Aberdeen, 16 juin 1637
Très honoré et bien-aimé en notre Seigneur, une des choses que j’ai le plus à cœur de vous dire, c’est que le principal obstacle entre le ciel et vous, c’est la jeunesse ; rien ne rend la route aussi glissante et difficile, je vous l’affirme, et cela par ma propre expérience. Encore aujourd’hui les vieilles cendres des péchés de ma jeunesse couvent en moi un feu dévorant. J’ai vu le démon tel qu’il est, mort, anéanti ; puis reparaissant encore et se montrant pire qu’il n’était auparavant. Prenez donc garde à un démon qui n’aurait point encore été foulé aux pieds. Le piège caché sous des fleurs est le plus redoutable, et j’entends par là les passions ardentes de la jeunesse. Que trouve l’esprit du mal dans la jeunesse ? Du bois sec et du charbon sur un foyer préparé ; il allume le feu et l’attise, et voilà une maison toute en flammes. Des pensées de sanctification sont un bois qui ne brûle pas au souffle de Satan. Cependant, que sont tous les saints triomphants dans le ciel, debout devant le trône de l’Agneau, sinon ces mendiants perdus et rachetés par la pure grâce de Christ ? Leur rédemption est entière, complète. La vôtre se fait maintenant. Tous les enfants de Christ marchent vers le ciel marqués au front et boiteux. Laissez agir Christ, Il saura utiliser les appels qu’Il vous adresse. Soyez satisfaits de Lui donner quelque chose à faire. Je suis content qu’Il daigne s’employer pour vous.
Confiez vos plaies saignantes aux soins de ce docteur expérimenté. Laissez agir sa grâce auprès de votre corruption ; Il sait ce qu’Il doit faire de vos péchés. Je ne chercherai point à diminuer votre abattement ni vos craintes sur votre endurcissement naturel. Il est telle blessure dont le sang s’étanche avec peine. Ayez une maison près de Votre Docteur. En vérité, ce serait un miracle s’il ne vous guérissait pas. Non, non, Il est fidèle ; c’est Lui-même qui a dit aux pécheurs : « Je ne mettrai point dehors celui qui viendra à moi » (Jean 6.37). Prenez ces paroles pour vous, ce n’est point une présomption de se les appliquer quand on sent sa blessure saignante et douloureuse. La présomption n’a que les apparences de la maladie, elle ne guérit pas intérieurement ; tandis que la foi, au contraire, sent son mal et regarde aux promesses de son Sauveur, et, dès qu’elle trouve Christ, elle le reconnaît et le suit incontinent.
Christ est pleinement suffisant pour vous donner tout ce qui vous est bon. Il ne se contente pas de faire de vaines promesses, mais, selon sa miséricorde, Il s’adresse à chacun de vos péchés. Je vous assure que c’est une rude tâche pour un pauvre homme affamé que de chercher son Dieu quand il se voile. En vain la clef du cellier fût-elle cachée, la faim saura briser les verrous, fussent-ils d’airain. Je ne réprimande pas ceux qui crient à haute voix en recherchant leur Sauveur. Quand Il se cache, ce n’est pas le moment d’attendre, mais bien de chercher. Plus Il est rare, plus Il est précieux au pécheur. Quoi de plus étonnant que cette manifestation du Sauveur à un pauvre cœur d’homme ! Ce miracle, cependant, est vu de tous ceux qui le veulent, car nul ne soupire et ne cherche, sans finir par trouver et chanter de joie.
N’ayez pas de honte de demander. Si vous souffrez loin de Christ, vous obtiendrez que sa porte vous soit ouverte en venant y frapper.
Quant à vos doutes, voici ce que je puis vous dire : votre cœur n’est pas la boussole qui dirige le Seigneur. Il vous permet de chanter, mais Lui ne danse pas aux sons de votre musique. Ce qu’il veut faire de vous ne vous est pas encore révélé.
Vos pensées ne font pas partie de la nouvelle alliance, vos rêves ne changent pas Christ. Votre péché, c’est le doute. Apprenez donc par votre propre expérience que la foi n’est pas un don naturel, mais gratuit, selon la grâce du Seigneur. Le salut n’est pas l’œuvre de la foi, mais uniquement de Dieu. L’honneur du Seigneur est attaché à l’accomplissement de ses promesses, et c’est une œuvre de pure miséricorde. La foi consiste à croire que nos péchés sont effacés en Jésus-Christ. S’il vous semble obtenir moins aujourd’hui qu’autrefois, c’est que, lors de votre conversion, le Seigneur daignait vous nourrir de sa main ; mais, en avançant, il nous faut prendre le ciel et Christ par la violence. Ce que nous obtenons ainsi, Il s’est engagé à nous le confirmer. Vivez donc chaque jour en combattant contre vous-même. L’oisiveté vous serait plus pernicieuse encore qu’autrefois ; nous ne sommes pas au temps où les enfants de Dieu peuvent espérer de trouver leur nourriture toute prête.
Quant à moi, je ne suis pas l’homme qui convient à cette nation. Je ne suis qu’un corps sans force, une herbe qui croît inutile sur la terre. Si Christ venait m’interroger sur la sainte cause pour laquelle je souffre à cette heure, comment oserais je dire que mon salut est chose faite ? Mon Maître ne pourrait-Il pas me dire : N’es-tu pas honteux de réclamer le ciel, toi qui fais si peu pour l’avancement de mon règne ?
Je suis souvent dans une disposition telle, que je ne sais pas si je surnage ou suis enfoncé sous les eaux. Qu’ai je à mettre dans la balance de Christ, sinon mon orgueil ? et elle n’accepte point de semblable métal. Pour être accepté, il faut que la justice du Seigneur vienne s’y placer et la fasse incliner de notre côté. Je ne puis trafiquer qu’avec la marchandise d’autrui, car je ne possède absolument rien. Si mon créancier, Christ reprenait ce qu’Il m’a prêté, je ne pourrais pas continuer ma route, mais ce qui est à Lui, Il veut bien me le donner. Abrité sous son aile, non seulement j’échappe à mes ennemis, mais encore je remporte sur eux la victoire.
Lorsque Christ s’approche de moi, il me semble que sa visite est toujours trop courte, et, quand Il s’éloigne, je me sens comme brûlé intérieurement de l’amour qu’Il m’a inspiré. Mon plus grand bonheur est de l’aimer, mon plus doux souvenir de penser au temps où Il était près de moi. Si dans ma captivité je puis chanter ses louanges en la sainte compagnie des anges, alors qu’importe la durée de mon exil. Que ne puis-je faire couler sur les trois royaumes réunis les flots de la gloire céleste !
O Toi, le plus beau entre les fils des hommes, pourquoi tardes-tu tant à venir ? Ouvrez-vous, cieux ! Oh ! vous tous, anges et séraphins, esprits bienheureux qui le contemplez face à face, vos harpes ne sauraient redire toutes les louanges de la plus belle des fleurs de cette rose parfumée de Saron, qui se voit dans tous les mondes !