Le passage même que nous venons de citer, où l’auteur rapporte expressément à la parole orale, ἅ λαλοῦμεν, les caractères de l’inspiration, contredit la thèse chère aux partisans de la théorie théopneustique, qu’il y ait une différence spécifique à statuer entre l’inspiration de la parole et l’inspiration de l’écrit. Dans plus d’un endroit de ses épîtres, Paul se réfère aux enseignements oraux qu’il avait donnés aux églises, sans supposer que l’autorité des uns soit d’un autre ordre que celle des autres, 1 Thessaloniciens 2.13 ; 2 Thessaloniciens 2.5 ; 2 Corinthiens 10.11 ; 13.2-3 ; Galates 1.8 ; comp. Romains 10.17.
En revanche, tout en attribuant manifestement à sa parole le caractère de l’inspiration divine, Paul se permet en écrivant, ici, une reprise trahissant une absence instantanée de mémoire, dont l’objet est d’ailleurs insignifiant (1 Corinthiens 1.16), là, l’aveu d’un revirement momentané d’opinion chez lui-même, au sujet de l’a propos ou de la convenance de sa précédente missive (2 Corinthiens 7.8)h.
h – Nous admettons que l’écrit qui avait fait le sujet de cette préoccupation était probablement une épître perdue, écrite dans l’intervalle des deux que nous possédons.
Avant les apôtres, les prophètes de l’Ancienne alliance n’ont fait, pour la plupart, que de consigner soit en une fois au terme de leur carrière, soit à chaque occasion, les discours qu’ils avaient tenus en public ou en particulier, et c’est dans ces derniers plutôt que dans leurs écrits que l’auteur de la seconde de Pierre résume leur activité : ὑπὸ πνεύματος ἁγίου φερόμενοι ἐλάλησαν ἅγιοι θεοῦ ἄνθρωποι, 2 Pierre 1.21.
Tout ce que nous pouvons concéder à l’opinion combattue, c’est que l’écriture qui, selon le proverbe latin, reste, — scripta manent — ayant en cela plus d’importance que la parole fugitive, il est moralement certain que les hommes de Dieu ont dû apporter à la consignation des révélations qu’ils avaient reçues un soin proportionné à l’extension et à la durée de l’effet visé, et que nous avons dans les produits de leur plume, comme dans tout écrit d’ailleurs, tout à la fois une condensation et une épuration de la matière, encore plus ou moins flottante et mélangée quand elle était livrée au seul organe de la parole. Il est présumable que, toutes choses égales d’ailleurs, un livre sera mieux travaillé qu’un discours, et traduira sous une forme plus fidèle et plus authentique la pensée véritable et totale de l’auteur. Mais nous ne saurions admettre et ne voyons rien dans l’Ecriture qui autorise la supposition que la plume des écrivains sacrés ait été conduite par une influence magique qui, sous le nom d’assistance du Saint-Esprit, eût été absente de leurs lèvres au moment où ils parlaient, au nom de Jésus-Christ ; que chez eux l’écrivain seul et non pas l’orateur ait joui du don de l’inspiration surnaturelle.
Nous pouvons dire que l’opinion contraire sur ce sujet se réfute elle-même par ses propres contradictions :
« Il s’agit du livre, écrit M. Gaussen, et non pas des écrivains. Vous croyez que Dieu leur donna toujours les pensées et non toujours les mots ; mais l’Ecriture nous dit au contraire que Dieu leur donna toujours les mots et non toujours les pensées. — Quant à leurs pensées, pendant qu’ils écrivaient, Dieu les leur put inspirer plus ou moins vives, plus ou moins pures, plus ou moins hautes ; cela n’intéresse que ma charité, mais n’importe point à ma foi. Ce qui lui importe, c’est l’Ecriture, l’Ecriture qu’ils m’ont transmise peut-être sans en saisir le sens, au moins sans le comprendre jamais entièrement… : voilà ce qui m’importe… Il ne s’agit point pour elle de savoir dans quels moments ni dans quelle mesure Paul, Jean, Marc, Jacques ou Pierre furent inspirés dans leurs pensées ou sanctifiés dans leur conduite ; ce qui l’intéresse avant tout, c’est de savoir que toutes les pages saintes furent divinement inspirées, que leurs paroles écrites sont des paroles de Dieu. »
Mais comment l’auteur établit-il sa thèse de la valeur spécifique de la parole écrite ? il continue :
« Et qu’en nous les donnant ils parlèrent, non point avec des expressions qu’enseignât une sagesse humaine, mais avec celles que dictait le Saint-Esprit, 1 Corinthiens 2.13 ; qu’alors, ce n’est pas eux qui parlaient, mais le Saint-Esprit, Marc 13.2 ; en un mot : que Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes qui ont été de tout temps. »
Or quelle est la conclusion tirée par l’auteur de la prémisse : « C’est mus par le Saint-Esprit que les saints hommes de Dieu parlèrent » ? c’est : « Toutes les Saintes Lettres sont divinement inspirées ; et ce qui est divinement inspiré dans les Saintes Lettres, c’est toute l’Ecriture. »
Quelques lignes plus loin : « Qu’on le comprenne bien, ce sont les Saintes Lettres, c’est tout ce qui est écrit, c’est-à-dire les phrases et les mots qui sont θεόπνευστοι. Il s’agit donc de la parole et non des hommes qui l’ont écrite. Quant à ceux-ci, cela vous regarde peu… ; ce qu’il faut que vous sachiez, c’est (comme l’a dit saint Pierre) : « qu’aucune Prophétie écrite (nous constatons que le mot écrite est absent du verset cité : 2 Pierre 1.21) ne fût apportée par une volonté d’homme… Et de même qu’au souper de Belsatzar, on s’inquiétait assez peu de savoir ce qui se passait dans les doigts de cette main terrible sortie de la muraille…, de même il vous importe peu, quant à la foi, de savoir ce qui se passait dans la pensée de Marc, de Jean, de Luc, de Matthieu, pendant qu’ils écrivaient le rouleau des Evangiles. Il faut plutôt que tous vos regards se tournent vers ces mots qu’ils ont écrits, parce que vous savez que ces mots sont de Dieu. »
On a pu remarquer que l’argumentation dans les citations qui précèdent, comme d’ailleurs dans l’ouvrage, se meut presque exclusivement autour de ce qui nous intéresse, de ce qui nous importe, de ce qu’il nous faut. On conviendra que la question à résoudre n’est pas celle de ce qui convient à vous ou à moi, mais de ce qui est ; que ce qui est en cause ici, ce ne sont pas nos convenances, mais la vérité.