Nous distinguons également trois périodes auxquelles correspondent trois modes de l’inspiration dans la N. Alliance, mais qui, à l’inverse de ceux de l’Ancienne, qui suivaient une ligne ascendante des patriarches à Christ, suivent une ligne descendante de Christ à ses apôtres, et de ses apôtres aux générations subséquentes de croyants et de disciples.
Nous venons de citer le propos du Précurseur marquant la supériorité absolue de celui que Dieu a envoyé : ὃν γὰρ ἀπέστειλεν ὁ θεός (Jean 3.34), qui est venu d’en haut : ὁ ἄνωθεν ἐρχόμενος (v. 31), sur ceux qui étant de la terre, et suscités de la terre : ὁ ὢν ἐκ τῆς γῆς, ἐκ τῆς γῆς ἐστιν, parlent comme étant de la terre, ἐκ τῆς γῆς λαλεῖ (v. 31). L’un est le seul témoin immédiat (μαρτυρεῖ, v. 32), le seul exécute autorisé de Dieu (Jean 1.18) ; l’autre assiste et écoute : ὁ ἑστηκὼς καὶ ἀκούων αὐτοῦ (v. 29), et après avoir parlé, s’efface : ἐμὲ δὲ ἐλαττοῦσθαι (v. 30). Christ demeure et grandit : ἐκεῖνον δεῖ αὐξάνειν (ibid.). L’un annonce la vérité, l’autre est lui-même la vérité annoncée. L’un est l’organe de la révélation, l’autre est Dieu révélé en chair. L’un perçoit et reçoit des actions de l’Esprit, l’autre a reçu l’Esprit sans mesure : οὐ γὰρ ἐκ μέτρου δίδωσιν ὁ θεὸς τὸ πνεῦμα (v. 34), et son inspiration s’approprie la révélation sans reste.
Aussi la révélation incarnée dans la personne de Christ va-t-elle se réfracter en un ou plusieurs rayons dans celle de ses premiers témoins. Il en faudra quatre pour faire revivre devant nous la plénitude de l’image de sa personne terrestre ; et Jacques, Pierre, Paul et Jean n’ont pas eu d’autre prétention que celle de nous présenter, chacun à son tour, un type particulier de la doctrine dont il est à la fois l’auteur et l’objet.
Tandis que l’inspiration prophétique qui représentait dans l’A. Alliance le degré supérieur de la communication de la révélation à l’homme n’était encore que coactive, particulière et intermittente, l’inspiration propre à la Nouvelle se montre, selon l’antique oracle de Joël 2.28 et sq., intérieure, universelle et continue.
L’Eglise primitive, en particulier, a présenté, comme nous l’avons constaté déjà dans l’apologétique, le spectacle du plus magnifique épanouissement de forces et de connaissances spirituelles qui fût jamais ; et la question de canonicité réservée, le recueil appelé le N. T., composé par des apôtres et par des personnages de second ordre, mais tous appartenant à cette époque de création unique dans l’histoire, nous représente incontestablement le degré supérieur de l’inspiration religieuse dans tous les temps, aussi bien peux qui l’ont suivie que ceux qui l’ont précédée, et c’est là aussi, par conséquent, qu’il est le plus utile de l’étudier.
« On pourrait, ce semble, écrit M. l’abbé de Broglie, appliquer au Nouveau Testament, si court et si substantiel, ce texte d’Esaïe, cité par saint Paul : « Le Seigneur enverra sur la terre une parole abrégéea. » Jamais en effet tant et de si grandes pensées ne furent renfermées en moins de mots. Les quatre narrations qui nous ont conservé les souvenirs de l’existence terrestre de Christ ; le quatrième évangile entre autres qui a offert cette figure, portée à des hauteurs célestes et divines, aux regards et aux adorations de l’Eglise universelle ; l’histoire de la fondation de l’Eglise chrétienne en terre juive et païenne ; l’épître aux Romains, cette mine de pensées exploitée et sondée depuis dix-huit siècles par des milliers d’intelligences d’élite, et qui réserve encore autant de découvertes aux siècles futurs qu’elle a répandu de richesses dans les siècles passés, n’ont chacun que les dimensions d’une brochure équivalant aux plus courts des traités de Toulouse. Trois de ces écrits sortis de la plume de Paul et de Jean, et figurant à côté des autres dans la collection appelée Nouveau Testament, ne sont que des billets écrits à des particuliers. Le volume tout entier, qui nous donne la condensation de l’énorme essor de parole qui a accompagné l’avènement du christianisme et la fondation de l’Eglise, dont chaque verset est le produit intense d’une pensée, dont chaque mot pèse, a la valeur d’un minuscule livre de poche.
a – Correspondant, 1890, page 675.
Nous disons que le recueil du Nouveau Testament se place manifestement par la supériorité de la forme et la puissance de la pensée, surtout par l’intensité de l’expérience religieuse qui s’y exprime, autant que par le voisinage immédiat des faits fondateurs du christianisme, à un rang absolument hors de pair dans la littérature religieuse de tous les siècles et de tous les pays.
Comparé aux produits subséquents de l’inspiration chrétienne, soit ceux de l’époque qui suivit immédiatement celle de fondation, l’âge des Pères apostoliques, qui semblait devoir être l’héritier direct et privilégié de cet énorme capital si rapidement créé, et qui représente déjà au contraire une dépression intellectuelle et morale qu’on osera dire complète ; soit les écrits issus même des époques les plus brillantes et les plus fécondes de résurrection, de réveil et de réformation, celle du XVIe siècle entre autres, le document primitif de la pensée apostolique affirme et maintient sa supériorité absolue, incontestable et incontestée. Ni Luther, ni Calvin, ni Pascal, ni Bossuet, qui étaient les premiers d’ailleurs à reconnaître la supériorité absolue des saint Paul et des saint Jean sur l’Église et sur eux-mêmes, quoique assistés de leur parole, portés par leurs expériences, et soutenus par leurs exemples, ne s’élevèrent à la hauteur de ces hommes ; ou supposé qu’exceptionnellement, et par quelque élan subit, ils aient atteint une de ces cimes, aucun d’eux ne sut y garder l’équilibre de la pensée et la mesure dans le langage. De grosses erreurs assaisonnées parfois de gros mots et défendues par la sophistique la plus captieuse, marqueront à jamais la différence entre le traité : De servo arbitrio, l’Institution et les épîtres aux Corinthiens et aux Romains ; et portés que nous sommes sur les épaules des géants et des génies du XVIe siècle, nous pouvons sans ingratitude et sans forfanterie exprimer l’opinion que les résultats qu’ils nous ont acquis sont dépassés.
En même temps que les génies les plus puissants et les plus mesurés, les apôtres se montrent à nous, dans les écrits qui nous sont parvenus, comme les chrétiens à la fois les plus joyeux et les plus sanctifiés. A la prodigieuse activité extérieure, aux miracles apparents de courage et d’abnégation, à la ténacité dans le travail et la souffrance qui ont caractérisé ces hommes et qui ont été relevés dans l’apologétique, il convient d’ajouter ici l’intensité de leur vie intérieure. Jamais la joie chrétienne ne s’est exprimée en accents aussi triomphants et aussi impérieux que sous la plume des saint Paul (Romains 8.38-39 ; 2 Corinthiens 2.14 ; 3.18 ; Philippiens 3.1 ; 4.7), des saint Jacques (Jacques 1.2), des saint Pierre (1 Pierre 1.8), et des saint Jean (1 Jean 1.4). Jamais surtout — car la sanctification du chrétien lui est plus essentielle encore que son bonheur — l’expérience chrétienne n’a atteint des profondeurs morales telles que celles que nous révèlent Romains 6.3-4 ; Galates 2.20 ; Philippiens 3.8-10. L’âme de chacun de ces hommes a bien été un foyer de lumière et une source d’eau vive ; et les théologiens modernes qui, tout en faisant de l’expérience individuelle le critère absolu de la vérité, n’hésitent pas à taxer leur parole et leur connaissance religieuse plus haut que la parole et la connaissance des saint Paul et des saint Jean, nous donnent droit de les rappeler ici à une plus prudente application de leur « méthode expérimentale ».
Tout en rapportant donc leur témoignage à la révélation surnaturelle de Jésus-Christ, si nous exceptons l’auteur de l’Apocalypse, dont l’inspiration portant sur des objets futurs s’appareille à celle des anciens prophètes d’Israël, les apôtres se sont si bien assimilé la donnée révélée, ont si bien identifié avec la substance de leur propre vie et de leurs propres pensées le verbe et le mystère divins que, parlant par l’Esprit, ils se trouvent en même temps parler d’eux-mêmes ; que les pensées de Dieu sont devenues les leurs propres, et que leur parole se trouve être le prolongement de la parole divine qui a retenti dans leur âmeb.
b – C’est ce que M. F. Godet a admirablement fait voir dans son dernier article en prenant pour texte de sa démonstration les cinq premiers chapitres de la seconde aux Corinthiens (Chrétien évangélique, n° 9, pages 388 et sq.)
Comme M. Godet l’a fait remarquer, les trois genres d’inspiration qui devaient se rencontrer bientôt dans le N. T., celle des parties historiques, didactiques et prophétiques, furent indiqués et prédits par Jésus dans les entretiens que, d’après le IVe Evangile, il eut avec ses disciples la veille de sa mort : « L’Esprit vous remémorera les choses que je vous ai dites » (Jean 14.26) ; — « il vous conduira en toute vérité ; — il vous annoncera les choses à venir » — (Jean 16.13).
Dans chacun de ces trois produits de l’inspiration, c’est Christ, le Christ historique et le Christ glorifié, sa personne et son œuvre, qui est l’objet unique en même temps que l’auteur suprême de la révélation, dont l’Esprit n’est que le divin entremetteur. L’un et l’autre, Christ et l’Esprit, reparaissent également et chacun dans ce même rôle, dans les produits subséquents de l’inspiration de tous les fidèles de la Nouvelle alliance jusqu’à aujourd’hui.
Il résulte déjà de plusieurs des paroles précédemment citées de Jésus et des apôtres que, si haute que fût en eux la conscience de leur mission divine de porteurs de la vérité, il n’est jamais entré dans leur pensée de faire du don de l’inspiration le privilège exclusif de leur époque ou de leur personne,
Jésus sur la terre annonçait comme prochain l’exaucement de l’ancien oracle d’Esaïe, que tous seraient enseignés de Dieu, Jean 6.45 (comp. Ésaïe 54.13).
Le jour même de la Pentecôte, le premier orateur chrétien, l’apôtre Pierre salue dans l’événement qui vient de se passer l’accomplissement de l’ancien oracle du prophète Joël, annonçant l’abolition des limites qui avaient contenu jusqu’alors dans les espaces les plus resserrés l’effusion de l’Esprit, désormais assurée à toute chair et jusqu’à la fin des temps, Actes 2.16-21. Et c’est à l’apôtre dont les prétendus successeurs devaient se transmettre l’un à l’autre et de siècle en siècle le privilège d’infaillibilité, mais qui préféra pour lui-même le rôle de collaborateur au titre de Prince de ses frères, qu’il fut réservé de proclamer dans les termes les plus explicites le principe du sacerdoce universel (1 Pierre 2.9).
Renouvelant en notre faveur, mais avec la chance d’un exaucement immédiat, l’antique vœu de Moïse, c’est à tous les chrétiens présents et futurs, à tous les lecteurs de ses épîtres que l’apôtre des gentils souhaite, c’est pour eux qu’il demande l’esprit de sagesse et de révélation, Éphésiens 1.17 ; la plénitude de la connaissance spirituelle, Colossiens 1.9 ; la participation immédiate à tous les trésors de la sagesse et de la science renfermés en Christ, Colossiens 2.3.
C’est tous les enfants de Dieu que saint Jean félicite d’avoir reçu l’onction du Saint qui leur révèle toutes choses, 1 Jean 2.20,27.
Ces déclarations et promesses du N. T. sont confirmées par l’expérience de tous les jours, qui nous enseigne quelle influence et quelle action le christianisme sérieusement accepté et vécu exerce non seulement sur la volonté de l’homme, mais sur son intelligence ; non seulement sur sa pratique et sa vie, mais sur sa connaissance. On a pu voir plus d’une fois le plus simple fidèle, devenu le temple du Saint-Esprit (1 Corinthiens 6.10), connaître Dieu plus sûrement, juger le monde et lui-même plus sainement, raisonner sur les plus hauts sujets plus dignement que l’homme du monde le plus intelligent, réduit à ses lumières naturelles. On peut dire que la sagesse de Dieu, dans l’incompréhensibilité de ses voies, a été justifiée par ses œuvres, c’est-à-dire par ses enfants.
Mais c’est ici précisément que notre seconde question surgit. Si tous les croyants de la Nouvelle alliance sont des temples du Saint-Esprit, s’ils ont tous reçu l’onction d’en haut, s’ils sont tous enseignés directement de Dieu, comment faire et y a-t-il même possibilité de statuer une différence de valeur entre les produits de cette inspiration générale et l’inspiration spéciale et propre aux organes primitifs de la révélation ? Y a-t-il une différence spécifique entre cette inspiration primitive et particulière et l’inspiration permanente ? Et la parole et les écrits de tout chrétien et de tout croyant auront-ils une autorité égale ou équivalente à celle des Paul, des Jean, supérieure même à celle des prophètes de l’A. T.