Le capitaine Garrison, qui commandait le bâtiment à bord duquel Zinzendorf retournait en Angleterre, a raconté, dans une lettre à Spangenberg, un épisode de cette traversée : « Le 14 février, dit-il, nous étions près des écueils de Scilly, et comme nous avions un violent vent du sud, nous courions grand risque de nous y briser. L’équipage était épouvanté, et je n’étais pas moi-même sans inquiétude. M. le comte s’en aperçut et me demanda si le danger était vraiment sérieux ; en même temps, il chercha à me rassurer et me dit que nous arriverions tous à terre sains et saufs. Il était lui-même de si bonne humeur au milieu de ce péril, que je m’en étonnai. Voyant que je continuais néanmoins à m’inquiéter, il me déclara que dans deux heures la tempête aurait cessé. Je l’écoutai à peine, car je me disais que ce qu’il m’annonçait était hors de toute prévision humaine, et je me mis à prier pour me préparer à la mort, comme c’était ma coutume en pareil cas. Quand les deux heures dont il m’avait parlé furent passées, il m’engagea à monter sur le pont pour consulter le temps. A peine y étais-je depuis quelques minutes, que la tempête s’apaisa, le vent tourna au sud-ouest et nous fûmes hors de tout danger. Ce fut alors seulement que je repensai à ce qu’il m’avait dit. J’en fus extrêmement saisi. Je redescendis bientôt dans la cabine et lui annonçai que l’orage était passé et que nous n’avions plus rien à craindre. Il nous invita alors à rendre grâces avec lui au Seigneur qui nous avait délivrés, et c’est ce que nous fîmes.
Cependant j’avais bien envie de savoir comment M. le comte avait pu prédire avec tant de précision le moment où la tempête s’apaiserait, et je l’interrogeai là-dessus. « Je vous le dirai franchement, me répondit-il, car j’espère que vous n’en abuserez pas. Voilà vingt ans que je vis dans un commerce intime avec mon Sauveur. Or, quand je me trouve dans des circonstances périlleuses ou extraordinaires, la première chose que je fais, c’est d’examiner avec soin si c’est par ma faute ou non. Si je trouve alors quelque chose dont je ne sois pas content, je me jette aussitôt à ses pieds et le prie de me pardonner. Alors mon Sauveur me pardonne et d’ordinaire il me fait savoir aussitôt quelle doit être l’issue de l’affaire. S’il ne lui plaît pas de me la révéler, je me tiens tranquille et je pense qu’il vaut mieux pour moi qu’elle me reste cachée. Mais cette fois-ci, m’a fait connaître d’avance que la tempête durerait encore deux heures. »
Ce fut pour moi, je l’avoue, quelque chose de nouveau et de vraiment étrange. D’après ce que disait le comte, Dieu notre Sauveur pousserait donc si loin la condescendance, qu’il entrerait dans des relations d’intimité avec un pauvre mortel ! J’avais, toute ma vie, beaucoup plus entendu parler de la grandeur de Dieu, de sa colère et de sa jalousie, que de son amour si incompréhensible pour les hommes et de sa compassion pour nous autres pauvres créatures. Je crus pourtant ce que m’avait dit le comte et je ne conservai pas l’ombre d’un doute à ce sujet ; car, pendant cette traversée, tout ce que j’ai vu et entendu de lui m’a pleinement convaincu qu’il était un fidèle serviteur de Jésus-Christ. »
Le 17 février, Zinzendorf débarqua à Douvres, ne fit que passer à Londres, d’où il repartit pour visiter les établissements moraves du Yorkshire et de Broadoaks, et où il revint au bout de trois semaines. Il y prêcha tous les jours en allemand, dans l’église des Frères. Chacun de ses discours était sténographié et traduit immédiatement en anglais ; cette traduction était lue ensuite dans l’église pour ceux qui ne savaient pas l’allemand. Ce fut à Londres aussi qu’il prêcha pour la première fois en français.