Or cela ne fait aucun doute, les bonnes raisons qu’invoque l’impiété sont contraires et à l’opposé des raisons qui sous-tendent notre foi ; et il n’est guère possible d’accepter comme orthodoxe ce qui manifestement est pris dans une acception hétérodoxe.
Ainsi par exemple, ces nouveaux réformateurs de la foi des Apôtres, font entrer en lice l’Esprit des Prophètes et l’Esprit de l’Evangile, ils les opposent, leur supposant un différent : ceux-là prophétiseraient une chose, celui-ci en annoncerait une autre. Ainsi Salomon nous inviterait à vénérer une créature, tandis que Paul blâmerait ceux qui servent une créature[1]. Evidemment, si on les comprend selon leur interprétation impie, ces deux textes qu’ils ont en vue, ne semblent pas s’accorder : l’Apôtre, instruit dans la Loi, mis à part selon un dessein éternel, héraut du Christ qui parle par sa bouche[2], ignorerait la prophétie, ou s’il la connaissait, la rejetterait, lui qui ne reconnaît pas dans le Christ une créature, mais lui donne le nom de Créateur ; il nous défend de rendre un culte à la créature, lui qui nous demande de ne servir que le Créateur en ces termes : « Eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, et qui ont servi la créature de préférence au Créateur, qui est béni éternellement » (Romains 1.25).
[1] Proverbes 8.22 (le fameux texte controversé) opposé à Romains 1.25.
[2] Cf. 2 Corinthiens 13.3.
Le Christ qui parle par la bouche de Paul, ne te reprochera-t-il pas pour le moins ce langage mensonger qu’avance ton impiété ? Ne condamnera-t-il pas un tant soit peu ce charlatanisme qui déguise la vérité ? Car tout a été créé par le Christ Seigneur[3], et par suite, il possède en propre le nom de Créateur. Nous n’avons pas à lui attribuer la nature et l’appellation de ce qui est son ouvrage. Melchisédech nous en est témoin : il le désigne comme le Dieu créateur du ciel et de la terre, et s’exprime ainsi : « Béni soit Abraham par le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre » (Genèse 14.19). Le prophète Osée nous apporte le même témoignage : « le suis le Seigneur ton Dieu, qui ai affermi le ciel et créé la terre, moi dont les mains ont créé toute l’armée du ciel » (Osée 13.4 LXX). Ce que confirme la lettre de Pierre : « Qu’ils lui confient leurs âmes comme au Créateur fidèle » (1 Pierre 4.19).
[3] Cf. Colossiens 1.16.
Pourquoi donner à l’ouvrier le nom de son ouvrage ? Pourquoi appeler Dieu d’un terme qui nous revient ? Il est notre Créateur, il est le Créateur de toute l’armée céleste !
La foi transmise par l’Apôtre et les Evangiles nous invite à entendre ces textes du Fils par qui toutes choses ont été faites ; dès lors, pourquoi celui-ci serait-il mis sur un pied d’égalité avec son œuvre ? Comment porterait-il un nom que tous portent par leur nature ?
De prime abord, le bon sens dont est dotée l’intelligence humaine, répugne à concevoir un Créateur créature, car la création est l’œuvre du Créateur. Si celui-ci était créature, il serait également sujet à la corruption, soumis à l’attente, astreint à la servitude. Le bienheureux Apôtre Paul dit en effet : « Aussi la longue attente de la créature espère la révélation des fils de Dieu. La création, en effet, a été assujettie à la vanité, non de son gré, mais par celui qui l’a soumise ; elle garde l’espérance, car la créature elle-même sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des fils de Dieu » (Romains 8.19-21)[4].
[4] La ponctuation de cette citation, dans P.L., suit la Vulgate, mettant un point après « spe ». Celle de C.C. est conforme à celle des traductions : Bible de Jérusalem et TOB.
Si donc le Christ était une créature, il resterait forcément en suspens, dans une espérance soumise à une longue attente ; même si sa longue attente concernait plutôt notre sort, du fait de cette attente il serait assujetti à la vanité, et cet assujettissement à un destin, serait indépendant de son gré. Soumis contre son gré, il serait forcément esclave. Or s’il était esclave, il demeurerait aussi dans une nature destinée à la corruption. L’Apôtre en effet, nous l’enseigne, tout cela c’est le propre de la créature ; la créature sera délivrée de tout cela à la suite d’une longue attente, pour resplendir de la gloire destinée à l’homme.
Oh ! quelle déclaration inconsidérée et impie que de faire à Dieu l’affront de le présenter comme une créature et de lui prêter ces contraintes ridicules : espérer, être soumis, devoir connaître la corruption, avoir à être délivré pour accéder, non à sa gloire, mais à celle qui est destinée à notre humanité, alors qu’il doit nous promouvoir à quelque reflet de sa gloire !
Mais l’impiété de nos gens progresse avec un grand déploiement de perfidie, par cette audace que leur permet un langage que rien n’autorise : on en déduit que si le Fils est créature, le Père lui non plus, n’est pas différent de la créature. En effet, le Christ qui demeurait dans la condition divine, a pris la condition d’esclave[5]. Si le Fils, qui est de condition divine, était une créature, Dieu ne serait pas loin d’être une créature, puisqu’une créature serait de condition divine. Etre de condition divine ne doit pas être compris autrement que demeurer dans la nature de Dieu : de ce fait, Dieu aussi serait créature, puisqu’une créature posséderait sa nature.
[5] Cf. Philippiens 2.6-7.
Mais celui qui était de condition divine n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; de son égalité avec Dieu, c’est-à-dire de sa condition divine, il est descendu dans la condition d’esclave. Or il ne peut descendre de Dieu dans l’homme, si Dieu ne se dévêt[6] de sa condition divine. Il se dévêt, mais il ne cesse d’être ce qu’il était, même s’il devient autre que ce qu’il était. Car s’il se dévêt de lui-même, il n’est pas privé de lui-même, puisque la majesté de sa puissance demeure, du fait même qu’il a pouvoir de se dévêtir : passer dans la condition d’esclave ne veut pas dire perdre la nature de Dieu, puisque se dévêtir de la condition divine n’est rien d’autre que l’œuvre de la puissance de Dieu.
[6] Nous traduisons ici par : « dévêtir » le mot « evacuo » = se vider, s’anéantir. Ceci en fonction du contexte : on se dévêt sans cesser d’être ce qu’on est.
Etre de condition divine n’est donc rien d’autre qu’être égal à Dieu ; aussi le Seigneur Jésus-Christ, qui est de condition divine, a-t-il droit à un honneur égal à celui que l’on rend au Père. Il l’affirme lui-même : « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé » (Jean 5.23).
Les êtres ne seraient pas divers si l’on rendait à tous le même honneur. C’est en effet, à juste titre que des personnes d’un rang égal ont droit au même témoignage de respect ; sinon, ou bien un grand honneur serait rendu à tort à des gens d’un rang inférieur, ou bien ce serait un affront pour ceux qui leur sont supérieurs, si leurs inférieurs recevaient un honneur égal à celui qu’on leur rend.
Or si le Fils, considéré comme créature plutôt que comme né du Père, avait droit à un honneur égal à celui que l’on rend au Père, ne parlons plus de culte d’adoration à rendre au Père, puisque le culte qui nous serait demandé pour lui, serait le même que le culte rendu à une créature. Mais non, du fait qu’il est né du Père, le Fils est égal à Dieu le Père, et mérite aussi un honneur égal. Car il est Fils et non créature.
Relevons au sujet du Fils, cette magnifique parole mise sur la bouche du Père : « De mon sein, dès l’aurore, je t’ai engendré » (Psaumes 109.3). Comme nous l’avons souvent répété, n’ayons pas sur Dieu des idées à priori, inspirées par la faiblesse de notre intelligence : lorsqu’ici le Père nous dit qu’il a engendré son Fils « de son sein », n’allons pas croire qu’il existe à partir d’organes internes et externes réunis par des membres, comme il en est des corps qui sont à l’origine des êtres corporels. Non, le Maître de la nature demeure libre et parfait, il n’a que faire avec la nécessité qui préside à l’origine des êtres de la nature ; il nous signifie par ce texte le caractère propre de la naissance de son Fils Unique, engendré par la puissance de sa nature immuable.
Esprit naissant d’un Esprit, celui-ci naît doté du caractère propre d’un Esprit par lequel lui aussi est Esprit ; et pourtant, ce qui est à la racine de sa naissance ne saurait être qu’éléments parfaits et immuables. Et s’il naît d’un principe parfait et immuable, il est nécessaire qu’a partir du caractère propre de Celui qui est à sa source, il naisse doté des propriétés de celui-ci. Certes, notre nature humaine a besoin, de par sa constitution spécifique, d’être contenue en germe dans le sein d’une mère ; mais en Dieu qui est parfait, n’étant pas composé de parties, et dont la nature spirituelle ne change pas, car « Dieu est Esprit » (Jean 4.24), il n’y a pas de place pour cette nécessité propre à notre nature, d’avoir des organes internes. Mais parce que l’Esprit voulait nous enseigner sa naissance d’un Esprit, il propose à notre intelligence à titre d’exemple, la manière dont nous tirons notre origine ; ceci non pas en tant qu’imagé de sa naissance, mais pour nous faire comprendre qu’il a été engendré. Ainsi cet exemple n’a pas pour effet de laisser entendre une nécessité, mais son but est d’éclairer notre pensée.
Si donc Dieu, l’Unique-Engendré, était une créature, quel sens aurait pour notre intelligence un texte qui nous fait comprendre une génération divine selon les normes d’une naissance humaine ?
Or bien souvent Dieu fait appel aux analogies qu’offrent nos membres corporels, pour signifier la grandeur de ses opérations, instruisant ainsi notre esprit au moyen d’un langage qui nous est familier.
Ainsi en ces textes : « Lui dont les mains ont créé toute l’armée du ciel » (Ésaïe 45.12), ou bien : « Les yeux du Seigneur sont sur les justes » (Psaumes 33.16), ou encore : « J’ai trouvé David, fils de Jessé, homme selon mon cœur » (Actes 13.22). Par ce mot : « cœur », est exprimée par Dieu sa volonté de faire du bien à David, en raison de la droiture de ses mœurs ; en nous parlant de ses « yeux », on veut nous faire comprendre la connaissance que Dieu a de toutes choses, étant donné que rien n’échappe à sa science, tandis qu’en mentionnant ses « mains », on nous laisse entendre qu’il réalise ses œuvres, puisque tout vient de Dieu.
Ces mots qui désignent des organes corporels, ne nous empêchent pourtant pas d’admettre que Dieu veut, prévoit et produit toutes choses, sans l’intermédiaire d’un corps. Dès lors, pourquoi cette affirmation que Dieu a engendré son Fils « de son sein », n’apporterait-elle pas à notre intelligence le sens d’une naissance indépendante de tout contexte corporel, puisqu’en utilisant d’autres termes qui désignent d’autres organes, on nous montre par là aussi en Dieu la réalisation de ce qu’il fait.
Par conséquent, l’on parle de « cœur » pour faire entendre la volonté, d’« yeux » pour suggérer la vision, de « mains » pour traduire l’efficacité divine ; or Dieu veut, prévoit et agit au-delà d’une comparaison inadéquate avec des organes humains, et pourtant c’est bien cette comparaison qui est exprimée par ces termes de cœur, yeux, mains. Dès lors, si l’on nous dit qu’il a « engendré de son sein », ne voudrait-on pas nous montrer qu’il s’agit ici d’une vraie naissance ? Dieu n’a pas engendré de son sein à proprement parler, comme il n’a pas agi par sa main, vu par ses yeux et voulu par son cœur ; mais de même qu’en se servant de ces mots, on nous laisse entendre qu’il a vraiment tout fait, tout vu, tout voulu, ainsi, en nous parlant de « sein », on nous laisse entendre que Dieu a vraiment engendré de lui-même celui qu’il a engendré, non par un sein maternel, mais en vérité. C’est de cette façon que Dieu ne veut pas, ne voit pas, n’agit pas en se servant d’organes corporels, mais pourtant emploie des termes s’y référant, pour nous permettre, par le moyen de ces organes corporels, de prendre conscience de la puissance de son action incorporelle.
Telle n’est pas la coutume chez les hommes, et tel n’est pas non plus ce qui ressort de la doctrine du Seigneur, que le disciple ait un rang supérieur à celui de son maître[7], et que le domestique commande à son patron : l’un se soumet à l’autre : en raison de son ignorance, l’ignorant au savant, et par suite de sa condition inférieure, le serviteur à son maître. Puisqu’en décide ainsi le simple bon sens, sur quoi nous appuyons-nous maintenant pour avoir l’audace de dire ou de penser que Dieu est créature et le Fils son ouvrage ?
[7] Cf. Matthieu 10.24.
Est-il un texte où le Maître et Seigneur nous ait tenu ce langage, à nous qui sommes ses serviteurs et ses disciples, et où il nous ait montré sa naissance comme une création et un ouvrage. Le Père l’aurait-il présenté comme étant autre que son Fils, et le Fils aurait-il reconnu que Dieu n’était pas son propre Père ? Il est en tout cas un texte qui montre bien qu’il est né, et non pas créé ou produit : « Qui aime le Père, aime aussi le Fils qui est né de lui ! » (1 Jean 5.1).
Les choses créées sont des productions, elles ne sont pas le fruit de la génération. Car le ciel n’est pas fils, la terre n’est pas fille, il n’y a pas de naissance du monde ; de tout cela il est dit : « Tout a été fait par lui » (Jean 1.3), et le prophète s’exprime ainsi : « Les deux sont l’œuvre de tes mains » (Psaumes 101.26), et ailleurs : « N’abandonne pas l’œuvre de tes mains » (Psaumes 137.8).
Allons, la peinture est-elle fille du peintre, le glaive fils de l’armurier, la maison fille de l’architecte ? Ce sont là les œuvres de ceux qui les ont faites : par contre le Fils seul, est Fils du Père : il est né de lui.
Quant à nous, c’est vrai, nous sommes fils de Dieu, mais fils par création. Jadis, en effet, nous étions « fils de colère » (Éphésiens 2.3) : mais devenus fils de Dieu par l’Esprit d’adoption, nous méritons d’être appelés tels, mais nous ne sommes pas nés fils de Dieu.
Non, tout ce qui devient, n’était pas avant de devenir ; nous n’étions pas fils, mais nous sommes devenus ce que nous sommes. Auparavant, en effet, nous n’étions pas fils, mais après en avoir été rendus dignes, nous le sommes. Nous ne sommes donc pas nés fils, mais nous sommes devenus fils ; nous n’avons pas été engendrés, mais rachetés. Dieu en effet, s’est acquis un peuple, et de ce fait, il a engendré ce peuple. Nous le savons bien, si Dieu a engendré des fils, ce ne sont pas ses fils en toute rigueur de termes. Il ne nous dit pas : « J’ai engendré mes fils et je les ai exaltés », mais seulement : « J’ai engendré des fils et je les ai exaltés » (Ésaïe 1.2).
Mais du fait qu’il est dit : « Israël, mon fils premier-né » (Exode 4.22), quelqu’un prétendra peut-être que cette expression : « Mon premier-né » enlève au Fils le caractère propre qui lui vient de sa génération. Puisque Dieu appelle Israël : « Mon Fils », un terme soulignant la caractéristique propre du Fils est utilisé pour désigner l’adoption faite par Dieu des fils qu’il a créés ; et par suite, ces mots : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Matthieu 17.5), ne rendent pas compte d’un caractère propre au Fils de Dieu, puisque « mon Fils », s’applique en propre, dans l’autre texte, à des gens qui ne sont pas encore nés. On nous apprend qu’ils ne sont pas encore nés, bien qu’on les dise être nés, par ce texte : « Au peuple qui naîtra, que le Seigneur a fait » (Psaumes 21.32).
Le peuple d’Israël a donc à naître pour exister. Et du fait que l’on ne nous dit pas qu’il est né, il n’y a pas à comprendre qu’il existe. Car il est fils par adoption, et non par génération ; il n’est pas le propre Fils de Dieu, mais on l’appelle de ce nom de fils. Car bien que l’Ecriture emploie ce terme : « Mon premier-né » pour le désigner, il y a pourtant une différence énorme entre : « Mon Fils bien-aimé », et « Mon fils premier-né » ! Car là où il y a eu naissance, on rencontre cette expression : « Mon Fils bien-aimé » ; et là où il y a eu choix parmi les nations et initiative d’adoption, on trouve : « Mon fils premier-né ». Celui-ci, parce qu’il appartient à Dieu, est son premier-né ; celui-là, parce qu’il est à lui, est son Fils. Remarquons l’ordre des mots dans le texte latin[8] : lorsqu’il s’agit d’une naissance, le Fils est désigné d’abord comme sien, et ensuite comme bien-aimé, mais lorsqu’il s’agit d’un choix, le fils est qualifié d’abord de premier-né, et ensuite seulement de sien. Israël a pour caractéristique d’avoir été adopté parmi toutes les nations, et de ce fait, il est premier-né. Mais il est clair que la caractéristique du seul être qui soit né de Dieu est d’être son Fils.
[8] « Dans le texte latin » est une glose pour faire comprendre la pensée d’Hilaire, car la traduction française ne peut rendre l’ordre des mots du latin : « Filius meus dilectus » et : « Filius primogenitus meus ».
C’est pourquoi il n’y a pas de naissance parfaite et véritable, là où l’on rencontre plutôt une attribution qu’une génération. Certes, il n’est pas douteux que ce peuple qui lui naît comme fils, tient son existence de Dieu. Il devient un peuple, alors qu’il ne l’était pas ; et du fait qu’il est constitué comme peuple, on dit qu’il est né. Mais il n’y a pas ici de vraie naissance, car auparavant ce peuple était autre que le Fils de Dieu. Et par suite, il n’était pas fils avant de naître, c’est-à-dire avant de devenir fils : le fils choisi parmi les nations était nation avant de devenir fils. Et puisqu’il n’a pas toujours été fils, il n’est pas le vrai Fils. Au contraire, Dieu, l’Unique-Engendré, a toujours été Fils, il ne fut jamais rien d’autre que Fils, et il ne saurait être autre que Fils. Et puisqu’il a toujours été Fils, l’intelligence ne peut admettre un temps où il n’était pas.
Les fils des hommes[9], eux, n’ont pas toujours existé dans le temps : d’abord parce qu’ils sont tous nés de parents qui tous, n’existaient pas avant de naître. Car bien que tous ceux qui naissent, tirent leur origine d’un père antérieur à eux, celui dont ils naissent n’existait pas avant de naître. Par suite, celui qui naît n’existait pas avant de naître : il naît, mais il y eut un temps avant sa naissance. Voici qu’il naît, mais hier il n’était pas ; et puisqu’il est alors qu’il n’était pas, il commence à exister, et nous comprenons très bien qu’un être qui n’était pas hier, reçoive sa naissance aujourd’hui. Ainsi, cette naissance qui lui donne d’exister, vient après un temps où il n’était pas ; puisqu’aujourd’hui vient après hier, il est donc forcé que pour l’homme, il soit un temps où il n’existait pas.
[9] « Nativitates humanae » = filii hominum.
Telle est la condition ordinaire concernant toute origine, sur le plan humain : tout reçoit son commencement, puisque, auparavant, rien n’existe ; tout reçoit son commencement, d’abord dans le temps, comme nous l’avons montré, et ensuite par une cause préexistante. Dans le temps, cela ne fait aucun doute, étant donné que ce qui commence maintenant d’exister, n’était pas auparavant ; par une cause aussi, puisque ce qui existe ne saurait exister sans une cause antérieure. Remonte en effet, à l’origine de toutes choses, et tourne ton intelligence vers ce qui était auparavant. Tu ne découvriras rien qui n’ait commencé d’exister par une cause, puisque tout a été créé par la puissance de Dieu, et ne naît pas d’ailleurs. Du fait même qu’une succession naturelle impose à chaque enfant de n’avoir pas été et de commencer à être, chacun existe dans un temps, après tel temps ; et puisque tout est toujours après un temps, tout prend source à partir d’êtres qui eux aussi, n’existaient pas auparavant, tant il est vrai que les créatures naissent de ce qui n’existait pas avant elles. Adam lui-même, le premier père du genre humain, vient de la terre, tirée du néant, et après un certain temps, c’est-à-dire après que le ciel, la terre, le jour, le soleil, la lune et les astres eurent été créés ; lui qui ne tire pas son origine d’un autre homme, a pourtant lui aussi, commencé d’être, alors qu’il n’était pas.
Mais lorsque nous parlons de Dieu, l’Unique-Engendré, qui ne connaît pas de temps antérieur à lui, il n’y a pas lieu de penser qu’il fut un jour où il n’existait pas : dire « un jour » impliquerait une antériorité, et : « il n’existait pas », l’existence du temps. Le temps n’aurait pas commencé d’être après lui, mais lui-même serait après le temps ; ce temps en dehors duquel il se trouve, du fait qu’il n’y avait pas de temps avant sa naissance, serait alors avant lui. Par ailleurs, on ne saurait comprendre que le Fils, né de Celui qui est, puisse être né de ce qui n’est pas : car c’est Celui qui est, et en tant qu’il est, qui lui donne son existence ; ce qui n’est pas ne saurait être l’origine de sa naissance.
Il n’y a donc pas lieu de supposer qu’il n’existait pas avant de naître, ce Fils qui n’est pas dans le temps, puisqu’il n’a pas de jour où il n’ait été ; et de même, on ne peut pas dire qu’il est né de rien, sans prétendre par là qu’il n’existait pas dans le Père, c’est-à-dire en son auteur.