Je dis donc que tous ces dieux, qui aimaient l’obscénité du langage, qui étaient possédés de la passion de la lubricité, comme nous l’avons vu, c’était au Dieu véritable, qu’il t’appelât dieu ou bon démon, c’était à lui à dénoncer tous ces prétendus dieux, comme n’étant point des dieux. Or nous n’en voyons point qui l’aient fait, si ce n’est le Dieu qu’honoraient les Hébreux, parce que lui seul en effet était le Dieu véritable ; nous le voyons seul, par la bouche de Moïse, son prophète, auquel il avait révélé les secrets de la divinité, défendre solennellement à tous les peuples d’honorer comme des êtres bienfaisants les méchants démons. Nous le voyons ordonner de les chasser comme des esprits de malice, prescrire de renverser leurs temples, d’abolir leur culte impie et sacrilège, de faire disparaître du milieu des hommes toute trace de ce culte, tout vestige des honneurs qu’on leur rendait comme à des dieux. Ceux en effet qui sont sous la protection de bons génies ne doivent pas rechercher la faveur des mauvais démons. Quant aux autres peuples, ils étaient tous asservis à ce culte tyrannique des démons. Ainsi, au rapport de Philarque ou de je ne sais quel autre historien, les Grecs immolaient un homme avant de marcher contre leurs ennemis. Nous voyons les mêmes actes de barbarie inspirés par les démons chez les Africains, les Thraces et les Scythes. Les Athéniens et les habitants de la grande ville nous offrent le même spectacle de sacrifices humains aux fêtes du grand Jupiter. En un mot, en réunissant toutes les cérémonies affreuses que nous venons de mentionner, il est aisé de se convaincre que tout le culte religieux des peuples païens est l’œuvre d’esprits avides de sang humain, l’invention de méchants démons. En effet, lorsqu’on voit à Rhodes, à Salamine, à Héliopolis en Égypte, dans les îles de Chio et de Ténédos, à Lacédémone, dans l’Arcadie, la Phénicie, la Libye, la Syrie, l’Arabie, chez le premier peuple de la Grèce, les Athéniens, à Carthage, dans l’Afrique, chez les Thraces et les Scythes ; lorsqu’on voit, dis-je, dans les temps anciens ces divers peuples immoler, à l’instigation des démons, des victimes humaines, et conserver cet usage barbare jusqu’au temps où la doctrine de notre Sauveur leur est annoncée, qui pourrait s’empêcher d’avouer qu’autrefois tous les peuples étaient asservis au joug tyrannique des méchants démons, et que le genre humain n’a commencé à voir briller pour lui l’affranchissement de tous ces maux, qu’au jour où la doctrine de notre Sauveur commença à répandre sur l’univers l’éclat de sa bienfaisante lumière. Car ils durèrent jusqu’au temps de l’Empereur Adrien ; ce n’est qu’à cette époque que l’histoire cesse de nous rapporter de semblables horreurs ; or c’est précisément le temps où la doctrine de notre Sauveur établissait son heureux empire sur toutes les nations. Et qu’on ne dise pas que ces sacrifices n’étaient offerts qu’aux mauvais démons ; car nous pouvons prouver, l’histoire à la main, que c’était aux grands dieux eux-mêmes qu’on offrait des victimes humaines. Nous y voyons qu’on en immolait à Junon, à Minerve, à Saturne, à Mars, à Bacchus, au grand Jupiter, le maître des dieux, à Phébus, cet Apollon, le plus sage et le plus vénéré des dieux : or ce sont bien eux qui étaient appelés les grands dieux, les dieux bienfaisants, les dieux sauveurs. Mais ils n’en doivent pas moins être mis au rang des mauvais démons ; car des êtres qui font ainsi leurs délices du sang humain, des êtres à qui il faut des victimes humaines, à quel titre, je vous le demande, pouvez-vous les exclure de la société des esprits malfaisants et sanguinaires ? Peu importe d’ailleurs qu’on dise qu’ils n’y mettaient pas eux-mêmes leur plaisir, mais seulement qu’ils les permettaient, qu’ils ne défendaient pas qu’on les offrît à d’autres puissances. Devaient-ils en effet permettre aux hommes de fléchir ainsi les puissances du mal ? Devaient-ils laisser le genre humain victime d’une pareille erreur, le voir avec indifférence flatter et honorer des esprits pervers, se faire l’esclave de mauvais génies ? C’était à eux comme êtres bienfaisants, comme dieux véritables, d’user de toute leur puissance divine pour délivrer la vie humaine de tout ce qui lui était funeste et nuisible. Quoi ! un bon père voit-il avec indifférence son fils maltraité par des scélérats ? Un maître juste et humain laisse-t-il entraîner son serviteur par les ennemis ? Un général laisse-t-il asservir son pays, quand il a les armes à la main pour le défendre ? Un berger livre-t-il ses troupeaux aux loups ? Et des dieux, de bons génies laisseront le genre humain devenir l’esclave de puissances cruelles et malfaisantes ! Ces innombrables patrons de l’humanité, ces pasteurs, ces sauveurs, ces rois, ces pères, ces seigneurs des hommes laisseront entraîner et traiter sans miséricorde par des êtres méchants, plus cruels que des bêtes féroces, ce qu’ils doivent avoir de plus cher ! Ils ne combattront pas pour la défense de leurs clients ! Ils ne s’armeront pas pour éloigner de l’humanité ces animaux cruels et altérés de sang ! ils n’apprendront point aux hommes que, consacrés à une multitude de dieux et de bons démons, ils doivent compter sur leur protection et braver la puissance des mauvais génies, ou plutôt mépriser leur faiblesse et impuissance ! Non ; loin d’en agir de la sorte, ils prêtent leur concours à ces mauvais génies, consacrant par l’autorité de leurs oracles, les sacrifices humains, montrant leur goût honteux pour les obscénités et les œuvres qui en sont la suite, preuve manifeste, qu’entre eux et ces méchants démons, il n’y a guère de différence, ou plutôt qu’ils ont les mêmes goûts, une même volonté : d’où je conclus que le nom de Dieu ne peut être donné à aucun des êtres qui étaient adorés sous ce titre ou sous celui de bons démons, chez tous les peuples, dans les villes ou les campagnes. Comment en effet un être bon peut-il aimer ce qui est mauvais ? Autant vaudrait dire que la lumière peut s’allier avec les ténèbres. Elle est donc bien supérieure à toutes ces prétendues divinités, la raison humaine, qui défend d’immoler des victimes aux méchants démons. Aussi le philosophe que nous avons déjà tant de fois cité, dans son ouvrage contre les sacrifices d’animaux, s’oppose-t-il à ce qu’on offre des victimes aux méchants démons. Voici comment il s’exprime.