Dans la vieille demeure de Hangchow, M. McCarthy était occupé à écrire. Un soleil radieux s'était levé pour lui, ce soleil intérieur dont l'éclat fait toutes choses nouvelles. Il avait un ardent désir de le raconter à celui qui était à la fois son directeur et son ami, car il connaissait d'expérience les luttes intérieures par lesquelles passait Hudson Taylor. Mais il ne savait par où commencer ni comment exprimer cela avec des mots, et de pressants devoirs le réclamaient ailleurs.
Combien j'aimerais à m'entretenir avec vous maintenant de ce sujet de la sanctification qui a si souvent absorbé mes pensées ! Nous en avons maintes fois parlé ensemble, et j'ai eu à déplorer bien des tentatives infructueuses pour atteindre le but, beaucoup de troubles, beaucoup d'efforts stériles pour obtenir une communion permanente avec Dieu, cette communion parfois si réelle et plus souvent si vague, si lointaine. Eh bien ! cher frère, je crois maintenant que ces luttes, ces efforts, ces aspirations, cette attente de jours meilleurs, ne sont pas le vrai moyen de parvenir au bonheur, à la sainteté, à une vie utile. Cela vaut mieux assurément, beaucoup mieux que d'être satisfait des pauvres progrès que l'on peut constater ; mais ce n'est pourtant pas le meilleur chemin. J'ai été frappé par un passage du livre, que vous m'avez laissé, intitulé Christ est tout, où il est dit :
Recevoir le Seigneur Jésus, c'est la sainteté commencée. Chérir le Seigneur Jésus, c'est le progrès dans la sainteté. Compter sur le Seigneur Jésus toujours présent, ce serait la sainteté complète... Cette grâce de la foi est la chaîne qui lie l'âme à Christ et fait que le Sauveur et le pécheur font un... Un canal est alors ouvert par lequel la plénitude de Christ est répandue abondamment en nous. Le sarment stérile devient une portion du cep fécond. Une seule et même vie circule dans la plante entière.
Vous vous lamentez sur vos chutes, sur vos imperfections ; vous haïssez le péché, ce monstre qui veut vous dominer. Il y a pour vous en Christ un secours efficace...
Ceux qui sentent le plus profondément qu'ils sont morts en Christ et qu'ils ont subi en Sa personne le châtiment du péché, atteignent les plus hauts sommets de la vie divine. Celui-là est le plus saint qui possède le mieux Christ au-dedans de lui et qui se réjouit le plus complètement dans Son œuvre accomplie. C'est l'imperfection de la foi qui entrave la marche et est la cause de beaucoup de chutes.
Voilà ma conviction profonde aujourd'hui... Il faut, non pas faire de grands efforts et soutenir de grandes luttes nous-mêmes, mais demeurer en Christ, regarder à Lui, se confier à Lui pour vaincre notre nature corrompue, se reposer sur l'amour d'un Sauveur tout puissant, dans la joie consciente d'un salut complet, de la délivrance « de tout péché » (c'est Sa Parole) ; vouloir que Sa volonté soit notre souveraine absolue, — cela n'est pas nouveau, mais c'est nouveau Pour moi. Je vois, comme si la première lueur du jour s'était levée pour moi. Je la salue avec tremblement et pourtant avec confiance. Je n'ai vu de cet océan que les bords, mais ce sont les bords d'un océan sans limites. Que Christ soit littéralement notre tout, voilà, me semble-t-il, le seul secret de la puissance, le seul fondement d'une joie immuable. Puisse-t-Il nous aider à expérimenter Son insondable plénitude !
Comment donc notre foi peut-elle être augmentée ? Simplement en réfléchissant à tout ce que Jésus est, et à tout ce qu'Il est pour nous, en faisant de Sa vie, de Sa mort, de Son œuvre, de Lui-même tel qu'Il nous est révélé dans Sa Parole, le sujet constant de nos pensées. Il ne s'agit pas de lutter pour avoir la foi, ou pour accroître notre foi, mais tout ce dont nous ayons besoin, me semble-t-il, c'est de regarder à Celui qui seul est le Fidèle, de nous reposer entièrement sur le Bien-aimé, pour le temps et pour l'éternité.
La vie d'Hudson Taylor était, à cette époque surtout, singulièrement remplie. Revenu de son voyage aux plus anciennes stations, il devait aller et venir entre Yangchow et Chinkiang, appelé là par les soins d'une Église grandissante, ici par les travaux d'imprimerie et les soins de la direction générale. Il y avait eu récemment des baptêmes à Yangchow et M. Judd était heureux de l'aide qu'il pouvait lui donner en s'occupant des nouveaux convertis. Chacun était éprouvé par la chaleur de l'été, et Hudson Taylor lui-même avait été mis à l'écart par une grave maladie au milieu du mois d'août. Au début de septembre, il était en convalescence et essayait de reprendre le travail accumulé. De jeunes missionnaires venaient d'un côté ou de l'autre chercher auprès de lui des directives. Mme Judd était dangereusement malade et réclamait des soins assidus. Le moment n'était pas favorable à une crise spirituelle profonde.
Et pourtant, ce fut au milieu de ces circonstances mêmes que cette crise se produisit. Hudson Taylor revenait d'une course rapide à Yangchow où il avait été voir sa malade, Mme Judd. Sur le petit bateau à vapeur qui le ramenait à Chinkiang il eut une heure de méditation et de prière, éprouvant une tristesse profonde, presque du désespoir, en constatant que la face de son Maître lui était voilée à nouveau. Il avait joui intimement de Sa présence, et l'interruption de cette communion lui était d'autant plus pénible. C'est l'épouse, qui gémit sur l'absence de son époux et non une personne qui n'a pas connu son amour.
Arrivé dans la petite maison de Chinkiang, il se retira dès qu'il le put dans son cabinet pour vaquer à sa correspondance. Ce fut là, au milieu d'une pile de lettres, qu'il trouva celle de M. McCarthy que nous avons citée. Il la lut attentivement, et, « en lisant cette lettre, dit-il, la lumière se fit dans mon âme. Je regardai à Jésus et quand je Le vis, oh ! quelle joie m'inonda ! »
C'était le samedi 4 septembre 1869. La maison était pleine, de nouveaux hôtes étaient attendus. Qu'importait ? il fallait tous les retenir pour le dimanche, car il était impossible de ne pas leur faire partager une telle joie1. Sortant de la chambre où son âme venait d'être illuminée, nouvel homme dans un monde nouveau, Hudson Taylor brûlait du désir de dire ce que le Seigneur avait fait pour lui. Il prit la lettre de M. McCarthy, et une de Mlle Faulding, écrite dans le même esprit et, réunissant au salon toute la maisonnée, il fit un récit que sa vie entière allait confirmer jusqu'à son glorieux terme. Bien des cœurs furent touchés et reçurent à cette heure une grande bénédiction. Les « fleuves d'eau vive » dont parle Jésus commencèrent à couler de tous côtés de cette modeste demeure de Chinkiang et coulent encore. Car, Jésus a dit : « Quiconque boit de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif, mais l'eau que je lui donnerai sera en lui une source d'eau vive jaillissant en vie éternelle. »
Les lettres d'Hudson Taylor, même ses lettres d'affaires, prirent dès lors un ton nouveau. Il lui était impossible de ne pas donner essor à la joie et à la vie qui débordaient de son âme. Il écrivait le 6 septembre :
Ma chère sœur. Nous avons passé hier ici une très heureuse journée. La lecture d'une lettre de M. McCarthy a été bénie pour plusieurs d'entre nous. Lui-même et Mlle Faulding paraissent si heureux !... Ce qui m'a surtout fait du bien, c'est l'assertion que voici : « Comment donc notre foi peut-elle être augmentée ? Simplement en réfléchissant à tout ce que Jésus est, et à tout ce qu'Il est pour nous, en faisant de Sa vie, de Sa mort, de Son œuvre, de Lui-même tel qu'Il nous est révélé dans Sa Parole le sujet constant de nos pensées. Il ne s'agit pas de lutter pour avoir la foi, ou pour accroître notre foi, mais tout ce dont nous avons besoin, me semble-t-il, c'est de regarder à Celui qui seul est Le Fidèle. »
Là, je pense, est le secret : non pas me demander comment je puis tirer du cep la sève pour la faire circuler en moi, mais me souvenir que Jésus est le cep, la racine, le tronc, les branches, les feuilles, les fleurs, le fruit, tout en vérité, oui, et beaucoup plus encore. Il est le sol et le rayon de soleil, l'air et la pluie, plus que tout ce que nous pouvons demander, penser ou désirer. Dès lors, ne cherchons rien hors de Lui, mais réjouissons-nous d'être nous-mêmes en Lui, un avec Lui et par conséquent un avec toute Sa plénitude. N'attendons pas que la foi produise la sainteté, mais réjouissons-nous de la parfaite sainteté en Christ comme d'un fait ; réalisons qu'étant un avec Lui d'une manière inséparable, cette sainteté est la nôtre et, acceptant ce fait, nous en constaterons la réalité.
Quand il revint à Yangchow pour voir sa malade, il était si plein de joie, au dire de M. Judd, que lorsque les deux amis se rencontrèrent, Hudson Taylor ne savait comment lui parler. Il ne prit même pas le temps de le saluer mais, se promenant de long en large dans la chambre, les mains derrière le dos, il s'écria : « Oh! M. Judd, Dieu a fait de moi un nouvel homme ! Dieu a fait de moi un nouvel homme ! »
Le jeune missionnaire fut profondément impressionné par le changement survenu chez son bien-aimé directeur. Lui aussi, comme tant d'autres, savait tout cela en théorie, sans l'avoir jamais réellement expérimenté. Il n'oublia jamais les paroles qui suivirent :
Je n'ai pas à faire de moi un sarment. Je le suis, du moment que Jésus me le dit. Je suis une partie de Lui-même ; à moi de le croire et d'agir en conséquence. Si je vais à la banque de Shanghaï avec un chèque de cinquante dollars, le caissier ne peut pas refuser cet argent à ma main tendue, sous prétexte qu'il appartient à Hudson Taylor. Ce qui est à Hudson Taylor, ma main peut le prendre. Elle est un membre de mon corps. Et je suis un membre de Christ, et je puis prendre de Sa plénitude tout ce dont j'ai besoin. Il y a longtemps que j'ai vu cela dans la Bible, mais je le crois maintenant comme une vivante réalité.
Si simple que fût cette nouvelle manière de voir, elle amenait dans toute sa vie un changement complet.
C'est maintenant un homme joyeux, écrivait M. Judd, un chrétien épanoui, heureux. Autrefois il portait un lourd fardeau et son âme ne goûtait pas beaucoup de repos. Maintenant il se repose en Jésus, et Le laisse accomplir Son œuvre ; cela fait toute la différence. Quand il parle en public, il le fait avec une puissance nouvelle et les inquiétudes de la vie ne le tourmentent plus comme auparavant. Il se décharge sur Dieu d'une manière efficace et consacre plus de temps à la prière. Au lieu de travailler tard le soir, il prend l'habitude de se coucher plus tôt et de se lever à cinq heures du matin pour consacrer deux heures à la lecture de la Parole de Dieu et à la prière avant le travail de la journée. Ainsi il nourrit son âme et des fleuves d'eau vive découlent de lui pour les autres.
Six semaines après ces expériences, alors qu'Hudson Taylor se réjouissait dans cette vie nouvelle, il reçut d'Angleterre une lettre qui le toucha d'une façon toute particulière. Elle venait de sa sœur Amélie, Mme Broomhall, son amie intime, la confidente des premières années. Elle avait maintenant une nombreuse famille et de lourdes responsabilités et, comme lui-même autrefois, elle connaissait les luttes intérieures plutôt que le repos dans les choses spirituelles. Désirant ardemment venir en aide à sa sœur bien-aimée, il prît la plume pour lui raconter l'histoire de sa détresse et de sa délivrance et lui adressa une lettre précieuse, reproduite ici en grande partie malgré quelques répétitions.
Chinkiang, le 17 octobre 1869.
Merci beaucoup de ta bonne longue lettre... Je ne pense pas que tu m'aies jamais écrit une lettre comme celle-là depuis que je suis en Chine. Je sais qu'il en est pour toi comme pour moi : tu ne peux pas, et non tu ne veux pas. L'esprit et le corps ne peuvent dépasser une certaine somme d'effort et ne peuvent pas faire plus qu'une certaine quantité de travail. Pour ce qui est du travail, le mien n'a jamais été si abondant, si plein de responsabilités et de difficultés. Mais le fardeau et la tension ont complètement disparu. Le dernier mois, ou un peu plus, a été peut-être le plus heureux de ma vie. Il me tarde de te dire un peu ce que le Seigneur a fait pour mon âme. je ne sais si je pourrai me faire comprendre, car il n'y a là rien de nouveau, ou d'étrange, ou de merveilleux. Et cependant, tout est nouveau ! En un mot, tandis qu'autrefois j'étais aveugle, maintenant je vois.
Il y avait bien six ou huit mois que, pour moi-même et pour notre Mission, pour moi surtout, je sentais le besoin de plus de sainteté, de plus de vie, de plus de puissance. je comprenais l'ingratitude, le danger, le péché de ne pas vivre plus près de Dieu. Je priais, je luttais, je jeûnais, je gémissais, je prenais des résolutions, je lisais la Parole de Dieu plus diligemment, je mettais plus de temps à part pour la méditation... Mais tout cela sans résultat. Le sentiment de mon péché m'oppressait. Je savais que si je pouvais simplement demeurer en Christ, tout irait bien, mais je ne le pouvais pas. Chaque jour amenait son cortège de chutes et d'insuccès. Le vouloir était bien en moi, mais je ne trouvais pas la force de l'accomplir.
Alors je me demandai : n'y a-t-il pas de remède ? Sera-ce ainsi jusqu'à la fin : des conflits incessants, aboutissant trop souvent, non à la victoire, mais à la défaite ? Comment prêcher aux autres une délivrance que je n'obtenais pas pour moi-même ?... Je me haïssais, je haïssais mon péché et j'étais sans force pour le vaincre. Je me savais un enfant de Dieu, mais j'étais entièrement impuissant à m'élever à la hauteur de mes privilèges... Je pensais que la sainteté, une sainteté pratique, devait être atteinte graduellement, par l'usage diligent des moyens de grâce. Je savais bien qu'il n'y avait rien dans ce monde que je désirasse autant que cela, rien dont j'eusse autant besoin. Mais j'étais si loin d'y atteindre. Plus je luttais, plus le but s'éloignait, à tel point que j'étais presque désespéré. Je me disais que, pour rendre son ciel plus doux, Dieu voulait peut-être nous refuser d'en jouir ici-bas...
Je ne veux pas dire que, pendant ces longs mois de combats, ce fût là mon état continuel. Non, certes : parfois j'avais des temps de paix, et même de joie dans le Seigneur. Mais c'était une paix et une joie intermittentes qui ne me donnaient pas la puissance spirituelle. Oh ! combien le Seigneur a été bon de mettre un terme à ces douloureux conflits !
Je savais bien qu'en Christ se trouvait tout ce dont j'avais besoin, mais comment me l'approprier ? Il était riche, moi pauvre ; Lui fort, moi faible. Dans le cep, se trouvait une sève riche et féconde, mais comment la faire passer dans le sarment maigre et chétif ? Graduellement se faisait en moi un peu de lumière. Je voyais bien que C'était par la foi que je pouvais participer à la plénitude de Christ, mais je n'avais Pas cette foi...
L'agonie de mon âme était à son comble, quand Dieu se servit d'une phrase contenue dans la lettre du cher McCarthy, pour faire tomber les écailles de mes yeux. Le Saint-Esprit me révéla, comme je ne l'avais jamais compris, la grande vérité que nous ne sommes qu'un avec Jésus. Il ne s'agit pas, disait-il, de lutter, de peiner, pour avoir la foi, il suffit de se reposer sur Celui qui est Fidèle...
La lumière jaillit tout à coup devant moi. Je regardai à Jésus, et je vis (et quand je vis, quelle joie m'inonda !) qu'il avait dit : Je ne te laisserai point. Oh ! pensai-je, là est le repos. Je me suis efforcé en vain de me reposer en Lui, je ne m'efforcerai plus désormais, car n'a-t-Il pas promis de demeurer avec moi, de ne jamais m'abandonner ? Non, ma chère, Il ne le fera jamais.
Mais ce n'est pas là la moitié de ce que Christ me montra... En méditant la parabole du cep et des sarments, je vis que non seulement Il ne m'abandonnerait jamais, mais que j'étais un membre de Son corps, de Sa chair et de Ses os...
Oh ! ma chère sœur, quelle chose merveilleuse d'être réellement un avec un Sauveur ressuscité et glorieux, d'être un membre de Christ ! Pense à ce que cela implique. Christ peut-Il être riche et moi pauvre ? Ta main droite peut-elle être riche et la gauche pauvre ? Ou ta tête bien nourrie pendant que ton corps meurt de faim ? Et songe à ce que cela entraîne pour la prière. Un employé de banque peut-il dire à un client : « C'est seulement votre main qui a écrit ce chèque, ce n'est pas vous », ou bien : « Je ne puis pas payer cette somme à votre main, mais seulement à vous-même ? » Donc une prière présentée au nom de Jésus ne saurait être repoussée aussi longtemps que nous nous tenons dans les limites du crédit que Jésus nous a ouvert par Sa parole (ce crédit est assez étendu, n'est-il pas vrai ?). Si nous demandons une chose qui n'est pas selon l'Écriture ou qui n'est pas en accord, avec la volonté Dieu, Christ Lui-même ne pourrait pas l'accomplir. Mais, « si nous demandons quelque chose selon Sa volonté, Il nous écoute... et nous savons que nous avons les choses que nous Lui demandons ».
Ce qu'il y a de plus précieux, dans ces vérités toutes si précieuses, c'est le repos que procure la complète identification avec Christ. Rien ne me donne plus aucune anxiété car Il a, Lui, la puissance d'accomplir Sa volonté, et Sa volonté c'est la mienne. Qu'importe à mon serviteur que je l'envoie faire des achats pour quelques sous ou pour une forte somme ? Il compte sur moi pour payer, dans un cas comme dans l'autre. Si Dieu permet une grande détresse, ne me donnera-t-Il pas pleine assistance ; des situations difficiles, beaucoup de grâce ; des circonstances accablantes et des épreuves, une grande force ? Pas de crainte, Ses ressources seront égales aux besoins. Et toutes Ses ressources sont à moi parce qu'Il est à moi, avec moi et en moi. Tout cela résulte de l'union du croyant et de Christ. Et depuis que Christ habite ainsi dans mon cœur par la foi, comme je suis heureux ! J'aimerais pouvoir te le dire plutôt que te l'écrire.
Je ne suis pas meilleur qu'auparavant (en un sens je ne désire pas l'être, ni m'efforcer de l'être), mais je suis mort et enseveli avec Christ, oui, et aussi ressuscité et assis dans les lieux célestes, et Christ vit en moi et « la vie que je vis dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré Lui-même pour moi ». Je crois maintenant que je suis mort au péché. Dieu me considère comme tel, et me dit de le reconnaître aussi... Je sens et je sais que les choses anciennes sont passées. Je suis capable de pécher autant qu'avant, mais j'expérimente la présence de Christ comme jamais auparavant. Il ne peut pécher, et Il peut me préserver du péché. Je ne puis dire (je suis triste de devoir le confesser) que je n'aie plus péché depuis que j'ai compris ces choses ; mais je vois qu'il n'était pas nécessaire qu'il en fût ainsi. En outre, étant davantage dans la lumière, ma conscience a été plus sensible ; le péché a été immédiatement reconnu, confessé, pardonné ; la paix et la joie avec l'humilité sont revenues. Un jour, cependant, la paix et la joie ne revinrent pas durant plusieurs heures parce que je n'avais pas pleinement confessé ma faute et avais tenté de me justifier.
La foi, je le saisis maintenant, est la substance des choses que l'on espère, et non leur ombre simplement. Elle n'est pas moins que la vue, mais plus. La vue s'arrête à la forme extérieure des choses, mais la foi en donne la substance. Tu y trouves repos et nourriture ; Christ habitant dans le cœur par la foi est véritablement puissance et vie. Christ et le péché ne peuvent cohabiter, et nous ne pouvons avoir Sa présence avec l'amour du monde...
Maintenant je dois terminer. Je ne t'ai pas dit la moitié de ce que je désirais te confier. Que Dieu te donne de tenir par-dessus tout à ces précieuses vérités. Ne continuons pas à dire, en somme : « Qui montera au ciel, c'est-à-dire pour en faire descendre Christ ? » En d'autres termes, ne Le considérons pas comme quelqu'un de distant quand Dieu a fait de nous une même plante avec Lui, membres de Son propre corps. Ne croyons pas non plus que ces expériences soient réservées à une minorité. Elles sont pour chaque enfant de Dieu, et personne ne peut s'en priver sans déshonorer notre Seigneur. La seule puissance pour la délivrance du péché ou pour le vrai service, c'est CHRIST.
Cette bénédiction résista à l'épreuve des jours qui allaient suivre. Hudson Taylor aurait pu dire comme Georges Müller : « Quand même j'aurais la force de travailler vingt-quatre heures par jour, je ne pourrais pas faire la moitié de ce qu'auraient à faire mes mains, mes pieds, ma tête et mon cœur. » Mais il aurait pu ajouter : « Cependant, avec tout cela, je regarde comme mon premier devoir, et comme l'affaire la plus importante de chaque journée, d'obtenir une bénédiction pour ma propre âme. Que mon âme soit d'abord heureuse dans le Seigneur, puis viendra le travail et un travail auquel je m'appliquerai tout entier. » Ses lettres montrent quel travail absorbant et varié était à ce moment le sien, et que « la joie de l'Éternel était sa force ». « Il me rend heureux tout le long du jour », écrivait-il à M. Berger. « l rend pour moi le travail léger et me donne la joie de Le voir bénir les autres. Je n'ai aucune crainte, à présent, que la charge de notre œuvre soit trop lourde pour Lui. » Il écrivait le 18 octobre à M. Reid à Nanking :
Mon cœur est rempli pour vous tandis que je vous écris. Le travail est pressant, mais il ne diminue aucunement ma joie dans le Seigneur...
Et le même jour à M. Cordon :
Mon âme est si heureuse dans le Seigneur ! Quand je pense à la bénédiction qu'Il m'a donnée dans cette belle journée où nous étions tous réunis, je ne sais comment Le remercier et Le louer assez. Jésus est véritablement Celui dont nos âmes ont besoin. Il est le grand don de l'amour de notre Père — qui L'a donné pour nous et nous fait un avec Lui dans Sa vie de résurrection et dans Sa puissance... Les fonds de la Mission sont plus bas qu'ils ne l'ont jamais été dans le passé.
Et de Yangchow, le 27 octobre :
Notre œuvre ici est fort encourageante. Nous ne saurions assez en bénir Dieu. Cinq personnes ont été baptisées ; huit vont l'être bientôt, et nous comptons que plusieurs autres suivront sous peu... Je crois fermement que nous verrons de grandes choses, car nous sommes un avec Jésus.
À M. Jackson à Taichow, le 30 octobre :
Je voudrais vous demander de vous souvenir devant Dieu de l'état de notre caisse. Jamais nos fonds n'ont été aussi bas. Toutefois nous n'avons pas été abandonnés, nous ne le sommes pas, et ne le serons assurément jamais, si nous avons de la foi comme un grain de semence de moutarde... Les précieuses vérités dont nous nous sommes entretenus me rendent heureux tout le long du jour. J'espère qu'il en est ainsi pour vous.
On a quelque peine à comprendre, quand on l'entend parler de son travail, qu'un seul homme ait pu y suffire. Ce labeur, même en ce qu'il avait de matériel, était pour lui une source de joie, puisqu'il était fait pour Dieu et pour ses frères.
Je viens de recevoir sept portions différentes de l'Ancien et du Nouveau Testament (des livres entiers), et de longs traités en différent, dialectes, avec prière de les examiner et de les corriger. Il y a là (si même je puis le faire) du travail pour des semaines, sinon pour des mois. Et je devrai probablement partir ce soir pour une de nos plus lointaines stations afin de voir un des nôtres, malade.
Au mois de novembre, des nouvelles très inquiétantes arrivèrent d'Anking, la station la plus éloignée dans l'intérieur. Hudson Taylor était en voyage et ne pouvait recevoir de lettres, quand il entendit de vagues rumeurs d'après lesquelles M. et Mme Meadows et M. Williamson auraient été assassinés.
En proie à une incertitude qui serait devenue de l'angoisse s'il n'avait pas compté sur Dieu, il écrivait en rentrant à Chinkiang en toute hâte :
Que dirons-nous ? « Père, glorifie ton nom » ; bien que la chair soit faible et tremble. Jésus est notre force. Ce que nous ne pouvons faire ni supporter, Lui peut le faire et le supporter en nous. Nous ne sommes pas à nous-même, et l'œuvre non plus n'est pas la nôtre. Celui à qui nous sommes et que nous servons se montrera à la hauteur des circonstances.
À son grand soulagement, il apprit que ces bruits étaient exagérés. L'émeute avait été sérieuse, mais les missionnaires étaient en vie et les enfants n'avaient souffert aucun dommage. Pourtant l'affaire n'était pas finie et l'on pouvait craindre qu'elle n'eût des répercussions en Chine et en Europe. Déjà les critiques malveillantes avaient amené une sérieuse diminution dans l'apport des dons. En quatre mois, de mai à septembre, on avait reçu mille livres de moins que pendant la même période de l'année précédente. Il y aurait eu là, pour Hudson Taylor, une source de vive anxiété si la bénédiction dont il avait été l'objet n'avait produit ses fruits de paix.
Vous pouvez faire allusion à l'état de nos finances en écrivant aux divers membres de la Mission, confiait-il à M. Berger en décembre, non pas pour les décourager, mais plutôt pour qu'ils se détournent de l'homme pour regarder à Dieu, le Tout-Puissant, Celui qui ne fait jamais défaut.
Oh ! cher frère, la seule chose qu'il nous faut, c'est d'être amenés à expérimenter d'une façon plus vivante la proximité de Christ et notre union avec Lui. Presque toutes nos difficultés auraient été prévenues, ou affrontées dans de meilleures conditions si cela avait mieux été ancré dans notre esprit. Des difficultés plus grandes et plus redoutables que jamais s'amassent autour de moi. Ces derniers mois, j'ai eu un travail sans précédent, beaucoup de sujets de préoccupation et des voyages constants. Mais j'ai eu plus de tranquillité d'âme, plus de repos d'esprit et plus de joie dans le Seigneur que jamais auparavant. Si une autre tempête devait éclater à propos de l'émeute d'Anking, ne vous laissez pas abattre. La force du Seigneur nous rendra capables de supporter beaucoup plus que ceci. Dieu a triomphé de l'opposition des juifs et des Romains coalisés. Il en triomphera encore.
À sa mère, il écrivait :
Je suis plus heureux dans le Seigneur que je ne l'ai jamais été... Les choses peuvent, à beaucoup d'égards, aller tout autrement que nous le désirerions ; mais si Dieu permet ou ordonne qu'elles soient ainsi, moi je puis bien en être content. À moi d'obéir, à Lui de diriger. Je puis donc non seulement me résigner à ce qu'il nous arrive à Anking, mais en être pleinement satisfait, ne pas désirer autre chose et remercier Dieu de tout.
Effectivement, grâce à Dieu, non seulement les missionnaires furent bientôt réinstallés à Anking, mais cette ville devint le point de départ d'une nouvelle avance et comme Yangchow, le siège d'un home destiné à la préparation des missionnaires.
Noël approchait. Ce fut un temps de grande joie pour M. et Mme Taylor et leur famille réunis à Yangchow. La fête ne se déroula pas autour d'un roast-beef ou d'un succulent plum-pudding, ainsi qu'on peut en juger par les souvenirs de M. C. T. Fishe, récemment arrivé d'Angleterre :
J'étais bien jeune alors, écrivait-il, et je fus très touché de l'amabilité de M. Taylor qui se montra très bon pour moi. Je l'aidais dans son œuvre médicale et étais beaucoup avec lui à Yangchow. Il me dirigeait dans mes études. Naturellement, c'était un homme très occupé, mais il paraissait jeune et plein d'entrain. Il aimait à jouer avec ses enfants et l'on eut dit d'un homme affranchi de tout souci. Il se plaisait à faire de la musique et avait l'habitude de jouer de l'harmonium, le dimanche soir, pour les Chinois auxquels il faisait chanter des cantiques. Son thème favori, en ces jours-là, était le chapitre quinze de jean dont il faisait ses délices. Chaque jour nous avions à midi une réunion de prières, et l'on sentait que sa vie spirituelle faisait de grands progrès.
Quant à notre nourriture, elle était exclusivement chinoise. Je me souviens de la peine que nous avions à trouver un couteau, une fourchette et une cuillère quand un étranger, inexpérimenté dans l'art de manier les bâtonnets, venait à Yangchow. Le lait condensé n'était pas sur le marché, en ce temps-là, et on n'utilisait que peu ou pas de provisions d'origine étrangère. Cependant nous considérions comme un luxe un grand baril de mélasse que le Lammermuir nous avait apporté récemment. Cette mélasse, mélangée au riz, était fort appréciée.
Cependant la baisse des fonds se faisait sentir, et tous les membres de la famille réduisaient autant que possible les dépenses personnelles afin de pouvoir venir en aide à leurs compagnons d'œuvre. Hudson Taylor congédia son cuisinier et trouva moins coûteux de faire venir, toute prête, d'une auberge voisine, la nourriture à raison d'un dollar par personne et par mois. « Prions avec foi pour nos fonds, disait-il, afin de ne pas avoir à réduire notre œuvre. » Il pouvait accepter avec joie une diminution de confort, mais non une, réduction de son œuvre. Cette réduction, Dieu merci, il n'eut jamais à l'opérer. Quatre shillings par personne et par mois pour les dépenses du ménage et la nourriture apportée toute prête, pourraient paraître à certains une rude « privation de missionnaire ». Mais nos amis étaient parfaitement heureux dans leur milieu chinois, en contact étroit avec le peuple et en intime communion avec le Seigneur.
Et voici que, la veille du jour de l'An, une surprise arriva, aussi agréable qu'inattendue, qu'ils considérèrent à juste titre comme un heureux présage. M. Georges Müller s'était senti pressé, non seulement de prier avec une ferveur nouvelle pour la Mission, mais de lui venir en aide plus efficacement. Il s'était procuré les noms des ouvriers qu'il n'avait pas encore secourus et envoyait pour eux onze chèques de dix ou de vingt-cinq livres, le total s'élevant à deux cent trente livres. Cet envoi était accompagné d'une lettre qu'il priait Hudson Taylor de reproduire pour l'envoyer à chacun des intéressés auxquels il tenait à témoigner une affectueuse sympathie. Cette sympathie, venant d'un tel homme de Dieu, multipliait singulièrement la valeur du don.
Mon principal but, disait-il dans cette lettre, est de vous dire que je vous aime dans le Seigneur, que je suis avec un profond intérêt l'œuvre de la Mission à l'Intérieur de la Chine, et que je prie pour vous chaque jour. J'ai pensé qu'au milieu de vos épreuves, de vos tribulations et de vos désappointements, ce serait un grandi encouragement de savoir qu'il y a ici quelqu'un dont le cœur bat pour vous et qui se souvient de vous devant le Seigneur. Mais alors même qu'il en serait autrement et que vous n'eussiez personne s'intéressant à vous ou vous témoignant cet intérêt, vous auriez toujours le Seigneur auprès de vous. Souvenez-vous de l'expérience de Paul à Rome (2 Tim. 4.16, 18). Comptez sur Lui, regardez à Lui, appuyez-vous sur Lui, et soyez assurés que si vous marchez avec Lui, et attendez de Lui le secours, Il ne vous fera jamais défaut. C'est là l'expérience d'un frère aîné qui connaît le Seigneur depuis quarante ans et qui peut dire que, dans les plus grandes difficultés, dans les plus lourdes épreuves, dans la plus profonde pauvreté, Dieu ne l'a jamais abandonné. Je me réjouis de donner gloire à Son Nom.
Ajoutons que pendant les quelques années qui suivirent, les dons de M. Georges Müller pour la Mission à l'Intérieur de la Chine s'élevèrent annuellement à près de deux mille livres. En 1870, il envoya à Hudson Taylor mille neuf cent quarante livres. Il aidait généreusement vingt-et-un missionnaires qui, avec douze femmes, constituaient l'effectif total de la Mission, soit trente-trois personnes y compris M. et Mme Taylor.
1 On relève dans le journal de Mlle Blatchley l'inscription suivante, sous la date du 4 septembre :
M. Taylor est arrivé ici (Chinkiang) au moment du déjeuner. Il avait rencontré les amis Duncan qui revinrent avec lui. Peu après M. et Mme Cordon arrivaient aussi... Tous restent avec nous pour le dimanche afin de prier spécialement au sujet de la sainteté.
Une lettre de M. McCarthy sur ce thème attendait M. Taylor, et Dieu l'a employée comme un moyen de bénédiction pour lui. Lui aussi a reçu maintenant le repos que Jésus m'a donné il y a quelque temps. M. McCarthy et Jennie (Mlle Faulding) paraissent tous deux l'avoir trouvé, comme aussi Mlle Desgraz avant notre retour du Sud...