Zinzendorf avait écrit aux autorités de Riga et de Saint-Pétersbourg et même au synode de l’église russe pour réfuter les imputations ridicules et calomnieuses dont le voyage de la comtesse avait été l’objet. Mais cela ne lui suffisait pas, et il songea à se rendre lui-même à Saint-Pétersbourg pour y présenter sous leur vrai jour les affaires de l’église des Frères.
Mais l’expérience lui avait prouvé naguère que ses fréquentes absences n’étaient pas sans péril pour l’église, et qu’en allant combattre pour elle au dehors il la laissait exposée à toutes les influences funestes qui pouvaient surgir au dedans. Il résolut donc cette fois-ci de ne pas s’éloigner sans avoir paré d’avance à ce danger. Par une lettre adressée à l’église des Frères, il lui demandait catégoriquement ou d’accepter enfin la démission qu’il lui avait précédemment offerte, ou de lui conférer les pouvoirs nécessaires pour le mettre en état de porter la responsabilité attachée à la charge de directeur.
La réponse des Frères montre à quel point il avait reconquis parmi eux l’ascendant dont il avait perdu momentanément une partie. Ils lui donnèrent plein pouvoir pour la direction de toutes leurs affaires, et s’engagèrent à ne rien conclure et à ne faire aucune démarche de quelque importance, qu’il n’en eût été informé et ne l’eût expressément approuvé. En outre, on le priait de désigner lui-même son successeur.
Zinzendorf accepta, en se réservant toutefois de s’expliquer là-dessus à son retour. Arrivé à Riga le 23 décembre, il se fit annoncer au maréchal Lascy, gouverneur de la province, et lui fit demander un passeport pour continuer son voyage. Le gouverneur répondit qu’il n’était pas de sa compétence de délivrer un passeport à un homme de qualité tel que lui. Puis il appela un sergent et fit écrouer dans la citadelle l’envoyé du comte. Bientôt après, Zinzendorf vit arriver un major chargé de lui présenter les compliments du maréchal. Le maréchal ne pouvait, disait-il, lui délivrer de passeport avant d’en avoir référé à son gouvernement ; mais, comme il regretterait fort que le comte eût à souffrir de ce retard, il le priait instamment de passer sur la rive droite de la Dwina, afin qu’il pût avoir l’honneur de lui rendre ses devoirs. Zinzendorf suivit le major et fut conduit tout droit à la citadelle, où il resta enfermé, ainsi que son fils et ses autres compagnons de voyage.
Il écrivit aussitôt à l’impératrice. La seule faveur qu’il demandât, c’était que l’on soumît à une enquête la doctrine des Frères et leur conduite dans les États russes. Quant à son emprisonnement, il le supportait sans murmure et même avec joie, comme le prouve le beau cantique qu’il composa la veille de Noël, aussitôt après son entrée dans la citadelle, ainsi que la lettre suivante, en date du même jour, adressée à la comtesse :
« Je te prie instamment de ne pas te préoccuper de mon arrestation. Je puis t’assurer que je vais bien, ainsi que notre cher fils. Si le Sauveur n’avait pas voulu que cela fût, cela ne serait pas ; car j’ai eu assez d’indices de ce qui allait m’arriver, mais il ne m’a pas été permis d’en tenir compte ; j’ai dû même, au contraire, donner occasion à mon arrestation par mes lettres au vice-chancelier et au comte Lascy. De semblables dispensations ont un but, et je suis sûr que le Sauveur arrangera tout pour le mieux. Le maréchal en a usé très poliment avec moi, et je ne puis voir chez lui de mauvais vouloir. Pensez beaucoup à moi. Nous voilà une jolie petite bande de prisonniers pour le Sauveur, et mon petit Chrétien est tout heureux d’avoir cette, aventure avec son papa. Je t’écrirai autant que possible. Souviens-toi, chère amie, que nous avons un Sauveur fidèle, que nous sommes dans ses mains et qu’il nous conduit avec amour, lors même que les apparences nous étonnent et que le chemin n’est pas tout à fait tel que nous l’aurions choisi, s’il n’eût tenu qu’à nous. Il n’y a rien au monde qui soit moins de mon goût que les arrêts ; mais puisque j’y suis, je m’en accommode. Je ne puis rien te dire de plus, si ce n’est ce que je t’ai déjà dit autrefois : Quand je ne suis pas là, sois-y tout à fait, fais ma tâche à double.
Riga, veille de Noël 1743. »
Et il écrivait à l’impératrice : « Je me trouve bien partout où l’autorité du pays où je suis trouve bon de me mettre, car j’ai appris, grâce à Dieu, à me soumettre, même de cœur, à l’autorité, et j’ai instruit les miens à faire de même. Je suis persuadé, en effet, que les voies régulières, si rudes qu’elles soient, ont finalement toujours l’avantage sur les sentiers de traverse, si aisés qu’ils paraissent. »
La réponse de Saint-Pétersbourg ne se fit pas trop attendre. Le gouvernement ne se souciait point d’entrer dans l’examen de l’affaire ; il préféra la trancher en faisant signifier à Zinzendorf qu’il eût à sortir au plus tôt des États de l’impératrice. Le comte dut se soumettre et se remit en route le 12 janvier 1744, escorté d’un détachement de troupes qui ne le quitta qu’à la frontière prussienne.
Avant de quitter la Silésie pour Marienborn, il voulait dire adieu à Herrnhout. N’était-ce pas là d’abord que, poussée par la tempête, la semence de l’antique église morave avait enfin trouvé le sol favorable qui devait la recevoir ? n’était-ce pas là que de cette graine, petite entre toutes, était sorti cet arbre qui étendait déjà ses rameaux sur une grande partie de la chrétienté ? Quoique le décret qui bannissait Zinzendorf des États de l’électeur n’eût pas encore été révoqué, on ne tenait plus à le faire observer avec la même rigueur, et le comte put à deux reprises se rendre à Herrnhout sans être inquiété. Il est vrai que ces visites furent courtes.
Le 1er mai 1744, il arriva à Marienborn. Le comte de Promnitz était mort en son absence.