(Automne 1533)
Montmorency – Le prieur d’Issoudun – La police envahit le collège – Arrestation du maître et des acteurs – Le jugement de la Sorbonne dénoncé au recteur – Discours du recteur Cop – La Sorbonne désavoue l’acte – Discours de Le Clerq – L’Université fait ses excuses – Mouvement de réformation en France – Personnages de marque – Nouveaux coups
François Ier n’était pas à Paris quand l’orage éclata contre sa sœur. Au temps d’été 1533, dit la chronique, le roi alla visiter ses pays et seigneuries de Languedoc, et fit son entrée triomphante dans la ville de Toulousea. » Ce fut donc par correspondance qu’il apprit ce qui se passait. Chacun se demandait ce qu’il allait faire. D’un côté, il avait de l’affection pour la reine ; mais, de l’autre, il n’aimait pas ce qui troublait la tranquillité ; il protégeait les lettres, mais il détestait l’Évangile. Son meilleur moi eut le dessus ; sa haine contre les sottises des moines se réveilla ; sa grande susceptibilité lui fit prendre les affronts faits à sa sœur, comme faits à lui-même, et coup sur coup il donna aux ennemis de Marguerite d’énergiques leçons.
a – Chronique du roi François Ier, p. 98.
Le premier qu’il remit à sa place fut Montmorency. Comme celui-ci cherchait à faire entrer dans l’esprit du roi ses perfides insinuations, François lui imposa aussitôt silence : « N’en parlons pas, dit-il, pour celle-là, elle m’aime trop ; elle ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon Étatb. » Marguerite apprit plus tard la tentative du grand-maître, « dont onques puis ne l’aima jamais, » ajoute Brantôme.
b – Lettres de la reine de Navarre, I, p. 88.
Le second à sentir la main du roi fut le prieur des franciscains qui avait proposé de coudre Marguerite dans un sac et de la jeter à la Seine. « Qu’on lui fasse subir la peine qu’il a voulu infliger à la reine ! » s’écria-t-il. A l’ouïe de cet arrêt, les moines s’irritèrent ; le peuple même, à ce que dit un historien, s’ameuta. Mais la reine intercéda pour le misérable, et obtint sa vie ; le prieur fut seulement privé de ses dignités ecclésiastiques, et envoyé pour deux ans aux galèresc.
c – Castaigne, Notice sur Marguerite. — Freer, Life of Marguerite.
La parodie jouée contre la reine ainsi que les prêtres qui l’avaient composée et en avaient dirigé la représentation, occupèrent ensuite le roi ; il résolut de ne pas les épargner, et de leur faire au moins une terrible peur. Il donna ses ordres, et aussitôt le lieutenant de police se mit en route, et parut à la tête de cent archersd devant le collège de Navarre. Cernez la maison, leur dit-il, en sorte que nul ne s’échappee. » En effet, les archers entourèrent le vaste bâtiment. Ce récit nous est fait de nouveau par Calvin, qui continue à prendre le plus vif intérêt à toute cette aventure. La manœuvre commandée ne s’était pas accomplie sans bruit ; et quelques professeurs et élèves, attirés aux fenêtres, avaient épié les mouvements des sergents municipaux. L’auteur du drame qui ne s’était attendu à rien de semblable, et n’avait cessé de tenir la tête haute et de se vanter de son pieux exploit, se trouvait dans la chambre d’un ami, et plaisantait avec lui de la reine et de la fameuse comédie, quand tout à coup il entendit un bruit inusitéf. Il regarda, et à la vue du collège, entouré de soldats, il s’alarma, il se troubla. « Cachez-moi ! » s’écria-t-il. En effet, on le mit en un lieu où nul à ce que l’on pensait, ne pourrait le découvrir ; il y a toujours de bonnes caches dans les collèges. « Restez là, lui dit-on, jusqu’à ce que nous trouvions l’occasion de vous faire échapperg. » On ferma soigneusement la porte.
d – « Prætor stipatus centum apparitoribus gymnasium adiit. » (Calvini Ep., p. 1.)
e – Suis jussis domum circumcidere, ne quis elaberetur. » (Ibid.)
f – « Sed cum forte in amici cubiculo esset, tumultum prius exaudisse. » (Calvini Ep., p. 1.)
g – « E quibus per occasionem effugeret. » (Ibid.)
Pendant ce temps, le lieutenant de police était entré avec un petit nombre de ses archers, et avait demandé qu’on lui livrât l’auteur du drame contre la reine de Navarre. Le chef du gymnase, homme distingué, d’une profonde érudition, d’une grande influence, que Calvin appelle « le grand maître Lauret, » que Sturm nomme « le roi des sages, » Rex sapientum, ne mérita pas son nom. Il refusa tout. Alors les sergents se mirent à chercher le coupable dans la maison ; et professeurs et étudiants furent dans une grande anxiété. Mais en vain fouillait-on dans tous les coins ; impossible de rien découvrirh. Alors le lieutenant de police ordonna à ses archers de s’emparer des acteurs, à défaut de l’auteur, et saisit lui-même par le cou, l’un de ceux qui avaient joué cette parodie. Ceci fut le signal d’un immense tumulte. Maître Lauret, se sentant plus coupable que les jeunes garçons, se précipite sur le lieutenant, et veut lui arracher son élèvei ; les écoliers, se voyant soutenus par leur chef, tombent sur les archers ; ils leur donnent des coups de poing, des coups de pied ; quelques-uns même jettent des pierresj. C’est une vraie bataille qui se livre dans le collège de Navarre. Enfin la force resta à la loi, et tous les imberbes acteurs tombèrent dans les mains de la police.
h – « Autor sceleris deprehendi non poterat. » (Calvini Ep., p. 1.)
i – « Dum vult obsistere gymnasiarcha. » (Ibid.)
j – « Lapides a nonnullis pueris conjecti sunt. » (Ibid.)
Le lieutenant tenait à connaître le corps du délit : Maintenant, dit-il aux jeunes histrions, vous allez répéter devant moi ce que vous avez dit sur la scènek. » Il fallut obéir ; les pauvres garçons, fort confus, redirent tête basse toutes leurs impertinences. Ce n’est pas tout, reprit le magistrat, en se tournant vers le chef de l’institution, puisqu’on me dérobe l’auteur du crime, je dois m’en prendre à ceux qui pouvaient empêcher cette insolence. Maître Lauret, vous allez me suivre, ainsi que ces polissons. Quant à vous, maître Morin (c’était le second du collège), vous garderez les arrêts dans votre chambre. » Puis le lieutenant sortit avec sa bande ; il plaça Lauret chez un des commissaires et mit les écoliers en prison.
k – « Quod pro scena recitassent jussit repetere. » (Ibid.)
Il restait l’affaire la plus importante, le jugement porté par la Sorbonne contre le poème de Marguerite. Le roi, voulant user de ménagements, ordonna simplement au recteur de demander à la Faculté si elle avait réellement mis le Miroir au nombre des livres d’une religion réprouvéel, et de vouloir bien exposer, dans ce cas, ce qu’on y trouvait de répréhensible. C’était donc le recteur qui devait diriger cette affaire ; or quelques jours auparavant, le 10 octobre, avait eu lieu l’élection d’un nouveau recteur, et soit que l’université s’aperçût de quel côté soufflait le vent, soit qu’elle voulût se montrer opposée aux ennemis des lumières, soit qu’elle voulût faire sa cour au roi en élevant le fils d’un de ses favoris, du premier médecin de la cour, elle avait choisi, malgré la faculté de théologie, Nicolas Cop, ami particulier de Calvin. « O chose étonnante, disaient quelques amis de l’Évangile : le roi, sa sœur, le recteur de l’Université, et même, selon quelques-uns, l’évêque de Paris, penchent du côté de la Parole de Dieu ; comment la France ne serait-elle pas réformée ? »
l – « Improbatæ religionis. » (Calvini Ep., p. 1.)
Le nouveau recteur prit l’affaire vigoureusement en main. Gagné à l’Évangile par Calvin, il avait compris dans ses conversations avec son ami, que le péché est la grande maladie, que la perte de la vie éternelle est la grande mort, que Jésus est le grand médecin. Il était impatient de s’opposer aux ennemis de la Réforme, et le roi lui-même lui en fournissait l’occasion… Il eut avec Calvin de fréquentes conversations sur ce sujet et convoqua les quatre facultés, le 24 octobre 1532. L’évêque de Senlis, confesseur du roi, leur donna lecture de la lettre de Sa Majesté. Après lui, le jeune recteur, organe des temps nouveaux, prit la parole, et plein de l’ardeur que donne une conversion récente, il prononça, nous dit Calvin, une longue et sévère oraisonm, une catilinaire chrétienne, foudroyant les conspirateurs qui complotaient contre la Parole de Dieu. « La licence est toujours criminelle, dit-il, mais que sera-ce quand ceux qui violent les lois, sont ceux qui devraient apprendre aux autres à les observer… Or que font-ils ? Ils prennent les armes contre une femme excellente, qui est à la fois la protectrice des bonnes lettres et la mère de toutes les vertusn !… Ils pénètrent jusque dans le sanctuaire de la famille de nos rois et portent atteinte à la majesté souveraine !… O présomptueuse témérité, ô imprudente audace !… Les lois de la bienséance, les lois de l’État, les lois de Dieu même, tout a été violé par ces hommes impudents… Ce sont des séditieux, ce sont des rebelles… » Puis se tournant vers la faculté de théologie, le recteur s’écria : « Cessez, Messieurs, ces manières folles et arrogantes ; ou bien, si ce n’est pas vous qui avez commis cette offense, n’en a prenez pas la responsabilité. Voulez-vous encourager la malice de ceux qui sont toujours prêts à commettre les actes les plus coupables, se lavent ensuitent la bouche en disant : C’est un autre qui l’a fait ! C’est l’Université ; tandis que l’Université n’en sait moto ! Ne vous mêlez pas d’une affaire pleine de péril, ou craignez la colère redoutable du roip. »
m – « Longa et acerba oratione. » (Calvini Ep., p. 1.)
n – « In reginam virtutum omnium et bonarum litterarum matrem arma sumere. » (Ibid.)
o – « Ut dicant Academiam fecisse. » (Calvini Ep., p. 1.)
p – « Ne se immiscerent tanto discrimini, ne regis iram experiri vellent. » (Ibid.)
Ce discours, la terreur qu’inspirait le nom de François Ier, et le souvenir de la prison de Beda, émurent l’assemblée. Les théologiens, qui étaient tous coupables, abandonnèrent lâchement celui de leurs collègues qui n’avait fait qu’exécuter leur décision commune ; ils s’écrièrent unanimement : « Il faut désavouer cet acte téméraireq ! » Les quatre facultés déclarèrent n’avoir point autorisé le fait dont le roi portait plainte, et toute l’affaire retomba sur Le Clerq, curé de Saint-André, qui y avait pris la part la plus active. Il était le Jonas qu’il fallait jeter à la mer.
q – « Omnium sententia fuit, factum abjurandum. » (Ibid.)
Le Clerq fut indigné. Il avait couru toute la ville, au vu et su de tout le monde ; il avait fouillé dans toutes les librairies pour y saisir l’hérétique Miroir ; les libraires, s’il le fallait, déposeraient contre lui. Mais en se voyant renié par ceux qui l’avaient poussé à cet acte, il se sentait ému de mépris et de colère. Toutefois, il tâcha d’échapper au péril qui le menaçait, et, voyant parmi les auditeurs quelques officiers de la cour, il dit (en français, pour que tous le comprissent) : « Par quelles paroles assez magnifiques pourrai-je, Messieurs, exalter la justice du roir ? Qui pourrait dire avec quelle inébranlable fidélité ce grand prince s’est montré en toute occasion le courageux protecteur de la fois ? Je sais que des hommes égarés s’efforcent de pervertir l’esprit du monarque et conspirent la ruine de la sainte Facultét, mais j’ai la ferme confiance que leurs manœuvres échoueront contre l’héroïque fermeté de Sa Majesté. Je m’honore de la résistance que je leur oppose. Et pourtant, je n’ai rien fait de moi-même ; j’ai été délégué par un décret de l’Université pour l’office que j’ai rempliu. Et pensez-vous qu’en l’exécutant, j’aie voulu ourdir une trame contre une princesse auguste, dont la morale est si sainte et dont la religion est si purev, et qui en a naguère donné des preuves par le respect avec lequel elle a rendu les derniers honneurs à son illustre mère ? Je regarde comme prohibées des productions obscènes, comme Pantagruel ; mais je place le Miroir simplement parmi les livres suspects, parce qu’il a été publié sans l’approbation de la Faculté. Si c’est là une faute, nous sommes tous coupables ; — vous, Messieurs, dit-il en se tournant vers ses collègues, vous aussi bien que moi, quand même vous me désavouezw … »
r – « Magnificis verbis regis integritatem. » (Calvini Ep., p. 1.)
s – « Fidei animosum protectorem. » (Ibid.)
t – « Aliquos sinistros homines. » (Ibid.)
u – « Se quidem fuisse delegatum Academiæ decreto. » (Ibid.)
v – « Fœminam tam sanctis moribus, tam pura religione praditam. » (Ibid.)
w – « Omnes esse culpæ affines, si qua esset, quantumvis abnegarent. » (Ibid.)
Cette harangue, fort embarrassante pour les docteurs de la Faculté, assurait le triomphe de la reine. « Messieurs, dit le confesseur du roi, j’ai lu le livre inculpé, et vraiment il n’y a rien à en effacer, à moins que je n’aie oublié toute ma théologiex. Je demande donc un décret qui satisfasse pleinement Sa Majesté. » Alors le recteur reprenant la parole : « L’Université, dit-il, ne reconnaît, ni n’approuve la censure prononcée contre ce livre. Nous écrirons au roi pour lui demander d’agréer les excuses de l’Université. » Là-dessus l’assemblée se sépara.
x – « Nisi oblitus esset suæ theologiæ. » (Calvini Ep., p. 1.)
Ainsi Marguerite, l’amie des réformateurs, sortit victorieuse de cette attaque des moines. Cette affaire, dit Bèze, rabattit un peu la furie de nos maîtres (magistri), et fortifia grandement le petit nombre des fidèlesy. » Le récit clair et frappant que nous en a laissé Calvin nous a mis en état de la suivre de près dans toutes ses phases. On ne peut s’empêcher, en le lisant, de regretter que le réformateur n’ait pas employé aussi quelquefois son beau talent à écrire l’histoirez.
y – Théod. de Bèze, Hist. eccl, p. 9.
z – Cette lettre est la première du recueil publié par Théod. de Bèze, et sera la dixième de celui que publiera M. le Dr Bonnet.
Une chose étonnante se passait en France ; Calvin et François Ier semblaient presque marcher d’accord. Calvin suivait d’un œil observateur le mouvement des esprits, et sa haute intelligence se plaisait à en rechercher les conséquences prochaines. Que voit-il dans cette année 1533 ? Les diverses classes de la société s’émeuvent ; les hommes du monde même commencent à parler avec libertéa ; les étudiants se précipitent, avec la vivacité de leur âge, du côté de la lumière ; plusieurs jeunes professeurs comprennent que l’Écriture est au-dessus du pape ; un de ses plus intimes amis est à la tête de l’Université ; les docteurs fanatiques sont exilés ; les hommes les plus influents dans l’Église et dans l’État favorisent la Réforme. L’évêque de Senlis, confesseur du roi ; l’évêque de Paris, Jean Du Bellay, qui a toute la confiance de François Ier ; son frère Guillaume, un des plus grands hommes de la France, semblent tous se mettre au service de la vérité évangélique. Guillaume Du Bellay, surtout, inspirait alors aux réformés les plus grandes espérances ; ils se faisaient même de lui des idées exagérées. Berquin n’étant plus et Calvin paraissant à peine, c’était Du Bellay, selon eux, qui devait réformer la France. « Oh ! que le Seigneur suscite beaucoup de héros semblables à lui, disait le pieux Bucer, et nous verrons le règne de Christ apparaître avec la splendeur du soleilb ! Le sire de Langey (G. Du Bellay) est prêt à tout souffrir pour Jésus-Christc. »
a – « Omnes cœperunt loqui liberius. » (Bucer à Blaurer. Msc. de Strasbourg.)
b – « Dominus excitet multos isti heroi similes. » (Bucer à Chelius, cité par M. Schmidt.)
c – « Quidvis pati pro Christo. » (Sturmius Bucero, ibid.)
Les hommes les plus sérieux croyaient aux influences salutaires que la Réformation devait avoir. En effet, en réveillant la conscience, en renouvelant la foi, elle devait être un principe d’ordre et de liberté, et l’activité religieuse qu’elle faisait naître devait être favorable à l’instruction, à la moralité, même à l’agriculture, à l’industrie, au commerce. Si François Ier s’était tourné vers l’Évangile, les esprits les plus nobles l’eussent suivi, et la France eût eu des jours de paix et d’une étonnante prospérité.
Parmi les hommes éclairés dont nous parlons, il faut compter Philippe de Chabot, seigneur de Brion, amiral de France, favori du monarque, qui penchait alors du côté de la Réformed ; le gentilhomme de la chambre, Maure Musée, gagné aussi à l’Évangile ; la pieuse dame de Cany qui disposait sa sœur, la duchesse d’Étampes, en faveur des réformése. Cette femme légère était loin d’être convertie ; mais si l’on reprochait à la Réforme la protection qu’elle lui accordait, les évangéliques rappelaient cette Marcia, aimée de l’empereur Commode, comme la duchesse l’était du roi, et qui avait protégé les premiers chrétiens, sans que le christianisme primitif en fût pour cela moins respecté.
d – « Admiralius adest, qui unice nobis favet. » (Sturmius Bucero, cité par M. Schmidt.)
e – Lettres de Jean Calvin, I, p. 335. Édit. J. Bonnet.
Calvin ne mettait pas son espérance dans les puissances du monde. « Ce qui nous est une muraille d’airain, disait-il, c’est d’avoir Dieu propice. Si Dieu est pour nous, voilà le seul appui. Il n’y a puissance ni sous le ciel, ni dessus, qui puisse résister à son bras, et l’ayant pour défenseur, nous ne devons craindre nuisance aucunef. » Et pourtant les coups que François Ier avait détournés de la tête de la reine, allaient atteindre Cop et Calvin lui-même. Mais avant que d’en venir à ces persécutions, nous devons suivre le roi, qui de Toulouse et de Montpellier où nous l’avons vu, se rendit bientôt à Marseille pour parlementer avec le pape.
f – Calvini Op., passim.