Ce dogme, conséquence de ceux de la Divinité de Jésus-Christ et du Saint-Esprit rapprochés de l’unité de Dieu. — Simple fait, non défini, de l’unité et de la triplicité dans l’existence divine. — Les mots (non bibliques) de « Trinité », « essence », « personne », déjà consacrés à la fin du deuxième siècle. — Convient-il de les retenir ? — Sens du mot « personne » dans la Trinité. — Quatre opinions sur ce dogme.
Après avoir établi la divinité de Jésus-Christ et la personnalité du Saint-Esprit, nous devons rapprocher ce double fait d’un autre, partout proclamé dans les Écritures, savoir qu’il n’existe qu’un seul Dieu (Deutéronome 6.4), et nous arrivons à ce grand dogme chrétien : Il y a, dans l’essence ou l’existence divine, une distinction mystérieuse qui n’en détruit pas l’unité, en d’autres termes, nous arrivons au dogme de la Trinité.
Ici encore, nous voudrions constater purement et simplement le fait de révélation, en dehors des spéculations métaphysiques et des théories théologiques. Quoi qu’on fasse, le mystère reste et restera toujours sur ces profondeurs divines, d’où sortent seulement les quelques rayons de lumière que réclamait la vie de la foi. Quand on se figure comprendre, c’est, la plupart du temps, qu’on substitue ses idées aux réalités. La doctrine ecclésiastique elle-même, qu’en somme nous croyons fondée, a, dans bien des cas, poussé trop loin ses déterminations en dépassant les Écritures. Ici, et partout, il faut unir la fidélité à l’humilité, la fermeté à la retenue ; il faut apprendre à suivre la lumière d’En haut jusqu’où elle va, et nous arrêter où elle s’arrête.
Le mot de Trinité (τριας, trinitas) est très ancien dans l’Église. Tertullien en fait fréquemment usage dans son livre contre Praxéas et ailleurs. On le trouve aussi chez Irénée, chez Clément d’Alexandrie, chez Théophile d’Antioche. Il en est de même des mots corrélatifs d’essence (ουσια), de personne (υποστασις, προσοπον). Quoique le dogme ne fût pas alors formulé comme il l’a été plus tard, les éléments ou les faits dont il se compose avaient déjà, dès le milieu du second siècle, assez attiré la réflexion et la discussion pour créer une terminologie spéciale. La foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit est la base du Symbole des Apôtres. Cette triple foi en constitue le fond substantiel et primordial.
On a souvent demandé s’il convenait de continuer à se servir de ces termes, étrangers à la Bible, et devenus comme une pomme de discorde dans l’Église. Plusieurs théologiens les ont condamnés comme inutiles, téméraires, dangereux ; d’autres les ont tenus pour absolument nécessaires et ont affirmé qu’y renoncer ce serait renoncer au Christianisme même… Il y a exagération des deux parts. Ces termes ne sont essentiels ni à la religion, ni à la théologie ; on peut, sans y recourir, exposer pleinement le dogme auquel ils s’appliquent. Mais, d’un autre côté, pourquoi les proscrire, lorsqu’on admet d’ailleurs la doctrine qu’ils expriment ? Ils sont innocents en eux-mêmes, consacrés par un usage ancien et universel, et très propres à caractériser et à distinguer le système orthodoxe ; ils en sont les termes techniques. Il y a donc avantage à les retenir. En contesterait-on le droit par la raison qu’ils ne sont pas scripturaires ? Mais c’est le cas d’une foule d’autres, que tout le monde emploie cependant sans scrupule, tels que ceux de « Providence », de « sacrement » et celui même de « théologie ».
On doit conserver la terminologie ecclésiastique, non comme sacrée, mais comme convenue et comme rendant de la manière la plus abrégée et la plus exacte possible les points fondamentaux de la croyance commune. La théologie, ainsi que les autres sciences, a besoin de termes généraux qui résument les faits ou les principes de même espèce. L’important n’est pas que les mots soient dans la Bible, mais que les doctrines y soient. Je n’aime guère ces expressions qui portent à tant d’égards sur l’inconnu et semblent donner plus qu’elles ne contiennent ; mais il n’est pas nécessaire de les rayer de la langue religieuse ; il est même utile de les y maintenir, pourvu qu’on les emploie comme simple désignation des mystères, et, par suite, malgré l’étrangeté de l’assertion, comme signes d’ignorance plutôt que de science.
Observons qu’avec le dogme de la Trinité le nom de Dieu se prend nécessairement en deux sens, différents. Il est employé quelquefois substantiellement (ουσιωδως) pour désigner l’Être divin en soi, l’essence ou la nature divine commune aux trois personnes (Jean 4.24), quelquefois personnellement (υποστατικως) pour désigner l’une des trois personnes divines (Jean 1.1 ; Romains 9.5, etc.). Observons encore que le terme de personne ne se prend pas ici dans son acception vulgaire. Les personnalités divines ne constituent pas, comme les personnalités humaines, des êtres tout à fait à part. L’unité domine la trinité, ainsi que l’exprime le mot « trinité » lui-même ; il y a distinction sans séparation, et le terme de personne n’est là que pour marquer cette distinction ineffable.
Les opinions sur cet article, objet de si longues et si ardentes controverses, peuvent se ramener à quatre : — 1° Celle qui, s’arrêtant aux données de la Révélation, adore le Dieu Tri-un, sans détermination formelle du dogme (doxologies des premiers temps, Symbole des Apôtres). — 2° Celle qui, induisant des données scripturaires tout ce qu’elles paraissent impliquer, les interprétant les unes par les autres, et y joignant souvent à son insu bien des données rationnelles ou traditionnelles, en tire une doctrine complète qu’elle pose dans la règle de foi (formule ecclésiastique, Symbole d’Athanase, système orthodoxe). — 3° Celle qui, faisant la distinction purement modale, résout la Trinité dans l’unité absolue et la nie par cela même (Monarchisme, Sabellianisme, Modalisme). — 4° Celle qui pousse la distinction jusqu’à détruire l’unité essentielle (Arianisme, Humanitarisme. — Mais l’Humanitarisme est en dehors de la question, puisqu’il en rejette deux des termes ou des éléments intégrants).