« Pour prouver que nous n’avançons pas ces faits gratuitement, mais sur l’autorité de l’histoire qui en est remplie, il suffira de citer les exemples suivants. A Rhodes, au sixième jour du mois de Métagitnion, on immolait un homme à Saturne. Plus tard on remplaça cet antique usage par un autre : on gardait jusqu’aux prochaines saturnales, un criminel condamné par la justice publique au dernier supplice ; puis quand arrivait le temps de la fête, on le conduisait hors des portes de la ville, on l’enivrait, puis on l’immolait vis-à-vis le temple d’Aristobule (la déesse du bon conseil). A Salamine, nommée autrefois Coronée, au mois que les Cypriotes appellent Aphrodisius, on immolait un homme à Agraule, fille de Cécrops et de la nymphe Agraulide, usage qui subsista jusqu’au temps de Diomède, où l’on immola cet homme en l’honneur de Diomède lui-même. Or, une même enceinte contenait les temples de Minerve, d’Agraule et de Diomède. La victime destinée à ce sacrifice était conduite par les jeunes gens, qui lui faisaient faire en courant trois fois le tour de l’autel : puis le sacrificateur lui plongeait une lance dans la poitrine, et le corps était consumé entièrement dans les flammes d’un bûcher. Cet usage fut aboli par Déiphilus, roi de Chypre, vers le temps de Séleucus le théologien : ce prince substitua à ce sacrifice l’immolation d’un bœuf ; l’échange fut agréable au démon, ce qui prouve que l’un et l’autre sacrifice ont la même valeur. Manéthon, dans son livre de la Piété et des Antiquités, cite aussi une autre abolition d’un semblable sacrifice humain à Héliopolis en Égypte, abolition qui fut prononcée par Amosis. Ce sacrifice s’offrait en l’honneur de Junon ; on choisissait les hommes qui devaient en être les victimes, avec les mêmes cérémonies qui étaient en usage pour chercher et marquer les jeunes taureaux blancs. On en immolait trois en un jour. Amosis leur fit substituer un égal nombre de figures de cire à forme humaine. Dans les îles de Chio et de Ténédos, au rapport d’Euelpis de Carysté, on immolait à Bacchus Omadius un homme que l’on avait mis en pièces : les Lacédémoniens offraient un semblable sacrifice à Mars, au témoignage d’Apollodore. Les Phéniciens, dans les grandes calamités publiques, comme la guerre, la famine, la sécheresse, immolaient à Saturne le plus cher de leurs amis, désigné par les suffrages communs. On en trouve une foule d’exemples dans leur histoire écrite par Sanchoniaton, et traduite en grec, en huit livres, par Philon de Biblos. Ister, dans un ouvrage où il traite des sacrifices des Crétois, rapporte que c’était autrefois un usage chez les Curètes d’immoler des enfants à Saturne. Pallas, auteur d’un excellent ouvrage, où il a réuni tout ce qui a rapport aux mystères de Mithra, assure que les sacrifices humains furent abolis à peu près chez tous les peuples, sous le règne de l’empereur Adrien. En effet à Laodicée, en Syrie, on immolait, chaque année, à Minerve une jeune fille ; maintenant on se contente d’offrir une biche. En Afrique les Carthaginois offraient aussi des sacrifices humains ; ils furent abolis par Iphicrate.
Dans l’Arabie, les Dumatiens immolaient chaque année un enfant, et l’enterraient sous l’autel qui leur servait d’idole. Philarque rapporte qu’en général tous les peuples de la Grèce, avant de marcher contre leurs ennemis, immolaient des victimes humaines. Je passe sous silence les Scythes et les Thraces ; je ne dis rien du sacrifice de la fille d’Érechthée et de Praxithée, immolée par les Athéniens. Mais quel est l’homme qui ignore que dans la grande ville, on immole un homme à la fête de Jupiter Lotiaris ? »
Il ajoute ensuite :
« Depuis ce temps jusqu’à nos jours, non seulement aux Lupercales, en Arcadie, non seulement aux fêtes de Saturne à Carthage, on immolait un homme dans un sacrifice public ; mais il n’y avait pas d’année où ces deux peuples, à une certaine époque, n’arrosassent leurs autels du sang d’un de leurs compatriotes, d’après une ancienne coutume consacrée par le temps. »
Contentons-nous de ce fragment de l’ouvrage que nous citons.
Mais voici un passage du premier livre de l’Histoire des Phéniciens par Philon.
« C’était un antique usage, dit-il, que, dans les grandes calamités publiques, les premiers de la ville ou du pays immolassent le plus chéri de leurs enfants en expiation aux dieux vengeurs. Des cérémonies mystérieuses accompagnaient ces sacrifices. Or il arriva que Saturne, auquel les Phéniciens donnent le nom d’Israël, et auquel ils rendirent les honneurs divins après sa mort, en le plaçant dans l’étoile qui porte son nom, régna dans ce pays. Il eut un fils unique d’une nymphe de la contrée, qui s’appelait Anobret ; il lui donna le nom de Jeüd, qui signifie chez les Phéniciens, fils unique. Or le pays ayant à soutenir une guerre très périlleuse, son père revêtit cet enfant des insignes de la royauté, et l’immola sur un autel qu’il avait élevé lui-même. »
Voilà les faits que nous représentent les histoires anciennes. C’est donc à juste titre que l’admirable Clément d’Alexandrie, dans son exhortation aux Grecs, après avoir condamné ces horreurs, déplore ainsi l’aveuglement des hommes de ces temps-là.
« Ajoutons encore ceci, dit-il : voyez ce que sont ceux dont vous vous êtes fait des dieux : des démons barbares et ennemis de l’humanité, qui non contents de jouir des folies des malheureux mortels, se font souvent un plaisir de savourer leur sang. Ce sont eux qui armaient le bras des combattants dans l’arène ou qui soufflaient le feu de la guerre en soulevant mille ambitions rivales ; peu leur importait le moyen, pourvu qu’ils pussent satisfaire leur goût honteux pour le sang humain. Tel est le fléau qu’ils faisaient peser sur les nations dont ils exigeaient des libations atroces. Ainsi on a vu Aristomène de Messine immoler trois cents hommes à Jupiter Ithomite, prétendant offrir au dieu une hécatombe d’agréable odeur : au nombre des victimes, on en comptait une illustre, Théopompe, roi des Lacédémoniens. Tous les étrangers que la tempête pousse vers les côtes de la Chersonèse Taurique, à peine sont-ils venus échouer sur le rivage, que le peuple de ce pays les immole à Diane Tauríque. Ce sont ces sacrifices qu’Euripide a transportés sur la scène tragique. Monime dans son Recueil des faits mémorables, raconte qu’à Pella, en Thessalie, on immolait un Grec en l’honneur de Pelée et de Chiron. Anticlide, dans son livre intitulé le Retour, raconte que les Lyctiens, peuple Crétois, immolaient des hommes à Jupiter. Au témoignage de Dosidas, il existait chez les Lesbiens un usage semblable en l’honneur de Bacchus. Je ne saurai passer sous silence les Phocéens, lesquels, selon Pythoclès, dans son troisième livre de la Concorde, offraient un homme en holocauste à Diane Tauropole. Ni Érechthée, à Athènes, ni Marius, à Rome, qui immolèrent l’un et l’autre leur propre fille, le premier à Proserpine, comme le dit Démarate au premier livre de ses Événements tragiques, le second, aux dieux préservateurs, d’après Dorothée au quatrième livre de son Histoire d’Italie. Ces exemples suffisent pour vous faire comprendre toute l’humanité des démons. Mais comment l’impiété ne serait-elle pas le partage de ceux qui se sont voués à leur culte, qui donnent à ces démons le nom de dieux sauveurs, et qui attendent leur salut de puissances qui se montrent toujours ennemies du salut des hommes ? Aussi les partisans de ce culte sont tellement persuadés qu’ils honorent leurs divinités par ces sortes de victimes, que cette idée leur fait perdre de vue que c’est un homme qu’ils immolent, comme si le lieu pouvait sanctifier le meurtre, et en faire un sacrifice pur. En effet, immolez un homme à Diane ou à Jupiter, serez-vous moins coupable que si la colère ou la cupidité vous eût armé le bras ? Aurez-vous le droit de donner à votre action le nom de sacrifice, parce que cet homme, vous l’aurez immolé sur l’autel des démons, et non pas sur le chemin ? Non, un pareil sacrifice ne sera jamais qu’un meurtre. Quoi donc ! ô hommes ! les plus sages des êtres animés, vous fuyez à l’aspect d’une bête féroce ; si vous rencontrez un ours, un lion, vous détournez vos pas : que vous rencontriez un serpent, vous reculez d’horreur ; la vallée n’a pas de retraites assez profondes pour vous y réfugier, tant la frayeur a saisi vos membres ; et vos démons sont méchants, ils veulent votre mort, vous tendent des pièges ; ils sont destructeurs, ennemis des hommes, et vous ne les abandonnez pas ! vous n’en avez pas horreur ! »
Tel est le témoignage de Clément d’Alexandrie.
Mais j’ai encore à vous produire une autre autorité pour constater les goûts sanguinaires de ces démons impies et cruels, c’est Denys d’Halicarnasse, qui a écrit avec une grande exactitude l’histoire des Romains ; or, il affirme que Jupiter et Apollon exigeaient des victimes humaines et c’était là leur volonté si expresse, que malgré la fidélité de leurs adorateurs à leur payer le tribut des prémices de leurs fruits et de leurs troupeaux, ils ne les accablaient pas moins de toutes sortes de fléaux, pour la seule omission des sacrifices humains. Mais écoutons l’auteur lui-même, son récit vaudra mieux que tout ce que nous pourrions dire :
« L’Italie dut un reste de salut à la prudence des Aborigènes. Un fléau dévastateur menaçait le pays d’une ruine certaine ; la terre était désolée par une affreuse sécheresse. Les fruits ne mûrissaient point aux arbres ; ils tombaient encore verts ; les semences jetées dans le sein de la terre laissaient voir une tige languissante, où la fleur périssait avant que l’épi eût atteint l’époque de la maturité. Plus de pâturages pour les troupeaux, plus d’eau qu’on pût boire avec sécurité : les fontaines diminuaient par l’excès de la chaleur ou restaient totalement à sec. Le fléau s’étendait jusque sur la fécondité des animaux et même des femmes. Le fruit avortait ou périssait en naissant, on vit même la mort de la mère en être la suite. Un enfant parvenait-il à franchir le sein de sa mère, c’était toujours avec telle imperfection, tel défaut, qui le rendait incapable d’être élevé. Tout ce qu’il y avait d’ailleurs d’êtres animés dans la force de l’âge était consumé par des maladies affreuses qui centuplaient le nombre ordinaire des morts. Or ils consultèrent l’oracle pour savoir quel était le dieu ou le démon envers qui ils s’étaient rendus coupables, et dont la colère leur avait mérité ces maux, à quel prix ils pourraient en obtenir la cessation. Il leur fut répondu qu’ayant obtenu des dieux l’effet d’une demande, ils n’avaient pas été fidèles de leur côté à l’exécution de leur vœu ; qu’ils étaient même demeurés redevables de la portion la plus importante. Car, dans une disette absolue de toutes les choses nécessaires à la vie, les Pélasges avaient fait vœu d’immoler à Jupiter, à Apollon et aux Cabires, la dîme de tout ce qui leur naîtrait. Le fléau cessa à leur prière ; aussitôt ils offrent aux dieux la portion promise des productions de la terre, et des fruits des animaux, comme si ces offrandes eussent été seules comprises dans leur vœu. Ces faits se trouvent dans Myrsile de Lesbos qui les a rapportés à peu près dans les mêmes termes que moi, si ce n’est qu’il donne au peuple auquel il les attribue, le nom de Tyrrhéniens, au lieu de Pélasges. Je dirai plus loin Ia raison de cette différence. Or, après que la réponse de l’oracle leur eut été rapportée, ils se perdirent en conjectures pour en découvrir le sens. Dans leur incertitude, un vieillard ouvrit cet avis : Après avoir réfléchi mûrement au sens de l’oracle, je crois, dit-il, que ce serait une grande erreur, que d’accuser les dieux de vous châtier injustement. Il est bien vrai que vous vous êtes acquittés envers les dieux, comme vous le deviez, des prémices de tous vos biens ; mais il est une chose dont vous leur êtes restés redevables, c’est la dîme de la race humaine ; et certes, c’est bien là la chose la plus précieuse aux yeux des dieux. Ce ne sera qu’en payant cette dette légitime que l’oracle recevra son accomplissement. Cette interprétation trouva d’une part des approbateurs, mais aussi, d’un autre côté, elle rencontra des esprits disposés à la tenir pour suspecte. Un homme proposa de s’en rapporter au dieu lui-même. En conséquence on envoya de nouveau consulter l’oracle, pour savoir s’il avait entendu comprendre les hommes dans les choses dont on devait offrir la dîme aux dieux. L’oracle dit que tel était le sens de sa réponse. A celle décision, il s’éleva de grandes contestations au sujet du mode d’après lequel devait s’opérer la décimation. La discorde se mit d’abord parmi les chefs de chaque cité ; puis le peuple conçut des soupçons sur les chefs eux-mêmes. De là des désertions sans nombre et sans ordre, telles qu’on doit s’attendre à en rencontrer parmi des hommes frappés de vertige par la colère des dieux. Des maisons entières furent abandonnées, parce qu’après l’émigration d’une partie des habitants, ceux qui restaient ne pouvaient supporter l’idée d’être séparés de leurs proches, et jetés au milieu et en quelque sorte comme à la merci de leurs ennemis. Ils passèrent donc de l’Italie en Grèce, et dans les contrées barbares. Cette première émigration fut bientôt suivie de beaucoup d’autres ; il n’y avait pas d’année qu’il ne s’en fît quelqu’une, parce que dans chaque ville les chefs ne cessaient de décimer la jeunesse, dans la persuasion où ils étaient de rendre en cela de justes devoirs aux dieux, et aussi parce qu’ils craignaient des soulèvements parmi ceux qui échappaient à la mort. Ajoutez que les partis ennemis trouvaient là un prétexte spécieux pour satisfaire leurs haines réciproques. Il se faisait donc des émigrations continuelles, et la nation des Pélasges se trouva bientôt dispersée par toutes les contrées de la terre. »
Un peu plus loin il ajoute :
« Les anciens offraient aussi, dit-on, à Saturne des sacrifices humains, comme on le faisait à Carthage pendant qu’elle subsistait, et comme nous le voyons encore aujourd’hui chez les Gaulois et chez plusieurs peuples de l’Occident. Hercule en abolit l’usage, et fut le premier qui éleva un autel sur la colline de Saturne, pour y offrir des victimes pures sur un bûcher sacré ; et pour qu’il ne restât au cœur des peuples aucune crainte d’avoir transgressé les traditions de leurs pères, il leur apprit un moyen d’apaiser le courroux des dieux. Ils précipitaient un homme pieds et mains liés dans le Tibre ; à la place de cette victime, il leur fit faire des statues de forme humaine, et les fit jeter dans le fleuve avec les mêmes cérémonies qui avaient lieu pour la victime humaine. De la sorte, s’il restait encore dans les esprits quelque idée de l’ancien culte, elle devait s’évanouir peu à peu par l’introduction d’un sacrifice où l’on conservait l’image de l’ancienne victime. C’est ce que font aujourd’hui encore les Romains, peu de temps après l’équinoxe du printemps, aux ides de mai. Après avoir immolé les victimes légales, les pontifes, qui sont les chefs suprêmes du culte religieux, et avec eux les vestales, chargées de l’entretien du feu sacré, les généraux et ceux des citoyens auxquels la loi permet d’assister aux sacrifices, prennent trente petites statues de forme humaine, auxquelles ils donnent le nom d’Argées, et les lancent dans le Tibre du haut du pont sacré. »
Voilà ce que rapporte Denis d’Halicarnasse. Nous trouvons à peu près les mêmes faits rapportés par Diodore de Sicile au vingtième livre de sa Bibliothèque historique ; voici ce qu’il dit textuellement des Carthaginois assiégés par Agathocle, tyran de Sicile, après la mort d’Alexandre, au temps de Ptolémée :
« Ils attribuaient la colère de Saturne contre eux, à ce qu’ayant autrefois l’usage d’offrir au dieu la fleur de leur jeunesse, quelques citoyens s’étaient depuis soustraits à cette loi en achetant des enfants qu’ils élevaient en secret, et qu’ils destinaient au sacrifice. Des recherches exactes à ce sujet prouvèrent qu’il y avait parmi les victimes des enfants supposés. Ce fait ayant donné lieu à des réflexions, comme ils voyaient à leurs portes une armée ennemie qui les assiégeait, dans leur frayeur religieuse, ils attribuèrent ce fléau à ce qu’ils avaient transgressé les lois du culte de leurs pères : en conséquence, pour expier et réparer cette faute, ils immolèrent publiquement deux cents jeunes gens des plus illustres familles, désignés par un commun suffrage. A ces deux cents victimes se joignirent librement tous ceux sur lesquels pesait le soupçon d’avoir violé l’ancien usage religieux ; ils n’étaient pas moins de trois cents. Saturne avait dans la ville une statue d’airain dont les bras étaient étendus et inclinés vers la terre, de telle sorte que la victime qui y était déposée devait glisser et tomber dans une fournaise ardente. »
Tel est le récit de Diodore dans son Histoire. C’est donc avec raison que nos divines Écritures, reprochant aux Juifs circoncis d’imiter les nations, leur adressent cette accusation :
« Ils immolaient leurs fils et leurs filles aux démons. La terre a été ensanglantée et souillée par leurs œuvres. »
Ces faits prouvent, selon moi, que c’est aux démons, et non pas aux bons démons, mais à ce qu’il y a de plus méchant et de plus barbare parmi eux, qu’il faut attribuer l’érection primitive des anciens simulacres des dieux, en un mot, l’institution de tout ce culte idolâtrique des païens. Après cela, le prophète ne dit-il pas une grande vérité, lorsqu’il s’écrie que
« Tous les dieux des nations sont des démons. »
Et l’Apôtre, lorsqu’il dit :
« Leurs victimes, c’est aux démons et non à Dieu qu’ils les immolent. »
Or, s’il y avait véritablement en eux quelque chose de bon qui pût leur mériter le nom de bons génies, comme ils sont quelquefois appelés, on devrait les trouver bienfaisants, cherchant le salut de tout le monde, aimant la justice, s’intéressant au bien-être de l’humanité. Mais s’il en était ainsi, leurs oracles ne défendraient-ils pas aux hommes de semblables abominations ? Mais, loin de là, on ne trouve pas même chez les hommes tant de malice et de cruauté ; car eux, du moins, ont cherché à restreindre par la sévérité des lois, ces meurtres parricides. Ainsi ce n’est pas un dieu, mais un homme que l’on a vu délivrer le genre humain de ce fléau sanguinaire qui le désolait depuis des siècles. Et si vous voulez encore une preuve plus éclatante qu’il faut attribuer aux méchants démons l’invention de tout ce culte religieux, vous la trouverez dans les abominations, les prostitutions effrénées qui ont lieu à Héliopolis, en Phénicie et chez la plupart des autres nations. Et ces adultères, ces dissolutions, tous les autres crimes de ce genre, ils s’en font un devoir, ils prétendent que les dieux veulent être honorés ainsi. La débauche et la prostitution, voilà les prémices qu’ils aiment à leur offrir, et les fruits de ce commerce honteux et immoral sont comme un gage de gratitude qu’ils se plaisent à donner à leurs divinités. Il y a, comme il est facile de le remarquer, une affinité frappante entre ces horreurs et les sacrifices humains. Il y a si peu d’apparence que de telles infamies puissent être agréables à la nature divine ou aux bons démons, que nous voyons l’homme lui-même, pour peu qu’il ait conservé le sentiment naturel de la probité, avoir en horreur, non seulement le sang, mais même tout un commerce honteux et criminel avec des femmes impudiques, qui trafiquent impudemment de leur honneur. Vous me direz peut-être que, pour ce culte, il faut bien avouer qu’il ne peut être agréable qu’aux mauvais démons, mais qu’il n’en est pas moins vrai qu’il y en a de bons que vous honorez comme les sauveurs du genre humain. Mais alors je vous demanderai : Où étaient donc ces bons génies que vous prétendez honorer ? puisqu’il n’y en avait pas qui sussent protéger leurs adorateurs contre la cruauté des méchants démons. Ou étaient-ils en effet ces bons génies impuissants à éloigner les méchants démons, et à défendre leurs zélés serviteurs contre la cruauté de ces esprits de malice ? Ils voyaient le genre humain tout entier, sans en excepter les hommes sages et religieux, devenu la victime de la cruauté des méchants démons, et il n’y en avait pas un qui élevât la voix pour proclamer que tout être qui pouvait accepter en son honneur un culte sanguinaire, inhumain, honteux et immoral, ne devait point être tenu pour un dieu, mais pour un méchant démon, auquel il fallait renoncer et dire anathème. Ainsi, il y avait autrefois à Rhodes un prétendu dieu auquel on offrait des victimes humaines, eh bien ! pourquoi ne vit-on pas le Dieu véritable si tant est qu’il y en ait un parmi ceux que vous honorez, mettre fin à cette horrible pratique, en proclamant à la face de tout le peuple que celui qu’ils honoraient comme un dieu, n’était autre chose qu’un méchant démon ? Quand l’île de Salamine, autrefois Coronée, immolait un homme dans le mois que les habitants de l’île de Chypre appelaient Aphrodisius, pourquoi votre dieu véritable ne venait-il pas pour abroger cette impie et barbare coutume, déclarer que celui à qui on offrait un tel sacrifice, était un mauvais démon ? S’il est vrai qu’à Héliopolis en Égypte, la loi des sacrifices humains ait été abrogée par Amasis, il était du devoir de votre Dieu véritable de reconnaître dans ce prince des sentiments bien supérieurs à ceux du dieu ou plutôt du démon (car ce ne pouvait qu’être un démon) qui avait exigé ce sacrifice. Votre dieu véritable ne devait pas non plus garder le silence sur la cruauté du démon de Junon, auquel, selon le témoignage de l’histoire, on offrait chaque jour trois hommes en sacrifice. Peut-on concevoir encore un être qui rappelle plus clairement l’idée d’un démon, que ce Bacchus Omadius, auquel les habitants de Chio offraient, dit-on, un homme dont ils arrachaient les membres, ou encore cet autre dont les habitants de Ténédos fléchissaient le courroux par des sacrifices humains. Pourquoi votre dieu véritable ne s’opposait-il pas à ce qu’on immolât un homme à ce Mars altéré de sang et de carnage ? Que ne défendait-il aux peuples d’immoler à ce mauvais génie les têtes les plus précieuses parmi leurs proches ou parmi les étrangers ? Et cette Minerve à laquelle on immolait, dit-on, chaque année, une jeune fille à Laodicée en Syrie, pourquoi votre dieu véritable ne la proclamait-il pas un mauvais démon, aussi bien que ce dieu de la Libye qui aimait aussi ces horribles sacrifices, et celui de l’Arabie auquel on immolait chaque année un enfant qu’on enterrait sous l’autel.