L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
16 Que les véritables consolations ne se doivent chercher qu’en Dieu
J’épuise mon désir, j’épuise ma pensée A chercher des contentements Qui par de vrais soulagements Adoucissent les maux dont mon âme est pressée ; Mais, hélas ! après tout, j’ai beau m’en figurer, J’ai beau les désirer, Ce n’est point en ces lieux que je les dois attendre ; L’avenir seul me les promet, Cet heureux avenir où chacun peut prétendre, Mais qu’on n’obtient qu’au prix où la vertu le met.
Quand par un heureux choix d’événements propices Le monde me ferait sa cour, Quand il n’aurait soin nuit et jour Que d’inventer pour moi de nouvelles délices ; Quand il attacherait lui-même à mes côtés Toutes ses voluptés, De combien de moments en serait la durée ?, Et quels biens me pourrait donner Sa faveur la plus ferme et la mieux assurée, Qu’en un coup d’œil peut-être il faut abandonner ?
N’espère point de joie, ô mon cœur, que frivole, N’en espère aucune ici-bas Qu’en ce grand Dieu de qui le bras Soutient l’humble et le pauvre, et partout le console ; Quels que soient tes ennuis, attends encore un peu, Sans attiédir ton feu, Attends le doux effet des promesses divines ; Et tu posséderas bientôt Des biens encor plus grands que tu ne t’imagines, Et que le ciel pour toi garde comme en dépôt.
Ce lâche abaissement aux douceurs temporelles, Que le siècle fait trop goûter, Sert d’un grand obstacle à monter Dans ce palais de gloire où sont les éternelles : Attache tes désirs, mon âme, à celles-ci ; Fais-en ton seul souci, Et regarde en passant celles-là pour l’usage ; Ne t’en laisse plus éblouir : Ce Dieu qui du néant te fit à son image Eut un plus digne objet que de t’en voir jouir.
De quoi te serviraient tous les trésors du monde, Tous ceux que la terre et la mer Dans leur sein peuvent enfermer, Si ce n’est point sur eux qu’un vrai bonheur se fonde ? Le plus pompeux éclat de ces riches trésors N’a qu’un brillant dehors Qui n’excite au dedans que de l’inquiétude ; Il n’a point de solide bien ; Et, si tu veux trouver quelque béatitude, Elle n’est qu’en ce Dieu qui créa tout de rien.
Mais garde-toi surtout de la présumer telle Que se la peignent ces mondains Dont les désirs brutaux et vains Au gré de leur caprice en forment un modèle : Tu t’y dois figurer un amas de vrais biens, Tel que les vrais chrétiens Dans leurs plus longs travaux attendent sans murmure ; Un avant-goût délicieux, Tel que sent quelquefois une âme droite et pure De qui tout l’entretien s’élève jusqu’aux cieux.
Rempli de cette idée, il te sera facile De juger l’instabilité Qu’a le monde et sa vanité, Comme lui décevante, et comme lui fragile. La seule vérité donne aux afflictions Des consolations Durables à l’égal de sa sainte parole : Ainsi l’éprouvent les dévots ; Et, portant en tous lieux un Dieu qui les console, Ils savent bien aussi lui dire à tout propos :
Bénin Sauveur de la nature, Prends soin partout de m’assister, Et daigne sans cesse prêter Ton secours à ta créature.
Qu’au milieu de toutes mes peines Ce me soit un soulagement D’être abandonné pleinement Des consolations humaines.
Qu’au défaut même de la tienne, J’en trouve dans ta volonté, Dont la juste sévérité Fait cette épreuve de la mienne.
Car enfin, Seigneur, ta colère Fera place à des temps plus doux, Et les fureurs d’un Dieu jaloux Céderont aux bontés d’un père.