Dire que le πνεῦμα ou l’esprit est une des substances constitutives de la nature humaine, c’est lui attribuer une essence distincte de celle de l’âme elle-même. Car de même que le corps est d’un ordre inférieur à l’âme, le πνεῦμα est d’un ordre supérieur. C’est ce qu’exprime déjà le texte classique de notre dissertation actuelle : 1 Corinthiens 15.45. Nous n’avons malheureusement pas de mot en français pour désigner la substance pneumatique ; le mot esprit s’y prête fort mal, puisque ce mot renferme les deux objets désignés par mens et par spiritus ; or l’esprit dont nous parlons ici est évidemment tout autre chose que la faculté de l’âme qui consiste à saisir les rapports des choses sensibles : c’est l’organe d’appropriation des faits célestes, éternels et divins. Il est vrai que la substance pneumatique paraît moins distante de la substance psychique que celle-ci de la substance matérielle. Mais comme nous l’avons remarqué déjà, c’est de la cohabitation, soit principielle, soit actuelle, du πνεῦμα que l’âme humaine tire sa valeur propre ; et, isolée du πνεῦμα, ou séparée d’avec lui, elle peut se confondre avec le corps lui-même sous la dénomination commune à l’un et à l’autre de chair. La chair, qui renferme l’âme et le corps, s’oppose au πνεῦμα qui peut bien renfermer l’âme et le corps même, mais l’âme déjà transformée et perfectionnée, et le corps spiritualisé et glorifié.
Le πνεῦμα ne s’oppose donc pas plus au corps qu’à l’âme ; il ne s’oppose dans l’Écriture qu’à la chair, qui, par le fait de cette opposition même, reste dans la catégorie de l’anormal (Romains 8.1-10). Mais il apparaît bien réellement pourtant comme une substance distincte de l’âme, de même que le corps, qui occupe le pôle opposé au πνεῦμα, se distingue à sa manière de l’âme.
L’élément pneumatique apparaît déjà dans l’A. T. soit comme élément universel et cosmique (Psaumes 104.30), soit comme propriété individuelle de l’homme. Il faut remarquer toutefois qu’il n’est conçu encore que comme facteur ontologique et principe vivificateur, plutôt que comme facteur moral et principe sanctifiant (Job 32.8 ; 33.4 ; Proverbes 20.27 ; 1 Rois 10.5).
L’esprit, dans le sens du N. T., ne doit donc pas se confondre avec le terme vulgaire d’intelligence ou de force vitale ; le πνεῦμα n’est pas le νοῦς. Auberlen a tort également selon nous d’identifier le πνεῦμα avec la conscience, en traitant l’un et l’autre sous le même titreb. La conscience est un organe originel et inné en tout homme ; de telle sorte qu’il n’est pas besoin d’une manifestation nouvelle et surnaturelle de la grâce divine pour la faire éclore, ou l’amener à son plein développement.
b – Göttliche Offenbarung, p. 25.
La conscience est en l’homme l’élément surnaturel de la première création, le πνεῦμα est celui de la seconde. L’esprit, qui est sans doute, comme nous l’avons accordé, déposé en principe ou plutôt en puissance dans la nature humaine originelle, n’arrive à son état parfait que par suite d’une nouvelle création, s’accomplissant dans le sein de la première.
En second lieu, la conscience n’est encore qu’un organe aperceptif et réceptif à l’égard des vérités morales et religieuses élémentaires. C’est un fait de savoir pur et simple. L’esprit est essentiellement créateur et productif dans l’ordre supérieur de la seconde création ; il apparaît toujours comme tel dans la terminologie scripturaire, et déjà dans le texte que nous venons de citer, 1 Corinthiens 15.45, où la forme factitive vivifiant est opposée à la forme simple vivant. C’est dans le même sens que Jésus dit à ses disciples : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Jean 6.63).
L’esprit n’est pas non plus un organe essentiellement intellectuel, produisant des théories et des doctrines ; c’est un principe de vie plutôt que de connaissance. L’esprit est chez l’homme plus qu’un organe aperceptif de l’ordre invisible ; il renferme plus qu’un témoignage. C’est un organe essentiellement dynamique, doué d’efficacité, apportant la puissance et la vie en même temps que la lumière et la vérité divines. Ce que nous pouvons accorder à Auberlen, c’est que la conscience originelle marque en l’homme la place qui sera occupée plus tard par l’esprit, et que l’esprit dans son plein développement et son plein épanouissement s’est substitué progressivement à la conscience, comme ce qui est parfait à ce qui est imparfait et élémentaire.
C’est ainsi que saint Paul parle plus d’une fois de sa conscience ; mais attribuer une conscience morale à Jésus-Christ nous paraîtrait une impropriété de langage, parce que, d’une part, dans la période psychique de son existence terrestre, il n’y avait pas chez lui, pas plus que chez l’homme primitif, écart entre la conscience morale et la conscience religieuse, et que dans son état glorifié il est appelé lui-même πνεῦμα (2 Corinthiens 3.17).
Le πνεῦμα est un organe qui ne peut apparaître chez le sujet qu’au terme du développement psychique de la personnalité humaine. Si nous en croyons le texte 1 Corinthiens 15.45, l’intervention du péché et de la chute n’a pas modifié d’une manière radicale la succession des phases de l’éducation morale de l’humanité. Dans l’état normal, comme dans l’état actuel, l’ère pneumatique devait succéder à l’ère psychique par suite d’une nouvelle création ; et, sans que nous ayons à décider ici si l’incarnation de Christ aurait eu lieu ou non sans le péché, nous ne pouvons douter que l’effusion surnaturelle de l’Esprit n’eût terminé la première période et inauguré la seconde dans l’humanité et dans chaque individu, comme cela eut lieu en la personne de Jésus lui-même à l’époque de son baptême.
Dans l’ordre supérieur qui lui correspond, l’esprit est tout à la fois organe de vérité et de vie (1 Corinthiens 12.11). Comme organe de vérité, c’est lui qui reçoit las révélations surnaturelles portant sur les vérités qui ne pouvaient être données ni par la raison, ni par l’expérience humaines, soit chez les auteurs et orateurs dits inspirés (Apocalypse 1.10 ; 1 Corinthiens 12.29 ; 14.12), soit chez les fidèles de tous les temps (1 Corinthiens 2.14). Comme organe de vie, il est le siège des dons surnaturels, dons des langues et des miracles (ch. 12 et 14), et des vertus permanentes et salutaires (Galates 5.22 ; Romains 8.1-11).
L’esprit humain étant en communication directe avec l’Esprit divin, la distinction très réelle qui existe entre l’un et l’autre n’est pas toujours facile à reconnaître (comp. Romains 8.4-5). Cependant la distinction est clairement établie, v. 16, ce qui prouve qu’il n’y a pas identité d’essence, mais affinité de nature entre l’un et l’autre. Ainsi, tout en étant divin par son origine, puisqu’il est le résultat d’une création surnaturelle et immédiate dans le cœur de l’homme, l’esprit est, en l’homme, mis à son service comme tout autre organe et dépendant de sa volonté, quant à l’usage qu’il en fait. Ailleurs (1 Corinthiens 2.11), la même fonction, soit en l’homme, soit en Dieu, est attribuée au πνεῦμα : celle de sonder les profondeurs de l’être, soit de l’homme, soit de Dieu. L’âme est dans ces moments-là, pour ainsi dire, tout entière passée dans l’esprit ; ainsi dans la vie du Seigneur : Luc 10.21 ; Jean 11.33.
Nous avons déjà établi le rôle du νοῦς ; par rapport à l’esprit dans les cas d’inspiration surnaturelle ; mais à mesure que l’inspiration ou l’habitation de l’Esprit de Dieu en l’homme devient plus constante, l’âme humaine s’exalte et se spiritualise d’une manière toujours plus continue, jusqu’au point où le surnaturel devient naturel au dedans d’elle, où l’état spirituel devient sa nature propre ; la volonté, qui dans le cours de la vie morale conditionne tout progrès, étant de plus en plus identique avec les choses spirituelles, en est venue à les vouloir et à les mettre en pratique par une nécessité nouvelle de nature ; la volonté humaine est élevée à la hauteur de l’ordre de l’esprit ; la loi de l’esprit devient sa propre loi et sa vie (Romains 8.3).
Cet état nouveau commence d’une manière effective en l’homme par la nouvelle naissance, et ne fait que croître en intensité et en étendue jusqu’au moment de l’accomplissement spirituel de la personnalité. Nous avons déjà remarqué que les êtres célestes sont appelés, purement et simplement, des esprits, lors même qu’ils ne vivent pas dépouillés de toute enveloppe matérielle, parce que la substance tout entière de leur être est pénétrée par la puissance spirituelle, mise à l’entière disposition de l’esprit, c’est-à-dire de la volonté sanctifiée du sujet.
Actuellement, une expérience incessante nous montre qu’il n’en est point ainsi de nous ; notre corps est soustrait, en ce qui concerne le jeu de ses organes et de ses fonctions, à l’action de l’intelligence et de la volonté, en sorte que ces fonctions sont un mystère pour la plupart de ceux chez qui elles s’exercent, quelques-unes même, et des plus essentielles, pour tous. Nous ne sommes maîtres que de nos sens, et encore dans des limites très restreintes, même dans le cas normal. Notre âme n’est pas non plus à la disposition pleine et incessante de l’esprit ; elle est sujette à des émotions, à des affections et à des passions dont nous ne sommes pas ou dont nous ne sommes plus les maîtres et qui constituent pour elle un véritable esclavage. Les anges et les élus seront au contraire les maîtres absolus de tous les organes de leur être, tant physique que psychique ; et, s’il est encore question de corps spirituels chez les êtres supérieurs et parfaits, nous ne voyons pas qu’une âme leur soit attribuée, l’âme étant chez eux passée en esprit d’une manière permanente.
Nous pourrions donc établir l’échelle des êtres relativement aux substances qui les constituent, en disant que l’animal possède un corps et une âme ; l’homme, le corps, l’âme et l’esprit ; l’ange et l’homme glorifié, l’esprit dans un corps spirituel ; tandis que Dieu est appelé d’une manière absolue l’Esprit.
Lorsque l’esprit ou la substance supérieure de l’être est détournée de sa destination, pervertie et faussée par une activité anormale, le péché de la créature arrive à son dernier degré d’intensité ; il y a des esprits pervers ; ce sont les êtres qui ont mis à la disposition de la mauvaise cause toutes les facultés et tous les organes qui les constituent, et qui font le mal avec une efficacité que rien n’arrête plus.