Entre μακροθυμία et ὑπομονή qui se rencontrent Colossiens 1.11, Chrysostome établit cette distinction : un homme μακροθυμεῖ quand, ayant le pouvoir de se venger lui-même, il recule cependant devant l’exercice de ce pouvoir ; tandis que celui-là ὑπομένει, qui, n’ayant d’autre alternative que de supporter l’injure patiemment ou non, possède la grâce nécessaire pour la supporter patiemment. C’est ainsi, conclut Chrysostome, que les fidèles étaient appelés d’ordinaire à exercer entre eux la première de ces vertus (1 Corinthiens 6.7), et à cultiver la seconde envers ceux du dehors : μακροθυμίαν πρὸς ἀλλήλους ὑπομονὴν πρὸς τοὺς ἔξω. μακροθυμεῖ γάρ τις πρὸς ἐκείνους οὓς δυνατὸν καὶ ἀμύνασθαι ὑπομένει δὲ οὓς οὐ δύναται ἀμύνασθαι. Mais cette interprétation ne supporte point un examen sérieux ; elle a décidément contre elle Hébreux 12.2-3. Celui auquel ὑπομονή se rapporte dans ce passage, supporta les injures, non certainement parce qu’il ne pouvait s’empêcher de les supporter, car il eût pu sommer, s’il l’avait voulu, douze légions d’anges de venir à son secours (Matthieu 26.53).
Nous ferons donc bien de voir, si nous ne pouvons pas trouver une distinction plus satisfaisante entre nos deux mots.
Μακροθυμία appartient aux derniers temps de la langue grecque. Les Septante (Jérémie 15.15) et Plutarque (Luc. 32) possèdent le mot, mais Plutarque ne lui donne pourtant pas exactement le sens scripturaire. La patienced des hommes, il préfère l’exprimer par ἀνεξικακία (De Cap. ex Inim. Util. 9), tandis que pour marquer l’étonnante longanimité de Dieu, il a un mot très expressif mais qu’il a probablement fabriqué, μεγαλοπάθεια (De Ser. Num. Vind. 5). L’Eglise latine se sert de « longanimitas ». Nous avons suivi son exemple, et nous exprimons par ce même terme ce long délai de l’âme avant qu’elle se décide à l’action ou à la colère. Le plus souvent c’est à la colère qu’elle se décide, mais non pas universellement ; la colère est la passion ainsi tenue au large ; celui qui est μακρόθυμος est βραδὺς εἰς ὀργήν, et le mot fait place à κρατῶν ὀργῆς, Proverbes 16.32, et est opposé à θυμώδης, Proverbes 15.18. Mais en même temps μακροθυμία ne doit pas de nécessité signifier la colère ainsi retenue ou reléguée à distance ; car lorsque l’historien des Maccabées décrit la manière dont les Romains conquirent le monde « par leur politique et leur patience » (1 Maccabées 8.4), μακροθυμία signifie en cet endroit cette obstination qui n’entendait jamais conclure la paix sous le coup d’une défaite ; cf. Plutarch., Luc. 32, 33. Ésaïe 57.15. La vraie antithèse de μακροθυμία, dans cette acception, est ὀξυθυμία, mot qui appartient aux plus beaux jours de la langue et qu’Euripide a employé, (Androm, 729) comme Aristote s’est servi de l’adjectif ὀξύθυμος (Rhet. 2.12).
d – Long-suffering, que nous voudrions rendre par long support. Trad.
Quant à ὑπομονή — la βασιλὶς τῶν ἀρετῶν, comme l’appelle Chrysostome — elle est cette vertu qui dans la morale païenne, portait plus souvent le nom de καρτερία (les mots sont unis, Plutarch., Apoph. Lac. Ages. 2), et que Clément d’Alexandrie, à l’exemple de quelques moralistes païens, décrit comme étant la connaissance des choses qu’il faut supporter et de celles qu’il ne faut point supporter (ἐπιστήμη ἐμμενετέων καὶ οὐκ ἐμμενετέων, Strom. 2.18 ; cf. Plutarch., De Plac. Phil. 4.23). C’est le latin « perseverantia » et « patientia »e, unis tous deux ensemble, ou plus exactement encore, c’est « tolerantia ». « Dans cette belle expression ὑπομονή, il existe toujours (dans le N. T.) à l’arrière plan un grain de ἀνδρεία (cf. Plato, Theœt. 477 b, où ἀνδρικῶς ὑπομεῖναι est opposé à ἀνάνδρως φεύγειν. Il ne s’agit pas seulement de support, sustinentia (Vulg.), ou même de patientia (Clarom.), mais de perseverantia, de cette courageuse patience avec laquelle le chrétien lutte contre les divers empêchements, les diverses persécutions et tentations qui lui arrivent dans ses combats contre le monde du dedans et contre celui du dehors ». (voy. Ellicott, sur 1 Thessaloniciens 1.3). Cocceius, à son tour (sur Jacques 1.12), a bien décrit notre mot : « Ὑπομονή versatur in contemptu bonorum hujus mundi, et in forti susceptione afflictionum cum gratiarum actione ; imprimis autem in constantia fidei et caritatis, ut neutro modo quassari aut labefactari se patiatur, aut impediri quominus opus suum et laborem suum efficiat ».
e – Cicéron définit ces deux mots (De Inven. 2.54) : « Patientia est honestatis aut utilitatis causa rerum arduarum ac difficilium voluntaria ac diuturna perpessio ; perseverantia est in ratione bene considerata stabilis et perpetua permansio. » Cf. Augustin Quæst. 83, qu. 31.
Nous pouvons maintenant procéder à la distinction entre nos deux mots, et cette distinction, je présume, tiendra bon dans tous les cas où ces mots se rencontreront ; nous dirons donc que μακροθυμία exprime la patience par rapport aux personnes, ὑπομονή, par rapport aux choses. L’homme μακροθυμεῖ, qui, en présence de personnes qui l’injurient, ne se laisse pas aller à l’emportement ou à la colère (2 Timothée 4.2). L’homme ὑπομένει, qui supporte un lourd fardeau d’épreuves, et ne perd pas courage (Romains 5.3 ; 2 Corinthiens 1.6 ; cf. Clemens Rom 1 Epis. 5). Nous parlerions donc de la μακροθυμία de David (2 Samuel 16.10-13), mais de la ὑπομονή de Job (Jacques 5.11). Ainsi, tandis que les deux vertus sont attribuées aux saints, la μακροθυμία seule appartient à Dieu. — Il y a une belle description de cette μακροθυμία quoique le mot lui-même n’y figure pas, dans le livre de la Sagesse (Sagesse 16.20). Les hommes peuvent tenter et éprouver cette Sagesse et elle peut et doit déployer une infinie μακροθυμία par rapport à eux (Exode 34.6 ; Romains 2.4 ; 1 Pierre 3.20) ; il peut y avoir chez l’homme résistance contre Dieu, parce que Dieu respecte la volonté dont il a doué l’homme en le créant, alors même que cette volonté se révolte contre lui. Mais il ne peut pas y avoir de résistance contre Dieu, de fardeau déposé sur le Tout-Puissant, du côté des choses ; c’est pourquoi la ὑπομονή ne peut point trouver de place en Lui ; aussi, comme Chrysostome le remarque justement, elle ne lui est jamais attribuée : à peine est-il nécessaire de le faire remarquer, quand Dieu est appelé Θεὸς τῆς ὑπομονῆς (Romains 15.5), cela ne signifie pas, Dieu dont la ὑπομονή est l’attribut, mais Dieu qui donne la ὑπομονή à ses serviteurs et à ses saints ; de la même manière que Θεὸς χάριτος (1 Pierre 5.10), c’est Dieu, l’auteur de la Grâce ; Θεὸς τῆς εἰρήνης (Hébreux 13.20), Dieu, l’auteur de la paix. Tiltmann (p. 194) a donc raison de dire : « Θεὸς τῆς ὑπομονῆς, Deus qui largitur ὑπομονή ».
Ἀνοχή, employé communément au pluriel dans le grec classique, signifie la plupart du temps, une trêve ou suspension d’armes, et répond au latin, « indutiæ ».
On peut très bien traduire le mot par supportf dans les deux seules occasions où il se présente dans le N. T. (Romains 2.4 ; 3.26). Entre ἀνοχή et μακροθυμία Origène tire la démarcation suivante, dans son Commentaire sur les Romains (2.4), dont l’original grec, comme on sait est perdu : « Sustentatio (ἀνοχή) a patientia (μακροθυμία) hoc videtur differre, quod qui infirmitate magis quam proposito delinquunt sustentari dicuntur ; qui vero pertinaci mente velut exsultant in delictis suis, ferri patienter dicendi sunt ». Origène ne saisit pas ici d’une manière très heureuse la distinction entre nos deux mots, distinction qui n’en est pas une simplement du plus au moins. Ἀνοχή indique plutôt une chose temporaire, passagère, comme le mot trêve ; la facture du mot affiche ce caractère transitoire et affirme, qu’après un certain laps de temps et à moins que d’autres conditions n’interviennent, on passera outre. Ceci, pourra-t-on dire, n’est pas moins applicable à la μακροθυμία, et surtout à la divine μακροθυμία. Mais ce dernier mot ne renferme pas tout cela ; nous pouvons concevoir une μακροθυμία, quoique digne de peu de respect, qui ne serait jamais épuisée ; tandis qu’ἀνοχή implique quelque chose de simplement provisoire. Fritzsche (sur Romains 2.4) distingue ainsi nos vocables : « ἡ ἀνοχή, indulgentiam notat qua jus tuum non continuo exequutus, ei qui te læserit spatium des ad resipiscendum ; ἡ μακροθυμία clementiam significat qua ira ? temperans delictum non statim vindices, sed ei qui peccaverit pœnitendi locum relinquas ; voir aussi p. 198 sur Romains 3.26, où l’auteur en vient encore plus directement à la question : Indulgentia (ἡ ἀνοχή) eo valet, ut in aliorum peccatis conniveas, non ut alicui peccata condones, quod clementiœ est ». L’ἀνοχή est donc employée très à propos Romains 3.26 où elle est en relation avec la πάρεσις ἁμαρτιων qui eut lieu avant la mort expiatoire de Christ, et qui forme contraste avec l’ἄφεσις ἁμαρτίων, résultat de cette mort. C’est ce support, cette suspension de colère, cette trêve accordée au pécheur, qui n’implique en aucune manière que cette colère n’aura pas son cours à la fin, à moins que le pécheur ne se trouve dans de nouvelles conditions de repentance et d’obéissance (Luc 13.9 ; Romains 2.3-6). Dans son premier sermon. « On the mercy of the Divine Judgments », in init., Jerem. Taylor a distingué ces mots, mais les différences qu’il établit ne sont pas bien tranchées.
f – Angl. « forbearance ». Trad. de Lausanne : support. Trad.