L’humanité étant restée jusqu’à la Pentecôte, même dans le sein d’Israël et chez les plus illustres représentants de la cause de Dieu sur la terre, de nature charnelle et terrestre, privée des aptitudes spirituelles qui, sans le péché, se fussent développées chez elle d’une façon normale, la révélation n’a pu se communiquer aux plus éminents même des fidèles de l’Ancienne Alliance que du dehors et de haut, en s’emparant d’eux pour se rapprocher de leur personne d’une manière progressive et constante. La révélation s’est internée en l’homme de plus en plus, d’époque en époque, mais sans avoir jamais réussi, même chez les derniers des prophètes, à s’assimiler à ce point l’esprit de l’homme que le langage de la révélation et celui de l’homme inspiré se confondissent. Le dualisme, pour ne pas dire l’antagonisme du facteur humain et du facteur divin dans l’appropriation de la révélation persiste et persistera de l’ère des patriarches jusqu’à Jean-Baptiste, toutefois en s’atténuant progressivement d’une époque à l’autre.
Nous pouvons distinguer trois périodes auxquelles correspondent trois modes principaux de la communication de la révélation à l’homme dans le cours de l’Ancienne alliance : la période patriarcale, la période sacerdotale et la période prophétique.
C’est la période où la révélation se présente à l’homme soit dans des théophanies (apparitions de l’Ange de l’Eternel) ou représentations externes de la Divinité, dans des visions ou des songes (Job 33.15). C’est le mode primitif, le plus éloigné par conséquent de l’inspiration proprement dite. Le mode de la révélation par le songe, à laquelle d’ailleurs croyait aussi l’âge homérique, se perpétue dans les époques postérieures chez les organes les plus réfractaires ou les moins réceptifs de la révélation, les deux rois païens, Pharaon et Nébucadnézar, qui, l’un et l’autre, trahissent leur incapacité spirituelle en ce qu’ayant reçu la révélation, ils sont incapables de l’entendre.
L’époque mosaïque nous fournit déjà l’exemple d’un prophète indigne, saisi, contraint et maîtrisé par le souffle divin, Nombres 24.3-4.
A ces modes primitifs et imparfaits succède :
Cette période nous apporte les manifestations de la pensée et de la volonté divines dans le Tabernacle, qui avaient lieu soit par l’émission d’un son de voix (appelé plus tard par les rabbins Bathkol, ou fille de la voix), ou par le moyen mystérieux de l’Urim et du Thummim, mais qui étaient réservées aux seuls ministres du sanctuaire, et à Moïse plus qu’à tout autre, Nombres 12.8, mais sans qu’il lui fût accordé encore de pouvoir contempler la face divine elle-même, Exode 33.22-23. Lui-même entrevoit et salue d’avance l’époque où l’inspiration prophétique ne sera plus le privilège de quelques-uns, mais la faveur faite à tous, Nombres 11.26-27.
Samuel, l’inaugurateur de l’ère prophétique, commence par entendre distinctement, lui aussi, la voix de Dieu lui parlant du sanctuaire, 1 Samuel 3.21, et il est dès ce moment révélé comme nouveau prophète en Israël. Toutefois le don de prophétie, telle qu’il l’exercera dans le sein de son peuple, porte encore deux éléments d’infériorité ; il s’exerce sur des objets de la vie quotidienne, et prend la forme de la divination ou de la double vue (1 Samuel 9).
Le fait singulier qui nous est raconté 1 Samuel 9.11 et qui se répète 1 Samuel 19.24, nous montre de plus l’exercice du don de prophétie déjà détaché du Tabernacle et du sacerdoce, mais localisé au domicile des prophètes, élèves de Samuel. L’action de l’Esprit revêt en même temps à l’égard des natures qui lui sont de prime abord le plus hétérogènes, un caractère spasmodique et coactif, qui marque également un des degrés infimes de l’état d’inspiration, où il confine à la possession.
Le dernier cas connu de l’inspiration sacerdotale, celui qui nous présente la disparate la plus absolue entre l’office et le personnage, est celui de Caïphe, Jean 11.51. Il prononce la vérité divine à son insu et sans le vouloir ; bien plus, pour sa propre condamnation, et l’oracle qu’il profère n’est plus que la sinistre contrefaçon de l’infaillibilité. La révélation est dictée à Caïphe, comme elle l’avait été à Balaam.
L’époque immédiatement postérieure à Samuel, l’époque davidique et psalmitique, où se produisit une éclosion remarquable de dons pneumatiques, marque en effet une phase plus avancée du phénomène dans le sens que nous indiquions dès le début, c’est-à-dire que la révélation, jusqu’ici extérieure dans son action et ses modes, tend à prendre possession du for de l’homme lui-même, de ses facultés intellectuelles et morales, de ses sentiments et de ses affections, exaltées par ce principe supérieur, surnaturel et divin, à un degré éminent. C’est ici pour la première fois peut-être que se présente à nous l’inspiration proprement dite, consistant dans des communications tout intimes et directes de la révélation divine faites à l’esprit de l’homme, sous forme d’abord réceptive et reproductrice chez les psalmistes et les hagiographes, sous forme créatrice chez les prophètes.
Toutefois le caractère surnaturel et exceptionnel que revêt l’inspiration religieuse dans la vie de ces personnages, se révèle dans la disparate même que nous constatons entre les discours et les chants d’un David et la grossièreté de mœurs qui s’étale dans sa vie ordinaire, dès qu’il est rendu à lui-même.
Tandis que l’inspiration hagiographique est plutôt réflexive et reproductrice, montrant son effet dans une assimilation vivante du contenu des révélations passées, l’inspiration prophétique proprement dite sera une création d’idées originales concernant les faits du présent et de l’avenir.
Si perfectionnée toutefois que nous apparaisse déjà l’action inspiratrice chez les porteurs de l’idée prophétique dans l’Ancienne Alliance, comparée à ses réalisations antérieures, elle-même a conscience des éléments d’infériorité et d’imperfection dont elle est encore affectée ; car elle se montre encore particulière, attachée à certains organes privilégiés, et elle se refuse à la multitude ; elle reste extérieure et supérieure à l’homme, à l’état de vision contemplée (comp. Ésaïe 1.1) ; elle est intermittente ; tour à tour elle surprend le sujet et le quitte ; ces communications surnaturelles se détachent le plus souvent les unes des autres sous le nom de paroles de l’Eternel, et le plus prosaïque de tous ces orateurs, Aggée, a noté la date du jour et presque l’heure des quatre révélations qui lui ont été faites (ch. 1 et 2).
Malgré ce caractère intermittent et parfois trépidant de l’action révélatrice chez les prophètes de l’Ancienne Alliance, l’individualité de l’auteur n’est point supprimée, comme elle l’était au degré inférieur de l’extase ou du songe. La révélation les inspire ; ce n’est qu’à son degré inférieur qu’elle dicte, s’accommodant par là au manque de réceptivité du sujet, accusant l’incompatibilité plus ou moins absolue entre le sujet et l’objet.
Ces organes de la révélation emportés par le Saint-Esprit, ὑπὸ πνεύματος ἁγίου φερόμενοι, comme s’exprime l’auteur de 2 Pierre 1.21, se font reconnaître chacun dans leur langage ; ils manifestent entre eux des différences considérables dans la puissance de la pensée comme dans leurs moyens d’exposition. Ils s’approchent ou s’éloignent tour à tour de la perfection de la composition littéraire, ou même, placés à la même hauteur, ils se partagent les qualités de l’écrivain comme les tâches comprises dans le plus vaste des domaines, le Royaume de Dieu.
Et tous ensemble, cependant, nous sont représentés dans un passage apostolique penchés sur leurs propres révélations, dont ils faisaient, eux les premiers, l’objet de leurs recherches assidues, et recueillant chacun à son tour la conclusion que les choses qu’ils annonçaient regardaient un avenir encore indéterminé et non pas le présent ; qu’ils travaillaient non pour eux, mais pour nous (1 Pierre 1.12).
Chez Jean-Baptiste, le dernier et le plus grand de tous les serviteurs de Dieu d’Adam jusqu’à Christ, bien que le moment où la révélation lui fut pour la première fois accordée soit encore expressément indiqué, Luc 3.1-2, l’inspiration prendra déjà un caractère plus personnel et plus continu qui annonce l’approche d’un temps nouveau. Lui-même cependant avoue l’infériorité de son rang relativement à celui dont il n’est que le Précurseur ; il reconnaît que ses prédécesseurs et lui-même sont de la terre et parlent encore comme étant de la terre (Jean 3.31), et il donna en un jour de sa vie la preuve que le dernier et le plus grand des prophètes de l’Ancienne Alliance était incapable de s’élever de lui-même aux conceptions nouvelles du Royaume de Dieu (Matthieu 11.6).