Méditations sur la Genèse

LV
Jacob et les Siens en Egypte

Genèse 46.31 et ch. 47

I

Joseph n’a pas honte de ses frères. Son origine était demeurée inconnue lorsqu’il avait été élevé en Egypte à de si hautes dignités. Pharaon ne s’était point informé de quel peuple et de quelle condition il était ; il lui suffisait d’avoir reconnu en lui un homme éclairé de Dieu et qui devait être le bienfaiteur de l’Egypte. Mais maintenant, comme le dit Etienne, « l’origine de Joseph lui fut révélée » (Actes 7.13) ; et il se trouva que ses frères n’étaient que des bergers. Or, « les Egyptiens ont en abomination les bergers. » En Egypte régnait, comme on sait, la plus stricte séparation entre les castes. Les guerriers et les prêtres constituaient les deux classes supérieures. Le roi était tiré de la caste des guerriers ; les prêtres le conseillaient et l’instruisaient de ses devoirs. Joseph avait été admis dans la caste sacerdotale et occupait la plus haute position dans l’Etat après le roi. La surprise fut grande, quand on apprit qu’il était un fils de berger, et que ses frères étaient encore des bergers et rien de plus. Ils étaient, il est vrai, de noble race ; mais ils arrivaient en Egypte pour y chercher du secours, et leur classe et leurs occupations y étaient méprisées. Cette découverte eût été désagréable à un homme quelque peu ambitieux. Rien de plus fréquent dans le monde que de voir l’homme parvenu à une haute position mépriser ses parents pauvres, ne pas aimer à parler d’eux et s’efforcer de les tenir à distance. Telle n’est pas la conduite de Joseph. Après s’être fait connaître à eux, il eût pu renvoyer ses frères en Canaan et venir de loin en aide à son père. Il les fait, au contraire, venir tous auprès de lui pour les établir en Egypte. Il fait dire à son père : « Descends vers moi, ne tarde pas ; tu habiteras dans le pays de Goscen [note 27], et tu seras près de moi, toi, tes fils et les fils de tes fils, et tout ce qui est à toi. »

Quand sa famille est arrivée, il va lui-même l’annoncer à Pharaon. Il prend avec lui cinq de ses frères et les présente au roi, qui les accueille avec bienveillance, leur assigne des terres, et dit à Joseph : « Si tu trouves parmi eux des hommes capables, mets-les à la tête de mes troupeaux. »

Joseph montre aussi la noblesse de son âme en ce qu’il ne laisse rien savoir à Pharaon ni aux grands d’Egypte, ses amis, du mal que ses frères lui avaient fait dans sa jeunesse, et ne leur dit pas quelle avait été proprement l’occasion de sa venue dans ce pays. Son amour fraternel couvre les fautes des siens.

La générosité de Joseph excite notre admiration. Mais combien plus grand est l’amour de Jésus ! Il n’a pas honte de nous appeler ses frères (Hébreux 2.11-13). Plus encore que Joseph, il aurait le droit de rougir de ses frères et de se détourner d’eux. Il est du ciel, il est saint (Hébreux 7.26) ; nous sommes tirés de la poussière et profondément corrompus ; nous l’avons maltraité, tourmenté par nos péchés, fatigué par nos iniquités » (Ésaïe 43.24). Il nous conduit par des voies sévères, mais admirables, et dès qu’il le peut, il laisse libre cours à son amour et nous reconnaît pour siens. C’est ce qu’il fait au jour de sa résurrection. Il donne aux saintes femmes ce message pour ses disciples, tout tristes de l’avoir délaissé et d’avoir ainsi ajouté à ses souffrances : « Allez, et dites à mes frères : Je monte vers mon Père et vers votre Père… » (Matthieu 28.10 ; Jean 20.17). Le Roi céleste, au jour de son couronnement, fait saluer de pauvres pécheurs comme ses frères. Revêtu de gloire, il leur témoigne le même amour qui l’a fait aller à la mort pour eux, et, pendant quarante jours, il demeure avec eux sur la terre, dans la plus douce intimité.

Il n’a pas cessé d’en agir ainsi avec son Eglise. Et que sera-ce quand viendra le grand jour où il nous confessera devant son Père d’une manière solennelle (Matthieu 10.32 ; Luc 9.26), où il nous présentera à Dieu non comme des êtres méprisables et misérables, des malfaiteurs, — il en aurait le droit, — mais comme ses frères, qui ont part à sa sainteté et à sa vie, comme les siens, aimés du Père ainsi que lui et cohéritiers de sa gloire ! « Venez, dira-t-il, vous les bénis de mon Père, » et il ne se souviendra plus d’autre chose, sinon que nous sommes à lui et que nous devons voir sa gloire.

A la lumière de ce beau type de Joseph, nous reconnaissons aussi plus clairement nos devoirs. Nous avons à imiter l’exemple de Joseph et l’exemple de Celui qui a aimé mieux encore que lui. Ce double exemple nous apprendra à ne point mépriser, à tenir, au contraire, pour sacrés les liens de la parenté, et, si l’ennemi a semé quelque division, à surmonter le mal par le bien. Un époux chrétien ne censurera et ne révélera pas devant d’autres les fautes et les faiblesses qu’il découvre chez sa femme ou ses enfants. Ce double modèle doit être en particulier devant les yeux de ceux auxquels Dieu confie une charge dans son Eglise. Il y a dans leur ministère une gloire cachée, une dignité qui les élève au-dessus de leurs frères. Mais en vue de quel but Dieu la leur a-t-il conférée ? Afin qu’ils servent leurs frères. Qu’ils soient donc humbles et n’aient pas honte de leurs frères ; qu’ils emploient tout ce que Dieu leur a donné au service de ceux-ci ; qu’ils honorent les petits et ne se permettent même pas un mot méprisant sur un membre de l’Eglise. Si parfois ils doivent parler sévèrement, pour combattre le mal, qu’alors même leurs paroles sortent d’un cœur plein d’amour, comme celui de Joseph, qui eût bien mieux aimé tout oublier et se faire aussitôt connaître à ses frères. Quiconque traite les membres de l’Eglise avec hauteur et mépris, n’est pas un serviteur de Christ.

II

« Joseph amena son père et le présenta à Pharaon. Et Jacob bénit Pharaon. Et Pharaon dit à Jacob : Quel âge as-tu ? — Et Jacob répondit à Pharaon : Les jours de mon pèlerinage sont cent-trente ans ; les jours des années de ma vie ont été courts et mauvais et n’ont point atteint les jours des années de la vie de mes pères, durant leur pèlerinage. » Jacob professe ici d’être étranger et voyageur sur la terre ; c’est à ces paroles que l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hébreux 11.14-16) rattache ce beau développement : « Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie. S’ils avaient eu en vue celle d’où ils étaient sortis (Ur en Chaldée, ou la Canaan terrestre), ils auraient eu le temps d’y retourner. Mais ils en cherchaient une meilleure, c’est-à-dire une céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu — le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob — car il leur a préparé une cité. » C’est de cette espérance que Jacob rendit encore une fois témoignage avant de mourir, quand il fit jurer à Joseph d’ensevelir ses restes non en Egypte, mais auprès de ses pères, en Canaan. Dieu lui avait dit : « Je te ramènerai ici. » Jacob retient cette promesse. Mais le convoi funèbre, accompagné de chants de deuil, n’est pas la réalisation du retour promis. Ce n’est pas dans le séjour des morts qu’est l’espérance d’Israël. Le vrai retour aura lieu avec des chants de joie. L’espérance des patriarches, le terme de leur pèlerinage, sont au-delà du royaume des morts, dans la résurrection à la vie éternelle. Israël demande à être enterré en Canaan, parce que c’est là qu’il veut ressusciter avec ses pères ; c’est là que la gloire de Dieu doit éclater, que le royaume des cieux doit apparaître ; c’est là qu’un jour il contemplera les choses auxquelles il a cru ; c’est là qu’il aura sa place dans la société des justes parvenus à la perfection.

Jacob était loin encore d’avoir atteint l’âge d’Abraham (cent-soixante-quinze ans). Mais il soupirait après le repos. Il avait beaucoup souffert ; il éprouvait quelque chose de la lassitude d’Elie, disant à Dieu : « C’est assez ; prends maintenant mon âme ! Je ne suis pas meilleur que mes pères » (1 Rois 19.4). Saint Paul lui-même, après un ministère plein de fatigues et de travaux, d’expériences amères, de soucis et de persécutions, retenu dans les chaînes et séparé de ses chères Eglises, écrivait aux Philippiens : « Mon désir tend à déloger pour être avec Christ » (Philippiens 1.23). L’homme du monde, lui aussi, est parfois rassasié de la vie et répète la parole de Salomon : « Tout est vain sous le soleil ! » Mais chez lui cette tristesse est celle dont l’apôtre dit qu’elle produit la mort. » Il en est autrement de ceux qui ont la foi des patriarches, qui saisissent la vie éternelle et s’attachent au droit de cité qui leur est assuré dans le ciel. Leur tristesse est agréable à Dieu ; c’est le vrai mal du pays, auquel appartient la promesse. Heureux ceux qui le connaissent, car ils arriveront à la patrie éternelle !

La bénédiction cachée que les enfants de Dieu retirent des souffrances du temps présent, c’est précisément qu’elle réveille chez eux ce mal du pays. Afin que nos discours sur la patrie céleste ne soient pas un vain babil et que nous nous y attachions de tout notre cœur, Dieu nous fait passer par bien des expériences douloureuses et éprouver combien le monde est mauvais ; il permet que dans nos familles et dans notre ministère nous voyions bien des choses tristes ; il veut maintenir vivant chez nous, comme chez les patriarches, le soupir après le repos réservé au peuple de Dieu.

Dans le morceau que nous méditons, il nous est raconté comment, pendant la disette, les Egyptiens n’ayant plus d’argent pour payer leur pain, Joseph prend possession de leur bétail, de leurs terres et enfin de leurs personnes pour Pharaon : ils deviennent ainsi serfs du prince et sont obligés de lui payer le cinquième de tout le revenu du pays. Le sens littéral ne permet guère de trouver de l’édification dans ce récit ; en s’y tenant, on ne saurait y voir qu’une affaire bien conduite [note 28]. Mais ce récit devient édifiant, si nous le considérons à la lumière de l’Esprit et voyons en Joseph le type de notre Seigneur. Les Egyptiens étaient déjà sujets de Pharaon ; en vertu des bienfaits de Joseph, ils deviennent maintenant sa propriété. C’est ainsi que par la création nous sommes déjà sujets de Dieu et lui devons respect, obéissance, adoration et reconnaissance ; mais, par la rédemption, nous sommes devenus sa propriété dans un sens plus élevé. Nous allions périr dans notre misère spirituelle : dans sa grande miséricorde, Dieu nous a sauvés de la mort par son Fils bien-aimé ; il nous dispense par lui, jour par jour, des bienfaits célestes, les forces de la vie éternelle. Il a donc un double droit sur nous, et nous avons le devoir d’autant plus sacré de ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour lui, qui nous a rachetés, et de lui offrir de tout notre cœur l’hommage de l’amour et de l’obéissance.

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