Nous avons déjà fait remarquer dans le Résumé historique que l’expression : création ou production de rien, n’est pas scripturaire, ce qui ne signifie pas encore d’ailleurs qu’elle soit condamnable. La formule n’est pas erronée ; elle est insuffisante. Comme cela ressort de notre partie fondamentale, l’Ecriture ne dit nulle part en tout autant de termes que le monde est sorti de rien, mais elle le dit sorti delà substance divine, ἐξ αὐτοῦ (Romains 11.35), et spécialement de la substance de la première personne (1 Corinthiens 8.6). Aucun des passages cités par Thomasius en faveur de la formule traditionnelle : création de rien : Genèse 1.3 ; Psaumes 33.6, 9 ; Apocalypse 4.11, ni même : Romains 4.17 ; Hébreux 11.3, ne la contient explicitement.i
i – Voir Christi Person und Werk, section XXIII.
Les deux passages du Nouveau Testament qui se rapprochent le plus de l’ancienne formule : creatio ex nihilo, sont : Romains 4.17 et Hébreux 11.3. Mais outre que les mots : καλοῦντος τὰ μὴ ὄντα ὡς ὄντα (Romains 4.17), se rapportent dans le contexte d’une manière générale aux productions de choses nouvelles dans le cours de l’histoire, il n’est pas dit expressément ici que Dieu tire les choses qui sont de celles qui ne sont pas ; surtout, l’expression : τὰ μὴ ὄντα, ne désigne pas le néant physique, qui serait exprimé par τὰ οὐκ ὄντα, mais l’absence de la chose dans l’idée ; et l’apôtre enseigne ici à propos de la naissance surnaturelle du fils d’Abraham, le père des croyants, que Dieu appelle à l’existence active et phénoménale les choses qui, étant ou n’étant pas, étaient réputées nulles ou impossibles.
Dans le second texte : Hébreux 11.3, l’expression : εἰς τὸ μὴ ἐκ φαινομένων τὰ βλεπόμενα γεγονέναι, dont la couleur philosophique la rapproche davantage encore de la formule précitée, ne renferme pas non plus une opposition exacte entre ces deux membres : les choses qui ne sont pas — les choses qui sont.
Les principaux passages relatifs à la création du monde sont, dans l’Ancien Testament : Genèse 1.1 ; Psaumes 33.6,9 ; 90.2 ; 146.6 ; 148.5 ; Ésaïe 42.5 ; 44.24 ; 45.6-7 ; Jérémie 10.10-16 ; 32.17-19 ; Amos 5.8 ; comp. Psaumes 102.20 ; 104.5 ; 135.6. — Dans le Nouveau Testament : Jean 1.3 ; Actes 14.15 ; 17.24 ; Romains 11.36 ; Hébreux 11.3 ; Apocalypse 4.11. Comp. tous les autres passages où la création du monde est mentionnée et attribuée implicitement à la toute-puissance divine : Luc 11.50 ; Matthieu 25.34 ; Jean 17.24 ; Éphésiens 1.4 ; 1 Pierre 1.20 ; Hébreux 4.4.
Les verbes qui dans l’Ecriture désignent sous ses différents aspects tout acte de création, c’est-à-dire de production d’une chose nouvelle, sont, dans l’Ancien Testament : bara, le terme fondamental qui se rencontre : (Genèse 1.1 ; 2.4, à propos de la production des cieux et de la terre ; Genèse 1.21, à propos de l’avènement du règne animal ; Genèse 1.27 ; 5.1 à propos de la production de l’homme ; Ésaïe 43.1,15 ; Jérémie 31.22, à propos de la formation du peuple d’Israël ; Nombres 5.30 ; à propos de toute production de chose nouvelle dans la nature existante ; iasad, fundavit ; coun, conen, statuit, fundavit ; soum, posuit ; iaçar, finxit, formavit ; tous trois empruntés aux analogies de l’activité humaine ; assah enfin, fecit, qui est le terme le plus général — ; dans le Nouveau Testament : κτιζεῖν, l’équivalent de bara et désignant la première création (Marc 13.19 ; Romains 1.25 ; Éphésiens 3.9 ; Colossiens 1.10 ; 1 Timothée 4.3 ; Apocalypse 4.11 ; 10.6), comme κτίσις désigne tour à tour la création (Romains 1.20) et la créature (Marc 13.19 ; Romains 8.23 ; Colossiens 1.15 etc.) ; ποιεῖν, qui répond à l’hébreu assah. Les termes suivants expriment à leur tour des déterminations plus particulières de l’acte divin créateur : θεμελιοῦν (Hébreux 1.10) ; καταρτίζειν (Romains 9.22) ; κατασκευάζειν (Hébreux 3.4) ; πλάσσειν (Romains 9.20).
Le substantif καταβολὴ accompagné de son complément κόσμου, désigne la création du monde (Matthieu 13.33 ; Jean 17.24 ; Éphésiens 1.4 ; 1Pi.1.20 etc) ; mais le verbe ne se rencontre dans le Nouveau Testament que dans des acceptions toutes différentes.
De même que bara, les mots grecs κτιζεῖν et κτίσις peuvent avoir une acception plus étendue, et se rapporter à toute position d’un commencement nouveau au cours de l’histoire, dans le domaine de la grâce comme dans celui de la nature. Le christianisme et tout chrétien est une καινὴ κτίσις : 2 Corinthiens 5.17 ; Galates 6.15 : comp. Éphésiens 2.10 ; 4.24.
De l’ensemble des témoignages scripturaires, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, concernant les origines du monde, nous déduisons la définition de l’acte de la création primitive des cieux et de la terre, en ces termes : L’acte par lequel Dieu a posé volontairement hors de lui, mais dans une dépendance permanente de lui, c’est-à-dire à la fois comme réelle et comme contingente, la totalité de l’existence finie.
Notre définition exclut trois conceptions principales de l’origine des choses, que nous désignons comme : le dualisme (la totalité de l’existence finie), l’émanatisme (posé volontairement hors de lui), et le transcendantalisme ou déisme (dans une dépendance permanente de lui). Nous les énumérons et les considérons successivement ici dans l’ordre indiqué par les trois formules ἐκ, διὰ, εἰς données par le texte : Romains 11.35, et qui en marquent également les trois antithèses respectives.
Le dualisme est la conception qui admet à l’origine des choses à côté ou en face de la causalité divine, intelligente et voulante, un second principe ou facteur inconscient, mais coéternel et consubstantiel au premier, irréductible à son action, et on désignera comme ce principe la matière actuellement existante ou toute existence matérielle (manichéisme) ; ou bien l’on cherchera, ce principe irréductible dans une sorte de matière première et neutre, non-moi, reine materie, que Dieu aurait bien pu pénétrer de son action pour la modeler et la dompter, mais qu’il n’a pas produite par l’acte libre de sa volonté, et qui ne cesse d’opposer, par conséquent, si réduite qu’en soit l’essence, une limite à son action absolue. Cette contraposition, comme on l’appelle, du non-moi au moi serait, comme dans tout procès de pensée où le sujet s’oppose à l’objet, la condition de l’existence du monde ; bien plus encore : de l’existence même de Dieu, et le monde entre ainsi comme partie intégrante dans le processus de la vie divine elle-même.
Telle est la conception de la création exposée dans la dogmatique de Rothe : « En tant que Dieu se consomme comme moi (sich als Ich vollzieht), il consomme en même temps la pensée de son non-moi, et cela à titre de pur contraste. Ainsi naît la nécessité pour lui de décider comment sa volonté et son action se comporteront dans l’alternative de poser ce non-moi ou non. Cette décision dépend pour lui de ce qui résulterait dans le cas de l’affirmative. Ce cas produirait l’existence d’un être purement antithétique par rapport à Dieu, c’est-à-dire posé contradictoirement à Lui (nämlich contradictorisch gegensätzlichen Seins), — sans être une limitation de Dieu sans doute. — L’acte divin devrait se rapporter à cet être comme un acte d’absolue réaction (ein schlechthin gegenwirkendes) ; Dieu devrait par conséquent en enlever tout élément d’opposition ; il devrait l’appareiller à lui-même (sich gleichsetzen), sans préjudice de la différence qui subsiste entre soi et lui ; et par là, son rapport à lui serait interverti en passant à son contraire, l’élément absolument affirmatif, l’unité absolue. Dieu devrait donc, en posant son non-moi, le faire tel néanmoins qu’il fût en même temps ce qu’il est lui-même, faire de lui son autre moi, un, sinon identique, avec lui, et nonobstant sa différence absolue, non différencié d’avec lui (seiner absoluten Vetschiedenheit von ihm ungeachtet gleichwohl schlechthin ungeschieden von ihm), l’autre de Dieu, dans lequel Dieu lui-même aurait son être. Ce serait là le résultat possible de la position du non-moi de Dieu par Dieu.
« En regard de cette éventualité, Dieu doit prendre une décision conforme à sa notion, à sa perfection absolue, bien que sans doute il possède le pouvoir de réaliser l’un et l’autre l’apport. Mais la perfection est évidemment du côté de la réalisation ; car l’alternative de se réduire à soi-même, de ne point se communiquer à autrui, l’exclusion d’autrui, serait manifestement un manque de perfection. Dieu doit donc contraposer son non-moi, en vertu d’une nécessité non pas physique, sans doute, mais morale ou personnelle. Cette contrainte intérieure est l’amour de Dieu…
« Or cet acte de Dieu dans le sens indiqué plus haut est, en un mot, la création, et le non-moi, objet de la contraposition que nous venons de décrire, est, en un mot, le monde.
La critique de cette tentative de construction spéculative du fait de la création se confond avec celle de la méthode aprioristique, dont elle n’est qu’une application directe. C’est de nouveau, mais sous les auspices de la théologie et de la dogmatique chrétienne, le schématisme hégélien en travail de l’être ; c’est la Logique universelle substituée à l’amour créateur, sous le nom même de l’amour divin. Gymnastique de la pensée dissimulant mal les pétitions de principes sur lesquelles elle joue, elle subsiste ou s’évanouit avec ces principes eux-mêmes.
La première de ces présuppositions illicites est que l’acte de la création soit soumis aux conditions qui régissent un procès de pensée ; la seconde, que la pensée divine soit soumise aux conditions qui régissent la pensée humaine ; et nous relevons enfin dans la citation précédente l’abus de langage qui, confondant les catégories physique et morale, rapporte à la contrainte morale de l’amour divin un procédé de production du monde qui fait du monde le complément ontologiquement nécessaire de l’existence divine.
Surtout cette identification de l’acte de la création avec un procès logique, cette réduction de l’amour créateur à je ne sais quel débat entre deux pôles complémentaires et opposés l’un à l’autre, ce chassé-croisé que l’on suppose à l’origine des choses entre l’être et le non-être, le moi et le non-moi, l’esprit et la matière, Dieu et le monde, quelle que puisse en être la valeur dialectique, est absolument étranger aux intuitions scripturaires.
C’est également au dualisme que paraît devoir être rattachée la notion de la création chez M. Secrétan, du moins dans le passage suivant : « Comme la création d’une substance est une absurdité, contradictio in adjecto (oui, si l’on définit la substance : ce qui existe par soi-même, page 322), une idée irréalisable par quiconque essaiera de définir les mots qu’il emploie, nous ne pouvons entendre sous le mot création qu’une différentiation dans l’être, l’isolement, l’affranchissement d’un germe appelé à se réaliser à part, en raison de quelque desseinj. » Ecartant, quelques pages plus loin, de la notion de création, l’idée d’une confection, qui suppose une matière préexistante, l’auteur l’assimile à celle de génération (page 323 et sq.), qui ne suppose plus que la préexistence d’un germe.
j – La Civilisation et la Croyance, page 298.
Nous chercherons dans notre propre analyse à dégager la part de vérité qui se trouve ici énoncée, en disant qu’il y a en effet dans l’acte de la création un acte de différentiation, mais que le germe différencié est le produit absolu de la volonté divine.
D’ailleurs la définition de l’acte de la création que nous venons de rapporter, nous paraît contredite par le caractère d’absolue liberté que l’auteur attache à l’acte créateur, page 321.
Il faut reconnaître que le second mot de la Bible bara que nous traduisons par créer, pris isolément et dans son sens strictement étymologique, n’exclut pas plus que les autres termes cités tout à l’heure, la notion d’une matière préexistante. Ce mot devait signifier originairement cecidit, secuit..
« Sans doute, écrit Dillmannk, que la signification fondamentale de bara n’exclut pas la notion d’une matière préexistante, mais la renferme. Il n’est pas moins extrêmement remarquable que lorsqu’il est question des actes de nettoyer, de trancher, de modeler, dont l’auteur est un homme, les Hébreux n’emploient ce verbe qu’au pihel ; tandis qu’on le construit seulement au kal, lorsque c’est de Dieu qu’il s’agit. C’est ainsi que s’exprime la différence entre les productions laborieuses de l’art de l’homme et les libres et souveraines créations de Dieu. Ce verbe n’admet pas l’accusatif de la matière comme d’autres signifiant : faire, fabriquer. Il suit de l’usage fait de ce mot dans Gen. ch. 1 et 2 ; Amos 4.13 ; Ésaïe 43.7 ; 45.7, 18, que là où l’auteur sacré rapporte l’acte de bara à Dieu, il ne suppose point la présence de matière et d’instruments, mais entend relever la liberté absolue de la production divine. »
k – Commentaire sur la Genèse.
Tel est également l’avis de M Reuss : « La création a tiré l’univers du néant ; elle n’a pas consisté en une opération faite sur une matière préexistante. Il est vrai que le verbe hébreu bara, que nous traduisons par créer, ne comprend pas lui-même cette notion métaphysique, mais l’ensemble du récit ne permet pas d’en admettre une autre. »
Construit au kal, avec Dieu pour sujet et avec l’accusatif du produit, le verbe bara désigne donc bien l’action divine productrice κατ’ ἐξοχήν, l’évocation du sein du non-être de quelque chose de tout nouveau, soit à l’origine des choses, soit dans le cours de l’histoire.
La preuve que l’emploi du verbe bara dans le récit biblique de la création, exclut toute supposition d’une matière préexistante et consubstantielle à l’esprit, c’est que dans les résumés qui terminent le récit génésiaque, la causalité de l’œuvre est attribuée à Dieu seul : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et tout était très bon (Genèse 1.31 ; comp. Genèse 2.4 : toute l’œuvre qu’il avait créée en la faisant). Nulle part, ni dans la Genèse, ni dans le reste de l’Ecriture, l’on ne soupçonne une irréductibilité quelconque attachée à la matière par rapport à l’action divine. Nulle part non plus la matière comme telle ne figure comme le μὴ ὄν, comme le principe du mal, selon les analogies de tant de religions et de philosophies. Le seul facteur déterminant de la chute qui figure dans le chap. 3, est la volonté de l’homme séduite à la fois par l’appât sensible et l’appât spirituel (Genèse 3.6), mais séduite par sa faute (v. 17). La morale de la Bible nous garantit le monisme de sa cosmogonie.
Les conceptions cosmogoniques des auteurs bibliques, psalmistes, prophètes et apôtres, commentateurs plus autorisés que nous de ces pages primitives et sacrées pour eux-mêmes, nous confirment l’interprétation que nous venons d’en faire. Car partout dans l’Ecriture est proclamée l’absolue souveraineté de Dieu sur toutes choses au ciel et sur la terre, et les seuls instruments reconnus de son action créatrice sont sa parole et son Esprit (Psaumes 33.6). Mais comment expliquer ce consentement unanime, si le document des origines laissait soupçonner la présence d’un principe quelconque des choses rival de Dieu, coéternel et consubstantiel à lui, irréductible à son action.
A la conception dualiste, s’oppose spécialement dans le texte Romains 11.35, la formule : ἐξ αὐτοῦ τὰ πάντα.
Si cependant cette première formule épuisait la notion des relations de Dieu avec le monde dans l’activité créatrice, elle n’exclurait pas pour cela, elle favoriserait peut-être la conception émanatiste. Selon l’émanatisme. qui est l’application de la thèse panthéiste à la cosmogonie, l’unité du principe des choses est reconnue, mais la réalité de l’existence finie et particulière est niée. La cause unique et absolue est immanente à l’effet ; l’effet est l’apparition, le prolongement, l’effluve de la cause. Le monde est le complément de l’Être divin, acte de sa pensée et non pas produit de sa volonté ; la cosmogonie se résout en théogonie.
« L’émanatisme, dit Reiff, tel que nous le rencontrons dans le brahmanisme indou comme dans le gnosticisme chrétien, limite l’Être divin à sa façon, non pas par quelque matière éternelle, comme le dualisme, mais par la nécessité à raison de laquelle le monde procède de Dieu. Le monde est issu ici de la faiblesse plutôt que de la puissance divine ; et il est plutôt l’effet d’un malheur que l’œuvre de la libre volonté d’un Dieu d’amour. »
Dans la théogonie des Indous déjà, c’est la pensée divine qui est le principe de l’existence finie :
« Tout était autrefois ténèbres, inconnaissable, impartageable, comme éternellement assoupi.… Enfin s’éveilla l’Esprit universel, invisible, éternel, dissipant les ténèbres devant ses rayons éclatants : c’est par sa pensée qu’il résolut de produire de soi les différents êtresl » ; et au terme du développement philosophique, c’est encore l’évolution de l’idée universelle qui est la raison d’être de l’incessant devenir.
l – Voir le Commentaire de Dillmann sur la Genèse.
Biedermann déclare inconciliables les deux moments de la personnalité et de l’absoluité divines dans les rapports de Dieu avec le monde, et prétend que nous n’avons à choisir qu’entre le déisme et l’immanence.
« Si, dit il, on maintient la conception d’un acte personnel de création, l’idée que Dieu est le fonds absolu du monde, se ramène nécessairement à la formation limitée d’un monde issu d’une matière préexistante. Si l’on écarte cette idée au nom de l’absoluité divine, il ne reste plus pour résoudre le problème que l’idée d’une immanence absolue au fond de l’existence finie. »
Cela revient à dire que Dieu n’est pas capable de faire ce que Biedermann n’a pas été capable de concevoir.
La traduction du terme émanatisme dans le langage scientifique actuel est l’évolutionnisme, pour autant que cette hypothèse prétend rendre compte de la première origine des choses, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Car nous posons ici un dilemme : ou cette théorie nouvelle prétend faire sortir l’être du non-être et la perfection de l’imperfection ; et dans ce cas, elle offense le sens commun. Ou elle admet que les germes de tous les êtres ont été créés simultanément par Dieu même dès l’origine, pour apparaître selon un certain ordre dans l’existence, et, dans ce cas, l’évolutionnisme est une hypothèse scientifique à discuter, indifférente à la cause de la foi religieuse et biblique.
A la conception émanatiste de la création s’oppose la formule δι’ αὐτου, qui exprime que c’est par la volonté divine que toutes choses existent, après qu’il a été reconnu que c’est de sa substance qu’elles procèdent. L’acte de la création est désigné par là comme un fait de libre production ou de propulsion de l’être fini hors de la substance infinie.
Le médium de cet acte de production est d’après l’Ecriture, la parole (Genèse 1.3 ; Psaumes 33.6 ; Jean 1.3 ; Hébreux 11.3). Affirmer que le monde n’est pas seulement l’effet de la pensée de Dieu, mais le produit de sa parole (ῥήματι θεοῦ Hébreux 11.3), c’est dire qu’il n’est pas resté contenu dans l’entendement divin comme idée nécessaire, mais que posé hors de Dieu et devant Dieu par un acte de libre volonté, il a dès lors son existence et sa réalité propres. Car de même que la parole est la manifestation du for intime de l’homme, et que, par l’acte de la parole, la pensée se détache du sujet, et acquiert une existence et des efficacités indépendantes de sa première origine, ce n’est que par l’intervention du Verbe divin que le monde contenu éternellement en idée dans l’Être divin, acquiert l’existence et le mode d’efficacité qui lui est propre.
Selon Kähler, la formule biblique qui rattache l’acte de la création à la parole divine, s’opposerait au dualisme qui nie que le monde ait été fait de rien. Nous opposons plutôt la création ἐξ αὐτοῦ au dualisme, et la création par la parole à l’émanatisme.
Ce second élément de la conception théiste de la création est supposé également dans cet autre mot résumant l’œuvre créatrice : Dieu vit tout ce qu’il avait fait (Genèse 1.31) ; car la vision du monde comme objet, par Dieu comme sujet, suppose la transcendance de l’un et la réalité de l’autre.
La transcendance de l’acte créateur et la réalité de la créature sont également impliquées dans tous les passages scripturaires qui mentionnent la gloire que Dieu reçoit ou attend des diverses parties de l’univers physique (Psaumes 19.1 et sq) ou moral (Psaumes 8). Car, si la gloire d’un être est la reconnaissance des qualités de cet être par autrui, la reconnaissance des perfections de Dieu par la créature implique la réalité ou l’indépendance relative de la créature, témoin de la puissance, de la sagesse et de la bonté divines.
Mais s’il est un fait, reconnu par l’Ecriture et attesté par la conscience, qui tranche avec toute conception émanatiste du monde, et implique, sans contestation possible, la transcendance de l’acte créateur et la réalité de la créature, c’est l’existence de la liberté dans l’univers. Aussi le corollaire nécessaire de toute conception émanatiste des origines du monde est-il la négation de la liberté chez l’être fini comme de la personnalité en Dieu même.
L’anthropomorphisme qui nous représente Dieu délibérant sur la création de l’homme, Genèse 1.26, signifie également que cet acte ne fut pas seulement un fait de pensée, mais le produit d’une volonté souveraine. Seulement cette délibération, comme il convient chez l’Être parfait, ne fut accompagnée d’aucune hésitation. C’est la position absolue et franche de tout ballottage, de motifs d’action immédiatement efficaces. C’est à tort que Rothe a prétendu que le choix suppose nécessairement le doute entre deux alternatives opposées. La volonté divine qui a dit : Faisons ! a posé à la fois dans la liberté absolue de son action et avec la promptitude d’une décision toute puissante, un produit nouveau qui eût pu ne pas être.
L’acte cependant par lequel le monde issu de Dieu est posé devant Dieu dans la réalité de son existence, n’épuise pas encore non plus la notion intégrale de la création elle-même ; car cet acte de position, de production ou de propulsion n’a pas eu pour but de conférer à l’être créé une existence indépendante, mais contingente ; et cette contingence du monde était déjà renfermée dans l’acte même de sa production par le Verbe divin ; c’est-à-dire qu’au moment même où la réalité de l’existence était conférée à la créature, cette réalité était voulue relative et non pas absolue, limitée par un rapport initial et permanent de dépendance. C’est à ce troisième rapport que répond la formule : εἰς αὐτὸν, que nous opposons au déisme. Car, soit la créature physique soutenue dans l’être par la toute-puissance divine qui l’en a tirée, soit la créature morale appelée à faire retour en Dieu par un acte de détermination propre, ont la fin suprême de leur existence en Dieu même ; et l’agent de ce retour de toute créature en Dieu est l’Esprit.
Une fois donc l’être fini issu de la substance infinie, unique et absolue, nous disons que l’acte créateur comprend deux moments ou mouvements qui ne se succèdent d’ailleurs que dans l’idée, et auxquels deux agents divins correspondent : l’un est l’élément essentiel que nous appelons l’acte de production ou de différentiation, par lequel l’être issu de Dieu est détaché de la substance divine, et posé devant Dieu dans la réalité de son existence par la médiation du Verbe divin. C’est, pour ainsi dire, le mouvement centrifuge dans l’acte créateur. L’autre élément que nous ne pouvons concevoir que consécutif au premier, est l’acte de réduction ou de réintégration ; c’est le mouvement centripète, qui ramène aussitôt vers Dieu, et chacune selon le mode qui lui est propre, la créature physique et la créature morale posées devant lui dans leur réalité contingente.
Il y a cette différence à faire entre les conditions d’existence de la créature physique et de la créature morale, que chez l’une, le mouvement de réduction se réalise comme un fait à la fois universel et continu ; tandis que chez l’autre, il ne s’affirme qu’à l’état de principe, de loi ou d’idée ; en sorte que la créature morale, nécessairement et incessamment dépendante de Dieu par la partie physique de sa nature, possède la redoutable faculté, en séparant de lui sa nature morale, de créer en elle-même le schisme entre l’être et l’idée.
Le christianisme ayant été un commencement nouveau posé dans le monde de l’esprit, comme la première production des cieux et de la terre a été le commencement de l’espace et du temps, doit être appelé la seconde des grandes créations divines, et s’est présenté comme tel au monde.
D’après nos considérations précédentes (Partie fondamentale), la première création a été l’œuvre commune des trois personnes divines qui ont rempli dans cette première manifestation de la volonté divine, comme dans toutes les subséquentes, le rôle souverain propre à chacune.