De fait, hérétique, tu prends pour appuyer tes dires, une affirmation très sérieuse et irréfutable du Seigneur ; parlant de lui, celui-ci déclare : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20.17). Ainsi, du fait que pour nous comme pour lui, le Père est seul Père, et Dieu seul Dieu, il partage avec nous cette faiblesse qui est la nôtre. Car si nous avons le même Père, nous sommes ses égaux en tant que fils ; et si nous avons le même Dieu, nous sommes à son niveau, en tant que serviteurs. Et puisque nous sommes des créatures de par notre origine, et des serviteurs de par notre nature, si son Père et son Dieu est aussi le nôtre, c’est qu’il est comme nous créature et serviteur.
Et l’acharnement qui anime cet enseignement impie, fait encore appel à ce texte du prophète : « Dieu, ton Dieu t’a oint » (Psaumes 44.8). Ainsi le Christ ne posséderait pas la nature toute-puissante qui est celle de Dieu, puisque le Dieu qui l’a oint se trouve présenté comme son Dieu.
Il ignore le Dieu-Christ, celui qui ignore le Dieu né. Car naître comme Dieu n’est autre chose qu’être dans cette nature par laquelle Dieu existe ; ceci parce que ce mot « être né », s’il souligne celui qui est à l’origine de la naissance, ne permet pourtant pas d’affirmer que celui qui est né a une manière d’exister[7] inférieure à celle de son auteur. Or si sa manière d’être n’en subit aucune atteinte, le Fils doit à son auteur d’être à la source de sa naissance, sans qu’il ait perdu pour autant la nature de son auteur. Car dans sa naissance, le Fils de Dieu ne procède pas d’ailleurs que de Dieu, et il n’est pas autre que Dieu. S’il venait d’ailleurs, on ne pourrait parler de naissance ; s’il était autre que Dieu, il ne serait pas Dieu.
[7] « Genus » traduit parfois par : « nature » = tropos = manière d’être.
Mais puisqu’il est Dieu, né de Dieu, Dieu le Père est de ce fait, pour Dieu le Fils, le Dieu de sa naissance et le Père de sa nature, car la naissance de Dieu vient de Dieu, et en cette naissance, le Fils reçoit une nature telle qu’en cette nature, il est Dieu.
Dans tous ses dires, le Seigneur prend donc grand soin de s’exprimer d’une manière juste et légitime, de telle sorte que la révélation de sa naissance ne porte pas ombrage à sa divinité, ni que le respect envers son Père, respect qui le pousse à lui obéir, ne blesse pas la majesté de sa nature : tout simplement pour rendre à son auteur l’hommage qu’il lui doit de par sa naissance, le Fils rend au Père l’honneur qui lui est dû, et la confiance toute naturelle qu’il lui porte, le montre conscient de posséder cette nature selon laquelle il existe en naissant en Dieu.
Tel est le sens de cette parole : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père » (Jean 14.9), et aussi de cette autre : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même » (Jean 14.10). Car s’il ne dit pas ces paroles de lui-même, c’est donc forcément qu’il les doit à son auteur. Et si en le voyant, on voit le Père, c’est qu’il a conscience d’avoir une nature qui, pour montrer Dieu en elle, n’est pas étrangère à celle de Dieu.
De là encore ce texte : « Mon Père qui me les a données, est plus grand que tout » (Jean 10.29), et celui-ci : « Moi et le Père, nous sommes un ! » (Jean 10.30), car ce don que lui fait le Père, exprime la naissance reçue ; et s’il est un avec le Père, c’est qu’il s’agit d’une propriété de sa nature qui lui vient de sa naissance.
Prenons encore cet autre passage : « Mais il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père » (Jean 5.22-23). Donner le jugement, ce n’est pas taire la naissance, puisqu’une égalité d’honneur implique une égalité de nature. Ou cet autre : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jean 14.10), ou encore : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14.28). Le Père et le Fils sont l’un dans l’autre : reconnais donc la divinité du Fils de Dieu. Le Père est plus grand que le Fils : comprends ici que celui-ci proclame l’estime qu’il a pour son Père.
Remarquons encore ce texte : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père ; et tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement » (Jean 5.19). Puisque le Fils ne fait rien de lui-même, c’est donc qu’en vertu de sa naissance, le Père est à l’origine de son action. Et cependant, puisque tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement, c’est donc qu’il n’existe pas dans une nature autre que celle de Dieu ; pour faire tout ce que fait le Père, la nature toute-puissante du Père doit exister en lui.
Ainsi tous ces textes nous montrent à la fois l’unité entre le Père et le Fils selon l’Esprit[8], et la caractéristique de la nature du Fils, conséquence de sa naissance : de la sorte, le Fils par sa naissance proclame le Père que cette naissance met en lumière, et d’autre part, cette révélation du Père par la naissance du Fils, n’empêche pourtant pas le Fils d’avoir pleine conscience de posséder la nature divine. Dieu le Fils reconnaît donc Dieu pour son Père parce qu’il naît de lui, mais par ailleurs, puisqu’il naît de lui, il possède en lui par nature, tout ce qu’est Dieu.
[8] En latin « secundum Spiritus unitatem » : selon l’unité de la nature divine.
C’est pourquoi l’économie de ce grand mystère de tendresse[9] fait en sorte que celui qui est le Père du Fils dans sa naissance divine, soit en outre le Seigneur de notre condition humaine assumée par le Verbe ; puisque celui qui était dans la forme de Dieu a été reconnu dans la forme d’esclave[10]. Car il n’était pas serviteur quand il était Dieu le Fils selon l’Esprit. Et d’après le jugement ordinaire des hommes, là où il n’y a pas de serviteur, il n’y a pas de Seigneur. Sans doute, Dieu est le Père du Fils Unique de Dieu qu’il a engendré dans une naissance, mais si nous regardons le Christ sous son aspect de serviteur, nous ne pouvons donner au Père que le nom de Seigneur, puisqu’il est question d’un serviteur. Mais auparavant le Christ n’était pas serviteur par nature, et par la suite, il commence à exister dans une autre nature qu’il n’avait pas auparavant. Aussi la seule raison pour laquelle il est soumis à un pouvoir, est celle pour laquelle il accepte une servitude. Dès lors, il a un Seigneur, de par le pian divin qui lui veut une nature humaine, puisqu’il se présente lui-même comme serviteur par suite de son incarnation.
[9] Cf. 1 Timothée 3.16.
[10] Cf. Philippiens 2.6-7.
L’homme Jésus-Christ qui s’exprime en ce texte : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu « (Jean 20.17), est donc celui qui vit dans la condition d’esclave, alors qu’il était de condition divine[11]. Par suite, s’il parle ici comme un serviteur et s’adresse à des serviteurs, pourquoi son langage ne serait-il pas celui d’un serviteur ? Serions-nous en droit de l’appliquer à cette nature qui en lui n’est pas celle d’un serviteur ? Il a pris la condition d’esclave, alors qu’il était de condition divine, et de ce fait, il est entré en communion avec nous, les serviteurs, en tant que serviteur. Dès lors, n’est-ce pas parce qu’il est serviteur que cette communion lui a été possible ? En ce sens, le Père est son Père comme il est le Père des hommes, et Dieu est son Dieu comme il est le Dieu des serviteurs. Et puisque c’est l’homme Jésus-Christ dans sa forme de serviteur, qui s’adresse ici à des hommes serviteurs, il n’y a pas lieu de douter que le Père soit pour lui ce qu’il est pour les autres hommes, si on le considère sous l’angle de son humanité, et que Dieu soit pour lui ce qu’il est pour les autres serviteurs, si l’on envisage la nature selon laquelle il est serviteur.
[11] Cf. Philippiens 2.6-7.
Somme toute, regardons les mots qui se trouvent tout à fait au début de cette phrase ; elle commence ainsi : « Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20.17). Je te pose maintenant cette question : Le Christ a-t-il des frères en raison de sa forme de Dieu, ou en raison de sa forme de serviteur ? Si on l’envisage sous l’angle de la plénitude de la divinité qui habite en lui, partagerait-il, pour une part si infime soit-elle, notre état soumis à la corruption, pour que nous soyons regardés pour ses frères, en tant qu’il est Dieu ? Mais non, car l’Esprit qui anime le prophète n’ignore pas en quel sens nous sommes les frères de Dieu le Fils Unique. C’est en effet à celui qu’il avait présenté comme un ver et non comme un homme, qu’il prête cette parole : « J’annoncerai ton nom à mes frères » (Psaumes 21.7). Le prophète compare ici le Christ à un ver, soit parce qu’il vit en raison d’une conception qui n’est pas celle dont tirent leur origine les autres êtres, soit parce qu’il sort tout vivant des profondeurs de la terre, nous indiquant ainsi qu’il a pris une chair qu’il a rendue par lui-même à la vie, la rappelant du sein des enfers. Au reste, dans tout ce psaume, l’Esprit qui inspire le prophète nous prédit les mystères de la Passion du Christ ; ce sont eux qui lui valent d’avoir des frères, en raison du plan divin qui comportait ses souffrances.
L’Apôtre, lui aussi, connaît ce mystère selon lequel le Christ a des frères, puisqu’il le présente comme : « Le premier-né d’entre les morts » (Colossiens 1.18) et : « Le premier-né d’un grand nombre de frères » (Romains 8.29). S’il est « le premier-né d’un grand nombre de frères », c’est qu’il est « le premier-né d’entre les morts ». Et si son corps connaît un mystère de la mort, sa chair connaît aussi un mystère des frères. Par conséquent ces frères viennent de la chair de Dieu, parce que « le Verbe s’est fait chair et qu’il demeura parmi nous » (Jean 1.14). Mais par ailleurs, si on considère le Christ selon ce caractère exceptionnel d’être l’Unique-Engendré, Dieu l’Unique-Engendré est sans frères.
Or pour avoir pris notre chair, le Christ renferme en lui toute notre nature, il est devenu ce que nous sommes, sans avoir perdu ce qu’il était, ayant Dieu pour Père déjà par sa naissance, et maintenant par son état de créature. Oui, il l’est à présent selon sa condition de créature, puisque tout vient de Dieu, le Père. Dieu est en effet le Père de tous les êtres, puisque tout vient de lui et que tout est en lui[12]. Mais pour Dieu, l’Unique-Engendré, Dieu n’est pas seulement son Père en tant qu’il est « Verbe fait chair » (Jean 1.14). Il est également son Père du fait que Dieu « le Verbe était au commencement près de Dieu » (Jean 1.1). Mais comme « le Verbe s’est fait chair » (Jean 1.14), Dieu est pour lui un Père à la fois dans sa naissance, celle de Dieu le Verbe, et dans la création de sa chair. Car Dieu est le Père de toute chair[13], mais ce n’est pas dans ce sens qu’il est un Père pour Dieu le Verbe. Dieu le Verbe ne cesse pas d’être Verbe, et il est chair. Car le Verbe, parce qu’il « s’est fait chair et qu’il a demeuré parmi nous » (Jean 1.14), est vraiment le Verbe, puisqu’il « habite », et il est vraiment homme-Dieu, puisqu’il est le Verbe fait chair : car il faut bien qu’il habite, celui qui demeure[14], et se faire chair se comprend de celui qui naît. Et dire qu’il habite parmi nous, c’est affirmer qu’il a pris sur lui notre chair, car du fait que le Verbe fait chair demeure parmi nous, Dieu réside en toute vérité dans notre corps.
[12] Cf. Romains 11.36.
[13] Cf. Jérémie 32.27.
[14] Dans cette citation de Jean 1.14, Hilaire voit toujours exprimée la divinité du Christ par le mot « habita », et son humanité par : « chair ».
Si donc le Christ Jésus, homme selon la chair, dépouillait Dieu le Verbe de sa nature, ou si Dieu le Verbe n’était pas l’homme Jésus-Christ, en raison du mystère de la tendresse divine, ce serait une atteinte à sa nature divine de prétendre que son Père est notre Père et que son Dieu est notre Dieu. Mais si Dieu le Verbe, l’homme Jésus-Christ, ne cesse pas d’être Dieu le Verbe, nous partageons ensemble, lui et nous, le même Dieu et le même Père, mais seulement en raison de cette nature humaine par laquelle le Verbe est notre frère : ceci parce que le message adressé à ses frères : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20.17), ne doit pas s’entendre comme venant du Verbe en tant qu’Unique Engendré, mais du Verbe fait chair.
L’Apôtre prend aussi certaines précautions dans son langage pour ne pas prêter flanc à l’impiété par l’emploi de termes peu précis. Nous l’avons vu dans le texte ci-dessus, en plaçant au début de la parole du Seigneur le mot : « frères », l’évangéliste nous avait enseigné que ce passage se rapporte en son entier à la communauté de nature que nous avons avec le Christ et qui fait de lui notre frère, puisque ce message est destiné à ses frères : ceci pour que nous ne regardions pas comme faisant tort à sa divinité ce qui se rapporte au mystère de la divine tendresse. Car notre communion avec lui par laquelle son Père est notre Père et son Dieu notre Dieu, nous vient de son incarnation, c’est par la naissance de son corps que nous sommes regardés comme ses frères.
Personne ne pourrait donc mettre en doute que Dieu le Père soit aussi le Dieu du Seigneur Jésus-Christ. Mais cette affirmation qui chez nous est empreinte de respect, ne saurait donner prise à l’impiété. Si le Père est le Dieu du Christ, cela ne veut pas dire que celui-ci soit un Dieu d’une autre espèce ; mais parce qu’il est Dieu, né du Père, et qu’il est serviteur par suite du plan divin, il a d’une part un Père, puisqu’il est Dieu, né de ce Père, et il a d’autre part son Dieu, puisqu’il est chair, né de la Vierge. L’Apôtre nous confirme cet enseignement dans une phrase courte et nette : « Je fais mémoire de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le fasse connaître » (Éphésiens 1.16-17).
Par suite, là où il est question de « Jésus-Christ », on parle du « Dieu de Jésus-Christ » ; mais quand il est question de « gloire », on parle du « Père ». Celui donc qui pour le Christ, est Père sous l’angle de la gloire, est aussi Dieu pour le même Christ, en tant qu’il est Jésus. Jésus est en effet le nom qui fut donné par l’Ange au Christ Seigneur que Marie devait enfanter. Par ailleurs, le prophète l’appelle : « Christ-Seigneur-Esprit »[15].
[15] Cf. Lamentations 4.20 selon la Septante. Christ pour Hilaire désigne habituellement la divinité, Jésus, l’humanité.
On peut ajouter que dans la plupart des versions, si on lit ce texte de l’Apôtre dans le latin, ce passage est plus obscur, car la langue latine ne fait pas usage des articles qu’emploie toujours le grec, langue élégante où tous les mots ont leur portée. Le grec écrit : « Ο θεός τού κυρίου μών Ίησού χριστοϋ̦ ο ήπατρ τής δόξης ». Si le latin permettait l’emploi constant de l’article, il faudrait lire : « Ille Deus illius Domini nostri Jesu Christi, ille Pater illius claritatis ». Ces membres de phrase : « Ille Deus illius Jesu Christi », et : « Ille Pater illius claritatis », exprimeraient, dans la mesure où nous pouvons le comprendre, ce qui caractérise le Fils. Lorsqu’il s’agit de la gloire du Christ, Dieu est son Père ; mais lorsqu’il s’agit du Christ Jésus, le Père est son Dieu. Ainsi, puisqu’il est serviteur, Dieu est son Dieu, dans le plan divin de l’Incarnation, et puisqu’il est Dieu, Dieu est son Père, dans la gloire.
Or le cours du temps et la suite des âges ne nous offrent pas différents Esprits : c’est un seul et même Christ qui se montre dans la chair et qui demeure en Esprit dans les prophètes. Il parle en effet par la bouche du saint patriarche David en ces termes : « Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons » (Psaumes 44.8). Ce texte ne se rapporte pas à un autre mystère qu’à l’économie de l’Incarnation. Car celui qui envoie dire à ses frères que son Père est leur Père et que son Dieu est leur Dieu, se disait alors oint par son Dieu de préférence à ses compagnons. Le Christ, en tant que Fils Unique, n’a pas de compagnons, et pourtant nous lui en reconnaissons lorsqu’il a pris notre chair. Cette onction en effet, ne profite pas à ce Fils bienheureux et incorruptible qui demeure dans la nature de Dieu, mais au mystère de son corps entier, et à la sanctification de l’humanité qu’il a prise sur lui. L’Apôtre Pierre le certifie par ces mots : « En vérité, ils se sont en effet ligués dans cette ville contre ton saint Fils Jésus que tu as consacré par ton onction » (Actes 4.27). Et ailleurs : « Vous savez ce qui s’est passé dans toute la Judée : vous connaissez Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême prêché par Jean ; vous avez appris comment Dieu l’a oint de l’Esprit-Saint et de force » (Actes 10.37-38).
Jésus a donc été oint en vue du mystère qui régénère la chair. Et il n’y a pas lieu de douter qu’il fut oint de l’Esprit de Dieu et de force : lorsqu’il remonte du Jourdain, la voix de Dieu se fait entendre : « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré ! » (Luc 3.22) ; ainsi par ce témoignage qui assurait que le Christ avait une chair sanctifiée, l’on pouvait reconnaître chez lui l’onction d’une puissance spirituelle.
Par ailleurs, puisque : « Au commencement, le Verbe était près de Dieu » (Jean 1.1) l’onction de sa nature n’a pas à être expliquée ou racontée ; l’Evangéliste ne nous dit rien d’autre que : « Il était au commencement ». Et à vrai dire, Dieu le Fils n’avait pas besoin d’être oint par l’Esprit et la puissance de Dieu : il est l’Esprit et la Puissance de Dieu.
Dieu est donc oint de préférence à ses compagnons. Et s’il y a plusieurs oints selon la Loi avant l’Incarnation, le Christ qui maintenant est oint de préférence à ses compagnons, leur est postérieur dans le temps, tout en leur étant préféré. Aussi la parole du prophète nous dépeint-elle cette onction postérieure qui se fera dans le temps, en ces termes : « Tu as aimé la justice et tu as haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons » (Psaumes 44.8). Un fait postérieur et qui découle d’un autre, n’est jamais mentionné comme antérieur ; le mérite est toujours postérieur à l’existence de celui qui peut mériter. Car pour mériter, il faut qu’existe celui qui acquerra ce mérite.
Si donc nous rapportons l’onction à la naissance de Dieu, le Fils Unique, comme il a mérité cette onction par son amour de la justice et sa haine de l’iniquité, il faudra conclure que le Fils a été promu par cette onction, plutôt qu’engendré. Dès lors, le Fils qui ne serait pas né de Dieu, se verrait donc élevé à la dignité divine par cette promotion et cet accroissement d’être ; il aurait été oint comme Dieu à cause de son mérite ; et maintenant, on aurait un Christ-Dieu qui le serait en raison de quelque chose, et non pas un Christ-Dieu qui serait la raison d’être de tout. Comment dès lors, interpréter ce texte de l’Apôtre : « Tout a été créé en lui et par lui ; il est avant tout et tout subsiste en lui » (Colossiens 1.16-17) ?
Mais non, le Seigneur Dieu, Jésus-Christ, n’est pas établi Dieu pour quelque motif ou par suite de quelque circonstance, il est né Dieu. Et celui qui est Dieu par sa génération, n’est pas promu au rang de Dieu après sa naissance, pour quelque bonne raison ! Mais du fait qu’il est né, il n’est pas autre en naissant, que ce qu’est Dieu. Certes, son onction a un motif, mais le profit apporté par cette onction ne concerne pas celui qui n’a pas besoin de promotion ; il regarde celui qui, en raison du gain qui lui a été apporté par ce mystère, avait grand besoin du profit offert par cette onction, c’est-à-dire pour que le Christ, qui est homme avec notre humanité, soit sanctifié par cette onction.
Si donc le prophète manifeste ici encore, l’économie du Christ-serviteur, en raison de laquelle celui-ci est oint par son Dieu de préférence à ses compagnons, et si le motif pour lequel il est oint, c’est qu’il a aimé la justice et haï l’iniquité, pourquoi donc ce langage du prophète ne se rapporterait-il pas à cette nature selon laquelle le Christ a des compagnons par suite de son incarnation ? L’Esprit qui anime le prophète choisit avec le plus grand soin les termes qu’il emploie : puisque Dieu est oint par son Dieu, il en résulte que, selon le plan divin qui lui vaut cette onction, le Christ a un Dieu, mais que, selon sa propre nature, il est Dieu.
Dieu est donc oint. Mais je te pose cette question : Celui qui a été oint, est-ce Dieu le Verbe, celui qui était au commencement ? Certainement pas, car Fonction est postérieure à sa divinité. Puisque ce n’est pas le Verbe, né du Père, Dieu auprès de Dieu au commencement qui a été oint, c’est donc nécessairement ce qui lui est postérieur dans l’ordre de l’Incarnation, qui a reçu Fonction. Et puisque Dieu est oint par son Dieu, ce qui est oint en lui, c’est ce qui en lui est serviteur, cette nature qu’il a prise sur lui par le mystère de la chair.
Que personne donc ne profane en lui donnant un sens impie, ce grand mystère de la tendresse divine qui s’est manifesté dans la chair, et que nul ne s’égale au Fils Unique, sous le rapport de sa nature divine ! Que le Christ soit pour nous à la fois notre frère et notre compagnon, en tant que « Verbe fait chair qui habite parmi nous » (Jean 1.14), et en tant qu’il est « le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ » (1 Timothée 2.5). Qu’il partage avec nous qui sommes serviteurs, le même Père et le même Dieu !
Qui, il a été oint de préférence à ses compagnons, dans cette nature où tous participent à son onction, bien que lui, il ait été oint à un titre spécial. Il est oint dans ce mystère où il apparaît comme Médiateur, homme aussi véritable qu’il est vrai Dieu, Dieu né de Dieu, possédant avec nous le même Père et le même Dieu, dans cette communion avec nous qui le constitue notre frère.