de leurs pères, selon ces reproches que Dieu faisait autrefois au peuple d’Israël par la bouche de ses prophètes : Qu’ai-je à faire, dit l’Éternel, de la multitude de vos sacrifices ? Je suis soûl d’holocaustes de moutons, et de la graisse des bêtes grasses. Je ne prends point de plaisir au sang des bouveaux, ni des agneaux, ni des boucs. Quand vous entrez pour vous présenter devant ma face, qui a requis cela de vos mains, que vous fouliez de vos pieds mes parvis ? Ne continuez plus à m’apporter des oblations de néant. Le parfum m’est abomination. Quant aux nouvelles lunes et aux sabbats, et à la publication de vos convocations, je n’en puis plus porter l’ennui, ni de vos assemblées. solennelles. Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos assemblées solennelles ; elles me sont fâcheuses ; je suis las de les porter, etc. Lavez-vous ; nettoyez-vous. Otez de devant mes yeux la malice de vos actions. Cessez de mal faire. Apprenez à bien faire. Recherchez la droiture. Redressez celui qui est foulé. Faites droit à l’orphelin. Débattez la cause de la veuve, etc.
Puis donc que connaître Dieu, lui obéir, l’aimer, s’attacher pour l’amour de Dieu à la pratique de la vertu et de la sainteté, fait l’essentiel du pur culte et de la vraie religion, peut-on douter que les nations n’aient véritablement été appelées à la connaissance du vrai Dieu, lorsque l’on voit toute la terre remplie de la connaissance du vrai Dieu, et les hommes l’invoquer dans leurs besoins, célébrer ses vertus, et mettre en lui leur confiance ?
Je n’ignore pas néanmoins qu’il y a ici trois difficultés qui semblent faire d’abord quelque peine. On objecte premièrement que Mahomet n’a pas laissé d’étendre en tous lieux la connaissance du vrai Dieu, bien que Mahomet ait été un imposteur. Mais la réponse est facile, puisque l’on peut considérer deux choses dans la religion de Mahomet : quelque chose de vrai et même de divin ; c’est ce qui est demeuré de la religion chrétienne, dont les mahométans faisaient autrefois profession, et dont la religion Mahométane est une corruption ; et quelque chose de faux et humain, c’est ce que Mahomet y a ajouté. La connaissance d’un Dieu créateur du ciel et de la terre, et celle d’un Jésus-Christ le Prophète et le Fils de Dieu, appartenant essentiellement et originairement à la religion chrétienne, dont la mahométane a conservé quelques restes défectueux ; c’est mal parler, de dire que Mahomet a établi la connaissance du vrai Dieu dans le monde ; il faut seulement dire que Mahomet a corrompu la connaissance du vrai Dieu, établie avant lui dans le monde.
On objecte, en second lieu, que les chrétiens se déchirent par des guerres ; qu’on ne voit que schisme erreurs et superstitions parmi eux, et par conséquent qu’ils ne portent point le caractère d’un peuple élu et béni du ciel. Mais si, lorsque les tribus d’Israël se faisaient la guerre les unes aux autres, ou lorsqu’elles dressaient des veaux et les adoraient publiquement, elles ne laissaient pas d’être le peuple de Dieu, parce que Dieu les retirait de cet état, qui aurait été incompatible avec son élection, s’il eût été général, et en même temps éternel ; pourquoi ne dirons-nous pas aussi que les chrétiens ne laissent pas d’être le peuple de Dieu, pour être exposés aux schismes, à la superstition et aux dissensions que Dieu laisse régner, mais non pas pour toujours, sa providence trouvant les voies de les réparer quand il lui plaît ? Au fond, les vices des particuliers n’empêchent point l’élection du général, non plus à l’égard des chrétiens, qu’à l’égard de l’ancien peuple d’Israël. Les Juifs ne peuvent nous faire d’objections sur ce sujet, qui ne retombent sur eux-mêmes ; outre que c’est dans l’Église, qui est l’assemblée des fidèles, qu’il faut chercher l’accomplissement de cette espèce de prophétie.
Enfin, on remarque que les oracles qui nous parlent de la vocation des païens, nous marquent que les païens doivent être conformes au peuple d’Israël dans la pratique de ses cérémonies, aussi bien que dans l’adoration du vrai Dieu ; car il est dit qu’ils monteront à la montagne de Sion, qu’ils offriront parfum en tout lieu, et oblation pure. Il est fait mention de leurs nouvelles lunes et de leurs sabbats. Je réponds que cela vient de ce que les prophètes ont voulu représenter l’événement dont nous parlons, par des images ordinaires et connues du peuple. Si les Juifs y voulaient faire un peu de réflexion, ils connaîtraient qu’il est absolument nécessaire de prendre ces expressions dans un sens mystique et spirituel ; car comment veulent-ils que toutes les nations de la terre montent proprement à la montagne de Sion, ou qu’elles aillent adorer à Jérusalem ? Que ne voient-ils que, par cette oblation pure dont parle Malachie, il faut entendre l’oblation d’un cœur froissé et d’une âme pénitente ? etc.
Les Juifs et les incrédules ont beau faire des efforts pour résister à la force de la vérité, rien ne peut empêcher que ces trois vérités ne soient claires et évidentes : 1° que les prophètes ont prédit constamment la vocation des païens en divers temps et en diverses occasions, en termes exprès et circonstanciés, et si clairement qu’ils paraissent plutôt, à cet égard, des historiens que des prophètes ; 2° que la raison la plus fière et la plus obstinée n’oserait soupçonner ces oracles d’avoir été ajoutés après l’événement ; 3° que cependant ces oracles ont été exactement accomplis, et le seront d’âge en âge.
Je n’ignore pas, en effet, qu’il peut y avoir des nations qui n’ont pas été éclairées de cette lumière ; mais le temps de leur illumination viendra. Il suffit qu’il n’y ait plus aucune distinction entre le peuple des Juifs et les autres peuples de la terre ; que la connaissance du vrai Dieu soit commune ; qu’elle ait inondé la terre ; que les nations marchent à la lumière qui est sortie de Jérusalem, et que les nations les plus sauvages en soient remplies à mesure qu’elles sont découvertes. Cette prophétie s’accomplit tous les jours, et s’accomplira perpétuellement jusqu’à la fin des siècles.
Cette preuve est double ; elle prouve la divinité de la religion chrétienne contre les Juifs, et la divinité de la religion judaïque et de la religion chrétienne contre les incrédules. Si vous doutez de la divinité des livres de l’Ancien Testament, considérez cette prophétie, et vous n’en douterez plus. Si vous doutez de la divinité de la religion chrétienne, considérez cette prophétie, et vous en serez assuré.
Aussi est-il facile de connaître dans la nature et dans la révélation des Juifs, des préparations à ce grand et illustre événement. Si vous suivez les lumières de la religion naturelle, elles vous apprendront que Dieu devait perdre entièrement les païens, ou les éclairer de nouveau. Si vous consultez l’Écriture des Juifs, vous y trouverez que Dieu avait suscité un Melchisédec sacrificateur du Dieu souverain, vivant parmi les nations ; qu’if avait mis son esprit en Balaam, qui vivait parmi des païens ; qu’il avait envoyé Jonas pour prêcher aux Ninivites, témoignant par ce petit prélude, qu’il voulait un jour réunir les nations avec son Israël, pour s’en faire connaître.
Au fond, le changement qui est arrivé au monde est si grand et si avantageux, qu’il faut faire de Dieu un être insensible, sans sagesse et sans connaissance, pour s’imaginer que ni sa bonté ni sa providence n’ont aucune part à ce grand événement. Autrefois le cœur de l’homme était, avec ses dérèglements et ses passions, la règle du culte et de la religion. Toutes les faiblesses humaines s’étaient consacrées. C’est à sa corruption qu’on bâtissait des temples ; c’est elle qui prononçait les oracles, si je l’ose dire, puisque c’était elle qui tirait toutes les divinités de son sein. Comment corriger ce désordre ? Où prendre une règle pour rétablir des hommes si déréglés ? Si vous les rappelez à la religion, c’est la religion qui les corrompt davantage, en leur faisant voir des dieux qui portent leur image, et qui sont même plus vicieux qu’eux. Si vous descendez en eux-mêmes, ils se couvriront des exemples qu’ils trouvent dans la religion. Si vous faites agir la nature, la nature est asservie sous la superstition, qui est d’autant plus puissante, qu’elle agit sous des prétextes sacrés. Je ne vois donc ici qu’une absolue impossibilité de retirer les hommes de cet état, si je considère les moyens humains. Je ne vois qu’un commerce nécessaire entre la religion et la corruption. La corruption forme la religion. La religion consacre, pour ainsi dire, et rend sacrée la corruption. Qui leur ôtera cette religion que leur penchant et leurs vices leur rendent si chère ? Qui les guérira de cette corruption que la religion autorise ? Si vous parlez de leur faire reconnaître quelque nouvelle divinité, il dépend de leur volonté de la recevoir ou de la rejeter. Si vous leur parlez du Dieu que les Juifs adorent, ils détestent tout ce qui passe pour sacré parmi cette nation : leurs esprits sont fermés par les préjugés ; leurs cœurs le sont par les passions, les intérêts, la coutume et l’éducation. La force et l’adresse, les magistrats, les pontifes et le peuple, la nature corrompue et la fausse religion ferment le passage à la vérité, et sont comme des barrières impénétrables qui semblent s’éloigner sans retour.
Certainement, quand je considère la difficulté qu’il y avait à convertir les nations, je trouve que c’est là l’entreprise de Dieu, et non l’entreprise des hommes ; mais je me confirme entièrement dans cette pensée, quand je remarque que dans un petit nombre d’années je vois un saint et heureux renversement dans la religion des hommes. Car si, auparavant, la corruption de leur cœur avait réglé leur culte, et produit toutes leurs divinités, maintenant la pure et la vraie idée d’un Dieu créateur du ciel et de la terre, saint, juste, bon et sage, réforme et change les mauvais penchants du cœur déréglé des hommes. Je reconnais une puissance divine dans cet effet si prompt et si admirable. Je ne doute point que, s’il y a une intelligence qui gouverne le monde, et qui fait aux hommes tout le bien qu’ils possèdent, sa bonté n’ait quelque part à cet heureux changement.
Que sera-ce donc lorsqu’on me fait voir ce grand événement prédit avec tant de lumière et de précision ? Serai-je assez extravagant pour rejeter une vérité qui entre dans mon esprit par tant d’endroits différents, et à laquelle les sens, l’expérience, la raison, et des témoins d’autant moins suspects qu’ils ont vécu avant l’événement, me forcent, par manière de dire, à consentir ?