J’ai péché contre toi, contre toi proprement, et j’ai fait ce qui déplaît à tes yeux, afin que tu sois connu juste quand tu parles, et trouvé pur quand tu juges.
Ce verset a été expliqué différemment par plusieurs, et on l’a considéré comme l’endroit le plus difficile de ce psaume, et même il est arrivé que parce que l’Apôtre le cite dans l’épître aux Romains, on l’a tenu pour un des plus difficiles passages de toute l’Écriture, parce qu’on ne peut pas bien accorder ce que David dit ici avec l’occasion dans laquelle l’Apôtre le cite. Quoique je ne veuille juger personne dans son sentiment, je veux pourtant aussi émettre le mien, et je crois, moyennant la grâce, que nous ne dirons rien de contraire au véritable sens de ce passage.
Avant toutes choses, que le lecteur soit averti de se souvenir de ce que nous avons dit au commencement de ce psaume, c’est-à-dire que David ne parle pas seulement de lui et des péchés grossiers qu’il avait commis, mais qu’il parle de la personne de tous les Saints, quoique nous ne nions pas que cette grande chute ne lui puisse avoir donné occasion d’entrer dans une profonde connaissance de soi-même et de toute sa nature corrompue, et ne lui ait fait faire ces réflexions : Moi qui suis un roi si favorisé de Dieu, si saint, et qui me suis appliqué avec tant de zèle à observer la loi et le pur service de mon Dieu, j’ai été tellement vaincu et surmonté par cette malheureuse racine de méchanceté et de pêché qui est en moi, que j’ai été capable, non seulement de ravir la femme d’un autre, mais encore de le faire malheureusement tuer et massacrer.
N’est-ce pas une preuve bien convaincante que ma nature est plus profondément et plus horriblement souillée et corrompue que je n’aurais pu jamais me l’imaginer ? Moi qui étais hier chaste, je suis aujourd’hui un infâme adultère ; moi qui avais hier des mains nettes de sang, je suis maintenant un homme de sang ; et il peut se faire que de cette chute il entra dans le sentiment divin du péché en général, et qu’il en conclut que ni l’arbre ni les fruits de toute la nature n’étaient bons, mais que tout était malheureusement gâté et corrompu, et qu’il n’y avait rien d’entier et de sain dans toute la nature ; c’est de quoi je veux que le lecteur soit averti, et ce dont il doit se souvenir s’il veut entrer dans l’intelligence de ce passage que nous allons expliquer.
Secondement, il faut aussi faire quelque attention aux termes et aux constructions grammaticales de ce passage ; comment elles se rencontrent dans le texte original ; car ce que les interprètes tournent par le temps passé (en disant : J’ai péché), doit être le présent, et il faut dire : Je pèche ; c’est devant toi seul que je pèche, c’est-à-dire je reconnais que je ne suis devant toi que pécheur, et je ne fais rien que mal devant toi ; c’est-à-dire, toute ma vie est mauvaise et corrompue devant toi, à cause du péché. Je ne puis pas me vanter devant toi de quelque mérite et de quelque justice, car je ne suis rien que mal en tout temps ; voici mon état devant toi, c’est que j’ai fait le mal, je le fais tous les jours et je le ferai à l’infini.
Ce changement de temps nous conduit insensiblement du péché actuel au péché universel et général.
Sadolet, théologien peu expérimenté, quoique homme d’une grande éloquence, ne sait ici comment s’y prendre, et change tellement la forme de ce passage, qu’à peine comprend-on ce qu’il veut dire. Il explique les mots toi seul, comme si personne que Dieu ne connaissait le péché de David, ce qui, dès la première vue, se découvre être faux et mal fondé.
Nous remettons donc ce temps passé au présent, ensuite nous ajoutons qu’au lieu de à toi seul, il faut tourner rien que devant toi, et qu’il faut dire ainsi : Je ne fais rien que de pécher devant toi, je ne suis devant toi rien autre chose que pécheur ; je ne veux ni ne puis apporter devant ton jugement quelque mérite ou quelque justice, mais je me sens et je m’avoue pécheur et je demande miséricorde. Saint Paul dans la citation qu’il fait de ce passage, nous montre que c’est ainsi qu’il le faut entendre, car voici une vérité générale qu’il pose : « Tout homme est menteur ; ainsi Dieu seul est véritable » ; d’où il faut remarquer que ces mots afin que aussi bien que dans notre passage, ne doivent pas s’expliquer comme si la justice de Dieu avait besoin de nos péchés pour être exaltée, et comme si elle était rendue plus manifeste par les péchés des hommes, comme quelques profanes accusent Saint Paul de le dire ; mais Saint Paul et notre passage veulent simplement dire ceci : Moi je ne suis que pécheur, je ne fais que mal devant toi, afin qu’il apparaisse combien il est vrai que tu es seul juste et justifiant le pécheur, que c’est toi seul qui délivres des péchés en ne les imputant point à ceux qui ont recours à toi et qui se confient en ta miséricorde.
Le sens de ce passage se prouve évidemment par ce que Saint Paul dit dans les versets précédents où il traite de la justification du pécheur devant Dieu ; c’est pourquoi ces paroles afin que ne sont pas des mots qui montrent la cause, mais ils marquent seulement ce que nous confessons devant Dieu ; savoir, ces deux choses, que tous les hommes sont menteurs et pécheurs afin qu’il demeure vrai que Dieu seul est juste, c’est-à-dire que c’est lui seul qui justifie le pécheur qui est de la foi en Jésus-Christ ; car c’est ici le combat continuel qu’on a avec les superbes pharisiens qui ne veulent point se reconnaître pécheurs, ni ne peuvent souffrir que quelqu’un leur reproche et condamne leur justice pharisaïque et hypocrite. Qu’est-ce autre chose, je vous prie, que de nier que Dieu est seul juste ? Mais David instruit par sa propre expérience, ne vient point prôner et étaler sa propre justice, sa sainteté ou son mérite, mais au contraire il dit : « Je confesse n’être qu’un pécheur, et mes forces, et toute ma nature d’elle-même n’est capable d’autre chose que de pécher sans cesse, quand elle est destituée du don de ton Saint-Esprit. Je confesse non seulement mes péchés, mais ceux de foute la nature et de tous les hommes en général, afin que toi seul sois juste, et que personne ne cherche, ne désire et ne se procure aucune autre justice que la tienne. De sorte que c’est ici le sens naturel de ce passage, que David, considérant toute la nature humaine, refuse et à lui-même et à tous les hommes toute justice propre, et ne s’attribue que le péché, afin que ce titre et ce caractère d’être juste soit laissé à Dieu seul dans son entier. Mais il ne suit pas de là ce que les impies et les profanes en veulent inférer, que puisque Dieu paraît d’autant plus juste par nos péchés, nous pouvons pécher d’autant plus tranquillement ; mais voici seulement ce qui suit de ce que nous avons dit, que puisque tout le monde est coupable et entaché de péché devant Dieu, et qu’il n’y a que Dieu seul de juste, le monde ne peut pas être délivré de ses péchés par ses propres œuvres, par toutes les peines et les efforts qu’il pourrait employer, mais que cette gloire de délivrer du péché est due à Dieu seul, qui est seul juste et justifiant le pécheur par la foi en Jésus-Christ. De sorte que ceux qui sentent et qui voient en eux cette misère de leur nature, ne doivent point chercher d’autres moyens d’être justifiés et d’avoir part à une justice, que dans celui qui est seul juste.