On sait que l’inspiration religieuse et l’inspiration esthétique tendent à se confondre aujourd’hui dans la conscience moderne. De ce que tout ce qui est divin est nécessairement beau, on en est venu à conclure que tout ce qui est beau est divin par là même, salutaire et légitime, au même titre que ce qui est saint, peut être à plus juste titre. La catégorie du saint disparaît en tout cas dans cette identification.
Nous ne retenons, quant à nous, que la première de ces deux propositions, savoir que tout ce qui est saint et divin est vraiment beau ; que par conséquent l’inspiration religieuse à son degré supérieur ne pourra que s’exprimer en beautés et en beautés de premier ordre. Mais nous nions que tout ce qui est beau soit divin, parce que dans le monde où nous sommes, où les apparences sont séparées des réalités, les reflets de la beauté, dont sans doute la première source est en Dieu, peuvent recouvrir des substances perverses et perverties. Sous la réserve, confirmée par l’expérience, que l’art perverti dans son fond ne saurait être celui des sommets, nous accordons — ce qui est également un fait de trop fréquente expérience — que la forme belle peut être un bien dérobé, et produire, en faveur de l’erreur et du mal, l’illusion du vrai et du bien.
Il est certain que la littérature biblique, dans laquelle nous comprenons la Bible et les écrits qui sont issus de cette inspiration primordiale, abonde, et cela aujourd’hui de l’aveu de tout le monde, en richesses de cet ordre. Si l’art paraît complètement absent de plusieurs parties des Ecritures, et l’est en effet, certains livres bibliques peuvent être classés, et le sont généralement aujourd’hui, au premier rang des créations du génie littéraire de l’humanité. Il ne serait pas difficile de montrer que les règles de l’art le plus consommé en même temps que le plus instinctif, celles auxquelles sont soumis tous les chefs-d’œuvre classiques, sont aussi observées, soit dans l’ordonnance générale, soit dans le détail de l’expression, dans la Genèse, dans Esaïe, dans plusieurs psaumes, dans plusieurs paraboles de J.-C. ; et il ne sera pas non plus dès lors téméraire d’avancer que les plus belles pensées et les plus belles paroles prononcées ou écrites dans l’humanité, l’ont été au nom de Jehovah ou de Jésus-Christ.
Les auteurs des Saintes-Ecritures, ou du moins les principaux d’entre eux, et les écrivains qui se sont le plus rapprochés de leur esprit, ont donc rencontré le beau sans l’avoir cherché et parce qu’ils ne le cherchaient pas. Ils ont atteint le beau dans le saint, et c’est ce caractère de sainteté qui, tout en les séparant de tous les autres maîtres de l’art et génies de l’humanité profane, leur a donné dans l’art lui-même une supériorité reconnue de ceux-là même qui sont incapables de les juger à un autre point de vue.
Mais la sainteté qui a inspiré leur art en a aussi marqué les limites et déterminé le rôle. On peut dire des auteurs sacrés qu’ayant cherché avant tout le Royaume de Dieu et sa justice, le reste leur a été donné de surcroît ; c’est dire que l’art n’apparaissant jamais ici que comme moyen et auxiliaire, l’inspiration religieuse qui peut accueillir en elle l’inspiration esthétique, peut aussi s’en passer.