Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 2
Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. – 66 ap. J.-C.)

CHAPITRE 20
Évasions de Jérusalem. Cestius envoie son rapport à Néron. Massacre des Juifs de Damas. Désignation des généraux par les insurgés. Josèphe organise la défense en Galilée.

Évasions de Jérusalem. Cestius envoie son rapport à Néron.

1. Après le désastre de Cestius, beaucoup de Juifs de distinction s'échappèrent de la ville comme d'un navire en train de sombrer. Les frères Costobaros et Saül, accompagnés de Philippe, fils de Jacime, préfet de l'armée du roi Agrippa[1], s'enfuirent de Jérusalem et se rendirent auprès de Cestius. Nous dirons plus tard[2] comment Antipas, qui avait été assiégé avec eux dans le palais royal, dédaigna de fuir et fut tué par les révoltés. Cestius envoya Saül et ses compagnons, sur leur demande, en Achaïe auprès de Néron pour exposer au prince l'extrémité où ils étaient réduits et rejeter sur Florus la responsabilité de la guerre ; Cestius espérait ainsi diminuer son propre péril en détournant la colère de Néron sur ce dernier.

[1] D'après Vita, § 46 suiv., Philippe se serait sauvé plus tôt, cinq jours après la capitulation du palais royal (6 Gorpiéos).

[2] Cf. infra., IV, § 140.

Massacre des Juifs de Damas.

2. Sur ces entrefaites, les gens de Damas, en apprenant la défaite des Romains, s'empressèrent de tuer les Juifs qui habitaient chez eux. Comme ils les avaient déjà depuis longtemps enfermés dans le gymnase, à cause des soupçons qu'ils leur inspiraient ; ils pensèrent que l'entreprise n'offrirait aucune difficulté ; ils craignaient seulement leurs propres femmes, qui toutes, à peu d'exceptions près, étaient gagnées à la religion juive, aussi, tout leur souci fut-il de tenir secret leur dessein. Bref, ils se jetèrent sur les Juifs entassés dans un étroit espace et désarmés, et en une heure de temps les égorgèrent tous, impunément, au nombre de dix mille cinq cents.

Désignation des généraux par les insurgés.

3. Quand les rebelles qui avaient poursuivi Cestius furent de retour à Jérusalem, ils gagnèrent à leur cause les derniers partisans des Romains, par la force ou la persuasion, puis ils s'assemblèrent au Temple et désignèrent un plus grand nombre de généraux pour la conduite de la guerre. Joseph, fils de Gorion, et le grand-prêtre Anan[3] furent élus dictateurs de la ville, avec la mission principale d'exhausser les remparts. Quant à Eléazar, fils de Simon, quoiqu'il se fût approprié le butin des Romains, l'argent pris à Cestius et une grande partie du trésor public, ils ne voulurent cependant pas alors lui remettre les affaires, parce qu'ils devinaient son naturel tyrannique et que les zélateurs soumis à ses ordres se conduisaient comme des satellites. Mais il ne se passa pas longtemps avant que la pénurie d'argent et les promesses décevantes d'Eléazar décidassent le peuple à lui abandonner le commandement suprême.

[3] Anan, fils d'Anan, avait été créé souverain pontife par Agrippa II sous Albinus (Ant., XX, 197) ; il appartenait au parti sadducéen et inaugura son pontificat par le supplice de Jacques, frère de Jésus.

4. D'autres gouverneurs furent choisis pour l'Idumée, savoir Jésus, fils de Sapphas, un des grands-prêtres, et Eléazar, fils du grand-prêtre Ananias[4]. Celui qui jusqu'alors avait gouverné l'Idumée, Niger, dit le Péraïte parce qu'il était originaire de la Pérée au delà du Jourdain, reçut l'ordre de se subordonner aux nouveaux gouverneurs. On ne négligea pas non plus le reste du pays ; on envoya comme gouverneurs à Jéricho Joseph, fils de Simon ; dans la Pérée Manassès, et dans la toparchie de Thamna[5] Jean l'Essénien : ce dernier se vit assigner en outre Lydda, Joppé et Emmaüs. Jean, fils d'Ananias, fut désigné comme gouverneur des districts de Gophna et d'Acrabatène ; Josèphe, fils de Matthias[6], eut les deux Galilées auxquelles on ajouta Gamala, la plus forte ville de ces parages[7].

[4] Nous lisons avec Hudson Ἀνανίου au lieu de Νέου ou Ναίου des mss. Eléazar est le capitaine du Temple si souvent mentionné plus haut.

[5] Au N.-O. de Gophna, dans la « montagne d'Ephraïm ».

[6] C'est notre historien. Voir Vita, c, 7, le caractère prétendu pacifique qu'il assigne à sa mission.

[7] Gamala était située dans la Gaulanitide, fort à l'Est du Jourdain.

Josèphe organise la défense en Galilée.

5. Chacun de ces généraux s'acquitta de sa mission suivant son zèle et son intelligence. Quant à Josèphe, dès qu'il arriva en Galilée, il rechercha tout d'abord l'affection des habitants du pays, sachant qu'il y trouverait de grands avantages, quelque insuccès qu'il éprouvât par ailleurs. Il comprit qu'il se concilierait les puissants en les faisant participer à sa propre autorité, et le peuple entier, s'il lui commandait de préférence par l'intermédiaire d'hommes du pays, auxquels on était habitué. Il choisit donc dans la nation tout entière soixante-dix anciens des plus sages qu'il institua comme magistrats de toute la Galilée[8], et désigna dans chaque ville sept anciens ; ceux-ci jugeaient les menus procès ; quant aux affaires importantes et aux causes capitales, il ordonna de les déférer à lui-même et aux Septante.

[8] Cf. Vita, § 79.

6. Ayant ainsi établi les principes destinés à régir les rapports des citoyens entre eux, il s'occupa de leur sécurité extérieure. Prévoyant que la Galilée aurait à subir le premier assaut des Romains, il fortifia les places les mieux situées : Jotapata, Bersabé, Selamim, Kaphareccho, Japha, Ségoph, le mont Itabyrion, Tarichées, Tibériade, puis encore les cavernes de la basse Galilée près du lac Gennesareth et, dans la haute Galilée, la Roche dite Acchabarôn, Seph, Jamnith et Mérôth. Il fortifia encore dans la Gaulanitide Séleucie, Sogané, Gamala[9] ; seuls, les habitants de Sepphoris eurent l'autorisation de construire un mur pour leur propre compte, parce qu'il les voyait riches et pleins de zèle pour la guerre, même sans ses ordres[10]. Semblablement Jean, fils de Lévi, fortifia Gischala à ses frais sur l'invitation de Josèphe[11] ; celui-ci présida lui-même tous les autres travaux de fortification, en payant de sa personne et de ses avis. Il leva aussi en Galilée une armée de plus de cent mille jeunes gens qu'il équipa tous avec de vieilles armes rassemblées de tous côtés.

[9] Voir l'énumération des places fortifiées dans Vita, § 187-188, qui présente quelques différences avec celle-ci. Les cavernes près du lac sont, comme l'indique ce texte, les cavernes d'Arbéles, déjà mentionnées au temps d'Hérode (voir liv. I, XVI, 2).

[10] Affirmation d'autant plus suspecte que Sepphoris venait de recevoir Césennius Gallus à bras ouverts (supra, XVIII, 11). Dans la Vita, § 30 suiv., Josèphe raconte qu'il eut quelque peine à empêcher les Galiléens de saccager Sepphoris à cause des engagements de cette ville envers Cestius. Cf. aussi Vita, § 104 suiv. Sepphoris resta toujours de cœur avec les Romains et les rappela dès qu'elle le put.

[11] En réalité Jean était dès le début un ennemi déclaré de Josèphe et fortifia Gischala sans le consulter (Vita, § 45 et 189).

7. Il comprenait que les Romains devaient leur force invincible surtout à la discipline et à l'exercice ; s'il fallut renoncer à pourvoir ses troupes d'une instruction que l'usage seul fait acquérir, il tâcha du moins d'assurer la discipline qui résulte de cadres nombreux[12], en divisant son armée à la romaine et en lui donnant beaucoup de chefs. Il établit donc des différences entre les soldats, leur donna pour chefs des décurions, des centurions, puis des tribuns, et au dessus de ceux-ci des légats, avec un commandement plus étendu. Il leur enseigna la transmission des signaux, les appels de trompettes pour la charge ou la retraite, les attaques par les ailes et les manœuvres d'enveloppement, comment la portion victorieuse doit secourir celle qui est ébranlée, comment une troupe vivement pressée doit serrer les rangs. Il prescrivait tout ce qui contribue à entretenir l'endurance des âmes ou des corps ; mais surtout il exerçait ses hommes à la guerre en leur expliquant dans le détail la bonne ordonnance romaine, en leur répétant qu'ils auraient à lutter contre des hommes qui, par leur vigueur et leur constance, étaient devenus, ou peu s'en faut, les maîtres du monde entier. « J'éprouverai, ajouta-t-il, même avant le combat, votre discipline militaire en constatant si vous vous abstenez de vos iniquités habituelles, du brigandage, du pillage, de la rapine, si vous cessez de tromper vos concitoyens et de regarder comme un profit le dommage subi par vos plus intimes amis. Les armées les plus fortes à la guerre sont celles où tous les combattants ont la conscience pure ceux qui emportent de leurs foyers un cœur pervers auront à combattre non seulement leurs adversaires, mais encore Dieu lui-même ».

[12] Formule au moins singulière et qui semble indiquer que Josèphe n'avait guère pénétré le secret de l'organisation militaire.

8. Tels étaient les conseils qu'il donnait sans cesse. Il avait rassemblé et tenait toute prête au combat une armée de soixante mille fantassins[13] et de trois cent cinquante[14] cavaliers, en outre quatre mille cinq cents mercenaires où il mettait principalement sa confiance, et six cents gardes du corps, soldats d'élite groupés autour de sa personne. Les villes nourrissaient facilement ces troupes, sauf les mercenaires : chacune n'envoyait à l'armée que la moitié de la levée, gardant le reste pour leur procurer des subsistances ; de cette façon les uns étaient affectés au service des armes, les autres au labour, et, en échange du blé qu'envoyaient leurs frères, les soldats armés leur assuraient la sécurité.

[13] Il y en avait donc 40.000 en réserve puisque le nombre total était de « plus de 100.000 » (cf. supra., XX, 6).

[14] 250 suivant plusieurs manuscrits.

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