Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 4
La réforme à Genève – Formulaire de foi et de discipline

(Fin 1536-1537)

11.4

La liberté et l’autorité – Calvin nommé pasteur à Genève – Les individus et la société chrétienne – Analyse et synthèse – Les huguenots se divisent – Catéchisme et confession de foi – Le véritable esprit de Calvin – Diversité des opinions religieuses – Besoin d’unité – La confession de foi présentée au Conseil – Caractères de cette confession – Calvin en est bien l’auteur – La fréquente communion – La discipline d’excommunication – Le droit commencement d’une Église – Intervention des laïques – Règlements divers – Les Conseils approuvent la discipline – Le syndic Porral – La confession distribuée aux citoyens – Chaque citoyen doit l’accepter – Le peuple convoqué à Saint-Pierre – Il jure la confession – Plusieurs refusent le serment – Les trois pasteurs de Genève – Les écoles – Activité des réformateurs – Discipline – Description de Genève

Calvin avait manifesté à Lausanne une fermeté dans la foi, un talent dans l’exposition de ses pensées, qui attirèrent encore plus sur lui les regards ; Bucer et Capiton qui déjà en lisant son Institution avaient reconnu la haute portée de son esprit, désiraient vivement avoir une conférence avec lui sur la doctrine évangélique. Ils lui écrivirent l’un et l’autre le 1er décembre. « Nous reconnaissons, disait Bucer, que le Seigneur veut se servir abondamment de vous pour le bien de nos Églises et qu’il veut que votre ministère leur soit grandement utile. Nous désirons être d’accord avec vous en toutes choses, et nous irons pour vous rencontrer partout où il vous plairaa. » Ainsi donc les Strasbourgeois reconnaissaient à Calvin une vocation pour toutes les Églises. Ils voyaient en lui le réformateur. En effet l’auteur de l’Institution avait conçu un idéal de l’Église qui devait remplacer la papauté ; idéal difficile, impossible peut-être à réaliser ici-bas, mais dont il eût voulu que Genève approchât le plus possible. Luther avait annoncé avec puissance la parole de la rémission des péchés, mais sans s’occuper beaucoup de la constitution de l’Église ; c’était cette parole qui, en pénétrant dans les cœurs, devait former l’assemblée du Seigneur. Le grand but de Calvin était bien d’annoncer avant tout, comme Luther, la rédemption accomplie par Jésus-Christ et le salut qu’elle donne, mais il chercha plus que le réformateur saxon à former une Église fidèle qui, vivifiée, sanctifiée par la vertu de la Parole de Dieu et la grâce du Saint-Esprit, fût vraiment le corps du Seigneur. Zwingle s’en était aussi occupé ; mais un trait important distinguait l’une de l’autre les œuvres des réformateurs de Zurich et de Genève. A Zurich, Zwingle avait regardé en bas : c’était le peuple, en tant que croyant à l’Écriture, qui était le fondement de l’Église ; tandis que Calvin regardait en haut et plaçait l’origine et la subsistance de l’Église en Dieu même. A Zurich l’Église existe par la volonté de la majorité réformée de la nation ; à Genève c’est la volonté et la parole de Dieu qui la forme. Le point d’appui est à Zurich dans la liberté, à Genève dans l’autorité. L’une et l’autre sont salutaires ; mais l’une et l’autre ont leurs dangers. Le meilleur système est celui où l’autorité et la liberté sont unies ; mais il n’est pas toujours facile à réaliser.

a – Calv., Opp., X, p. 67, 75. Herminjard, IV, p. 119.

Après que Calvin fut revenu de la dispute de Lausanne, il reprit ses lectures et explications des épîtres de saint Paul dans le temple de Saint-Pierre ; ces enseignements étaient fort suivis, et faisaient une sensation toujours plus grande ; bientôt la supériorité de ce jeune docteur et de sa parole si profonde et si vivante fit naître dans Genève le désir de se l’attacher définitivement. Vers la fin de l’an 1536, la charge de pasteur fut ajoutée à celle de docteur. « Il fut élu et déclaré tel en cette Église, avec légitime élection et approbationb. »

bVie de Calvin, en français, p. 29, édit. de 1864.

[Il y a trois vies de Calvin, qui généralement ont été attribuées jusqu’à présent à Théodore de Bèze. La première (en français) publiée en 1564, année de la mort de Calvin, est toute de Th. de Bèze. La seconde, aussi en français, mais plus étendue que la première, est de 1565 ; elle est bien essentiellement de Bèze, mais fut publiée, avec des augmentations, par Nicolas Colladon, pasteur d’abord à Vandœuvres, puis à Genève en 1562, recteur en 1564, et qui succéda à Calvin en 1566 dans la chaire de théologie. Cette vie de Calvin a été réimprimée à Paris en 1864, et le passage que nous venons de citer s’y trouve, p, 29. Enfin, Théodore de Bèze mit en 1575 en tête des lettres de Calvin une vie écrite en latin. Celle de Colladon est peut-être plus riche quant aux faits, quoique celle de Bèze l’emporte à d’autres égards.]

Calvin crut devoir plus tard insister lui-même, dans sa lettre au cardinal Sadolet, sur la régularité de cette vocation. « Premièrement, dit-il, j’ai en cette Église fait l’office de lecteur, et puis après de ministre et pasteur. Et quant à ce que j’entrepris la seconde charge, je maintiens pour mon droit, que légitimement et à droite vocation je l’ai faitc. »

c – Epître de J.Sadolet et réponse de Calvin. Genève, Fick, 1860. in-12.

Calvin n’avait pas oublié la France et il ne l’oublia jamais. Il venait de provoquer lui-même une intervention de plusieurs villes allemandes et suisses en faveur des protestants français, alors rudement persécutés. C’était sans doute à ce sujet qu’il écrivait de Lausanne à son ami François Daniel, le 13 octobre 1536 : « Demain, s’il plaît au Seigneur, je me rends à Berne, pour une affaire dont je vous parlerai une autre fois. Je crains même qu’il ne soit nécessaire que j’aille jusqu’à Bâle, malgré l’état de ma santé et la mauvaise saison où nous sommesd. » Mais pourtant sans oublier son ancienne patrie, il s’attachait à la nouvelle. Cette république semblait convenir à son esprit. Il n’était pas homme à accepter une charge, sans prendre la peine nécessaire pour s’en acquitter. Devenu pasteur à Genève, il songea à ce qu’il y avait à faire pour y substituer une véritable Église évangélique à l’Église du pape.

d – Lettre de Calvin du 13 oct. (Bibl. de Berne.) Calv., Opp., X, p. 63. Lettre du conseil de Strasbourg au conseil de Bâle, 4 novembre 1536. Herminjard, IV, p. 95. On a dit que Calvin voulait aller à Bâle pour y mettre ordre à ses affaires. Notre hypothèse nous paraît plus en harmonie avec la lettre même.

Farel, Viret, Froment avaient commencé l’œuvre par le bon bout. Pour élever un temple, il faut d’abord tailler pierre après pierre. La science a parfois traité assez mal l’individu. « Un individu, de quelque espèce qu’il soit, a-t-elle dit, n’est rien dans l’univers, cent individus, mille, ne sont encore riene. » Il n’en est pas ainsi des individus qui ont une âme. Christ a réduit à l’avance à néant ces assertions audacieuses quand il dit : Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde s’il perdait son âme ? » C’est par la conversion des individus (Corneille, Lydie, etc.), que les apôtres ont établi le christianisme sur la terre, et ce fut de la même manière que Farel et ses amis fondèrent la Réforme. Calvin, tout en estimant cette œuvre, crut pourtant qu’une autre était nécessaire. Après l’analyse, il faut la synthèse ; après l’individu il faut la société. Le catholicisme, négligeant l’individu, ne s’occupe guère que de la synthèse. L’Évangile ne procède pas ainsi. Farel avait été en tout lieu, éclairant les esprits un à un avec le flambeau de la Parole ; il fallait maintenant faire un seul faisceau des âmes ainsi éclairées. Il faut d’abord créer le chrétien, et ensuite créer l’Église chrétienne. La Réformation avait commencé dans Genève par la loi de la vie ; une autre loi, la loi de l’unité devait maintenant l’achever. Calvin était effrayé en considérant l’état de Genève. « Quand je vins premièrement en cette ville, dit-il, il n’y avait quasi comme rien, ni mœurs, ni discipline, ni vie : on prêchait et puis c’est tout ; on brûlait bien les idoles, mais il n’y avait aucune réformationf. » Ce jugement est peut-être trop sévère ; c’est vingt-huit ans plus tard que Calvin s’exprime ainsi et les « combats merveilleux » qu’il avait soutenus lui faisaient voir peut-être trop en noir l’Église que Farel lui avait transmise. Quoi qu’il en soit, Calvin, tout en faisant le plus grand cas des conversions individuelles, avait un sentiment profond qu’il fallait maintenant accomplir une autre œuvre. Nous trouvons la même conviction dans Luther, quand il revint à Wittemberg après la captivité de la Wartbourg. C’est qu’au principe révolutionnaire (et la révolution, il faut le reconnaître, avait été nécessaire et même merveilleuse) devait se superposer le principe conservateur.

e – Buffon.

f – Adieux de Calvin. Msc. Collection Tronchin. (J. Bonnet : Lettres françaises de Calvin, II, p. 574.)

Quand une victoire éclatante est remportée, on voit d’ordinaire, soit dans le monde, soit dans l’Église, se réunir autour du vainqueur beaucoup d’hommes qui ont sans doute quelque chose de commun avec lui, mais qui ont aussi des caractères, des penchants opposés aux siens. Tous ceux qui se rangent sous un drapeau n’ont pourtant pas toujours les mêmes pensées, les mêmes affections que le vaillant guerrier qui l’arbore. Les Genevois, qu’on désignait sous le nom de Huguenots, s’étaient déclarés pour la Réformation, parce qu’elle attaquait les abus et les superstitions du papisme, et parce qu’en leur demandant d’éprouver toutes choses, elle leur rendait les privilèges d’hommes libres dont Rome les avait privés. Plusieurs aussi avaient été attirés par l’amour de la nouveauté ; d’autres, parce qu’ils voyaient une carrière nouvelle s’ouvrir à leur ambition. Il y avait sans doute une certaine quantité de citoyens qui étaient vraiment d’accord avec la Réformation, avec la foi qu’elle professait, avec les mœurs qu’elle prescrivait ; mais ils n’étaient pas les plus nombreux. On voit dans une expédition hardie et qui expose à beaucoup de travaux et de privations, de nombreux soldats quitter l’étendard sous lequel ils s’étaient d’abord rangés ; il était inévitable qu’un grand nombre de Genevois abandonnassent la bannière qui les avait ralliés et se missent en opposition avec les chefs qu’ils avaient d’abord suivis. Calvin ne tarda pas à s’en apercevoir. « L’abomination du papisme, disait-il, est maintenant abattue par la puissance de la Paroleg. Le Sénat a arrêté que les superstitions avec tout leur attirail fussent supprimées, et que la religion fût réglée dans la ville selon la pureté de l’Evangile. Toutefois, la figure de l’Église ne nous apparaît point être telle que le demande l’exercice légitime de notre charge. Quelle que soit l’opinion des autres, nous ne pouvons nous imaginer que notre ministère doive être quelque chose de si exigu, en sorte qu’une fois notre sermon prêché, nous n’ayons qu’à croiser les bras comme des gens qui ont accompli leur tâche. »

g – « Post abominationem papismi, verbi virtute hic prostratam. » (Calv., Opp., V, p. 319.)

La première pensée qu’eut Calvin pour assurer dans Genève un état prospère — et ceci est digne de remarque, — ce fut qu’il était nécessaire de donner de grands soins à l’instruction chrétienne. A peine de retour de son voyage, il se mit à la rédaction d’un catéchisme, auquel il ajouta une confession de foih. Bien que sa parole fut pleine de force et d’autorité, c’était à l’intelligence, à la conscience, à la persuasion qu’il s’adressait. La sainte Écriture avait à ses yeux une infaillibilité à laquelle toute âme d’homme devait se soumettre ; néanmoins, il n’entendait pas que l’on se soumît servilement, comme Rome le demandait ; il voulait qu’on comprît la sainte Écriture, qu’on en saisît la vérité et la beauté. « C’est pur néant, disait-il, que les paroles sont jetées en l’air jusqu’à ce que nos esprits soient éclairés du don d’intelligence. Si nous ne pouvons comprendre de notre entendement, et connaître ce qui est droit, comment notre volonté suffirait-elle pour obéiri ? »

h – « Jam vero confessionem non sine ratione adjungendam curavimus. » (Ibid.)

i – Calvin, Comment, sur Luc, XXIV, p. 45.

Il n’était pas difficile à l’auteur de l’Institution chrétienne de composer, d’après les mêmes données, un livre destiné à l’enseignement religieux. Calvin fit donc en français un catéchisme qui n’était pas divisé en demandes et en réponses. Il semblait, par sa rédaction même, moins propre à être mis dans les mains des enfants que dans celles des maîtres, comme fil conducteur, ou bien dans celles des adultes, pour aider au désir qu’ils avaient de s’instruire ; il paraît pourtant que ce livre fut aussi donné aux enfants. Il a été impossible jusqu’à présent d’en retrouver un seul exemplaire ; on pense que les feuilles en auront été usées, déchirées par l’usage journalier, comme cela arrive encore fréquemment aux manuels d’écolej.

j – Calv., Opera, V, 43.

La traduction latine parut à Bâle en 1538k. Ce catéchisme révèle dès les premières lignes la véritable pensée, le véritable esprit de Calvin ; nous disons le véritable, parce qu’il est bien différent de celui qu’attribuent à Calvin tant d’hommes remplis de préjugés, pour lesquels le mot calvinisme est comme un épouvantait mis dans les champs au bout d’une perche pour effrayer de timides oiseaux. « Il ne se trouve pas un homme, dit-il, quelque barbare qu’il soit, et eût-il même un cœur entièrement sauvage, qui n’ait quelque sentiment religieux. Il est certain que le but pour lequel nous avons tous été créés, est de connaître la majesté de notre Créateur, de l’embrasser après l’avoir connu, et de l’adorer avec toute crainte, amour et respectl. » Il va sans dire que cette déclaration de Calvin ne l’aveugle pas sur le mal qui se trouve dans l’humanité, et ne l’empêche pas de déclarer que le cœur de l’homme, dans lequel le poison du péché a pénétré jusqu’au fond, pèche — non pas toutefois parce qu’il y est contraint par une violente nécessité, mais parce que sa volonté l’y pousse. » Calvin expose ensuite de main de maître les trois grands articles de l’Église chrétienne : le Décalogue, le symbole des apôtres et l’oraison dominicale, ce n’est pas ici la place de transcrire cet enseignement.

k – Version faite par Calvin lui-même. Calv., Opp., V, p. 317-362.

lIbid., p. 323

Calvin, tout en donnant l’instruction à la jeunesse, s’occupait aussi avec zèle du caractère des hommes et des femmes appelés à devenir membres de l’Église de Dieu. Voulant une Église pure, son premier besoin était de s’assurer de la pureté de la foi et de la vie de ceux qui la composaient. Les opinions religieuses fort diverses qui existaient alors dans Genève l’inquiétaient, car il savait que toute maison divisée contre elle-même ne subsistera point. « Comment, disait-il, recevoir dans l’Église de l’Évangile des gens dont on ne sait s’ils ont renoncé aux idolâtries et superstitions papistiquesm ? » Les membres qui composaient l’Église devaient selon lui être unis par un saint et ferme lien. Genève ayant à combattre le Goliath de la papauté, il fallait que la foi et l’union fussent sa force. Une doctrine saine devait être imprimée dans les cœurs des Genevois, afin que ni le mysticisme, ni l’incrédulité, ni un enthousiasme fanatique ne vinssent les affaiblir et les égarer. Les chrétiens devaient « s’appuyer sur les promesses de Dieu avec fiance et certitude, afin de n’être pas ébranlés par les artilleries qui s’efforçaient d’abattre leur assurancen. »

mVie de Calvin, en français., p. 30. Paris, 1864.

n – Calvin sur Jacq.1.6.

Déjà avant Calvin, Farel avait parlé au Conseil de la nécessité de rédiger des édits qui constituassent l’unité de l’état des choses dans Genève, mais rien n’avait été fait. Maintenant que Calvin est là, il s’entretenait avec son vieux collègue des moyens de faire vivre le peuple en la foi de Dieu. Les deux amis convinrent de faire une confession de la foi évangélique, et l’auteur de l’Institution chrétienne fut essentiellement chargé de la rédaction, mais en consultant sans doute Farel qui connaissait Genève et certaines convenances mieux que le nouvel arrivé. Les biographes de Calvin, qui étaient en même temps ses amis, et qui connaissaient mieux que personne ses travaux, nous en parlent. « Estant déclaré pasteur, dit l’un, il dressa un brief formulaire de confession et de disciplineo. » Alors (après la dispute de Lausanne), dit l’autre, une « formule de foi chrétienne fut mise au jour par Calvinp. » On a dit que cette formule de Calvin s’est perdue, mais que Farel en fit une autre en même temps, et que celle-ci s’est conservée. Il y a dans cette assertion deux choses peu probables : l’une, que Calvin et Farel aient fait chacun à part et au même moment une confession de foi ayant le même but ; l’autre, que ce soit celle de Calvin qui se soit perdue dans Genève, tandis que celle de Farel s’y conservait.

oVie de Calvin, en français, p. 29. Paris, 1864.

p – « Tunc edita est a Calvino christianæ doctrinæ quædam veluti formula. » (Vita Catvini, 1875, a Beza descripta.)

Quoi qu’il en soit, le 10 novembre, Farel présenta la confession au Conseil, et cela était fort naturel ; il était depuis des années en rapport avec ce corps et reconnu par lui comme le principal conducteur de l’Église ; tandis que Calvin, homme nouveau et d’un caractère un peu sauvage, n’aimait pas à se montrer, et surtout à paraître devant le Conseil des Deux-Cents. Farel donc ayant été introduit dans la salle du grand Conseil, donna connaissance du document. Il y avait là devant lui les députés du peuple de Genève, revêtus d’un grand pouvoir et auxquels il était dangereux de déplaire ; mais, quoiqu’il prît en considération l’état religieux des hommes auxquels il parlait, il présenta la grande dispensation du christianisme avec cette franchise, cette netteté, ce courage, qui caractérisent l’époque de la Réformation et qui semblent si étranges à un siècle plus amolli, plus incrédule, plus craintif. « La règle de notre foi et religion, dit-il, est la seule Ecriture sainte, sans y mêler aucune chose qui ait été controuvée du sens des hommes. Nous adorons un seul Dieu, sans mettre notre confiance en créature aucune, soit anges, soit saints ou saintes, soit hommes vivants sur la terre. L’homme, qui est en sa nature plein de corruption, a besoin d’être éclairé de Dieu pour venir à la droite connaissance de son salut ; et tout ce qui nous manque en nous-mêmes, nous le recevons de Christ. En sa justice nous avons rémission de nos iniquités. Par l’effusion de son sang, nous sommes nettoyés de toutes nos macules. Par son Saint-Esprit, nous sommes régénérés en nouvelle nature spirituelle. Par la communion que nous avons avec lui, les œuvres que nous faisons sont rendues agréables à Dieuq. »

q – Voir cette confession de foi en latin, Calvini opera omnia, vol. V, p. 357, et en français dans les Pièces justificatives de Gaberel, I, p. 120. Ruchat, IV, p. 111.

On a remarqué que cette profession de foi en vingt et un articles, n’expose pas les doctrines chrétiennes aussi complètement et didactiquement que Calvin l’a fait plus tard, d’où l’on a conclu qu’elle était de Farel. A cela on peut répondre par ce que dit Théodore de Bèze : qu’elle était accommodée aux besoins de l’Église de Genève, qui sortait à peine des souillures de la papauté. Calvin et Farel avaient mis surtout en avant les vérités opposées aux erreurs du pape, et n’avaient pas cru nécessaire d’établir les doctrines que l’Église romaine avait retenues, la Trinité par exemple. Plus tard, quand ces doctrines furent niées par des hommes qui prétendaient appartenir au corps de la Réformation, Calvin sentit le besoin de les professer, et il le fit dans son Sommaire de la doctrine chrétienne (1559). Nous admettrions du reste volontiers qu’il y eut, comme des juges compétents le pensent, une confession de foi faite par Farel, et que ce fut celle qui fut présentée au peuple, si les deux auteurs contemporains que nous avons cités ne se taisaient pas sur cet écrit et n’insistaient pas sur celui de Calvin. Il y a plus encore, Calvin lui-même dit en parlant de la publication de son catéchisme : « qu’il y joignit une confession qui fut sanctionnée (editam, publiée) par le serment solennel de tout le peupler. » Ceci nous semble décisif. Nous verrons bientôt que l’esprit qui se trouve dans cette confession est précisément celui qui animait alors Calvin. En affirmant le contraire, on semble avoir oublié la dispute de Calvin avec Caroli. Le meilleur accueil fut fait à ce travail lors de sa première présentation au gouvernement. Le Conseil arrêta, disent les registres, que les articles proposés par Farel seraient tous observéss.

r – « Jam vero confessionem, solemni jurejurando ab universo populo editam, adjungimus. » (Calvini opera, vol. V, p. 319.)

s – Registres du Conseil, du 10 nov. 1536.

Si la règle de foi était chrétienne, la règle de morale devait être pure. Au commencement de l’année 1537, Calvin, sans doute avec la coopération de Farel, rédigea un mémoire sur l’ordre dans l’Église : le 15 janvier, Farel l’annonça au Conseil, et le lendemain, les articles « donnés par maître Guillaume Farel et les autres prédicantst » furent lus aux Deux-Cents. « Vu le trouble et la confusion qui étaient en cette ville avant que l’Évangile y fût reçu d’un commun accord, disaient les ministresu, il n’a pas été possible d’y réduire tout à bon ordre ; mais maintenant qu’il a plu au Seigneur d’établir ici un peu mieux son règne, il nous a semblé bon et salutaire de conférer sur ces choses, et nous avons conclu de vous présenter ces articles. »

t – Registres du Conseil, du 16 janvier 1537.

u – Archives de Genève. Pièces hist., 1170. Gaberel, I, p. 108. Calv., Opp., X, p. 6.

Il n’y avait rien à objecter à cette introduction.

« Il serait à désirer, continuaient Calvin et ses amis, que la sainte Cène de Jésus-Christ fût célébrée tous les dimanches pour le moins, puisque nous sommes faits, en elle, participants du corps, du sang, de la mort, de la vie, de l’esprit et de tous les biens de Jésus-Christ, et qu’elle nous exhorte à vivre chrétiennement en unité fraternelle. Elle n’a point été instituée pour être commémorée deux ou trois fois l’an, mais pour qu’on en fît un fréquent usage. Telle a été la pratique de l’ancienne Église, jusqu’à ce que l’abomination des messes ait été introduite, par laquelle la cène a été entièrement abolie. Toutefois, craignant, vu l’infirmité du peuple, qu’il n’y eût du danger à ce que ce sacré mystère ne vînt en mépris, s’il était si souvent célébré, il nous a semblé bon que cette sainte cène fût usitée une fois chaque mois. »

Il était naturel que des chrétiens pieux, tels que les réformateurs, demandassent une communion fréquente ; mais le petit Conseil crut que pour le grand nombre, la cène serait plus solennelle et plus utile si elle était plus rare. Il décida donc de proposer au Conseil des Deux-Cents qu’elle ne fût célébrée que quatre fois par anv. La lecture du mémoire des pasteurs continua.

v – Registres du Conseil, du 16 janvier 1537.

« Mais l’important est que cette cène instituée pour unir les chrétiens en un seul esprit avec leur chef et entre eux, ne soit pas souillée et contaminée par ceux dont la vie méchante manifeste assez qu’ils n’appartiennent pas à Jésus-Christ. Nous ne devons pas hanter, dit saint Paul, ceux qui sont notoirement débauchés, avares, idolâtres, médisants, ivrognes, adonnés à la rapine. Il faut donc faire que ceux qui viennent à la cène soient des membres approuvés de Jésus-Christ. Pour cette cause, notre Seigneur a mis en son Église la correction et discipline d’excommunication. Cette discipline a existé dans l’Église jusqu’à ce que de méchants évêques, ou plutôt des brigands, prenant le nom d’évêques, l’ont tournée en tyrannie et en ont abusé pour leurs mauvaises cupidités, tellement qu’aujourd’hui l’excommunication est une des choses les plus maudites que l’on voie au royaume du pape. Il nous a donc semblé expédient qu’elle fût remise en l’Église, selon la règle que nous en avons dans l’Écriture. »

Élisez donc certaines personnes de bon témoignage, appartenant à tous les quartiers de la ville, qui aient l’œil sur la vie de chacun, afin que s’ils voient quelque vice notable en quelque personne, l’un des ministres l’exhorte fraternellement à se corriger, et que si elle n’y veut entendre, le ministre annonce à l’assemblée ce qu’il a fait pour la retirer du mal. Si elle veut persévérer, alors sera temps de l’excommunier, c’est à-dire de la tenir comme rejetée de la compagnie des chrétiens. S’il y en avait qui ne fissent que rire de cette excommunication, ce sera à vous de voir s’il faut souffrir à la longue un tel mépris de Dieu et de son Évangile. » Après avoir insisté de la sorte sur la vie morale, les réformateurs demandèrent la mise en vigueur de la confession de foi qu’ils avaient présentée. « Il y a grande suspicion, disaient les ministres, et quasi apparence évidente, qu’il y a encore plusieurs habitants en cette ville, qui ne se sont aucunement rangés à l’Évangile, mais nourrissent en leur cœur toutes les superstitions. Ce serait une chose bien expédiente de commencer premièrement à connaître ceux qui se veulent avouer de l’Église de Jésus-Christ ou non. Si ceux qui sont d’accord avec nous quant à la foi, doivent être excommuniés, seulement pour leurs vices, à plus forte raison doivent l’être ceux qui sont entièrement contraires à nous en religion, car il n’y a nulle division plus grande que de la foi. — On n’a point encore discerné quelle doctrine chacun tient, ce qui est le droit commencement d’une Église. Le remède que nous avons pensé est que tous les habitants de cette ville aient donc à faire confession et rendre raison de leur foi. Et vous, Messieurs du Conseil, faites, en votre Conseil, confession, montrez par votre exemple ce que chacun aurait à faire. »

Nous avons dit qu’avant Calvin les règles de la discipline existaient et étaient exécutées. Voici pourtant quelque chose de nouveau, tout l’indique dans les paroles des pasteurs. C’est l’excommunication. Ceci est d’une grande importance, car ce fut à ce sujet que des luttes redoutables s’engagèrent bientôt dans Genève. Il ne paraît pourtant pas, d’après les actes officiels, que ces articles aient suscité quelque objection dans le Conseil. Une vie chrétienne et une foi chrétienne semblaient devoir caractériser la société chrétienne. Si des débauchés, des ivrognes, ne doivent pas être admis dans une bonne société selon le monde, à plus forte raison, pensaient-ils, ne doivent-ils pas l’être dans la société religieuse. C’étaient d’ailleurs des laïques, ayant un bon témoignage, qui devaient avoir l’œil sur l’ordre moral, et même ces laïques étaient désignés par d’autres laïques, les membres mêmes du Conseil. Ceci établissait une grande différence entre la discipline romaine et celle que demandaient les réformateurs. Il ne s’agissait pas d’un règne de cléricalisme, et cela contribua sans doute à faire adopter ces règles. Calvin était convaincu que la morale devait distinguer l’Église réformée de l’Église déformée. N’étaient-ce pas les mœurs dissolues soit des laïques, soit surtout des moines et des prêtres, qui avaient suscité dans l’Église les plus vives réclamations ? On ne pouvait purifier la foi sans purifier la vie ; c’eût été une flagrante contradiction. Si la Réformation faisait fi de la morale, elle se perdait comme Rome s’était perdue. Nul ne pensait, quant à la doctrine, que l’Église réformée pût renfermer dans son sein, soit des catholiques-romains, soit des panthéistes qui ne croyaient ni en Dieu ni en l’immortalité de l’âme ; pourquoi donc tolérerait-elle des impurs, des voleurs ? Tout cela est juste ; il y a pourtant quelque chose qui cloche dans ce système. Calvin avait raison et Calvin avait tort. Nous aurons à dire où était chez lui la vérité, où était l’erreur.

Les articles présentés au sénat s’occupaient encore des chants spirituels dans l’Église. Si le ministre parle seul, le culte reste froid ; mais les chants « pourront élever nos cœurs à Dieu, disait Calvin, et nous émouvoir à exalter son nom. » Il recommandait l’éducation des enfants « pour corriger la merveilleuse rudesse et ignorance dans laquelle les laisse la négligence des parents, et qui n’est aucunement tolérable en l’Église de Dieu. » Enfin il traitait de l’ordre du mariage « dont le pape avait tant brouillé les causes en faisant des degrés à son plaisir. » Calvin termine ses articles en adressant au Conseil une éloquente exhortation. « Ne prenez pas, dit-il, ces avertissements comme étant de nous, mais de Celui qui les donne dans sa Parole. Et si quelqu’un allègue qu’il y a de la difficulté en ces choses, cela ne vous doit point émouvoir, car nous devons avoir cette espérance, que quand nous voulons faire ce que Dieu ordonné, sa bonté fera prospérer et conduire à bonne fin notre entreprise, comme vous-mêmes l’avez expérimenté jusqu’ici. »

Calvin commença donc son œuvre comme le fait un grand maître. Un catéchisme qui portait à la fois l’empreinte du génie et de la piété ; une confession de foi pure, vivante ; un ordre de l’Église qui avait pour but d’en bannir le vice et de vivifier la piété, tel fut le triple travail qui inaugura l’œuvre de l’illustre réformateur.

Ces articles ayant été approuvés par le petit Conseil, furent portés le même jour à celui des Deux-Cents et furent admis par lui. Il arrêta de plus « qu’il n’y aurait aucune boutique ouverte le dimanche, pendant le service divin ; que tous ceux qui avaient des images et idoles chez eux devaient les rompre ou les apporter pour les faire brûler ; qu’on n’eût point à chanter des chansons de folie, ni à jouer des jeux de hasard ; enfin que le syndic Porral et Jean Goulaz seraient commis pour veiller à ce qu’il y eût de bonnes mœurs dans la cité et à ce que l’on vécut selon Dieuw. » Le choix de Porral était très bon ; celui de Goulaz, qui lui-même n’était pas grand ennemi du jeu et des tavernes, l’était moins. Par ces mesures, le Conseil montra avec quel sérieux il voulait procéder à l’accomplissement de la Réformation. Il prit bientôt encore une autre résolution. Plusieurs des enfants de Genève étaient envoyés en divers lieux et confiés à des régents étrangers. Le Conseil arrêta le 30 janvier que « ceux qui avaient des enfants aux écoles hors de Genève, devaient les faire venir en cette ville, « ou aux autres écoles chrétiennes ; qu’autrement, lesdits enfants seraient privés de la bourgeoisiex. » Ceci était rigoureux, mais montre l’esprit qui animait le Conseil, et son zèle pour une bonne éducation.

w – Registres du Conseil, du 16 janvier 1537.

xIbid., du 30 janvier 1537.

Ces actes si importants ne furent point combattus même par les citoyens qui s’élevèrent plus tard si fortement contre ces règles disciplinaires. Une certaine opposition se montra pourtant, mais ce ne fut qu’un jeu. La brillante jeunesse, facile à s’émouvoir, fit entendre des rires et des sarcasmes. Elle était surtout vexée du zèle du syndic Porral qui contrariait ses amusements, et l’élection des nouveaux syndics ayant été faite le 4 février et Porral étant ainsi sorti de charge, ces jeunes fous se mirent dès le lendemain à jouer au Picca-Porral. Ils portaient au chapeau comme signe un porreau qu’ils appelaient giroflée, et mangeaient, semble-t-il, dans leurs banquets, un plat de porreaux ; chacun d’eux piquait le porral avec beaucoup de plaisanteries. « Légier Beschaut et quelques autres enfants de la ville » furent mis en prison le 5 février pour ce jeuy. Porral demanda à Farel d’aller les visiter avec lui dans la prison pour leur faire de bonnes exhortations. Mais ces jeunes gens n’en profitèrent pas. On les a appelés des folâtres ; on les a appelés aussi des débauchés ; nous pensons que le premier de ces termes leur était plutôt applicable. Le Conseil, voyant dans l’action des jeunes accusés, dit un contemporainz, « plus de jeunesse et de folie que de malicieuses entreprises, » les mit en liberté, quatre jours après leur arrestation, sous promesse de se représenter. Il se peut bien que le digne Porral ait mis un peu de rigueur dans cette affaire qui, il est vrai, n’était pas agréable pour lui.

y – Voir les registres des 5, 6 et 9 février 1537, plus les remarques faites par Floumois à la suite d’un exemplaire des registres, p. 1019.

z – Bolsec, Vie de Calvin, VII.

Le peuple de Genève montra qu’il acceptait de bon cœur cette constitution chrétienne, en élisant le 5 février des syndics dévoués à la Réformation. D’autres candidats notables furent écartés. On reconnaissait que l’égalité des citoyens était établie dans cette constitution, ces règles étant pour tous, « et les familles les plus considérées devant s’y soumettre comme les moindres, » ce qui plaisait au peuple. Calvin cependant ne se faisait pas d’illusion ; il craignait qu’un certain nombre de citoyens, et même quelques-uns des plus notables, ne s’opposassent à la Réforme et il demandait avec instance que tous fussent appelés à la professer. « A défaut de cela, disait-il, ne se voulait plus arrêter à Genèvea. » Ce qu’il présentait était pour le bien de tous. Si tous ne le voulaient pas, il s’en irait, n’entendant pas envahir, usurper, par force ou par fraude. Le Conseil résolut (13 mars) de mettre ordre à la cène et à l’observation des autres articlesb. Il fut arrêté (le 17 avril) qu’un syndic, le capitaine du quartier et les dizeniers iraient dans toutes les maisons de toutes les dizaines, proposer les articles touchant la foi. On résolut (le 27 du même mois) d’imprimer la confession de foi et d’en donner un nombre suffisant d’exemplaires aux dizeniers, pour ceux de leurs dizaines, afin que quand on visiterait !e peuple il fût mieux instruit et bien informéc. Chacun devait connaître ce qu’il allait faire ; point de surprise. Calvin en effet ne se contentait pas que les Genevois fussent instruits selon cette confession. En vain cela suffisait-il à Saunier qui voyait avec peine, alors au moins, que l’adhésion à la formule de la confession fût exigée de chaque Genevoisd. Ce n’était pas assez pour Calvin que cet acte fût officiellement reconnu par le Conseil comme exprimant la foi du peuple de Genève, ainsi que cela avait suffi ailleurs ; il demandait que chaque citoyen l’acceptât. Il ne croyait pas que l’État fut ici responsable pour le peuple. Chaque Genevois était responsable devant Dieu. Il ne voulait pas de religion en bloc. Christ ne dit-il pas : Quiconque me confessera devant les hommes ? Quiconque, c’est quelque personne que ce soit. Cela est parfaitement vrai, mais ce qui est une erreur, c’est de croire que pour confesser Christ, il faille signer une confession théologique. Si tu crois dans ton cœur, tu seras sauvé, dit Paul. On se rappelle cette pauvre femme, qui demandait la cène, et à laquelle son pasteur faisait subir un examen sur les trois offices de Christ, prophétique, sacerdotal et royal. « Ah ! Monsieur, répondit-elle, je ne sais pas ces choses ; mais je suis prête à mourir pour lui. — Cela suffit, » s’écria le ministre un peu honteux. La théologie est nécessaire aux théologiens ; il ne faut pas l’exiger des simples. Les trois principaux ministres, Farel, Calvin et l’aveugle et vieux Courault, d’accord à ce sujet, parurent devant les Deux-Cents, présentèrent leur formule et sollicitèrent ardemment ce Conseil de rendre gloire à Dieu en professant sa vérité. « Il est juste, dit Calvin, que dans une action si sainte, vous qui devez donner l’exemple de toute vertu, vous marchiez devant le peuple. » Mais cela ne lui suffisait pas. « Puis, ajouta-t-il, convoquez le pays par dizaines, et que chacun jure cette confessione. » Le Conseil entra dans les vues du réformateur, auxquelles Saunier lui-même s’était rangé. Il fit venir tous les dizeniers pour recevoir d’abord leur adhésion, et les chargea d’exhorter ceux sur lesquels ils étaient préposés, à suivre les commandements de Dieu, et d’amener leurs gens à Saint-Pierre, dizaine par dizaine (il y en avait vingt-huit), pour adhérer à la confession. Cette adhésion se fit par l’entremise des dizeniers, successivement et non point simultanément. Un principe, dont on ne dévia jamais, excluait les femmes du Conseil général. Mais il s’agissait ici d’une convocation religieuse plutôt que d’une assemblée politique. On savait bien quelle influence a la femme dans la famille, sous le rapport religieux. Il est donc possible que les hommes et les femmes furent ensemble appelés à Saint-Pierre, répartis en groupes par leurs dizeniers. L’arrêté que nous venons de citer charge ceux-ci d’amener leurs gens, mot qui peut renfermer les deux sexes. Cependant nous n’avons rien trouvé de positif à cet égard. Un seul fait semble indiquer que les femmes furent présentes. Le 28 septembre 1537, le Conseil s’occupa de Jeanne la Gibescière, qui n’avait pas voulu jurer la nouvelle réformation, et la bannit pour cela. Mais plus d’un mois auparavant, le 21 août, cette même Jeanne faisant secte à part (elle était des Spirituels) on lui avait proposé alors de jurer la nouvelle réformation, elle s’y était refusée, et on l’avait en conséquence mise aux arrêts. Ce cas ne peut donc être allégué pour prouver absolument que les femmes aient aussi juré à Saint-Pierre la confession.

a – Rozet, Chron. de Genève, l. IV, ch. 9.

b – Registres du Conseil, du 13 mars.

c – Registres du Conseil aux jours indiqués.

d – « Videbatur initio Sonerius aegre ferre quod exigeretur confessionis formula. » (Calvin, Opp., p. 11. Edit. princ. de Genève, 1575.)

e – « Ut plebs decuriatim convocata in confessionem istam juraret. » (Calvini opera (Stras. Br.), t. V, p. 320.)

Ainsi donc, le dimanche 29 juillet, le Conseil étant assemblé dans la cathédrale, les dizaines y passèrent successivement. Jeunes gens ayant atteint l’âge de majorité et vieillards à cheveux blancs, et peut-être hommes et femmes s’avancèrent. Le secrétaire du Conseil, Rozet, lut la confession de foi ; puis vint le serment de fidélité et d’obéissance ; et chacun le prêta à son tour en levant la mainf. « Autant le sénat avait mis de diligence à publier son édit, autant le peuple mit d’ardeur à prêter le serment, » dit Calving. Beaucoup de Genevois professaient de tout leur cœur les doctrines évangéliques.

f – Registres du Conseil, du 29 juillet. Rozet, Chronique de Genève, l. IV, ch. 9.

g – « In præstando juramento non minor fuit plebis alacritas, quam in edicendo senatus diligentia. » (Calvin, Opp., V, p. 320.)

Cependant l’avis de Saunier pouvait être appuyé par de fortes raisons. S’il répugnait à demander un engagement personnel, c’est qu’il savait que la confession n’était pas l’expression exacte de la foi de chacun, que quelques-uns de ceux qui la jureraient ne la comprenaient pas en tout ou partie, et que d’autres en la comprenant mieux n’avaient qu’une foi de tête, que des objections captieuses pouvaient leur enlever. L’individualité ne semblait pas être alors suffisamment respectée. Mais l’acte de foi du 29 juillet avait été si solennel que beaucoup s’en réjouissaient. Il y eut pourtant bien des gens qui s’abstinrent, parce qu’ils étaient encore attachés au catholicisme romain, un certain nombre parce qu’ils ne voulaient pas se soumettre à la discipline morale ; Georges Lesclefs et son serviteur dirent qu’ils ne sauraient se résoudre à jurer les dix commandements de Dieu parce qu’ils sont difficilesh. D’autres enfin refusèrent de prêter serment par esprit d’indépendance politique.

h – Registres du Conseil, du 19 septembre. Roget, Peuple de Genève, p, 43.

Néanmoins on peut dire d’une manière générale que le peuple avait adhéré, et ce fut un beau jour pour la Réformation que celui où ces mains se levèrent pour l’Évangile dans la vieille cathédrale de Saint-Pierre. Sans doute le ciel s’obscurcit plus tard, mais ce jour-là fut clair et calme.

Calvin pouvait se réjouir d’avoir obtenu en si peu de temps de si grandes choses ; et ses collègues se réjouissaient avec lui. Le vieux Courault, persécuté en France, avait été obligé de se réfugier à Bâle, et Calvin sachant que, bien que privé de l’usage de la vue, « il était clairvoyant des yeux de l’esprit, » l’avait appelé à Genève ; Courault était heureux d’être témoin dans cette ville du triomphe de la Réformation si rudement attaquée dans sa patrie. Farel, de son côté, voyait Dieu couronner l’œuvre qui lui avait coûté tant de peine. Il déployait toujours un zèle infatigable, un courage héroïque, et ses prières incessantes en faveur de la Réformation étaient si ferventes que ceux qui les écoutaient se sentaient élevés jusqu’au ciel, dit Bèze. Il avait jeté la semence en terre, et avait vu l’herbe en sortir ; maintenant, au temps des semailles succédait celui de la moisson ; l’épi avait paru ; le grain s’était formé dans l’épi, et un autre ouvrier, un puissant moissonneur était arrivé pour couper le blé et lier les gerbes. Mais cela ne lui inspirait aucune envie ; au contraire, son âme chrétienne reconnaissait en bénissant Dieu les dons précieux qui se trouvaient dans Calvin. La supériorité de son esprit, l’étendue de ses connaissances, la justesse de ses appréciations, sa puissance d’organisation remplissaient d’admiration et de respect le vieux pionnier. Il voyait avec joie un auditoire toujours plus nombreux se presser dans la cathédrale pour entendre Calvin exposer la sainte Écriture. Dès lors le vieillard se mit presque comme un disciple aux pieds du jeune docteur. Il voulait en toute chose avoir son avis, et le regardait comme l’homme élu de Dieu pour compléter la Réformation. Calvin, de son côté, rendait à Farel l’honneur qui lui était dû. « Après que vous avez commencé à dresser cette Église de Genève avec grands labeurs et dangers, lui disait-il, je survins premièrement comme conducteur et puis après je demeurai votre successeur pour avancer l’œuvre qu’aviez bien et heureusement commencée. » Ces rapports plein de cordialité entre Calvin et Farel, malgré la diversité de leur âge, sont au nombre des plus beaux que présente l’histoire. Calvin exalta plus tard ce qu’il appelait leur amitié et conjonction sainte et disait avec amour : « Vous et moi n’étions qu’uni. » Ils avaient entre eux, dit encore Calvin, une intelligence, une amitié qui, consacrée par le nom de Christ, était profitable à son Église.

i – Dédicace de l’Epître à Tite (1549). Calvin comprend Viret dans cette amitié.

L’école, placée sous la direction de Saunier, prospérait aussi. Les leçons y commençaient à cinq heures du matinj. On instruisait les enfants « ès trois langues les plus excellentes, grec, hébreu et latin, encore sans compter la langue françoyse, laquelle, selon le jugement des gens savants, n’est pas du tout à mépriser. » Mathurin Cordier, l’ancien maître de Calvin, se consacra bientôt à cette œuvre. De nombreux écoliers, de Bâle, Berne, Bienne, Zurich et autres lieux, attirés à Genève par l’œuvre qui s’y accomplissait, venaient y étudier. Ces commançaux demeuraient au collège, chez Saunier, dont la maison était chrétiennement ordonnée. « Tous les jours, devant qu’on se mette à table, l’un d’eux lisait à haulte voix un chapitre de la Bible et tous les autres escoutaient. Estant à table, ils disoient chacun une sentence de la saincte Escripturek. » C’est ainsi que l’on obtint les hommes forts du seizième siècle. Le système qui bannit de l’école la Bible et même la religion, c’est-à-dire l’élément régénérateur et éducateur, n’en formera pas de pareils.

j – Saunier, Ordre et manière d’enseigner en la ville de Genève 1538, réimprimé par E.-A. Bétant, en 1866.

kIbid.

Les réformateurs, qui trouvaient bon et agréable de converser ensemble, jouissaient, de plus, de l’approbation de la majorité du peuple et en particulier des magistrats. Encouragés ainsi dans leur ministère, ils étaient courageux, actifs et infatigables dans leur vocation. Loin d’être accablés par leur grande tâche, ils semblaient plutôt s’affermir sous le poids, ce qui est la marque des grands hommes. S’il se montrait quelque difficulté, si un village avait besoin d’un prêcheur, Farel et Calvin s’adressaient avec confiance au Conseil qui généralement leur accordait leur demandel, et faisait même acte de générosité. Un bon citoyen ayant fait remarquer le 13 février que Calvinus n’avait encore rien reçu, on arrêta de lui donner six écus. Le jour suivant, Farel, son frère, ainsi que Saunier, demandant la bourgeoisie de la ville, il fut arrêté qu’ils la recevraient gratuitement. Calvin ne devint bourgeois de Genève que beaucoup plus tard. Il ne fut pas le seul à différer cet acte ; d’autres Français célèbres refusèrent la bourgeoisie de Genève où ils s’étaient réfugiés, en disant qu’ils ne pouvaient renoncer à la France. Cet amour de l’ancienne patrie fut probablement un des motifs qui empêchèrent Calvin, pendant vingt-trois ans, de devenir citoyen de la cité dont il était l’âme. Le 27 février, on fit don à Saunier de trente coupes de froment. Le 6 juin, 6 écus furent octroyés à Courault. Les dons n’étaient pas considérables, mais chaque temps a sa mesure.

l – Registres du Conseil, du 1er mai 1537.

Le Conseil, qui s’intéressait aux besoins des ministres, veillait aussi selon la constitution aux besoins de l’Église et à la pureté des mœurs. Le 7 février, il écrivit, sur la demande de Farel, à Besançon et à Neuchâtel concernant la Bible d’Olivétan. Les magistrats laïques se montraient sévères : le 23 du même mois, un joueur et pipeur qui trompait le peuple en lui gagnant son argent, fut condamné à être exposé pendant une heure, en ayant ses cartes frauduleuses pendues au cou. Le grand François, coupable d’impureté, dut donner une longe ou corde de dix-huit pieds dont on se sert pour attacher les bêtes. Un homme et une femme adultères furent bannis le 1er juin pour un an. Le 13 mars, le Conseil, envahissant même le domaine spirituel, décida de mettre ordre à la cène et autres chosesm.

m – Voir les registres du Conseil aux jours indiqués. Des dates différentes ayant été données, nous ajoutons que les nôtres sont prises dans les registres mêmes. Nous ne faisons cette remarque qui, nous le reconnaissons, n’est pas de grande importance, que pour qu’on ne nous cherche pas chicane là-dessus.

Ainsi Genève prenait une place importante et comme Église et comme école ; des étrangers y venaient ou y envoyaient leurs enfants. La beauté de la situation était aussi un charme qui les attirait. De toutes les descriptions de Genève, voici sans doute l’une des plus anciennes : « N’imaginez pas, disait Saunier, que Genève soit quelque ville hideuse et quasi inhabitable, entre des rochers stériles et déserts. Les rues, excepté quelque peu d’icelles, sont larges et de bonne sorte, et il y a plusieurs grandes places. Environnée d’un continuel circuit de montagnes, elle a néantmoins de toutes pars, grand pays de plaine estendue en forme de quelque grand théâtre. Quant au lac, il est difficile d’estimer duquel il sert le plus à la ville, ou de proufit ou de parement ou de beauté. Il n’est point limoneux ni trouble, mais jusqu’au fin font il est clair comme beau verre, tellement qu’on prend ung merveilleux plaisir à le voir. Somme toute, ladicte ville est située entre les frontières de troys grans pais, assavoir la Gaule, Alemaigne et Italie, comme une place députée pour les assemblées des marchansn. Genève allait devenir députée pour d’autres assemblées. « Déjà Mathurin Cordier, dit un contemporain, homme le plus apte à exercer escolles, que homme de notre temps aye esté en la langue françoyse, amena beaucoup de gens savans avec luyo. » Nous avons déjà vu ailleurs de jeunes Anglais arriver au pied des Alpes pour y converser avec Calvin. Les descriptions de Saunier montrent que les réformateurs n’étaient pas insensibles aux beautés de la création ; ils les aimaient et les contemplaient à Genève dans leur haute et pleine majesté.

n – Saunier, Ordre et manière, etc.

o – Froment, Gestes de Genève, p. 339.

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