L’oracle du prophète Aggée se présente en second lieu, lequel n’est ni moins clair ni moins exprès que celui que nous venons d’examiner. Il est contenu depuis le troisième verset du chap. 2 jusqu’au verset 10 ; et parce qu’il importe d’en connaître la suite et le véritable sens, il n’y aura pas de mal d’en faire une petite analyse.
Il est dit, dès l’entrée du chapitre, que la parole de l’Éternel fut adressée à Zorobabel par le moyen d’Aggée le prophète ; et voici ce que ce saint homme lui dit de la part de Dieu. Il lui parle du temple qui venait d’être rebâti, et il suppose, 1° que cette seconde maison paraissait à tout le monde fort inférieure à la première. Qui est celui, dit le prophète, qui est demeuré de reste d’entre vous, lequel ait vu cette maison ici en sa première gloire, et telle que vous la voyez maintenant ? N’est-elle pas comme un rien devant vos yeux auprès de celle-là ? 2° Le prophète ne veut pourtant pas que cette différence les décourage en aucune sorte. Maintenant donc, ajoute-t-il, toi, Zorobabel, renforce-toi ; et toi aussi, Jehosçuah, etc. Grand sacrificateur, renforce-toi. Renforcez-vous, et prenez courage, a dit l’Éternel, car je suis avec vous, etc. 3° Il tâche de leur persuader que, quoiqu’ils ne paraissent pas avoir tous les avantages qu’ils possédaient auparavant, et que la gloire de cette maison semble céder beaucoup à celle de la première, comme il a déjà insinué ; néanmoins Dieu ne s’était point départi de l’alliance qu’il avait traitée avec leurs pères. La parole, est-il ajouté, la parole que j’ai traitée avec vous quand vous sortîtes hors d’Egypte, et mon esprit, demeurent au milieu de vous ; ne craignez point. 4° Et parce que Dieu ne se révélant point d’une façon si particulière dans le second temple que dans le premier, on doutait que l’Esprit de Dieu demeurât au milieu des Juifs comme auparavant, et que Dieu voulût mettre sa gloire dans cette seconde maison, comme il l’avait mise dans la première, Aggée le leur confirme par une promesse très magnifique et très remarquable. Car il leur promet que dans peu Dieu ferait au milieu d’eux les mêmes merveilles qu’il avait faites du temps de leurs pères ; c’est-à-dire qu’il les ferait dans la mer, sur la terre, et du côté des cieux, comme du temps de Moïse ; qu’alors il émouvrait les nations ; qu’il ferait venir celui que les nations devaient désirer ; et qu’alors cette maison qu’ils avaient rebâtie serait véritablement remplie, non de la gloire des hommes, qui consiste dans l’or et dans l’argent, et dont Dieu n’a que faire, puisque l’or et l’argent sont à lui ; mais de la gloire de Dieu étant remplie de sa paix. Car voilà le vrai sens de ces paroles que le prophète ajoute. Car ainsi a dit l’Éternel des armées : Encore une fois, qui sera dans peu de temps, j’émouvrai les cieux et la mer, et le sec ; et j’émouvrai toutes les nations, afin que le désir des nations vienne. Et je remplirai cette maison ici de gloire, a dit l’Éternel des armées. L’argent est à moi, et l’or est à moi, a dit l’Éternel des armées. La gloire de cette dernière maison ici sera plus grande que celle de la première, a dit l’Éternel des armées : et je mettrai la paix en ce lieu ici, a dit l’Éternel des armées.
En vérité, quelle que soit la préoccupation des rabbins, il est difficile que des passages si exprès ne les inquiètent. La vérité qu’ils repoussent d’un côté, se présente de l’autre, et ne les jette pas dans un médiocre embarras. Pourraient-ils bien en effet nous satisfaire, sans chicaner, sur quelques questions que nous leur allons faire ?
Nous leur demandons premièrement, comment il peut être vrai, dans leurs principes, que la gloire de la seconde maison ait été plus grande que la gloire de la première, puisque la seconde n’avait ni les Urims ni les Tummims, ni l’arche de l’alliance, de laquelle Dieu rendait ses oracles de vive voix, ni la verge d’Aaron, la manne, etc., ni le feu du ciel, qui était conservé miraculeusement sur l’autel, et qui consumait les holocaustes, ni enfin l’esprit de prophétie, qui cessa après que le second temple eut été rebâti, et cela selon l’aveu même des rabbins ? Que répond-on à cette difficulté ? Deux choses, qui font paraître le pitoyable égarement des Juifs. Ils disent que le second temple a duré dix ans plus que le premier, et qu’Hérode l’ayant rebâti, lui donna une forme beaucoup plus avantageuse, et le rendit plus magnifique qu’il n’était auparavant. Grand avantage, et qui mérite bien qu’on le préfère à un temple que Salomon, plus riche et plus magnifique en toutes choses qu’Hérode, avait bâti avec un soin et avec une profusion incroyables ; à un temple qui devait être de la plus parfaite symétrie qui fut jamais, puisqu’il fut bâti par un roi le plus sage des rois ; à un temple dont les ustensiles étaient d’or, au lieu que ceux de la seconde maison furent d’airain, et qui était couvert d’or par dehors et par dedans, comme il est marqué au chapitre trois du second livre des Chroniques ; à un temple qui avait été couvert de la nuée de Dieu, et tellement rempli de sa gloire, que les sacrificateurs n’en pouvaient soutenir l’éclat, et n’étaient pas capables de se tenir debout pour faire le service (2 Chroniques 5.13-14) ; enfin, à un temple qui avait l’Urim et le Tummim, l’arche de l’alliance, et tant d’autres avantages qui manquèrent au second !
Qu’ils répondent à cette difficulté, ou qu’ils nous permettent de leur faire voir l’accomplissement de cet oracle en la personne de notre Messie, qui honora le second temple de sa présence, qui en chassa les marchands et les changeurs, qui se sentit brûlé du zèle de cette maison, qui avait accoutumé d’enseigner dans le temple lorsqu’il était à Jérusalem. Car, puisque nous regardons le Messie comme le centre de la religion, le but où tendaient les prophéties, l’organe dont Dieu devait se servir pour se manifester aux hommes, il n’y a point de doute que le second temple ayant été honoré de la présence du Messie, possédait en sa personne l’arche et la nuée de Dieu, la gloire de Salomon, les Urims et les Tummims, la prophétie et la gloire des miracles ; ce qui fait voir que la gloire de la seconde maison a été plus grande que celle de la première.
Nous leur demandons, en second lieu, comment le prophète a pu dire de la seconde maison, lorsqu’il l’oppose à la première, que Dieu mettrait sa paix en elle. Car, dans quelque temps qu’on la considère, soit avant qu’elle eût été rebâtie par Hérode, soit après qu’elle eut été rebâtie par ce prince, il est certain qu’elle fut bien plus souvent profanée que la première. Personne n’ignore, en effet, que Séleucus, un des successeurs d’Alexandre, envoya des gens pour piller le temple de Jérusalem ; qu’Antiochus surnommé l’Illustre, après avoir pris Jérusalem, entra dans le temple et dans le sanctuaire, emporta les vaisseaux sacrés, et remplit Jérusalem de sang et de carnage ; que deux ans après il envoya encore des gens qui firent tous leurs efforts pour abolir la religion judaïque ; qu’ils brûlèrent les livres sacrés, qu’ils profanèrent les sabbats, obligèrent les Juifs à sacrifier aux idoles, répandirent le sang innocent autour du saint lieu, polluèrent le sanctuaire, commirent toutes sortes d’adultères dans l’enceinte des lieux sacrés, mirent une idole abominable sur l’autel de Dieu, appelèrent la maison de Dieu le temple de Jupiter Olympien, et signalèrent leur impiété et leur rage par des meurtres et des sacrilèges qui n’avaient jamais eu d’exemple.
Que si vous considérez ce qui arriva depuis Hérode, vous trouverez que les Juifs ne furent jamais en paix sous les Romains ; que Caligula fit tous ses efforts pour faire mettre son image dans le temple de Jérusalem, ce qui donna lieu à la guerre ; et qu’enfin la désolation de l’abomination, dont parle Daniel le prophète, fut établie au lieu saint, et que les Juifs allèrent eux-mêmes souiller le temple de leur propre sang, s’égorgeant les uns les autres un jour de fête solennelle.
Que si vous cherchez la paix dont il est ici parlé, dans les personnes qui appartenaient au temple en quelque façon, vous trouverez que les docteurs juifs se partagèrent en plusieurs sectes différentes, comme celle des esséniens, des sadducéens, des pharisiens, des hémérobaptistesa, etc., qui se haïssaient comme de mortels ennemis. Pendant que cette seconde maison subsista, la succession des sacrificateurs ne fut, s’il faut ainsi dire, qu’une succession de brigands ; la sacrificature tombait le plus souvent en partage au plus violent ou au plus mondain. Le peuple ne fit que passer de servitude en servitude. Il éprouva la rigueur des Grecs et des Romains ; et lorsqu’il crut pouvoir secouer le joug de ces fiers maîtres, il devint l’esclave de toutes les nations, et tomba dans une désolation qui dure encore.
a – Terme qui désigne ceux qui pratiquaient le bain quotidien.
Où est donc cette paix de Dieu qui devait se trouver dans la seconde maison ? Où la trouverons-nous, lorsque nous n’en voyons aucune apparence ni dans le temple, ni dans les lévites et les docteurs, ni dans le souverain pontife, ni dans le peuple ?
L’argument presse. Que les Juifs répondent, car c’est eux qu’on a maintenant en vue. Qu’ils fassent de nouveaux efforts d’imagination. Diront-ils qu’il s’est passé un temps assez considérable, pendant lequel on pouvait dire que la paix de Dieu était dans le second temple ? Mais c’est détourner l’état de la question. Car le prophète voulant faire voir que la gloire du second temple surpassera celle du premier, en donne ce caractère : c’est que Dieu mettait sa paix dans cette seconde maison. Comment accorder ce discours avec l’histoire, qui nous apprend que la paix de Dieu s’est beaucoup moins trouvée dans le second temple que dans le premier ?
Que sert-il de se faire illusion ? Il faut que cet oracle soit faux, ou qu’il s’accomplisse en Jésus-Christ, lequel est véritablement le prince de paix, selon les idées de tous les prophètes. C’est lui qui a si souvent annoncé et fait annoncer les paroles de paix dans le temple de Jérusalem, et qui, ayant été le gage et la cause de la paix que Dieu a faite avec les hommes, fut porté après sa naissance dans le temple : et c’est là que Siméon prédit la paix qu’il devait apporter au monde ; paix d’autant plus souhaitable, que c’est la paix du cœur et de la conscience, qu’elle apaise la guerre des passions, qu’elle est le principe secret et universel de l’obéissance des peuples, qu’elle fait régner Dieu par amour, qu’elle établit le règne de Dieu parmi le vrai Israël, et qu’elle est le fondement de la Jérusalem d’en haut.
Nous voudrions bien, en troisième lieu, que les rabbins nous dissent pourquoi le prophète, voulant nous montrer que la gloire de la seconde maison serait plus grande que celle de la première, nous va dire que Dieu émouvra la terre et les cieux encore une fois, c’est-à-dire comme il fit du temps de Moïse ; car il a déjà parlé de l’alliance que Dieu traita avec les Israélites par le moyen de ce prophète. N’est-ce pas que le Messie, qui devait faire la gloire de cette seconde maison, ferait paraître l’éclat de ses miracles sur la terre, du côté du ciel, sur les eaux, et sur le sec ?
S’ils n’en veulent pas demeurer d’accord, qu’ils nous expliquent donc ces paroles, et surtout qu’ils nous apprennent le sens de celles qui suivent. Car pourquoi est-il dit que le désiré des nations viendra ? Qui est ce désiré des nations ? Pourquoi Dieu émouvra-t-il le ciel et la terre à sa venue ? Qu’est-ce qu’a de commun ce désiré des nations avec la gloire de la seconde maison ? Où pourquoi, ne s’agissant que de décrire la gloire du second temple, le prophète va-t-il nous parler de ce désiré des nations ?
Nous marquera-t-on bien quelque prince, ou quelque homme extraordinaire, depuis que le temple fut rebâti jusqu’à ce qu’il fut détruit par les Romains, lequel ait fait en même temps le désir des nations, et la gloire de la seconde maison, et qui ait même fait que la gloire de la seconde maison ait été plus grande que la gloire de la première ? Cherchez, inventez, faites agir votre imagination, vous n’en trouverez point d’autre que le Messie que nous vous présentons. D’un côté, il a véritablement apporté à la seconde maison une gloire qui n’était point dans la première ; puisque le salut, la vie, l’immortalité ont été pleinement révélés en Jésus-Christ, qui est la fin de la loi, l’accomplissement des oracles, le centre de la religion, et celui en qui la sacrificature, la royauté, la prophétie, et tous les autres avantages des Juifs vont se rendre comme dans leur principe commun. Il est, de l’autre côté, le désiré des nations, puisque les nations l’ont désiré, et ont embrassé son Évangile avec une sainte avidité, dès qu’il s’est fait connaître à elles.
Si les Juifs ne se rendent pas encore, il faut leur faire faire réflexion sur la prophétie de Malachie, qui est parallèle à celle-ci. Voici, dit Dieu par la bouche de ce prophète, je vais envoyer mon messager, et il apprêtera le chemin devant moi, et incontinent, le Seigneur que vous cherchez entrera dans son temple : et le messager de l’alliance lequel vous souhaitez, voici il vient, a dit l’Éternel des armées.
Qui peut être ce Seigneur que les Juifs cherchent, ce messager de l’alliance, lequel les Juifs souhaitent, et qui doit avoir un précurseur, si ce n’est le Messie ? Les rabbins eux-mêmes n’osent en douter ; et tout ce qu’ils font pour détourner la force d’un passage qui est si favorable à notre religion, est de soutenir que le précurseur ni le Seigneur ne sont pas encore venus. Mais, 1° nous leur faisons voir les caractères du précurseur en saint Jean, lequel a aplani les voies du Seigneur, puisqu’il a exhorté à la repentance, comme à une préparation nécessaire pour entrer au royaume de cieux, qu’il disait hautement être approché ; et que d’ailleurs il convertit les cœurs des pères envers les enfants, et les cœurs des enfants envers les pères (Malachie 4.6), lorsque par sa prédication il les obligeait à se réconcilier, et qu’il les baptisait au Jourdain après qu’ils avaient confessé leurs péchés. 2° Les prophètes nous disent tantôt qu’il entrera dans son temple, comme Malachie dans cet endroit ; tantôt ils nous font entendre qu’il fera que la gloire de la seconde maison sera plus grande que celle de la première. 3° Ces prophètes voulant consoler la sainte impatience de ceux qui attendaient le Messie, leur crient : Voici il vient encore une fois, etc., et le désiré des nations viendra.
Sur quoi il est remarquable que le prophète a pu s’exprimer de cette manière, en suivant notre sens ; mais qu’il n’aurait pu s’exprimer ainsi, en suivant la vue des Juifs. Car, bien qu’il se soit passé un temps assez considérable depuis le temps de ces prophètes jusqu’au temps du Messie, à regarder la chose absolument, il est vrai que cette distance, ou cet éloignement du temps du Messie, leur semblait peu de chose, parce qu’ils en parlaient par rapport au longtemps depuis lequel le Messie était attendu. Les expressions de ces prophètes marquent bien qu’ils faisaient tacitement cette comparaison. Car quand on dit : encore un peu de temps, on veut faire entendre que le temps qui reste à passer dans l’attente du bien, n’est pas, à beaucoup près, si considérable que celui qu’on a passé dans cette espérance ; et cela est extrêmement vrai dans la prophétie expliquée selon nos principes.
Mais pour les rabbins, ils rendent la prophétie obscure, fausse, et même absurde, par l’explication qu’ils lui donnent. Car si depuis Malachie et Aggée on devait attendre le Messie plus longtemps qu’on ne l’avait attendu depuis Noé jusqu’au temps de ces prophètes, le discours de ces prophètes peut-il être raisonnable, lorsqu’ils disent : Encore un peu de temps, et il viendra. Voici il vient ?
Mais il faut se hâter d’examiner la prophétie de Daniel, qui est comme un flambeau qui répand un tel jour sur les autres, qu’on ne sait lequel on doit plus admirer, ou l’évidence de la vérité qu’on y trouve, ou l’aveuglement prodigieux de ceux qui n’aperçoivent pas cette évidence. Il ne sert de rien de le dire, il faut le prouver.